Bonjour à tous,
Voici le lien menant à mon cours d’histoire sur la campagne militaire de Québec de 1759-1760.
Bon visionnement!
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Voici le lien menant à mon cours d’histoire sur la campagne militaire de Québec de 1759-1760.
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Introduction
Nous présentons ici le premier de deux articles sur la Première Guerre mondiale de 1914-1918. Étant donné l’ampleur du conflit et considérant les différents angles sous lesquels il est possible de présenter les principales phases, nous avons choisi de consacrer ce premier article à ce qu’il est convenu d’appeler le « front Ouest », c’est-à-dire l’ensemble des combats s’étant déroulés en France et en Belgique.
« Mondiale », celle de 1914-1918 le fut assurément, si bien que nous publierons par la suite un second article qui abordera sommairement les événements s’étant déroulés ailleurs en Europe, de même que sur d’autres continents.
Bref, ce que l’on appelle la Première Guerre mondiale ou la Grande Guerre de 1914-1918 tire ses origines immédiates de troubles politiques dans les Balkans, en raison de l’assassinat par un nationaliste serbe de l’archiduc et héritier du trône d’Autriche-Hongrie, François Ferdinand. Par contre, le conflit austro-serbe s’étend rapidement jusqu’à impliquer, dans des opérations sur l’ensemble de la planète, des nations belligérantes provenant de cinq continents. De la France à la Russie en passant par les Balkans, le Moyen-Orient et le Pacifique, ce conflit eut des impacts majeurs sur la conduite de la stratégie et de la diplomatie de l’époque. Plus encore, la guerre de 1914-1918 semble a priori plus facile à analyser lorsqu’on l’envisage sous l’angle d’une série de conflits à l’échelle régionale, sinon continentale.
Par exemple, l’Allemagne fut le seul pays de l’alliance des Puissances Centrales (l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne furent rejointes plus tard par l’Empire ottoman en novembre 1914 et par la Bulgarie en septembre 1915) à mener des opérations à l’extérieur de l’Europe et du Moyen-Orient. De leur côté, les forces britanniques combattirent à travers le monde, mais d’autres puissances dans le camp des Alliés (la France, la Grande-Bretagne, la Russie et le Japon en 1914, rejoints par l’Italie en mai 1915 et par les États-Unis en avril 1917) tendirent à concentrer leurs efforts dans des zones d’opérations plus limitées, mais quand même larges et éloignées. Ce fut le cas notamment du Japon dans le nord du Pacifique, de la Russie sur sa frontière européenne, ou d’autres nations issues des colonies britanniques et des États-Unis, qui envoyèrent d’importants contingents combattre en Europe ou ailleurs.
La planification du conflit: peu de place à l’imprévu
Telle que nous l’avons connue, la guerre sur le front de l’Ouest fut largement la conséquence des préparatifs envisagés par l’état-major allemand dans la première décennie du XXe siècle. Obsédés par le cauchemar d’une guerre livrée sur deux fronts, qu’une majorité d’Allemands croyaient impossible à gagner, les généraux du Reich s’entendaient pour dire que la France devrait être battue en premier avant que l’attention ne soit retournée vers la Russie qui disposait d’une armée plus large, mais dont on estimait le temps de mobilisation beaucoup plus long qu’ailleurs en Europe.
Conformément aux directives du Plan Schlieffen, les sept huitièmes des forces allemandes furent consacrées au front Ouest, dans le but de délivrer un coup rapide et fatal à la France, tandis que le huitième des forces restantes dut adopter une posture défensive à l’Est face aux Russes. Compte tenu de la rigidité des horaires des chemins de fer de l’époque, le Plan Schlieffen manqua de cette flexibilité pour s’adapter à toutes sortes d’imprévus qui allèrent inévitablement se produire. De plus, les planificateurs allemands étaient d’avis que leur allié austro-hongrois serait suffisamment puissant pour retarder assez longtemps l’avance de la grande armée russe, de même que le partenaire italien (l’Italie faisant partie de la Triple-Alliance avec l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie avant la guerre) serait en mesure de fixer un nombre suffisant de troupes françaises sur la frontière au sud.
Les Allemands avaient également parié sur l’idée qu’une avance rapide de leurs forces en Belgique dissuaderait l’armée britannique de débarquer sur le continent à temps pour venir en aide à la France (rappelons que la Grande-Bretagne s’était officiellement engagée à protéger la neutralité belge et, plus important encore, elle ne souhaitait nullement voir l’Allemagne en contrôle des ports sur la Manche). Bref, le Plan Schlieffen prévoyait asséner un coup brutal à la France au cours d’une courte campagne de six semaines, puis se rabattre sur la Russie. Si l’on peut attribuer une faille majeure à ce plan, mis à part l’échec final de celui-ci, c’est qu’il transforma un conflit initialement localisé aux Balkans en une guerre à grande échelle sur la presque totalité du continent européen. Le caractère méticuleux de la planification allemande ne laissa que peu de place à l’erreur, quoique les Allemands n’étaient pas sans savoir que les erreurs sont fréquentes et imprévisibles dans la conduite de la guerre moderne.
Cela dit, la guerre qui débuta en août 1914 vit une avancée rapide des forces allemandes en Belgique. À cet égard, les Allemands purent compter sur une formidable artillerie lourde spécialement affectée à la réduction des puissantes forteresses belges. La voie étant ainsi dégagée, l’armée allemande put rapidement marcher sur la Belgique, face à une armée belge qui ne fut pas en mesure d’arrêter un ennemi aussi puissant. Les Belges se replièrent vers l’ouest pour s’établir le long d’une mince bande côtière autour de la ville d’Ypres. Malgré la défaite, cette détermination affichée par la petite armée belge, combinée à la résistance active et passive de la population civile et l’arrivée de l’armée britannique, fut l’un des éléments qui entravèrent sérieusement l’horaire rigide du Plan Schlieffen, avant même que les Allemands ne marchent sur la France.
Comme nous l’avons mentionné, il était hautement improbable que le Plan Schlieffen ait pu être appliqué avec succès. La plupart des hypothèses envisagées par l’état-major allemand d’avant-guerre n’ont pas survécu au test de la réalité. Par exemple, l’Autriche-Hongrie tourna son attention contre la Serbie, qui offrit une résistance beaucoup plus forte que prévu, ce qui laissa les armées allemande et austro-hongroise dans un état de préparation précaire face au géant russe. Pire encore, l’Italie annonça au début des hostilités son intention de rester neutre.
À l’Ouest, la résistance offerte par la Belgique amena les troupes allemandes à des actions de représailles contre les civils, ce qui souleva des vagues d’indignations à travers le monde, notamment des pays neutres comme les États-Unis. Plus important encore, sur le court terme, l’invasion de la Belgique provoqua l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne, qui dépêcha sur le continent sa petite armée professionnelle bien entraînée et équipée. Cette dernière variable n’avait pas été prise en compte dans les calculs du Plan Schlieffen.
La campagne de 1914
Considérant les horaires du Plan Schlieffen bousculés, les Allemands furent contraints d’abandonner l’idée d’investir Paris et ils s’arrêtèrent en conséquence non loin de la capitale française. De plus, ils durent transférer d’importantes forces à l’Est, car les Russes parvinrent à implanter un plan de mobilisation graduel et efficace qui leur permit de placer leurs unités sur le terrain de manière beaucoup plus rapide que ce qu’on eut cru possible. Face à cette menace, et avec des forces insuffisantes pour arrêter une invasion russe de la mère-patrie, les Allemands n’eurent d’autre choix que de transférer rapidement des divisions du front Ouest, qui commença pour sa part à se stabiliser en octobre et novembre 1914.
La défense de l’est de la Prusse confirma ce que beaucoup redoutèrent en Allemagne, soit la fameuse guerre livrée sur deux fronts, qui hanta les planificateurs pendant tant d’années. Nulle part la victoire n’avait été acquise pour les Allemands, d’autant qu’à l’Ouest, les Français, qui pendant les premières semaines des hostilités s’étaient saignés à blanc (par des offensives futiles de grande envergure en Alsace-Lorraine), étaient parvenus à arrêter l’ennemi lors de la célèbre bataille de la Marne (septembre).
Chaque camp s’embarqua alors dans une série de manœuvres visant à déborder le flanc de l’adversaire, dans ce qui fut appelé par erreur la « Course à la Mer ». En fait, il ne s’agissait pas d’une course au sens propre du terme, encore moins de déplacements rapides des armées, pour la simple raison que celles-ci ne pouvaient pas faire bouger de larges unités d’infanterie et d’artillerie afin de tourner en vitesse le flanc adverse. Par conséquent, les deux camps sur le front Ouest s’affrontèrent à l’automne de 1914 dans une série de bataille dans les Flandres pour le contrôle ultime de la côte de la Manche (ex: batailles de l’Yser et d’Ypres). Ces engagements ne furent pas concluants, dans la mesure où la réalité de la guerre moderne conféra dès le départ un net avantage au défenseur, même face à un assaillant agressif.
Le bilan de la fin de la campagne de 1914 fut plus que relatif pour les belligérants. Les Allemands contrôlèrent la presque totalité de la Belgique et la partie nord-est de la France où se trouva le cœur industriel de la nation. Malgré tout, ces conquêtes n’apportèrent aucune victoire décisive au Reich. Le Plan Schlieffen avait été un échec, ne serait-ce qu’en considérant qu’il n’avait pas fourni à l’Allemagne la guerre sur un seul front tel qu’envisagé. Ce faisant, les Allemands se retrouvèrent dans une situation que leurs généraux avaient tant redoutée: la guerre sur deux fronts. Dans ces circonstances, les Allemands durent s’enterrer, choisissant autant que possible un terrain en hauteur. Simple en apparence, la nouvelle stratégie serait donc d’adopter une posture défensive, en érigeant d’imposants systèmes de tranchées et en améliorant les lignes de communication routières et ferroviaires sur les arrières du front. Ainsi, si les Allemands ne pouvaient pas gagner la guerre à l’Ouest, ils étaient d’avis qu’ils pourraient au moins tenir ce front, tandis qu’ils examineraient les possibilités à l’Est.
1915-1917 à l’Ouest: l’impasse
D’un autre côté, les Alliés ne pouvaient pas rester sur la défensive. Pour gagner la guerre, ils devaient trouver une façon d’expulser l’envahisseur allemand de la Belgique et de la France, ce qui incluait les provinces « perdues » d’Alsace et de Lorraine. Le problème auquel faisaient face les généraux alliés était de taille, dans la mesure où ils avaient tant compté sur l’infanterie pour apporter la victoire, mais les récentes batailles de 1914 avaient clairement démontré que face à un ennemi bien retranché, même l’assaut le plus agressif pouvait tourner au désastre. En cela, on peut penser que même les plus têtus des généraux avaient compris ce principe, contrairement à un énoncé souvent véhiculé concernant l’entêtement, l’insensibilité, voire la stupidité de certains commandants de la guerre de 1914-1918.
En fait, les généraux comprirent rapidement l’importance décuplée que prit l’artillerie, selon le principe progressivement admis disant que « l’artillerie attaque, l’infanterie occupe ». Ce fut du moins la sorte de mantra avec laquelle les généraux alliés entamèrent la campagne de 1915. Théoriquement, il n’était pas faux de croire qu’une habile préparation d’artillerie puisse ouvrir des brèches dans le front ennemi, ce qui permettrait logiquement à l’infanterie et à la cavalerie d’exploiter ces percées et avancer en terrain ouvert.
Dans la pratique, la première difficulté rencontrée par les généraux (qui préparent les batailles, faut-il le rappeler) fut de surmonter les problèmes relatifs à l’approvisionnement en obus d’artillerie de qualité et en quantités suffisantes. Ensuite, il fallut trouver des manières de mieux coordonner le travail de l’infanterie et celui de l’artillerie, un problème qui s’avéra insurmontable en apparence. Les batailles sanglantes et infructueuses menées par l’armée française en Artois (mai-juin) et en Champagne (septembre-novembre) démontrèrent sans équivoque que l’avance de l’infanterie fut souvent paralysée par une artillerie qui ne savait plus où, ni quand tirer.
Les échecs de l’année 1915 pour les Alliés à l’Ouest ne firent que confirmer que les assauts nécessiteraient davantage de préparation et plus de ressources pour obtenir une quelconque percée ou l’usure de l’ennemi à faible coût. C’est dans cette optique que les Alliés préparèrent leurs nouvelles offensives pour 1916. Cette fois, l’idée consista en une coordination au niveau stratégique, où les fronts français, russe et italien auraient dû attaquer simultanément afin d’exercer une pression égale sur l’ennemi.
Or, ces plans alliés d’offensives coordonnées furent brutalement interrompus en février 1916 lorsque les Allemands lancèrent une série d’assauts contre la cité fortifiée de Verdun en France. Cette ville revêtait une importance plus symbolique que stratégique, car ce fut en cet endroit que Charlemagne avait divisé son empire parmi ses héritiers. Depuis lors, la France et l’Allemagne s’étaient fréquemment battues pour Verdun et la Lorraine, depuis l’époque de Charlemagne. De retour en 1916, le général allemand Erich von Falkenhayn avait envisagé une bataille d’usure qui était censée, selon ses propres termes, « saigner à blanc » l’armée française tout en limitant les pertes allemandes. Comme mentionné, Falkenhayn comptait sur la valeur symbolique de Verdun, qui était plus ou moins bien défendu malgré son système de fortifications, pour forcer la main des Français qui y enverraient leurs unités les unes après les autres. L’idée était donc d’user l’ennemi, et non pas nécessairement percer son front, toujours dans l’optique de contraindre les Français à défendre Verdun jusqu’au dernier homme.
Ainsi, Verdun devint l’une des plus cruelles batailles de la guerre de 1914-1918, voire de l’histoire de l’Humanité. La bataille fit rage de février à décembre 1916, où les forces françaises reçurent l’ordre de reprendre systématiquement à l’ennemi chaque parcelle de terrain perdu, et ce, peu importe sa valeur stratégique ou tactique. À elles seules, les forteresses jumelles de Douaumont et Vaux devinrent les lieux de combats effroyables, si bien que lorsque la bataille s’acheva en décembre, on recensa 350,000 soldats tués (162,000 Français et 143,000 Allemands). Comme prévu, Falkenhayn avait effectivement « saigné à blanc » l’armée française, mais ce faisant, il avait rendu son armée victime du même traitement.
Toujours en 1916, mais plus au nord du front, les Français et les Britanniques avaient planifié une offensive conjointe sur la rivière de la Somme. Cette planification fut accélérée compte tenu de la forte pression ennemie exercée sur Verdun simultanément. Au départ, ce fut à l’armée française que revint l’effort principal sur la Somme, mais compte tenu des événements, les Britanniques prirent la relève sous le commandement de Sir Douglas Haig. La vision stratégique de cet ancien officier de cavalerie n’avait pas beaucoup évolué depuis 1915. L’idée du maréchal consistait à pilonner systématiquement et sans interruption les lignes ennemies pendant une semaine, après quoi l’infanterie pourrait sortir de ses tranchées et avancer tranquillement vers l’objectif.
Le 1er juillet, quelques heures avant l’assaut, la cadence du bombardement franco-britannique atteignit 3,500 obus à la minute, ce qui créa une atmosphère assourdissante qui fut entendue jusqu’à Londres. En face, les Allemands vécurent assurément une semaine d’enfer sous le vacarme des obus d’artillerie qui tombèrent dans et autour de leurs tranchées. Par contre, ces derniers étaient bien protégés dans des abris, dont certains pouvaient atteindre une profondeur de dix mètres. Généralement, ces abris n’avaient pas été détruits, ce qui avait laissé du temps aux mitrailleurs allemands de remonter à la surface, installer leurs pièces, puis faire feu en direction de l’infanterie franco-britannique. À eux seuls, les Britanniques eurent près de 20,000 fantassins tués pour la seule journée du 1er juillet 1916, qui demeure encore à ce jour la journée la plus sanglante de l’histoire de l’armée britannique.
1917-1918: désastres et déblocages
Par conséquent, l’année 1917 à l’Ouest débuta un peu à l’image de ce qu’avait été 1915, avec des troupes allemandes une fois de plus engagées dans des opérations défensives et avec les Alliés cherchant d’autres manières de casser l’impasse sur le front. Ces derniers tentèrent deux offensives désastreuses cette année-là, dont la première en avril au Chemin des Dames, en Champagne. Le nouveau commandant en chef des armées françaises, le général Robert Nivelle, parvint à convaincre la classe politique de son pays qu’il pouvait reproduire à plus grande échelle ces fameux « barrages roulants » d’artillerie qui précédèrent l’avance de l’infanterie. Lorsque bien coordonné, le tir pouvait effectivement réduire au silence les mitrailleuses adverses et couper les réseaux de fils de fer barbelés. Ensuite, les nouveaux chars d’assaut devaient avancer à leur tour, dans ce qui apparaîtrait comme l’une des premières tentatives d’envergure de coordination char-infanterie de la guerre.
Pour répondre aux nombreuses critiques quant à la réussite de l’assaut, Nivelle fit preuve, et cela fut assurément une erreur, d’une plus grande transparence en expliquant en détail son plan d’assaut. Combinée à l’excellente reconnaissance aérienne faite par les Allemands, cette erreur de Nivelle enleva à l’offensive l’élément capital de la surprise. Ce faisant, les Allemands eurent tout le temps nécessaire pour se replier sur des positions arrières mieux aménagées, si bien que l’artillerie française s’attarda à pilonner la première ligne allemande qui fut quasiment vide de soldats.
Comme prévu, la bataille du Chemin des Dames débuta le 16 avril 1917. Pendant quatre jours, l’infanterie française avança vers un ennemi qui l’attendit de pied ferme, dans des positions défensives presque intactes. Dans le ciel, l’aviation de chasse allemande s’attarda à abattre les appareils de reconnaissance français dont la tâche fut de guider les tirs de l’artillerie. En clair, l’artillerie française tira à l’aveuglette, alors que celle des Allemands fut habilement guidée par l’aviation et des observateurs au sol. En quelques jours d’offensive, les Français perdirent environ 120,000 soldats pour un gain de terrain avoisinant les 600 mètres, ce qui provoqua des mutineries dans la moitié des unités de l’armée.
De leur côté, les Britanniques n’eurent guère plus de succès en 1917. En avril, une force combinée anglo-canadienne prit la crête de Vimy, au cours d’une bataille coûteuse qui eut peu d’impacts sur l’ensemble du front. De juillet à novembre, les Britanniques et leurs alliés des colonies lancèrent une offensive à plus grande échelle dans la région d’Ypres et son saillant près de Passchendaele. Le résultat ne fut pas plus concluant, malgré que l’on parvint à fixer en Flandres une quantité non négligeable de divisions ennemies.
Cette série de désastres subis par les Alliés en 1917 fut loin d’améliorer leur situation, d’autant qu’à l’Est, la révolution bolchevique et la signature du traité de Brest-Litovsk libérèrent une quantité considérable de divisions allemandes (près d’un million de soldats) qui furent immédiatement transférées à l’Ouest. Malgré ces succès, le temps joua contre les Allemands, qui durent se lancer dans une série d’offensives en France avant l’arrivée en force des contingents américains à l’été de 1918.
Cela dit, en mars, les Allemands tentèrent le tout pour le tout avec une série de cinq offensives majeures sous la direction du général Erich Ludendorff. Faisant un usage abondant de troupes d’assaut spécialement rompues aux nouvelles tactiques de la guerre de tranchées, qui furent testées à Riga (Russie) et à Caporetto (Italie) l’année précédente, les Allemands parvinrent à percer en plusieurs endroits le front allié. En dépit de la panique et du désarroi qui s’empara des états-majors alliés, les offensives allemandes perdirent de leur rythme, de leur souffle, si bien que les Alliés purent se ressaisir et envisager une série de contre-offensives sous la direction du nouveau commandant suprême allié, le généralissime Ferdinand Foch.
En effet, l’urgence créée par les succès allemands finit par convaincre les Alliés de nommer Foch au titre de commandant suprême chargé de coordonner l’ensemble des armées sur le front Ouest. L’énergie et la volonté affichées par Foch finirent par faire tourner le vent à la faveur des Alliés, notamment lors des batailles presque épiques sur la Marne et à Amiens à l’été de 1918. En « coordonnant » diverses armées, le but de Foch fut de voir à ce que la cohésion soit maintenue entre les armées britannique et française, dans le but de gagner du temps et permettre au corps expéditionnaire américain de se faire la main et prendre sa place dans le dispositif de bataille. Malgré leur inexpérience flagrante, les Américains disposèrent de l’avantage du nombre et ils combattirent avec acharnement, du moins de manière beaucoup plus agressive que ce que les critiques de l’époque prétendirent.
Conclusion
Clairement, en considérant ces quatre années de guerre, l’usure des armées et des populations, puis l’arrivée massive des Américains en fin de compte, les Allemands finirent par réaliser qu’ils ne traverseraient pas l’hiver de 1918-1919 dans l’espoir de reprendre la guerre au printemps. Cela n’aurait fait que retarder l’inévitable, qui était que la guerre était tout simplement perdue.
La signature dans le wagon-bureau de Foch le 11 novembre 1918 ne fit que confirmer cette situation, ce qui marqua la fin de la guerre de 1914-1918 à l’Ouest.
La seconde partie de cet article sur la Première Guerre mondiale traitera de l’évolution du conflit sur le front Est, de même que des hostilités en Italie, dans les Balkans, au Moyen-Orient et en Afrique.
Introduction
L’état-major général constitue en quelque sorte le « cerveau » d’une armée sur les champs de bataille. Ayant pris des formes plus ou moins improvisées depuis l’Antiquité, à une époque où les sources nous révèlent les premières grandes manifestations collectives de la pratique de la guerre, l’état-major général fut érigé en un véritable système à l’ère des guerres napoléoniennes. Dès lors, l’état-major général évolua rapidement, mais disons que de tout temps, il consista en un corps de spécialistes qui se consacrèrent à la planification et à l’exécution d’opérations à différents échelons de l’appareil militaire.
Les plus anciennes traces de la pratique de la guerre démontrent ce besoin quasi inné des hommes, et en particulier des « chefs », de se consulter avant, pendant et même après avoir affronté un groupe ennemi, dans la victoire comme dans la défaite. Les grands commandants de l’époque antique jusqu’à la Renaissance disposèrent de ce que l’on appelle de nos jours un « état-major général ». Par contre, ces militaires qui assistèrent leurs chefs furent la plupart du temps des spécialistes du ravitaillement, des ingénieurs, des messagers et des clercs, bref, des soldats qui furent essentiellement des exécutants et non pas des théoriciens de l’art de la guerre. Souvent, il ne s’agissait même pas de militaires, mais de civils se trouvant temporairement au service des armées du monarque.
Le contexte napoléonien: contrôler les armées
Ce type d’organisation de l’état-major général survécut sans trop de modifications importantes jusqu’au XIXe siècle. Cependant, les conséquences politiques et militaires de l’époque des Lumières et de la Révolution à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle engendrèrent une complexification accrue de l’art de la guerre, ce qui mit conséquemment davantage de pression sur les généraux et les manières avec lesquelles ils exercèrent leur leadership en pleine bataille. Dans les faits, aucun général de l’époque, même parmi les plus grands comme Napoléon Bonaparte, n’échappa à cette règle voulant que pour réussir sur les champs de bataille, il fallût étudier, étudier et encore étudier.
Avec l’introduction de la conscription nationale, dans le cadre d’une levée en masse (la nation en armes), la taille des armées de campagne augmenta dramatiquement. Sans trop exagérer, de l’époque antique jusqu’à celle des Lumières en Occident, il était rare que les forces rassemblées par une nation ou un royaume pour une campagne particulière dépassent les 40,000 ou 50,000 combattants. Or, il s’avéra que Napoléon prit en 1812 la direction d’une armée d’environ 600,000 hommes pour sa campagne en Russie. L’un des points à retenir de cet épisode est le suivant: Napoléon perdit le contrôle de sa gigantesque armée.
Auparavant, une armée de campagne aux effectifs « raisonnables » signifiait que toutes ses unités se trouvaient dans le champ de vision de son commandant, si bien que sa direction et la gestion de ses communications pouvaient se faire de vive voix, au son du clairon, avec des bannières ou par l’entremise d’estafettes. Par contre, pour des raisons logistiques évidentes, les grandes armées de l’époque napoléonienne durent marcher en corps séparés, d’une distance maximale d’un jour de marche (20-30 kilomètres) afin de maintenir une liaison minimale. Ces corps avancèrent sur différents réseaux routiers afin de minimiser les effets du trafic et de trouver davantage de sources de ravitaillement. Lorsque le commandant jugea venu le moment de livrer bataille, il dut s’assurer que toutes ses unités soient fraîches et disposes, qu’elles soient déployées dans la bonne séquence et au bon endroit, tout en prenant soin de communiquer efficacement à tous les commandants subordonnés les informations pertinentes sur le dispositif ennemi.
Par ailleurs, plusieurs organisations militaires à travers l’Histoire, que ce soit de l’époque d’Alexandre le Grand jusqu’à celle de Napoléon, durent affronter un problème qui vexa et déconcentra l’attention du plus brillant des généraux, à savoir la dualité politico-militaire de leurs fonctions, qu’il soit sur le champ de bataille ou non. Des chefs d’État en campagne durent effectivement gérer les affaires domestiques, tout en demeurant attentifs aux opérations en cours, d’où l’importance d’avoir une équipe de gens compétents pour les seconder dans le difficile exercice du commandement.
De l’administration des batailles: l’école prussienne
La majorité des puissances européennes maintinrent de larges armées au lendemain des guerres napoléoniennes. Le potentiel en bassin d’hommes offert par l’augmentation de leur population respective signifia que les futures confrontations de grande ampleur verraient la marche de millions d’individus sous les drapeaux. Comme on peut l’imaginer désormais, la conscription, l’entraînement, l’équipement et l’enrégimentement de telles quantités d’hommes, combinés aux dispositions relatives à leur transport et à leur ravitaillement, représentèrent un défi de taille pour l’état-major général de chaque armée.
Dans cette optique, le fait que la Prusse fut le premier État à avoir résolu de tels problèmes s’explique en grande partie par ses contraintes géostratégiques. Face à des ennemis représentant au moins deux fois sa puissance et localisés sur trois fronts distincts, la Prusse fut « habituée » à affronter de tels dilemmes stratégiques. En imposant un service militaire obligatoire sur une plus courte durée, elle put entretenir une plus large (et moins coûteuse) armée de réserve qui put atténuer le déséquilibre de puissance évoqué.
Cela dit, les progrès techniques en matière de transports et de communications, nés de l’avènement du chemin de fer et du télégraphe, rendirent théoriquement possible le rappel massif des réservistes de leurs dépôts à travers le pays, pour ensuite transporter leurs régiments vers des zones de rassemblement aux frontières, former des corps d’armée, et maintenir leur ravitaillement pour les opérations à entamer. Tout cela, il fallut le faire en l’espace de quelques jours. C’est ainsi que l’étude scientifique des horaires des chemins de fer, par des officiers formés dans l’art de la mobilisation et du rassemblement des troupes en prévision de campagnes, devint une branche spécialisée de l’état-major général.
Une fois mise en mouvement, l’armée de campagne avait toujours besoin de moyens de commandement et de contrôle, si elle voulait être en mesure de manœuvrer et de combattre avec cohésion sur le champ de bataille. Les carences en entraînement observées à la mobilisation parmi les hommes du rang et les officiers des unités de réserve, qui souvent quittèrent du jour au lendemain la vie civile pour vêtir à nouveau l’uniforme, firent en sorte qu’il fallut établir une doctrine standard et des règles uniformes à toute l’armée. Ainsi, les idiosyncrasies se limiteraient au style de leadership des commandants de hauts rangs, mais les missions et les mouvements de chaque unité devraient en tout temps se conformer aux plans préétablis par l’état-major général. L’émission effective, la coordination et l’interprétation des ordres jouèrent toutes en faveur de l’accroissement du nombre d’officiers spécialisés dans des tâches d’état-major. L’idée n’étant pas de tuer l’esprit d’initiative des officiers les plus industrieux (nécessité faisant loi parfois), mais bien d’éviter de faire cavalier seul.
Dans ce contexte, le cas prussien demeure une fois de plus précurseur. Les officiers de l’armée qui apparurent les plus talentueux se firent temporairement retirer leurs commandements auprès de leurs troupes afin de suivre des cours intensifs d’état-major général à la Kriegsakademie. En clair, les jeunes officiers qui sortiraient de l’académie de guerre deviendraient, pour nombre d’entre eux, les futurs généraux de l’armée prussienne (allemande). Revenus dans leurs unités, tout en alternant l’exercice du commandement avec d’autres séjours à l’académie, ces officiers mettraient à jour leurs connaissances, que ce soit en matière de tactiques ou du maintien des connaissances générales nécessaires pour le travail au sein d’états-majors. En cas de mobilisation et de déclaration de guerre, plusieurs officiers de l’état-major général seraient affectés à des fonctions importantes, comme celles de chefs d’état-major, ou officiers chargés des opérations au sein de grandes unités de l’armée prussienne (et plus tard de l’armée allemande).
Par conséquent, chaque commandant sur le terrain avait à sa disposition une équipe d’officiers spécialisés dans des tâches d’état-major, des officiers capables de lire, de discuter, d’expliquer et de transmettre les ordres les plus détaillés et complexes, laissant ainsi le commandant libre d’exercer son leadership et ses habiletés de commandement tactique. Au plus haut échelon de l’organisation militaire, le chef d’état-major général accompagnait le monarque, le commandant en chef titulaire, en lui servant de principal conseiller. Le rôle du chef d’état-major général était de voir à ce que les ordres soient cohérents, conformes avec la doctrine militaire du moment et allant de pair avec les compétences des officiers à les rendre intelligibles.
Contrairement à ce qui est véhiculé parfois dans une certaine littérature, l’organisation de l’état-major général n’était pas si rigide, au point d’élaborer des plans militaires ne faisant aucune place à l’imprévu. Les futurs officiers d’état-major qui fréquentèrent les académies de guerre apprirent également certaines notions relatives à la chance, à l’imprévu et à l’importance de se donner une marge de manœuvre en cas de pépins dans la conduite des campagnes. Tout cela s’inspirait directement des enseignements de Carl von Clausewitz.
Par contre, il était évident que les officiers affectés à l’état-major général devaient faire preuve de discipline et de méthodologie dans leur travail consistant à administrer une grande armée en campagne. D’une autre manière, leurs expertises et façons de faire constituèrent une sorte de « révolution administrative » dans l’organisation du travail, révolution qui s’inscrivit dans l’ère industrielle du XIXe siècle. Ayant ainsi été en campagne avec un tel état-major général professionnel, l’armée prussienne livra une série de guerres aux conclusions victorieuses de 1864 à 1871, mettant ainsi à genou trois pays voisins et permettant la naissance d’un nouvel empire allemand. Lors de chaque conflit, l’habileté des Prussiens à mobiliser et déplacer une armée en campagne plus rapidement que leurs adversaires leur conféra un avantage énorme. De plus, toujours sur le terrain, la plus forte cohésion obtenue par la transmission rapide et l’interprétation adéquate des ordres permit aux manœuvres opérationnelles de se dérouler avec moins de difficultés pour les commandants prussiens (malgré certaines erreurs difficilement évitables).
Et il faut dire que l’habileté déconcertante avec laquelle l’armée prussienne performa lors des guerres d’unification de l’Allemagne illustra la nécessité pour l’ensemble des armées du monde de l’époque de procéder à une réforme urgente de leurs états-majors généraux respectifs, même au sein des plus petites armées éloignées de la poudrière européenne comme celle des États-Unis. D’ailleurs, le haut degré d’efficacité de l’état-major général allemand fut remarqué à maintes reprises par les Alliés lors de la Première Guerre mondiale, si bien que ces derniers, vainqueurs, allèrent même jusqu’à interdire son existence dans le traité ayant mis fin aux hostilités.
Dans les faits, et plus sérieusement, toutes les armées adoptèrent le principe, sinon la copie conforme, du modèle d’état-major général allemand. Le lecteur aura également compris que notre analyse fit essentiellement allusion à la branche terrestre des armées. Curieusement, il n’y a pas eu d’équivalents réels de développements d’un état-major général pour les marines de guerre, et ce, même si celles-ci disposèrent de réserves mobilisables avant la guerre de 1914-1918, qu’elles pratiquèrent des manœuvres et qu’elles envoyèrent leurs officiers dans des académies militaires.
Conclusion
Ce fut surtout à partir de la Seconde Guerre mondiale que les armées des grandes puissances envisagèrent la fusion des différents états-majors généraux en un seul, que ce soit en combinant des services pour des raisons d’économies ou dans l’optique de développer l’approche interarmes. Dans ce contexte particulier, la formation d’une coalition multinationale chez les Alliés leur donna un avantage supplémentaire, dans la mesure où il leur fut plus commode d’élaborer une direction stratégique d’ensemble, ce que les puissances de l’Axe ne purent accomplir avec succès.
De nos jours, dans une époque qui nous semble bien lointaine de celles des guerres totales et des luttes à finir entre civilisations, les états-majors généraux, ceux qui étaient sur les champs de bataille, dans le bruit, la poussière et la fureur, et bien ces mêmes corps évoluèrent à leur tour. Les armées professionnelles modernes ont moins d’effectifs en temps de paix, mais les avancées technologiques maintiennent ce besoin d’avoir des officiers formés pour l’accomplissement de tâches d’état-major. Certes, les armées se sont « bureaucratisées », mais il ne faut pas y voir une tare. Après tout, chaque militaire, peu importe sa fonction, est un combattant à la base.
L’ère de l’industrialisation : XIXe siècle
L’ère de l’industrialisation en matière d’armements, que nous faisons vulgairement commencer au début du XIXe siècle, doit prendre en compte ce problème de périodisation entre le dernier quart du XVIIIe siècle jusqu’au premier quart du siècle suivant. Les historiens s’entendent généralement pour dire qu’on assiste à une certaine « industrialisation », voire une proto-industrialisation de l’Angleterre dès le milieu du XVIIIe siècle, en particulier avec l’introduction de la machine à vapeur. Cependant, en matière d’armements, la vapeur eut certes un impact majeur, mais elle ne doit pas être associée automatiquement à une standardisation de la production d’armes militaires. Voilà pourquoi, à notre avis, il est plus difficile de couper au couteau la fin et le début de deux périodes de l’Histoire qui virent d’importantes réalisations.
Cela dit, les travaux de l’Écossais James Watt à la fin du XVIIIe siècle fournirent la poussée nécessaire à l’avancement des technologies de l’armement dans une optique d’une association claire entre la standardisation et l’industrialisation. Au départ, la vapeur servait essentiellement à des fins civiles comme le pompage de l’eau des mines. Par la suite, la vapeur fut mise à contribution dans la fabrication du tour à fileter à l’arsenal de Woolwich, sous la direction d’Henry Maudslay. Cette dernière invention allait avoir un impact décisif dans la production de masse d’armes à feu et de pièces d’artillerie. En mer, la seconde moitié du XIXe siècle vit également la vapeur remplacer progressivement la voile comme source primaire de propulsion des navires de guerre, les libérant ainsi de leur dépendance aux caprices des vents.
Donc, au lendemain des Guerres napoléoniennes, toutes ces innovations technologiques et industrielles auront des impacts majeurs sur les pratiques de la guerre future. En matière de transport des troupes, la locomotive inventée par George Stephenson facilita les déploiements rapides des hommes et du ravitaillement sur de vastes distances grâce aux chemins de fer. D’ailleurs, les observateurs européens témoins de l’établissement de la première ligne de chemin de fer reliant Liverpool à Manchester en 1830 comprirent rapidement tout le potentiel du train à vapeur à des fins militaires. Même chose en mer, où Robert Fulton inventa la première véritable canonnière en 1807 patrouillant la rivière Hudson jusqu’à Albany dans l’État de New York aux États-Unis.
Toujours en Amérique, les communications aux fins militaires bénéficieront de l’invention de Samuel Morse et de son télégraphe mis au point en 1837. Pour sa part, la science de la métallurgie ne fut pas en reste au XIXe siècle avec l’introduction de nouveaux alliages plus résistants. De plus, vers 1850, des modèles de canons à chargement par la culasse firent leur apparition, tout comme des canons rayés en acier avec de premiers mécanismes d’absorption du recul furent introduits dans les artilleries européennes. Parallèlement, les fusils et armes de poing connurent des développements similaires, en particulier au niveau de l’amélioration de leurs cadences de tir et de leurs portées, à un point tel que la Guerre civile américaine est fréquemment considérée par les historiens comme le premier véritable conflit de type « industriel », sinon « moderne ».
Probablement le conflit le plus meurtrier en Occident au XIXe siècle, la Guerre de Sécession aux États-Unis fut un choc pour les contemporains au niveau de l’ampleur des pertes humaines, certes, mais particulièrement face à une implicite prise de conscience à l’effet que l’on vit concrètement les effets d’armes qui, au fond, étaient en développement depuis quelques décennies, mais dont la relative paix en Europe suivant la chute de Napoléon amena un certain dénigrement de ces technologies. Par exemple, l’armurier et inventeur Johann Nicolaus von Dreyse travailla dès les années 1820 sur un fusil à percussion à aiguille rechargeable par une culasse, mais dont le premier modèle ne fut adopté comme arme d’ordonnance par l’armée prussienne qu’en 1841.
Sur un plan plus politique, notons qu’en dépit d’une paix post-napoléonienne relative, les différentes révolutions de 1848 en Europe amenèrent les États à investir davantage dans la recherche et les technologies de l’armement. L’idée étant, non sans surprise, pour les États de posséder des armes de technologie supérieure à celles des insurgés.
Mais le qualificatif de « relatif » afin de décrire la paix européenne du milieu du XIXe siècle trahit certaines réalités, où les puissances cherchèrent néanmoins à s’affronter, entre autres pour tester par la bande des technologies dont les preuves restèrent à faire. La bataille navale de Sinope du 30 novembre 1853 entre les flottes russe et ottomane vit la terrible efficacité des canons russes utilisant de véritables obus. Ce premier épisode de la Guerre de Crimée fut suivi par d’autres où la France et l’Angleterre durent intervenir et où leurs armées apprirent de douloureuses leçons. Par exemple, la Guerre de Crimée fit clairement la démonstration que désormais, la cavalerie ne parvînt plus à percer ou briser une formation d’infanterie bien équipée et disciplinée. En mer, les Français introduisirent des batteries d’artillerie flottantes qui, bien que n’étant pas de véritables navires de guerre selon une définition moderne, amenèrent les marines européennes à se doter graduellement de bâtiments métalliques propulsés par la vapeur.
Mais comme nous le mentionnions, ce fut la Guerre de Sécession aux États-Unis qui retint l’attention comme étant apparemment le premier conflit de l’ère industrielle, d’après l’ensemble des paramètres évoqués au début de cette section (vapeur, industrie, standardisation, etc.). En fait, disons que certains incidents nous amènent à une telle conclusion. Le premier affrontement connu entre deux navires cuirassés à coque en fer se déroula dans les eaux de Hampton Roads près de la Virginie en 1862. Considérée comme un match nul, la bataille représente une victoire incontestée du fer et de la vapeur sur le bois et la voile traditionnels.
Sur terre, la Guerre civile américaine en fut également une de déplacements de troupes sur de longues distances en chemin de fer, parfois même en terrain difficile. À noter par contre qu’à lui seul, le chemin de fer ne suffisait pas à garantir l’efficacité des déploiements. L’usage du train devait se faire en conjonction avec le télégraphe, si bien que des campagnes militaires pouvaient se gagner ou se perdre presque uniquement en raison de considérations logistiques, où le temps devenait un élément qui avait nettement remonté dans la liste des priorités stratégiques et tactiques des commandants.
L’autre difficulté constatée pendant la Guerre civile américaine est que, justement, les généraux se trouvèrent à commander des armées aux effectifs beaucoup plus larges, même plus importants qu’au plus fort des Guerres napoléoniennes par exemple. Ce conflit en fut également un où l’introduction de fusils et de canons rayés modifia en profondeur les équations tactiques. La cadence rapide et la puissance décuplée du feu firent en sorte qu’il devenait désormais suicidaire pour une force d’infanterie de se tenir en rangs serrés face à l’ennemi.
Au plan stratégique, cette industrialisation du conflit dicte une autre variable, à savoir qu’à terme, le camp qui possède la plus importante force industrielle devrait normalement l’emporter. Disposant davantage d’infrastructures industrielles que le Sud à l’économie plus agraire, le Nord avait de fortes chances de l’emporter, pour autant que ses armées puissent contenir celles de l’ennemi aux endroits stratégiques. La fin de la Guerre civile américaine vit aussi la mise en service d’un prototype de mitrailleuse, la Gatling. Bien que n’ayant pas eu de véritables impacts, car elle fut introduite sur le tard, elle inspira d’autres inventeurs. L’un d’eux fut Hiram Maxim qui s’en inspira et conçut en 1885 sa propre mitrailleuse automatique portant son nom (la Gatling fonctionnant par l’action d’une manivelle). La Maxim et ses dérivés figurent parmi les armes les plus destructives jusqu’à ce jour.
Observée par de nombreux militaires européens sur place, la Guerre de Sécession amena les puissances du Vieux Continent à investir de plus en plus en recherche dans le dernier quart du XIXe siècle. De gros joueurs industriels tels Vickers en Angleterre, Schneider-Creusot en France et Krupp en Allemagne réalisèrent d’énormes profits au cours de cette période qualifiée de « paix armée », à savoir la période suivant la fin de la Guerre franco-prussienne en 1871 jusqu’au début de la Première Guerre mondiale en 1914. Ce que l’on peut appeler de nos jours le « complexe militaro-industriel » est véritablement né à cette époque. Autrement dit, on a à faire à des États qui dépendent de plus en plus des corporations qui elles, en retour, dépendent des contrats gouvernementaux.
Les technologies : de la « paix armée » à la guerre totale (1871-1945)
Les quelques décennies qui marquèrent la fin de la Guerre franco-prussienne (1870-1871) jusqu’à la Seconde Guerre mondiale connurent des développements encore plus importants. D’abord, cette période voit la confirmation de la vapeur comme mode principal de propulsion des navires de guerre, tout comme l’acier fait son chemin et devient une matière privilégiée dans la fabrication d’armements, supplantant ainsi des matériaux moins résistants comme le bois. D’ailleurs, les avancées scientifiques permirent de meilleurs coulages de l’acier, le rendant plus résistant, notamment en raison de la disponibilité accrue de métaux tel le nickel.
Ce fut également une période, du moins jusqu’à la fin de la guerre de 1914-1918, où les principales puissances mondiales cherchèrent à mettre en service les meilleurs marines de guerre pour le contrôle des mers, si bien que, comme nous le mentionnions, des consortiums se formèrent pour vendre leurs ressources métallurgiques et technologiques aux plus offrants. Par exemple, l’industrie put offrir aux États et à leurs marines militaires de puissants canons rayés à rechargement par la culasse, augmentant ainsi leur portée de tir et leur puissance de feu. Naturellement, les coûts de ces nouvelles technologies étaient exorbitants et seules les grandes puissances de l’époque purent se procurer de tels équipements, tout en investissant dans la recherche et autres coûts de production.
Dans notre esprit, le tournant du XXe siècle fut extrêmement innovateur en matière d’armements et le domaine naval retient la plupart du temps l’attention. Rappelons que la Grande-Bretagne mit en service son célèbre H.M.S. Dreadnought en 1906, qui révolutionna littéralement le petit monde de la guerre navale. Vers la même époque, le développement de l’arme sous-marine connut d’intéressantes percées, entre autres grâce aux travaux de l’Américain John Holland. Contrairement aux embarcations de surface, il semble que les puissances de l’époque prirent un certain temps à réaliser tout le potentiel du sous-marin à des fins offensives, même que les Allemands rejetèrent l’idée, dans un premier temps, d’inclure cet engin à leur arsenal naval. Ce ne fut qu’avec l’introduction de la torpille de l’ingénieur anglais Robert Whitehead que l’on réalisa tout le potentiel du sous-marin comme arme offensive. Là encore, son utilisation stratégique et tactique n’était pas claire. Pas assez puissant pour couler des navires de type Dreadnought, jugea-t-on, l’utilisation du sous-marin pour l’attaque de navires commerciaux ne fut guère envisagée avant le début de la guerre de 1914-1918. Pourtant, l’on savait que le sous-marin pouvait être furtif et qu’il pouvait lancer une torpille au moment opportun, et ce, sans que la cible ne puisse faire à temps des manœuvres évasives.
Dans les airs, la décennie précédant le début de la Première Guerre mondiale vit le développement de l’aviation, quoique là encore, il fallut attendre les années de guerre pour y constater une véritable envolée, sans mauvais jeu de mots. Au commencement, les Allemands préférèrent des embarcations plus légères que l’air comme le Zeppelin et leur argument pouvait se tenir, car le Zeppelin pouvait parcourir des distances nettement plus grandes que l’avion et que sa capacité de transport de bombes et autres projectiles ne se comparait même pas aux engins plus lourds que l’air. Cependant, les dirigeables et leur cargaison d’hydrogène les rendaient hautement inflammables et il était possible de les détruire soit par une version improvisée d’artillerie antiaérienne (là encore, cela restait à développer), mais sinon, de manière plus efficace, en envoyant des avions pour tenter de les abattre. Bref, le plus lourd que l’air finit par dominer le ciel.
Et lorsque éclata la guerre de 1914-1918, la confrontation entre les armes modernes et les tactiques issues du précédent quart de siècle fut terrible. La doctrine de l’offensive en rangs serrés pour l’infanterie et la cavalerie, face à un ennemi bien retranché et équipé de mitrailleuses et d’artillerie à tir rapide, ne fonctionna tout simplement pas. Le problème est bien connu, mais ce que l’on retient de la Première Guerre mondiale, dans l’optique de ce papier, c’est de voir à quel point elle fut un véritable laboratoire d’expérimentations. Bref, la mitrailleuse pouvait tuer ou blesser des milliers d’hommes en l’espace de quelques heures.
Dans les airs, la première utilisation de l’aviation à des fins militaires s’était vue lors de la Guerre italo-turque de 1911-1912, où quelques avions et dirigeables avaient été utilisés essentiellement à des fins de reconnaissance. Plus tard, lorsque équipés de mitrailleuses et de bombes, les avions pouvaient à leur tour répandre la mort, tout en préservant naturellement leurs fonctions de reconnaissance des positions et des déplacements ennemis.
L’air en lui-même devint aussi un instrument de mort avec l’introduction des gaz de combat, où des milliers de soldats moururent asphyxiés ou du moins aux prises avec de sérieuses difficultés respiratoires pour le restant de leurs jours. La guerre de 1914-1918 vit également l’introduction du lance-flammes, une arme essentiellement utilisée pour terminer le « nettoyage » d’une tranchée ennemie lorsque la première vague d’assaut d’infanterie poursuivit son avance.
Bref, la guerre de 1914-1918 fit la claire démonstration que des tactiques du XIXe siècle ne cadrèrent tout simplement pas avec la puissance de feu d’armes modernes. L’artillerie fut de loin l’arme la plus mortelle, responsable à elle seule de la moitié des pertes du conflit. Des canons de calibres auparavant jamais vus pouvaient détruire en l’espace de quelques jours de puissantes forteresses qui avaient coûté des fortunes aux différents trésors publics. Le siège de Liège en août 1914 constitue l’exemple classique à cet égard. Des obus hautement explosifs pouvaient également pulvériser en un rien de temps des tranchées finement élaborées. Paradoxalement, l’intensité des barrages d’artillerie censés tout détruire et ouvrir le chemin à une infanterie attaquante s’avéra souvent inefficace à briser le système défensif adverse.
Et au sortir de 1918, face à l’ampleur du carnage et des dévastations, le monde aurait pu naïvement croire que cette guerre de quatre ans aurait été la dernière, la « der des ders », et du coup mettre un frein à toute évolution en matière d’armements. Dans les faits, c’est exactement le contraire qui se passa. Un certain pacifisme d’entre-deux-guerres ne fit littéralement pas le poids devant la créativité des inventeurs et surtout face aux désirs des gouvernements de poursuivre la modernisation de leurs armées, et ce, même si des discours officiels d’époque pouvaient laisser croire le contraire étant donné que les budgets de défense avaient été considérablement réduits. Lorsque débuta la Seconde Guerre mondiale en 1939, le monde vit l’apparition de nouvelles armes encore plus destructrices que celles des décennies précédentes.
Dans l’entre-deux-guerres, notons le perfectionnement de technologies telles que le porte-avions, ce qui permit à ses utilisateurs d’atteindre des cibles navales et terrestres à partir de la mer. L’attaque japonaise contre la base navale américaine de Pearl Harbor en décembre 1941 en constitue le premier exemple classique. Par ailleurs, alors que le cuirasser avait pendant longtemps été le bâtiment naval de prédilection des grandes puissances, il fut progressivement relégué au second rang par le porte-avions en termes d’« importance tactique ». Autrement dit, pendant un engagement naval, la priorité était de protéger les porte-avions et naturellement détruire ceux de l’adversaire. Les affrontements navals de la guerre de 1939-1945 virent également se développer de nouvelles technologies des communications telles le radar et le sonar, fort utiles pendant les opérations sur de vastes océans. Certes, il ne s’agit pas d’armements, mais ces inventions furent toutes aussi utiles afin d’atteindre des objectifs primordiaux consistant généralement à la destruction de l’ennemi ou du moins sa volonté de combattre.
Sur terre, les chars d’assaut développés au cours de la Première Guerre mondiale, sur une échelle somme toute limitée, connurent leurs heures de gloire vingt ans plus tard. Ayant été cruellement à court de ces engins en 1914-1918, les Allemands profitèrent de la période de l’entre-deux-guerres pour les étudier d’un point de vue tactique et d’en améliorer la conception. Certains épisodes de la guerre dite « éclair » de 1939 à 1941 virent cette coopération chars-avions atteindre des sommets à peine envisageables pendant la guerre de 1914-1918. Pourvus d’un armement relativement léger au début du conflit, les chars d’assaut de la Seconde Guerre mondiale seront équipés de canons de plus larges calibres et de blindages plus épais. Tactiquement parlant, les belligérants iront sur les champs de bataille en utilisant la tactique chars-avions.
Dans les airs, la Seconde Guerre mondiale fut aussi celle de l’apogée du bombardement stratégique, avec certaines exceptions notables et épisodiques comme en Corée et au Vietnam plus tard. L’idée étant de bombarder massivement des cibles éloignées afin d’anéantir les capacités industrielles de l’adversaire. Comme l’avaient auparavant envisagé des théoriciens de l’arme aérienne, notant sous la plume de l’Italien Giulio Douhet, le bombardement stratégique ne devait pas uniquement s’en prendre à des cibles militaires, mais également aux cibles industrielles de même qu’aux populations civiles. La théorie de Douhet impliquait donc qu’une campagne aérienne de grande envergure aurait pour effet, à terme, de détruire les capacités industrielles et le moral de l’ennemi, ce qui signifierait en fin de compte des hostilités de plus courte durée. Séduisante sur le principe, il s’avéra cependant que la théorie de Douhet ne semble pas avoir résisté au test de la réalité en ce sens où les populations civiles firent preuve d’une ténacité étonnante.
Sur ce point, les civils britanniques furent parmi les premiers à goûter à cette médecine du bombardement stratégique lors du « Blitz » de 1940. Massifs en principe, ces bombardements stratégiques des Allemands sur la Grande-Bretagne ne furent rien en comparaison de la réplique des bombes américano-britanniques qui allèrent s’abattre sur l’Allemagne, de même que sur le Japon. En plus de s’en prendre à des cibles militaires, les bombardements alliés contre ces deux nations eurent également et clairement pour objectifs les populations civiles. D’ailleurs, cette idée de s’en prendre aux populations civiles atteignit probablement son paroxysme avec le Projet Manhattan, où les Américains lâchèrent deux bombes atomiques sur le Japon en août 1945, marquant du coup l’avènement de l’âge du nucléaire.
Conclusion : du nucléaire à l’électronique
En guise de conclusion, rappelons simplement quelques éléments sur l’évolution des technologies de l’armement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Marquant clairement une rupture avec les armes plus conventionnelles du passé, la bombe atomique fit place elle aussi à de nouvelles technologies. Notons que dans les années 1950 fut créée la bombe à hydrogène, qui avait comme particularité la fusion plutôt que la fission de l’atome.
Cette différente manière de fracturer la matière eut comme résultat que les nouvelles bombes seraient environ cent fois plus puissantes que ne l’avaient été celles larguées sur Hiroshima et Nagasaki. Dans les esprits de certains, ces armes nucléaires rendirent quasiment obsolète le concept même de la guerre, avec ses prémisses tactiques et stratégiques. Devenue désormais encore plus terrible que ce qu’elle n’avait été auparavant en matière de destruction, la guerre à l’âge du nucléaire impliquerait désormais l’attaquant et le défenseur seraient simultanément détruits, et ce, peu importe lequel des deux démarrerait les hostilités.
Cette idée de « destruction mutuelle assurée » alla de pair avec celle des conflits de plus faible intensité qui caractérisèrent la période de la Guerre froide (1945-1991). En d’autres termes, et vulgairement résumé, des conflits de niveau régional verraient l’épée de Damoclès du nucléaire pendre au-dessus des têtes des belligérants, mais simultanément, les armes plus conventionnelles en leur possession viseraient, comme ce fut toujours le cas dans le passé, disons, à infliger des destructions maximales à l’adversaire.
Chaque soldat serait désormais armé d’un fusil d’assaut automatique et aurait à évoluer dans un environnement où son adversaire serait tenté d’utiliser des armes de types chimiques et bactériologiques. L’amélioration continue des communications signifierait aussi que ce même soldat en saurait davantage sur les intentions de son adversaire et que le contraire serait aussi très possible.
Actuellement, la fin du XXe siècle et le début du siècle suivant nous ont déjà fait voir de nombreuses améliorations. Des matériaux plus légers et robustes font partie de l’armement du soldat, si bien qu’outre le canon de son fusil d’assaut, le restant des matériaux n’est plus constitué de pièces métalliques ou de bois. Des conflits comme la Guerre du Golfe de 1991 nous firent aussi réaliser tout le potentiel de l’électronique dans la détection et la destruction d’une cible, malgré que des « ratés » en la matière existent et font toujours l’objet de fortes couvertures médiatiques dans ce qu’il est convenu d’appeler « dommages collatéraux ».
Mais ces évolutions technologiques ne signifient pas que le fantassin part à la bataille le dos plus léger. Au contraire, en plus de son fusil, il doit transporter des équipements électroniques, des lunettes de vision de nuit, des GPS, et ainsi de suite. Autrefois destinées essentiellement aux troupes d’élite et à diverses forces spéciales, tous ces équipements font désormais partie de l’attirail de n’importe quel fantassin évoluant dans n’importe quelle armée dite « moderne ».
Bref, depuis la nuit des temps, l’Homme chercha constamment à améliorer son armement, que ce fût pour la chasse ou pour la guerre. Les équipements à la disposition des soldats en ce début du XXIe siècle seront probablement dépassés d’ici à peine quelques décennies. Ce qui nous amène à penser qu’au fond, le pire « ennemi » des armements est le temps.
Introduction
Quiconque étudie l’histoire militaire et l’histoire des pratiques de la guerre est appelé à se familiariser avec une série de variables propres aux sujets scrutés. Il y a évidemment la donne politique, qui consiste en l’étude du casus belli, puis celle du jeu politico-diplomatique. En d’autres circonstances, les chercheurs se pencheront sur les variables socio-économiques, qui constituent une autre approche de notre compréhension collective des conflits armés. Plus récemment, disons depuis une trentaine d’années, la mode est aux études culturelles, à savoir une analyse des « cultures de guerre » qui, à elles seules, englobent toutes sortes d’avenues d’études allant du psychologique jusqu’aux arts en passant par les mentalités.
Puis, il y a cette approche de l’histoire de la guerre historiquement beaucoup plus classique dans l’analyse des modes opératoires des conflits armés, qui consiste simplement à étudier le matériel avec lequel les hommes s’entretuent. C’est là-dessus que nous aimerions élaborer, en traitant brièvement de l’histoire des technologies de l’armement. Concrets, physiques, bruts, les outils avec lesquels les hommes partent à la guerre sont donc sujets d’histoire. Autrement dit, ils contribuent à notre compréhension des pratiques de la guerre, de leurs tenants et aboutissants, comme ils sont tributaires des différents contextes ou âges sans lesquels telle ou telle arme n’aurait pu être fabriquée.
Cela dit, l’évolution des technologies de l’armement n’est pas linéaire. Selon les époques, elle fut marquée de progrès rapides, tandis qu’en d’autres moments et selon les endroits, elle sembla faire du surplace. Cela explique en partie pourquoi l’armement, en lui-même, n’est pas nécessairement garant de la victoire. D’autres facteurs inhérents aux pratiques de la guerre telles la topographie, le moral, la discipline, les communications et autres doivent être pris en compte. Cependant, si le chef de guerre part en campagne avec la maîtrise initiale de nombre de ces éléments, on peut penser que sa compréhension des technologies de l’armement ira de soi et lui conférera un atout supplémentaire afin d’obtenir la victoire, qu’elle soit acquise par la force brute ou bien par une volonté de l’adversaire de capituler.
L’importance qu’occupe l’armement dans l’histoire militaire varie selon les points de vue. Certains chercheurs diront que les armes sont au cœur de batailles, a contrario d’autres penseurs qui affirmeront qu’à la limite, celles-ci ne constituent même pas un objet d’étude, du moins d’un strict point de vue académique. Notre avis est que les technologies de l’armement sont importantes à considérer dans l’issue des batailles, mais elles n’en constituent pas l’unique angle d’approche d’une compréhension plus générale de l’histoire militaire.
Sur le terrain, l’Histoire a également démontré le caractère ambivalent des rapports entre les technologies et l’issue des combats. On remarque que la civilisation occidentale (disons l’Europe de l’Ouest depuis la Renaissance) fut capable de dominer largement le monde grâce à une supériorité technologique qui lui permit de produire des armements de qualité supérieure. Malgré tout, les succès militaires obtenus en partie grâce à ces armements demeurent relatifs et éphémères, dans la mesure où nombreux furent les commandants militaires occidentaux à se montrer réfractaires aux changements technologiques. Cela met en lumière un autre élément important à prendre en considération, à savoir que même si elle apparaît minime en rapport à nos standards, la moindre innovation technologique du passé eut des impacts majeurs pour les contemporains.
Du poing au fer : les technologies préhistoriques et antiques
Depuis l’aube des temps, l’Homme combat. Il combat pour survivre, pour se nourrir d’abord certes, mais les premières disputes pour un territoire, un butin ou du gibier lui firent réaliser que le poing, comme arme, avait ses limites. On peut penser que cet homme ait pu se servir d’un bâton, où il réalisa que non seulement il pouvait frapper plus loin, mais avec plus de force.
L’idée même de causer davantage de dégâts à l’adversaire l’amena à développer d’autres techniques, comme le jet de pierres, où la portée s’allie à la force. L’Homme parvint également à affuter ses bâtons et à procéder à de premiers assemblages, comme le fait de combiner le bâton avec une pierre aiguisée et utiliser le tout soit comme une masse ou comme une lance.
Naturellement, comme nous le mentionnions, la période préhistorique en est une où la frontière entre la guerre et la chasse nous semble beaucoup plus floue. Cette période vit le développement d’arcs et flèches avec lesquels l’Homme pouvait tuer ou blesser un animal comme un autre homme sur une distance appréciable. Ce qu’on retient ici c’est que bien avant l’Histoire, l’Homme faisait déjà preuve d’ingéniosité en matière de technologies d’armements, au sens de tuer plus qu’autre chose, et ce, même si l’on reconnaît d’emblée que les armes peuvent être utilisées à plus d’une fin.
Un autre élément à considérer est celui de la catégorisation des armes. Moins évident de nos jours, dans un contexte d’armes à feu et d’armes de destruction de masse, il est clair que jusqu’au XIXe siècle au moins, l’armement était divisé en deux catégories : les armes de choc et de jet. Dans les deux cas, leur efficacité fut nettement améliorée avec l’introduction du bronze et plus tard du fer, aux alentours de 1,500 avant J.-C. en ce qui concerne cette dernière matière. Le fer supplanta le bronze car étant plus dur, moins fragile et plus coupant (le bronze avait tendance à perdre son aiguisage après seulement quelques coups).
Par ailleurs, la domestication du cheval amena l’Homme à réfléchir aux possibilités d’utiliser la force et la vitesse animales aux fins militaires. Environ trois siècles après l’introduction du fer, on observe l’apparition des chariots de combat et vers 1,000 avant notre ère des premières constituantes de cavalerie. Possédant à la fois le fer et les chariots, les Assyriens figurent parmi les premières civilisations à s’être dotés de ce que l’on pourrait appeler une « armée », soit une force militaire suffisamment constituée au plan organisationnel et qui parvint à conquérir les voisins. Et étant donné qu’on est à l’époque du développement des premières cités-État, la pratique de la guerre amena une civilisation comme celle des Assyriens à développer des instruments de siège, des tunnels et d’autres avancées technologiques pour finaliser leurs conquêtes.
Toujours à l’époque antique, l’évolution des technologies de l’armement commença à s’allier avec une élaboration de tactiques plus raffinées. L’exemple classique demeure celui de la phalange grecque et de la célèbre sarisse. Il s’agissait d’une longue et lourde lance faisant quelque 5,50 mètres dont une pointe était en fer et l’autre en bronze et qui pouvait se détacher en deux parties afin de ne pas nuire à la marche des soldats. La sarisse était assemblée au moment opportun, juste avant le combat. Lorsque celle-ci était utilisée par des soldats en formations serrées, il était virtuellement impossible pour toute infanterie ou cavalerie ennemie de pénétrer ce mur par une attaque frontale.
Par contre, que faire si l’ennemi attaque les flancs? Là réside la principale faiblesse de la phalange, où la sarisse s’avère un handicap puisqu’elle ne facilite pas la souplesse de la formation tactique. Ajoutons à cela que le fait de laisser tomber la sarisse pour dégainer l’épée ne règle en rien le problème tactique posé par une formation rigide qui doit faire face à une attaque de flanc. Au contraire, la souplesse s’acquiert ici par une redéfinition de la formation tactique, problème auquel les Romains s’attardèrent.
Ces derniers mirent au point les légions, soit des formations d’infanterie nettement plus manœuvrables et dont les légionnaires étaient équipés de glaives et de pilums, ces lances plus légères dont la pointe se courbait à l’impact, ce qui la rendait impossible à retirer pour être relancée en direction des légionnaires. Mais l’arme principale du légionnaire demeure son glaive, cette épée courte dont la lame causait de terribles blessures au point où même les Grecs redoutaient cette arme. De conception espagnole, le glaive figure probablement parmi les armes les plus importantes de l’Antiquité, avec la sarisse grecque.
Sur mer, les Romains firent également preuve d’innovation, mais il se pose ici un double problème. D’une part, ils devaient se construire une marine de guerre à partir de rien et, d’autre part, affronter la puissante flotte carthaginoise qui domina la Méditerranée à l’époque des Guerres puniques. C’est alors que les Romains mirent au point une technologie d’abordage des navires ennemis nommé le corbeau, qui était en quelque sorte une passerelle avec une pointe à son extrémité. Lorsque celle-ci s’abattait sur le pont d’un navire adverse, elle emprisonnait les deux embarcations, permettant ainsi à l’infanterie romaine de livrer bataille en respectant ses propres tactiques d’infanterie, bien que les secousses de la mer rendirent les déploiements inconvénients.
Sur terre, et dans la lignée de ce que firent les Assyriens, les ingénieurs romains perfectionnèrent les techniques de siège de même que les systèmes défensifs, le tout dans cette logique voulant qu’une fois conquis, le terrain doive être gardé et développé, voire colonisé. Les Romains construisirent de nouveaux engins de siège afin de réduire les positions ennemies et ils érigèrent de puissantes fortifications pour s’assurer le contrôle territorial, sans oublier l’important système routier pour assurer les communications et déplacer le ravitaillement et les légions d’un point à l’autre de l’empire selon les situations. À titre d’exemple de fortifications, la plus célèbre datant de l’époque romaine demeure le Mur d’Hadrien situé en Angleterre. Encore là, l’idée étant d’allier le savoir-faire technique aux matériaux locaux à disposition afin d’ériger une structure défensive pour tenir à distance des tribus guerrières n’ayant pas encore été pacifiées et civilisées.
Aussi puissants et techniquement compétents purent-ils être, les Romains eurent de sérieux problèmes à s’adapter aux technologies militaires issues d’une guerre beaucoup plus mobile. Certes, les Romains avaient des routes pour déplacer les légions et celles-ci constituaient une infanterie lourde qui se transportait rapidement d’un point de vue stratégique, mais elle pouvait connaître des difficultés de mobilité au plan tactique, surtout face à un ennemi monté. Par définition, ce dernier est beaucoup plus mobile, si bien que les premières invasions dites « barbares » mirent à rude épreuve la toute-puissante machine militaire romaine. À cet égard, l’introduction de l’étrier offrit au cavalier une plate-forme de combat beaucoup plus stable, ce qui lui permit d’engager l’adversaire romain selon un endroit et un moment qu’il aurait choisi. Dans ce contexte, on peut penser que la mobilité de la cavalerie barbare et son contrôle de l’agenda stratégique hypothéquèrent en quelque sorte les avantages offerts par le système routier romain.
Vents de créativité à une époque « sombre » : les contributions médiévales
C’est ainsi qu’à force de recevoir des coups, Rome vit son empire tomber à la fin du Ve siècle de notre ère. La chute de la partie occidentale de l’empire coïncide avec la montée en puissance de certains peuples dont les Francs. Ceux-ci avaient l’habitude de faire campagne accompagnés de la terrible francisque, qui était tout simplement une hache de jet projetée sur l’adversaire au moment d’engager le combat au corps-à-corps.
Cette marque d’innovation s’inscrivit dans un contexte de transition entre deux périodes de l’Histoire. La fin de l’Antiquité et le début du Moyen Âge en Occident virent un mélange de civilisations issues de fortes poussées migratoires des peuples de l’est vers l’ouest de l’Europe, si bien qu’au plan militaire, on assista à un mélange de technologies de l’armement assez intéressant. Pour revenir aux Francs, notons qu’initialement, ceux-ci firent campagne à pied, mais leurs armées évoluèrent pour devenir une force de cavalerie. Comme nous l’avons mentionné, l’apparition de l’étrier de l’Orient offrit aux cavaliers une plate-forme de combat relativement stable, au point où l’impression est fortement ancrée à l’effet que jusqu’à l’introduction de la poudre à canon, la cavalerie domina le champ de bataille de l’ère médiévale.
Le constat n’est pas faux, mais comme dans toutes choses, il est important d’apporter des nuances. Oui, la cavalerie occupa un rôle important sur le champ de bataille et non, la période médiévale ne fut pas dépourvue de lumières créatives en matière de technologies d’armements, bien au contraire. Certes, le Moyen Âge fut fréquemment présenté comme une période de l’Histoire où l’absence relative d’autorités centrales ne permit pas de rassembler les idées et le capital nécessaire à l’évolution de l’armement.
Par contre, notamment dans un contexte de grandes invasions et de poussées migratoires, la période médiévale vit la défensive devenir une priorité. Les châteaux et fortifications diverses furent pensés pour arrêter un adversaire, mais également pour y vivre. Les châteaux étaient naturellement érigés aux endroits jugés stratégiques, soit dans les hauteurs ou près de cours d’eau. Au bord des affluents, les châteaux pouvaient facilement être ravitaillés en eau, ce qui pouvait s’avérer vital pour les défenseurs lors de sièges. Quant aux murs, leur hauteur obligeait les assaillants à faire preuve d’imagination, tant pour les escalader que pour les percer. Si « erreur » il y eut de la part des attaquants au Moyen Âge, ce fut peut-être dans le manque de transferts des connaissances en matière de guerre de siège à travers les siècles. Encore là, il s’agit de cas par cas et il serait mal avisé de généraliser, quoique certains acquis antiques en matière de guerre de siège furent temporairement perdus au Moyen Âge.
D’autre part, l’art du tir à l’arc évolua au Moyen Âge et l’arbalète devint une arme qui changea significativement la donne sur les champs de bataille, car il était désormais possible pour un soldat à pied d’abattre un adversaire monté, un noble par surcroît. La courte flèche de l’arbalète pouvait percer la meilleure des cotes de mailles. Sur ce point, l’utilisation de l’arbalète à des fins guerrières figure parmi les premiers cas de l’Histoire où l’Église catholique tenta d’en régulariser l’utilisation, sans trop de succès. D’ailleurs, ce type d’intervention des autorités religieuses n’alla pas freiner les ardeurs innovatrices en matière d’armements.
D’autres armes très efficaces pour la chasse furent utilisées à des fins militaires comme l’arc long, une arme particulièrement présente sur les champs de bataille lors de la Guerre de Cent Ans. L’arc long avait une cadence de tir rapide de même qu’une longue portée. On remarque un premier cas avéré de son utilisation lors de la bataille de Falkirk en 1298, où il servit notamment à fournir un tir de soutien offensif à la cavalerie. Pendant la Guerre de Cens Ans, et plus particulièrement à Crécy (1346) et Azincourt (1415), les chevaliers français furent victimes d’un tir d’enfer de milliers de flèches pleuvant du ciel et projetées par des archers anglais bien entraînés et disciplinés.
L’autre élément qui commença à décourager tout cavalier d’avancer vers l’ennemi à fond de train fut l’introduction de la pique, qui était dans les faits une amélioration d’anciennes armes. La pique était une combinaison de la lance, du crochet et de la hache qui permettait au fantassin d’accrocher le cavalier ennemi, le faire tomber de son cheval, puis le disperser ou carrément transpercer son armure une fois l’assaillant au sol. Comme le démontrèrent les Suisses à cette époque, une formation de fantassins bien disciplinés pouvait stopper une charge de cavalerie des plus agressive.
C’est également au cours de la période médiévale que la poudre à canon pointa à l’horizon. Inventée par les Chinois avant le XIIIe siècle, la poudre à canon fut probablement utilisée pour la première fois à la guerre lors de la bataille de Crécy déjà évoquée. À la longue, son utilisation força les stratèges à revoir leurs tactiques, mais on commença à se questionner sur la pertinence d’ériger et d’entretenir des châteaux et fortifications. Les premières constructions mirent l’emphase sur les hautes structures, quoiqu’avec la poudre à canon, elles seraient désormais beaucoup plus basses, un peu plus discrètes dans le paysage et plus épaisses afin de mieux encaisser le choc des boulets pénétrants. Le cas classique d’une première fortification majeure tombée sous le feu de l’artillerie est celui de la chute de Constantinople en 1453. Ayant pu arrêter des invasions pendant des siècles, les murailles de Constantinople s’effondrèrent, cette fois sous les coups de l’artillerie turque.
Malgré tout, l’évolution de l’artillerie fut lente, en partie à cause d’une absence relative de gouvernements le moindrement organisés et capables de concentrer des moyens logistiques afin de développer l’art de la métallurgie. À cet effet, non seulement fallait-il améliorer les composantes métallurgiques, mais aussi penser à concevoir des systèmes de visées et voir à l’amélioration de la composition de la poudre à canon de l’époque qui, souvent, était loin d’être parfaite. En dépit de ses défauts, la poudre à canon, un peu à l’instar de l’arbalète et de l’arc long, permit au soldat à pied de posséder une arme à feu et d’abattre un ennemi monté. Là encore, une chevalerie montée par des élites deviendrait à nouveau vulnérable devant des fantassins équipés d’armes à feu et dont l’entraînement ne demandait plus autant de temps et de ressources financières et techniques.
De la Réforme aux Lumières (XVe – XVIIIe siècles)
Toujours en rapport à nos référents occidentaux, l’époque de l’« Europe moderne », que l’on fait grossièrement débuter avec la Réforme protestante, constitue une poussée majeure de la question qui nous intéresse. Époque de réformes religieuses importantes, on a vu que dans le passé, l’Église catholique avait à certaines reprises tenté d’étouffer le développement des armements. Ce dernier s’inscrivait dans un contexte où l’Homme voyait désormais les dimensions physiques et chimiques du monde qui l’entoure, et ce, sans nécessairement avoir à porter les œillères de la religion. Ainsi, d’autres inventions verraient le jour sous le génie d’individus, des gens qui pourraient soumettre leurs idées et projets à des militaires de moins en moins réfractaires aux innovations.
Une première innovation majeure de l’époque qui nous vient à l’esprit se trouve en mer. Dans un contexte de montée en puissance d’empires coloniaux, les Européens mirent au point des navires de guerre pouvant voyager sur de vastes distances. Par exemple, des galères propulsées par des avirons pouvaient toujours mieux manœuvrer que celles simplement guidées par le vent. Qui plus est, les Européens dessinèrent de nouveaux modèles de galère pouvant servir de plates-formes de tir pour des canons. Ainsi, ces plates-formes navales permirent d’abord aux Portugais, aux Espagnols, aux Hollandais et plus tard aux Anglais et Français d’établir des empires coloniaux aux quatre coins du monde.
Ajoutons qu’avec le temps, les galères comprirent plusieurs ponts, donc plus d’une plate-forme pour y installer des canons. Les Anglais furent particulièrement innovateurs à cet égard. Ces vaisseaux de ligne devinrent d’importants symboles de puissance militaire et coloniale, de même qu’ils pouvaient servir comme éléments de dissuasion lorsque des tensions montaient entre puissances rivales.
Sur terre, la période est marquée par le développement et la distribution de masse (à ne pas confondre avec standardisation) du mousquet dans l’infanterie, plus particulièrement vers la première moitié du XVIIe siècle avec l’introduction de la baïonnette. Celle-ci fournissait au fantassin une arme à la fois offensive et défensive, une fois le mousquet déchargé. La baïonnette marqua les imaginaires à plusieurs égards et elle constitua définitivement une « arme psychologique » dont l’importance se mesure au moins jusqu’à la Première Guerre mondiale, où des armes modernes telles la mitrailleuse remirent sérieusement en question son utilité.
Initialement, la baïonnette n’était pas sans défaut. La première baïonnette de type « bouchon » s’insérait dans le canon du mousquet, rendant le tir évidemment impossible. Plus tard, l’adoption de la baïonnette à « douille » dégagea le canon du mousquet tout en facilitant l’insertion et le retrait de cette arme blanche. La combinaison du mousquet et de la baïonnette à douille fournit au soldat à la fois une arme de type « missile » et une arme de type « choc » pour les combats rapprochés. Par conséquent, la pique, autre arme célèbre de l’époque de la Réforme précédemment mentionnée, tomba en désuétude.
Toujours dans l’optique de l’évolution du mousquet, les Prussiens y allèrent d’une amélioration notable, à savoir l’introduction de la baguette de fer afin de pousser la balle et la poudre bien au fond du canon, améliorant ainsi l’efficacité du tir (les chances que le coup parte) et sa cadence. En plus, les risques que la baguette se casse furent nettement réduits, car les baguettes auparavant utilisées étaient faites de bois. Et un peu comme au Moyen Âge, les réalisations innovatrices en matière d’armements chevauchèrent les environnements du chasseur et du militaire. À titre d’exemple, jusqu’au tournant du XXe siècle, la majorité des améliorations relatives aux armes à feu s’appliquèrent au monde des chasseurs et non à celui des soldats. Selon les lieux et les époques, les chasseurs utilisèrent des fusils à rouet tandis que les militaires se servirent de fusils à platine à mèche. Les chasseurs s’équipèrent ensuite de carabines, tandis que les militaires possédaient toujours des mousquets, entre autres choses.
Du côté des fortifications, la période médiévale marque les imaginaires, mais celle qui suit voit notamment en France, sous l’habile direction de Vauban, une véritable révolution. Constatant que l’artillerie parvenait à pulvériser une ligne de fortifications murales, pourquoi alors ne pourrait-on pas en ajouter plus d’une? Ce fut la réflexion de Vauban, réflexion qu’il mit en pratique avec cette série de lignes de fortifications simplement nommées le système Vauban. Cette habile combinaison des approches et des parallèles renforça le système défensif et l’ajout de canons spécialement disposés aux endroits stratégiques permit une capacité de réplique. En conséquence, la guerre de siège n’était plus que l’affaire de pierres ou de béton, mais elle devenait également mathématique et géométrique.
Transportées dans le Nouveau Monde, les technologies de l’armement donnèrent maints avantages aux Européens. En fait, notons que, face à des populations autochtones souvent hostiles aux colons blancs, l’introduction par ces derniers de pathogènes fut dévastatrice pour des corps ne possédant pas de mécanismes naturels de résistance. Cela dit, un nombre relativement insignifiant de troupes européennes bien équipées et disciplinées purent mettre à genoux des empires tels ceux des Aztèques et des Incas. Dotés d’armes faites de pierres comme principal matériau, ceux-ci n’étaient pas de calibre face aux épées métalliques et surtout aux armes à feu de leurs conquérants espagnols à pied ou montés. Les autochtones n’avaient pas non plus la roue, quoiqu’en d’autres domaines, telles l’astrologie et les mathématiques, ils disposaient de connaissances de haut niveau.
Dans un autre ordre d’idées, la fin de la période dite « moderne » voit apparaître une certaine forme de standardisation de l’armement. Lors de la Révolution américaine, qui en soi n’était pas une guerre hautement technologique au sens du développement de nouvelles armes, on remarque que les fantassins britanniques sont pour la plupart équipés du mousquet Brown Bess. Longtemps en service dans l’armée britannique, cette arme était nettement inférieure au fusil américain Long Rifle. Davantage efficace pour la chasse au départ, ce dernier se trouva en quantités importantes dans les rangs des révolutionnaires et il révéla d’étonnantes capacités lorsque utilisé à des fins militaires. De plus, pour beaucoup de miliciens américains révolutionnaires, le Long Rifle était la seule arme à leur disposition au début des hostilités.
Une autre avancée technologique majeure de l’époque fut l’invention en 1784 de l’obus à balles communément appelé le shrapnel, du lieutenant Henry Shrapnel de la Royal Artillery britannique. Plutôt que de tirer une munition pleine ou une boîte à mitraille, l’artillerie pouvait désormais tirer un obus rempli de billes et spécialement conçu pour être projeté beaucoup plus loin que les anciennes munitions à mitraille en plus d’exploser dans les airs, à proximité d’une formation d’infanterie ennemie. Comme arme antipersonnelle, le shrapnel causa ainsi beaucoup plus de dégâts qu’un boulet traditionnel en fer.
Par ailleurs, la Révolution française et les Guerres napoléoniennes qui débutèrent quelques années plus tard virent aussi leurs lots d’innovations. Toujours dans le domaine de l’artillerie, les Français améliorèrent leurs capacités de production de canons de même que leur qualité, quoique ici des travaux en ce sens avaient débuté quelques années auparavant, à la fin de l’Ancien Régime. En plus des canons, on remarque également que la fabrication de leurs affûts fut standardisée et les bouches à feu pouvaient être réparées avec des pièces interchangeables, le cas échéant. Ce qui s’avère intéressant ici, lorsque l’on étudie l’histoire de l’artillerie française, c’est de constater cette capacité d’adaptation aux besoins militaires du moment, et ce, surtout dans un contexte sociopolitique de transitions assurément difficiles entre l’Ancien Régime, les gouvernements révolutionnaires puis la France impériale. D’ailleurs, le « génie militaire » de Napoléon pourrait davantage résider dans son habileté à utiliser de manière optimale des armes déjà existantes, en plus d’en concevoir de nouvelles utilisations tactiques, plutôt que d’avoir fait mettre au point des nouveautés en matière d’armements. Cela étant, les adversaires de la France durent s’adapter au rythme et aux technologies des armées napoléoniennes.