Introduction

Guerre rapide, éclair et tactiquement révolutionnaire pour les uns, le concept du Blitzkrieg correspond à l’avance agressive d’armées allemandes en apparence invincibles, si bien que le mot en soi frappa l’imaginaire de nombre d’historiens et du grand public intéressé par l’étude de la Seconde Guerre mondiale. Il est vrai que cette dernière affirmation renferme une part de vérité, mais il est également important, croyons-nous, de faire une mise au point sur la signification réelle du concept, de même que son utilisation dans la littérature de ce conflit.
Précisons d’emblée que le Blitzkrieg figure parmi les concepts militaires les plus utilisés, et surtout parmi les énoncés les moins bien compris de l’histoire militaire du XXe siècle. Historiquement parlant, on trouve les origines du Blitzkrieg, si l’on peut dire, dans l’« état d’esprit » de l’armée allemande défaite, au lendemain immédiat de la Première Guerre mondiale. Plus précisément, l’armée allemande dirigée par le chef d’état-major Hans von Seeckt entreprit au début des années 1920 une vaste étude de la guerre de 1914-1918 et des leçons à en tirer. De cette analyse d’envergure, l’armée fit un premier constat, qui nous apparaît fort intéressant et révélateur, à savoir que les tactiques et les concepts opérationnels développés au cours des deux dernières années de la guerre avaient été efficaces. Cela ne signifia en rien qu’il fallut reproduire le même schème, mais les expériences qui en avaient été tirées allèrent assurément aider la nouvelle armée allemande de la période de l’entre-deux-guerres à raffiner sa doctrine tactique.
L’« école » de 1914-1918

Cela dit, Seeckt faisait ici référence aux tactiques d’infiltration qui avaient été particulièrement efficaces au printemps de 1918, notamment sous la direction du général Oskar von Hutier. À l’époque, celui-ci préconisa une technique d’assaut qui prévoyait d’abord le recours à un bref, mais dévastateur barrage d’artillerie qui emploierait beaucoup d’obus à gaz et fumigènes, suivi d’une attaque d’infanterie menée par des unités d’assaut spéciales. Équipées d’une variété d’armes telles des fusils, des grenades, des pistolets-mitrailleurs et des lance-flammes, ces unités avaient pour mission particulière de percer le front ennemi en ses points les plus vulnérables.
Une fois les objectifs de premières lignes clairement identifiés, les unités d’assaut spéciales devaient s’en emparer et faire en sorte d’atteindre les lignes arrière du front ennemi, dans le but de capturer ses quartiers-généraux, ses dépôts et ses lignes de communication. Un autre aspect important de la théorie de Hutier sur les tactiques d’assaut consista pour les assaillants à ne pas s’attarder sur un point de résistance, mais plutôt de l’isoler, le contourner et poursuivre l’avance. Ce faisant, il reviendrait au corps principal de l’infanterie lourde suivant les forces d’assaut à s’acquitter de cette tâche. Toutes ces tactiques connurent d’incroyables succès contre les Russes lors de la bataille de Riga à l’automne de 1917, de même contre les Italiens à Caporetto à la même époque, ainsi qu’au moment des phases initiales des offensives sur le front Ouest au cours de la première moitié de 1918.
Malgré qu’elle ait effectivement perdu la guerre, l’armée allemande crut que ces concepts, combinés avec la technologie appropriée, pouvaient effectivement apporter la victoire. C’est ainsi que l’armée passa les quinze années suivant la fin de la guerre à améliorer les technologies associées aux chars d’assaut, aux véhicules blindés et aux avions, de sorte à forger une nouvelle doctrine tactique. D’ailleurs, mentionnons que ces réflexions de la période de l’entre-deux-guerres n’avaient rien de secret, dans la mesure où elles étaient publiquement débattues dans divers périodiques du monde des affaires militaires. De plus, l’Histoire retient souvent le nom de Heinz Guderian comme la grande figure pensante du renouveau de la pensée tactique allemande, mais les contributeurs furent beaucoup plus nombreux, du moins parmi les puissances militaires qui purent consacrer des ressources aux études doctrinales (Rommel, Guderian, Hart, Fuller, de Gaulle, etc.). L’idée étant de traduire en actions concrètes, par des manœuvres expérimentales sur le terrain, des concepts qui verront naître d’importantes structures organisationnelles telles les divisions motorisées et de Panzers.
Le Blitzkrieg : les faits
Par ailleurs, un autre élément du problème qui peut étonner, ou du moins surprendre quelque peu est le fait que le mot Blitzkrieg n’apparaît que rarement dans la littérature militaire allemande de l’entre-deux-guerres. C’est particulièrement le cas des analyses qui se penchèrent sur la guerre terrestre. Plutôt, on employa le concept de Bewegungskrieg, qui peut se traduire littéralement par guerre de mouvement. La seule mention du mot Blitzkrieg sembla paraître dans certaines publications qui s’intéressèrent alors aux nouvelles tactiques de la guerre aérienne. Vulgairement résumé, le concept était défini comme un coup fatal que la Luftwaffe devrait asséner à une force aérienne ennemie ayant déjà un genou à terre.
Dans son essence intellectuelle et au niveau des premières expériences pratiques, le Blitzkrieg put ressembler au dernier exemple évoqué. Ainsi, une campagne militaire débuterait par un violent assaut de la Luftwaffe afin de rapidement fournir à l’Allemagne la supériorité aérienne. Après cela, l’avance de l’armée serait précédée par des divisions de Panzers, elles-mêmes appuyées par des divisions d’infanterie motorisées. Organisées à l’échelon du corps d’armée, ces unités viseraient, comme en 1918, à percer profondément le front ennemi, détruisant au passage ses quartiers-généraux, ses dépôts et ses lignes de communication. Une fois les unités ennemies encerclées, les divisions d’assaut allemandes s’arrêteraient, se placeraient en position défensive, puis elles attendraient la contre-offensive des forces emprisonnées.

Pour sa part, l’armée de terre allemande, composée de divisions d’infanterie à pied (dépendantes de leurs chevaux pour assurer leur logistique), avancerait à son rythme, indépendamment des divisions motorisées. La mission des divisions à pied serait d’établir la liaison avec les unités motorisées afin de resserrer les mailles du filet tendu autour des forces ennemies isolées, pour finalement les détruire ou les contraindre à capituler. La finalité d’une telle opération est somme toute simple, soit amener l’ennemi dans une grande bataille d’annihilation (Vernichtungschlacht), un concept qui était déjà bien ancré dans la tradition militaire allemande, dont on peut retracer les origines jusqu’à la pensée clausewitzienne. Bien entendu, le concept avait été raffiné avec le temps, notamment sous la direction inspirée de Helmuth von Moltke (l’aîné) et plus tard sous Alfred von Schlieffen au tournant du XXe siècle. Évocatrice de la grande bataille de Cannes de l’Antiquité, cette idée d’anéantir l’ennemi au cours d’une immense bataille dite de double encerclement avait déjà un précédent dans l’histoire militaire allemande avec la victoire à Tannenberg en 1914.
Dans tout ce contexte, rappelons que certaines mésinterprétations du concept du Blitzkrieg reposent sur notre compréhension collective du rôle joué par la Luftwaffe. Dans la réalité, on assigna à l’armée de l’air allemande des missions d’ordre opérationnelles, c’est-à-dire qu’on demanda à ses escadrons d’attaquer des cibles stratégiques et opérationnelles comme les jonctions ferroviaires, les dépôts, les quartiers-généraux et les concentrations des réserves ennemies. Peu de ses ressources furent consacrées à des missions d’appui direct des unités au sol et lorsque la Luftwaffe le fit, ce fut uniquement quand les circonstances s’y prêtèrent. L’une des raisons pouvant expliquer cet état des choses fut que la coopération air-sol fit régulièrement défaut, notamment lorsque l’armée de l’air tira accidentellement sur des troupes amies au sol.

Conclusion
En dépit de ses imperfections, le concept du Blitzkrieg put servir la cause de la Wehrmacht, du moins lors des deux premières années de la guerre, de 1939 à 1941. Par contre, il faut garder à l’esprit que les victoires militaires impressionnantes des forces allemandes au cours de cette période le furent face à des armées ennemies qui n’étaient, pour la plupart, pas en mesure de leur barrer efficacement la route (et nous incluons dans ce volet la puissante armée française qui souffrit d’une sérieuse crise du haut commandement en 1940).
Dans de telles circonstances, la victoire, que l’on étiqueta sous l’appellation du Blitzkrieg, fut obtenue grâce à un petit nombre de divisions motorisées et de Panzers. Ces dernières ne comprirent jamais plus du quart de toute l’armée, mais elles combattirent avec détermination, sous la direction de jeunes officiers formés à la nouvelle doctrine. Ce fut lorsque l’armée allemande s’aventura en Russie en 1941 que le système s’effondra, sous les pressions combinées de l’immensité géographique et de la motorisation accélérée des forces alliées par la suite.
La conclusion que l’on peut donc tirer du Blitzkrieg est qu’après la fin de la guerre, certains auteurs tentèrent de récupérer à leur profit la soi-disant « paternité » du concept. On pense entre autres à Guderian lui-même, mais également à d’autres auteurs de la pensée stratégique comme B.H. Liddell Hart. Cela étant, et au-delà des débats entre historiens, le Blitzkrieg continuera de marquer l’imaginaire, et ce, en dépit des failles évidentes dans son application par l’armée allemande lors de la Seconde Guerre mondiale.
Si l’on vous suit bien, le concept de Blitzkrieg est arrivé à maturité pendant la Campagne de France en mai 1940.
Comme tout concept il a des origines. Des origines parfois lointaines, des sources d’inspirations variées. Et le concept, même s’il n’a reçu son nom qu’après coup, est le fruit du travail de certains généraux: Allemands pour l’application terrible, Anglais et Français pour la théorie et l’innovation du char de combat, et diverses (antiques, médiévales, etc) pour les subtilités de l’esprit en général.
J’ai apprécié de même la lecture (en français) de KH Frieser, et notamment de sa métaphore de la Lance pour décrire l’armée allemande si redoutée.
La lance était l’arme favorite du Hoplite …
merci
La Blitzkrieg fut à mon avis une réponse au traumatisme laissée par le souvenir de la guerre de tranchée lors du premier conflit mondial. Pour ce qui a trait à la défaite éclair de la France je vous suggère fortement le livre d’Annie Lacroix-Riz:
Le Choix de la défaite.
Bon article, à ceci près que la Blitzkrieg est un concept forgé manifestement après coup par Goebbels et peu conceptualisé par l’armée allemande en 1939. Les révélations de l’historien allemand (et lt-col dans l’armée allemande actuelle) Karl-Heinz Frieser dans son livre « Blitzkrieg Legende. Der Westfelzug 1940 » de 1995 (qu’il reprend en français dans le livre de M.Vaisse « Mai-juin 1940: Défaite française, victoire allemande » en 2000) explique que n’eut été de la désobéissance de certains militaires (comme Guderian) face aux ordres de l’État major de s’arrêter lors de l’offensive allemande en France en 1940: Keine Blitzkrieg…!
M.Deleuze (Hist, RMC-CMR)