Introduction

Quiconque étudie l’histoire militaire et l’histoire des pratiques de la guerre est appelé à se familiariser avec une série de variables propres aux sujets scrutés. Il y a évidemment la donne politique, qui consiste en l’étude du casus belli, puis celle du jeu politico-diplomatique. En d’autres circonstances, les chercheurs se pencheront sur les variables socio-économiques, qui constituent une autre approche de notre compréhension collective des conflits armés. Plus récemment, disons depuis une trentaine d’années, la mode est aux études culturelles, à savoir une analyse des « cultures de guerre » qui, à elles seules, englobent toutes sortes d’avenues d’études allant du psychologique jusqu’aux arts en passant par les mentalités.
Puis, il y a cette approche de l’histoire de la guerre historiquement beaucoup plus classique dans l’analyse des modes opératoires des conflits armés, qui consiste simplement à étudier le matériel avec lequel les hommes s’entretuent. C’est là-dessus que nous aimerions élaborer, en traitant brièvement de l’histoire des technologies de l’armement. Concrets, physiques, bruts, les outils avec lesquels les hommes partent à la guerre sont donc sujets d’histoire. Autrement dit, ils contribuent à notre compréhension des pratiques de la guerre, de leurs tenants et aboutissants, comme ils sont tributaires des différents contextes ou âges sans lesquels telle ou telle arme n’aurait pu être fabriquée.
Cela dit, l’évolution des technologies de l’armement n’est pas linéaire. Selon les époques, elle fut marquée de progrès rapides, tandis qu’en d’autres moments et selon les endroits, elle sembla faire du surplace. Cela explique en partie pourquoi l’armement, en lui-même, n’est pas nécessairement garant de la victoire. D’autres facteurs inhérents aux pratiques de la guerre telles la topographie, le moral, la discipline, les communications et autres doivent être pris en compte. Cependant, si le chef de guerre part en campagne avec la maîtrise initiale de nombre de ces éléments, on peut penser que sa compréhension des technologies de l’armement ira de soi et lui conférera un atout supplémentaire afin d’obtenir la victoire, qu’elle soit acquise par la force brute ou bien par une volonté de l’adversaire de capituler.
L’importance qu’occupe l’armement dans l’histoire militaire varie selon les points de vue. Certains chercheurs diront que les armes sont au cœur de batailles, a contrario d’autres penseurs qui affirmeront qu’à la limite, celles-ci ne constituent même pas un objet d’étude, du moins d’un strict point de vue académique. Notre avis est que les technologies de l’armement sont importantes à considérer dans l’issue des batailles, mais elles n’en constituent pas l’unique angle d’approche d’une compréhension plus générale de l’histoire militaire.
Sur le terrain, l’Histoire a également démontré le caractère ambivalent des rapports entre les technologies et l’issue des combats. On remarque que la civilisation occidentale (disons l’Europe de l’Ouest depuis la Renaissance) fut capable de dominer largement le monde grâce à une supériorité technologique qui lui permit de produire des armements de qualité supérieure. Malgré tout, les succès militaires obtenus en partie grâce à ces armements demeurent relatifs et éphémères, dans la mesure où nombreux furent les commandants militaires occidentaux à se montrer réfractaires aux changements technologiques. Cela met en lumière un autre élément important à prendre en considération, à savoir que même si elle apparaît minime en rapport à nos standards, la moindre innovation technologique du passé eut des impacts majeurs pour les contemporains.
Du poing au fer : les technologies préhistoriques et antiques
Depuis l’aube des temps, l’Homme combat. Il combat pour survivre, pour se nourrir d’abord certes, mais les premières disputes pour un territoire, un butin ou du gibier lui firent réaliser que le poing, comme arme, avait ses limites. On peut penser que cet homme ait pu se servir d’un bâton, où il réalisa que non seulement il pouvait frapper plus loin, mais avec plus de force.
L’idée même de causer davantage de dégâts à l’adversaire l’amena à développer d’autres techniques, comme le jet de pierres, où la portée s’allie à la force. L’Homme parvint également à affuter ses bâtons et à procéder à de premiers assemblages, comme le fait de combiner le bâton avec une pierre aiguisée et utiliser le tout soit comme une masse ou comme une lance.

Naturellement, comme nous le mentionnions, la période préhistorique en est une où la frontière entre la guerre et la chasse nous semble beaucoup plus floue. Cette période vit le développement d’arcs et flèches avec lesquels l’Homme pouvait tuer ou blesser un animal comme un autre homme sur une distance appréciable. Ce qu’on retient ici c’est que bien avant l’Histoire, l’Homme faisait déjà preuve d’ingéniosité en matière de technologies d’armements, au sens de tuer plus qu’autre chose, et ce, même si l’on reconnaît d’emblée que les armes peuvent être utilisées à plus d’une fin.
Un autre élément à considérer est celui de la catégorisation des armes. Moins évident de nos jours, dans un contexte d’armes à feu et d’armes de destruction de masse, il est clair que jusqu’au XIXe siècle au moins, l’armement était divisé en deux catégories : les armes de choc et de jet. Dans les deux cas, leur efficacité fut nettement améliorée avec l’introduction du bronze et plus tard du fer, aux alentours de 1,500 avant J.-C. en ce qui concerne cette dernière matière. Le fer supplanta le bronze car étant plus dur, moins fragile et plus coupant (le bronze avait tendance à perdre son aiguisage après seulement quelques coups).
Par ailleurs, la domestication du cheval amena l’Homme à réfléchir aux possibilités d’utiliser la force et la vitesse animales aux fins militaires. Environ trois siècles après l’introduction du fer, on observe l’apparition des chariots de combat et vers 1,000 avant notre ère des premières constituantes de cavalerie. Possédant à la fois le fer et les chariots, les Assyriens figurent parmi les premières civilisations à s’être dotés de ce que l’on pourrait appeler une « armée », soit une force militaire suffisamment constituée au plan organisationnel et qui parvint à conquérir les voisins. Et étant donné qu’on est à l’époque du développement des premières cités-État, la pratique de la guerre amena une civilisation comme celle des Assyriens à développer des instruments de siège, des tunnels et d’autres avancées technologiques pour finaliser leurs conquêtes.

Toujours à l’époque antique, l’évolution des technologies de l’armement commença à s’allier avec une élaboration de tactiques plus raffinées. L’exemple classique demeure celui de la phalange grecque et de la célèbre sarisse. Il s’agissait d’une longue et lourde lance faisant quelque 5,50 mètres dont une pointe était en fer et l’autre en bronze et qui pouvait se détacher en deux parties afin de ne pas nuire à la marche des soldats. La sarisse était assemblée au moment opportun, juste avant le combat. Lorsque celle-ci était utilisée par des soldats en formations serrées, il était virtuellement impossible pour toute infanterie ou cavalerie ennemie de pénétrer ce mur par une attaque frontale.
Par contre, que faire si l’ennemi attaque les flancs? Là réside la principale faiblesse de la phalange, où la sarisse s’avère un handicap puisqu’elle ne facilite pas la souplesse de la formation tactique. Ajoutons à cela que le fait de laisser tomber la sarisse pour dégainer l’épée ne règle en rien le problème tactique posé par une formation rigide qui doit faire face à une attaque de flanc. Au contraire, la souplesse s’acquiert ici par une redéfinition de la formation tactique, problème auquel les Romains s’attardèrent.

Ces derniers mirent au point les légions, soit des formations d’infanterie nettement plus manœuvrables et dont les légionnaires étaient équipés de glaives et de pilums, ces lances plus légères dont la pointe se courbait à l’impact, ce qui la rendait impossible à retirer pour être relancée en direction des légionnaires. Mais l’arme principale du légionnaire demeure son glaive, cette épée courte dont la lame causait de terribles blessures au point où même les Grecs redoutaient cette arme. De conception espagnole, le glaive figure probablement parmi les armes les plus importantes de l’Antiquité, avec la sarisse grecque.
Sur mer, les Romains firent également preuve d’innovation, mais il se pose ici un double problème. D’une part, ils devaient se construire une marine de guerre à partir de rien et, d’autre part, affronter la puissante flotte carthaginoise qui domina la Méditerranée à l’époque des Guerres puniques. C’est alors que les Romains mirent au point une technologie d’abordage des navires ennemis nommé le corbeau, qui était en quelque sorte une passerelle avec une pointe à son extrémité. Lorsque celle-ci s’abattait sur le pont d’un navire adverse, elle emprisonnait les deux embarcations, permettant ainsi à l’infanterie romaine de livrer bataille en respectant ses propres tactiques d’infanterie, bien que les secousses de la mer rendirent les déploiements inconvénients.
Sur terre, et dans la lignée de ce que firent les Assyriens, les ingénieurs romains perfectionnèrent les techniques de siège de même que les systèmes défensifs, le tout dans cette logique voulant qu’une fois conquis, le terrain doive être gardé et développé, voire colonisé. Les Romains construisirent de nouveaux engins de siège afin de réduire les positions ennemies et ils érigèrent de puissantes fortifications pour s’assurer le contrôle territorial, sans oublier l’important système routier pour assurer les communications et déplacer le ravitaillement et les légions d’un point à l’autre de l’empire selon les situations. À titre d’exemple de fortifications, la plus célèbre datant de l’époque romaine demeure le Mur d’Hadrien situé en Angleterre. Encore là, l’idée étant d’allier le savoir-faire technique aux matériaux locaux à disposition afin d’ériger une structure défensive pour tenir à distance des tribus guerrières n’ayant pas encore été pacifiées et civilisées.
Aussi puissants et techniquement compétents purent-ils être, les Romains eurent de sérieux problèmes à s’adapter aux technologies militaires issues d’une guerre beaucoup plus mobile. Certes, les Romains avaient des routes pour déplacer les légions et celles-ci constituaient une infanterie lourde qui se transportait rapidement d’un point de vue stratégique, mais elle pouvait connaître des difficultés de mobilité au plan tactique, surtout face à un ennemi monté. Par définition, ce dernier est beaucoup plus mobile, si bien que les premières invasions dites « barbares » mirent à rude épreuve la toute-puissante machine militaire romaine. À cet égard, l’introduction de l’étrier offrit au cavalier une plate-forme de combat beaucoup plus stable, ce qui lui permit d’engager l’adversaire romain selon un endroit et un moment qu’il aurait choisi. Dans ce contexte, on peut penser que la mobilité de la cavalerie barbare et son contrôle de l’agenda stratégique hypothéquèrent en quelque sorte les avantages offerts par le système routier romain.
Vents de créativité à une époque « sombre » : les contributions médiévales

C’est ainsi qu’à force de recevoir des coups, Rome vit son empire tomber à la fin du Ve siècle de notre ère. La chute de la partie occidentale de l’empire coïncide avec la montée en puissance de certains peuples dont les Francs. Ceux-ci avaient l’habitude de faire campagne accompagnés de la terrible francisque, qui était tout simplement une hache de jet projetée sur l’adversaire au moment d’engager le combat au corps-à-corps.
Cette marque d’innovation s’inscrivit dans un contexte de transition entre deux périodes de l’Histoire. La fin de l’Antiquité et le début du Moyen Âge en Occident virent un mélange de civilisations issues de fortes poussées migratoires des peuples de l’est vers l’ouest de l’Europe, si bien qu’au plan militaire, on assista à un mélange de technologies de l’armement assez intéressant. Pour revenir aux Francs, notons qu’initialement, ceux-ci firent campagne à pied, mais leurs armées évoluèrent pour devenir une force de cavalerie. Comme nous l’avons mentionné, l’apparition de l’étrier de l’Orient offrit aux cavaliers une plate-forme de combat relativement stable, au point où l’impression est fortement ancrée à l’effet que jusqu’à l’introduction de la poudre à canon, la cavalerie domina le champ de bataille de l’ère médiévale.
Le constat n’est pas faux, mais comme dans toutes choses, il est important d’apporter des nuances. Oui, la cavalerie occupa un rôle important sur le champ de bataille et non, la période médiévale ne fut pas dépourvue de lumières créatives en matière de technologies d’armements, bien au contraire. Certes, le Moyen Âge fut fréquemment présenté comme une période de l’Histoire où l’absence relative d’autorités centrales ne permit pas de rassembler les idées et le capital nécessaire à l’évolution de l’armement.
Par contre, notamment dans un contexte de grandes invasions et de poussées migratoires, la période médiévale vit la défensive devenir une priorité. Les châteaux et fortifications diverses furent pensés pour arrêter un adversaire, mais également pour y vivre. Les châteaux étaient naturellement érigés aux endroits jugés stratégiques, soit dans les hauteurs ou près de cours d’eau. Au bord des affluents, les châteaux pouvaient facilement être ravitaillés en eau, ce qui pouvait s’avérer vital pour les défenseurs lors de sièges. Quant aux murs, leur hauteur obligeait les assaillants à faire preuve d’imagination, tant pour les escalader que pour les percer. Si « erreur » il y eut de la part des attaquants au Moyen Âge, ce fut peut-être dans le manque de transferts des connaissances en matière de guerre de siège à travers les siècles. Encore là, il s’agit de cas par cas et il serait mal avisé de généraliser, quoique certains acquis antiques en matière de guerre de siège furent temporairement perdus au Moyen Âge.
D’autre part, l’art du tir à l’arc évolua au Moyen Âge et l’arbalète devint une arme qui changea significativement la donne sur les champs de bataille, car il était désormais possible pour un soldat à pied d’abattre un adversaire monté, un noble par surcroît. La courte flèche de l’arbalète pouvait percer la meilleure des cotes de mailles. Sur ce point, l’utilisation de l’arbalète à des fins guerrières figure parmi les premiers cas de l’Histoire où l’Église catholique tenta d’en régulariser l’utilisation, sans trop de succès. D’ailleurs, ce type d’intervention des autorités religieuses n’alla pas freiner les ardeurs innovatrices en matière d’armements.
D’autres armes très efficaces pour la chasse furent utilisées à des fins militaires comme l’arc long, une arme particulièrement présente sur les champs de bataille lors de la Guerre de Cent Ans. L’arc long avait une cadence de tir rapide de même qu’une longue portée. On remarque un premier cas avéré de son utilisation lors de la bataille de Falkirk en 1298, où il servit notamment à fournir un tir de soutien offensif à la cavalerie. Pendant la Guerre de Cens Ans, et plus particulièrement à Crécy (1346) et Azincourt (1415), les chevaliers français furent victimes d’un tir d’enfer de milliers de flèches pleuvant du ciel et projetées par des archers anglais bien entraînés et disciplinés.
L’autre élément qui commença à décourager tout cavalier d’avancer vers l’ennemi à fond de train fut l’introduction de la pique, qui était dans les faits une amélioration d’anciennes armes. La pique était une combinaison de la lance, du crochet et de la hache qui permettait au fantassin d’accrocher le cavalier ennemi, le faire tomber de son cheval, puis le disperser ou carrément transpercer son armure une fois l’assaillant au sol. Comme le démontrèrent les Suisses à cette époque, une formation de fantassins bien disciplinés pouvait stopper une charge de cavalerie des plus agressive.
C’est également au cours de la période médiévale que la poudre à canon pointa à l’horizon. Inventée par les Chinois avant le XIIIe siècle, la poudre à canon fut probablement utilisée pour la première fois à la guerre lors de la bataille de Crécy déjà évoquée. À la longue, son utilisation força les stratèges à revoir leurs tactiques, mais on commença à se questionner sur la pertinence d’ériger et d’entretenir des châteaux et fortifications. Les premières constructions mirent l’emphase sur les hautes structures, quoiqu’avec la poudre à canon, elles seraient désormais beaucoup plus basses, un peu plus discrètes dans le paysage et plus épaisses afin de mieux encaisser le choc des boulets pénétrants. Le cas classique d’une première fortification majeure tombée sous le feu de l’artillerie est celui de la chute de Constantinople en 1453. Ayant pu arrêter des invasions pendant des siècles, les murailles de Constantinople s’effondrèrent, cette fois sous les coups de l’artillerie turque.

Malgré tout, l’évolution de l’artillerie fut lente, en partie à cause d’une absence relative de gouvernements le moindrement organisés et capables de concentrer des moyens logistiques afin de développer l’art de la métallurgie. À cet effet, non seulement fallait-il améliorer les composantes métallurgiques, mais aussi penser à concevoir des systèmes de visées et voir à l’amélioration de la composition de la poudre à canon de l’époque qui, souvent, était loin d’être parfaite. En dépit de ses défauts, la poudre à canon, un peu à l’instar de l’arbalète et de l’arc long, permit au soldat à pied de posséder une arme à feu et d’abattre un ennemi monté. Là encore, une chevalerie montée par des élites deviendrait à nouveau vulnérable devant des fantassins équipés d’armes à feu et dont l’entraînement ne demandait plus autant de temps et de ressources financières et techniques.
De la Réforme aux Lumières (XVe – XVIIIe siècles)
Toujours en rapport à nos référents occidentaux, l’époque de l’« Europe moderne », que l’on fait grossièrement débuter avec la Réforme protestante, constitue une poussée majeure de la question qui nous intéresse. Époque de réformes religieuses importantes, on a vu que dans le passé, l’Église catholique avait à certaines reprises tenté d’étouffer le développement des armements. Ce dernier s’inscrivait dans un contexte où l’Homme voyait désormais les dimensions physiques et chimiques du monde qui l’entoure, et ce, sans nécessairement avoir à porter les œillères de la religion. Ainsi, d’autres inventions verraient le jour sous le génie d’individus, des gens qui pourraient soumettre leurs idées et projets à des militaires de moins en moins réfractaires aux innovations.

Une première innovation majeure de l’époque qui nous vient à l’esprit se trouve en mer. Dans un contexte de montée en puissance d’empires coloniaux, les Européens mirent au point des navires de guerre pouvant voyager sur de vastes distances. Par exemple, des galères propulsées par des avirons pouvaient toujours mieux manœuvrer que celles simplement guidées par le vent. Qui plus est, les Européens dessinèrent de nouveaux modèles de galère pouvant servir de plates-formes de tir pour des canons. Ainsi, ces plates-formes navales permirent d’abord aux Portugais, aux Espagnols, aux Hollandais et plus tard aux Anglais et Français d’établir des empires coloniaux aux quatre coins du monde.
Ajoutons qu’avec le temps, les galères comprirent plusieurs ponts, donc plus d’une plate-forme pour y installer des canons. Les Anglais furent particulièrement innovateurs à cet égard. Ces vaisseaux de ligne devinrent d’importants symboles de puissance militaire et coloniale, de même qu’ils pouvaient servir comme éléments de dissuasion lorsque des tensions montaient entre puissances rivales.
Sur terre, la période est marquée par le développement et la distribution de masse (à ne pas confondre avec standardisation) du mousquet dans l’infanterie, plus particulièrement vers la première moitié du XVIIe siècle avec l’introduction de la baïonnette. Celle-ci fournissait au fantassin une arme à la fois offensive et défensive, une fois le mousquet déchargé. La baïonnette marqua les imaginaires à plusieurs égards et elle constitua définitivement une « arme psychologique » dont l’importance se mesure au moins jusqu’à la Première Guerre mondiale, où des armes modernes telles la mitrailleuse remirent sérieusement en question son utilité.
Initialement, la baïonnette n’était pas sans défaut. La première baïonnette de type « bouchon » s’insérait dans le canon du mousquet, rendant le tir évidemment impossible. Plus tard, l’adoption de la baïonnette à « douille » dégagea le canon du mousquet tout en facilitant l’insertion et le retrait de cette arme blanche. La combinaison du mousquet et de la baïonnette à douille fournit au soldat à la fois une arme de type « missile » et une arme de type « choc » pour les combats rapprochés. Par conséquent, la pique, autre arme célèbre de l’époque de la Réforme précédemment mentionnée, tomba en désuétude.
Toujours dans l’optique de l’évolution du mousquet, les Prussiens y allèrent d’une amélioration notable, à savoir l’introduction de la baguette de fer afin de pousser la balle et la poudre bien au fond du canon, améliorant ainsi l’efficacité du tir (les chances que le coup parte) et sa cadence. En plus, les risques que la baguette se casse furent nettement réduits, car les baguettes auparavant utilisées étaient faites de bois. Et un peu comme au Moyen Âge, les réalisations innovatrices en matière d’armements chevauchèrent les environnements du chasseur et du militaire. À titre d’exemple, jusqu’au tournant du XXe siècle, la majorité des améliorations relatives aux armes à feu s’appliquèrent au monde des chasseurs et non à celui des soldats. Selon les lieux et les époques, les chasseurs utilisèrent des fusils à rouet tandis que les militaires se servirent de fusils à platine à mèche. Les chasseurs s’équipèrent ensuite de carabines, tandis que les militaires possédaient toujours des mousquets, entre autres choses.

Du côté des fortifications, la période médiévale marque les imaginaires, mais celle qui suit voit notamment en France, sous l’habile direction de Vauban, une véritable révolution. Constatant que l’artillerie parvenait à pulvériser une ligne de fortifications murales, pourquoi alors ne pourrait-on pas en ajouter plus d’une? Ce fut la réflexion de Vauban, réflexion qu’il mit en pratique avec cette série de lignes de fortifications simplement nommées le système Vauban. Cette habile combinaison des approches et des parallèles renforça le système défensif et l’ajout de canons spécialement disposés aux endroits stratégiques permit une capacité de réplique. En conséquence, la guerre de siège n’était plus que l’affaire de pierres ou de béton, mais elle devenait également mathématique et géométrique.
Transportées dans le Nouveau Monde, les technologies de l’armement donnèrent maints avantages aux Européens. En fait, notons que, face à des populations autochtones souvent hostiles aux colons blancs, l’introduction par ces derniers de pathogènes fut dévastatrice pour des corps ne possédant pas de mécanismes naturels de résistance. Cela dit, un nombre relativement insignifiant de troupes européennes bien équipées et disciplinées purent mettre à genoux des empires tels ceux des Aztèques et des Incas. Dotés d’armes faites de pierres comme principal matériau, ceux-ci n’étaient pas de calibre face aux épées métalliques et surtout aux armes à feu de leurs conquérants espagnols à pied ou montés. Les autochtones n’avaient pas non plus la roue, quoiqu’en d’autres domaines, telles l’astrologie et les mathématiques, ils disposaient de connaissances de haut niveau.
Dans un autre ordre d’idées, la fin de la période dite « moderne » voit apparaître une certaine forme de standardisation de l’armement. Lors de la Révolution américaine, qui en soi n’était pas une guerre hautement technologique au sens du développement de nouvelles armes, on remarque que les fantassins britanniques sont pour la plupart équipés du mousquet Brown Bess. Longtemps en service dans l’armée britannique, cette arme était nettement inférieure au fusil américain Long Rifle. Davantage efficace pour la chasse au départ, ce dernier se trouva en quantités importantes dans les rangs des révolutionnaires et il révéla d’étonnantes capacités lorsque utilisé à des fins militaires. De plus, pour beaucoup de miliciens américains révolutionnaires, le Long Rifle était la seule arme à leur disposition au début des hostilités.
Une autre avancée technologique majeure de l’époque fut l’invention en 1784 de l’obus à balles communément appelé le shrapnel, du lieutenant Henry Shrapnel de la Royal Artillery britannique. Plutôt que de tirer une munition pleine ou une boîte à mitraille, l’artillerie pouvait désormais tirer un obus rempli de billes et spécialement conçu pour être projeté beaucoup plus loin que les anciennes munitions à mitraille en plus d’exploser dans les airs, à proximité d’une formation d’infanterie ennemie. Comme arme antipersonnelle, le shrapnel causa ainsi beaucoup plus de dégâts qu’un boulet traditionnel en fer.

Par ailleurs, la Révolution française et les Guerres napoléoniennes qui débutèrent quelques années plus tard virent aussi leurs lots d’innovations. Toujours dans le domaine de l’artillerie, les Français améliorèrent leurs capacités de production de canons de même que leur qualité, quoique ici des travaux en ce sens avaient débuté quelques années auparavant, à la fin de l’Ancien Régime. En plus des canons, on remarque également que la fabrication de leurs affûts fut standardisée et les bouches à feu pouvaient être réparées avec des pièces interchangeables, le cas échéant. Ce qui s’avère intéressant ici, lorsque l’on étudie l’histoire de l’artillerie française, c’est de constater cette capacité d’adaptation aux besoins militaires du moment, et ce, surtout dans un contexte sociopolitique de transitions assurément difficiles entre l’Ancien Régime, les gouvernements révolutionnaires puis la France impériale. D’ailleurs, le « génie militaire » de Napoléon pourrait davantage résider dans son habileté à utiliser de manière optimale des armes déjà existantes, en plus d’en concevoir de nouvelles utilisations tactiques, plutôt que d’avoir fait mettre au point des nouveautés en matière d’armements. Cela étant, les adversaires de la France durent s’adapter au rythme et aux technologies des armées napoléoniennes.