Mois : septembre 2010

La Guerre de Corée (1950-1953)

Une nation déchirée

Carte des principales opérations de la Guerre de Corée (1950-1953).

En 1945, la colonie japonaise de la péninsule coréenne fut divisée « temporairement » entre l’Union soviétique et les États-Unis le long de la ligne du 38e parallèle de latitude. Cinq ans plus tard, cette division était toujours effective, malgré les tentatives des Nations-Unies de procéder à une réunification.

De son côté, l’URSS de Staline installa un gouvernement satellite en Corée du Nord sous la direction de Kim Il-sung, alors que la Corée du Sud était érigée en République, sous la direction d’une coalition de droite somme toute autocratique qui avait été élue sous la supervision de l’ONU. Son président était Syngman Rhee, un homme qui était perçu comme un patriote. Les dirigeants des deux Corées souhaitent tous deux unir la péninsule par la force des armes. Par contre, ni les Américains, ni les Soviétiques ne désiraient fournir les moyens militaires nécessaires à cette fin. Sans attendre les appuis, les deux camps se livraient déjà à des escarmouches sur le terrain.

Le 9 février 1950, sentant que l’appui américain pour la République sud-coréenne déclinait, Staline consentit à une invasion du sud et le nouveau dirigeant de la Chine, Mao Zedong, y consentit à son tour. Le matériel de guerre qui approvisionnait les forces nord-coréennes (chars, canons et avions) provenait de la Sibérie afin d’être livré à l’Armée populaire de Corée. De plus, Mao avait libéré des rangs de l’armée chinoise des soldats nord-coréens vétérans pour qu’ils puissent retourner dans leur patrie. L’URSS avait aussi prêté à l’Armée populaire le concours d’officiers d’état-major pour aider à la planification opérationnelle.

Le Nord attaque

Prenant tout le monde par surprise, l’offensive nord-coréenne débuta sous les pluies d’été, le 25 juin 1950. C’était un dimanche et nombre de soldats sur les lignes de défense du sud de la péninsule étaient partis en congé pour le weekend, si bien que l’armée sud-coréenne dut battre en retraite avec les forces américaines qui agissaient en soutien. Bien que l’attaque fut immédiatement condamnée par les États-Unis, la Grande-Bretagne et les états du Commonwealth, suivi d’une majorité d’états membres de l’ONU, ce fut seulement le fait que l’URSS avait boycotté le Conseil de Sécurité qui permit le vote d’une résolution onusienne qui ne condamnait pas spécifiquement l’attaque, mais qui autorisait la formation d’une force multinationale pour combattre cette agression.

L'artillerie de l'Armée populaire nord-coréenne bombarde les positions alliées lors de l'offensive de juin 1950.

Le commandement de la force internationale du théâtre d’opérations asiatique revint au général Douglas MacArthur, qui commandait déjà les forces américaines d’occupation au Japon. Deux divisions d’infanterie américaines furent immédiatement dépêchées en Corée à partir du Japon sous la protection d’une puissante escorte navale et aérienne. Par contre, ces troupes étaient mal équipées et mal entraînées. En clair, ce n’était pas des troupes de combats de première ligne. Elles ne pouvaient se battre à armes égales face aux forces bien équipées et entraînées de l’Armée populaire nord-coréenne.

Le général Douglas MacArthur, le commandant de la force internationale au début du conflit.

Éventuellement, cinq divisions américaines arriveront en renfort avec ces deux premières divisions mentionnées, en plus d’une brigade provenant du Commonwealth. Ces forces allaient former la 8e Armée placée sous les ordres du lieutenant-général Walton H. Walker. Avec ce qui restait de l’armée sud-coréenne, les forces internationales étaient prises dans un périmètre autour de la ville de Pusan, le principal port de mer du sud de la péninsule.

Pendant ce temps, MacArthur tentait de structurer un corps de réserve à partir du Japon consistant en la 1ère Division de Marines et la 7e Division d’infanterie. Il lança ces troupes dans un assaut amphibie contre le port d’Inchon sur la côte ouest de la péninsule, à plus de 300 kilomètres du principal front de bataille de la poche de Pusan (voir la carte). Cette manœuvre stratégique était risquée, mais elle s’avéra un succès.

Le dégagement de Pusan et l’avance alliée vers le nord

À la mi-septembre 1950, les marines avaient pris Inchon et ils furent rejoints par les forces de la 7e Division afin de marcher vers Séoul, la capitale. Ayant anticipé la manœuvre de MacArthur, Mao avait renforcé son 4e Groupe d’armées stationné au nord-est de la Chine. Plus encore, Mao craignait la destruction de l’Armée populaire nord-coréenne et il avait discuté de possibles contre-mesures avec Staline.

Les troupes américaines débarquent dans le port d'Inchon (septembre 1950).

À partir du 22 septembre, la 8e Armée de Walker et les éléments réorganisés de l’armée sud-coréenne commencèrent à pousser afin de briser le périmètre de la poche de Pusan. Fortement ébranlée par des bombardements aériens et les assauts de l’ennemi, l’Armée populaire dut reculer à travers la chaîne de montagnes du centre de la péninsule. Le 27, le 1er Corps d’armée américain fit sa jonction avec la 7e Division près de Séoul. C’est alors que MacArthur demanda à Washington des instructions sur la suite des choses. La question était de savoir si MacArthur devait s’arrêter au 38e parallèle ou poursuivre l’ennemi plus au nord.

Tandis que le Président Harry Truman réfléchissait à cette problématique, le premier ministre chinois Chou Enlai envoya un avertissement à travers la diplomatie indienne que si les forces américaines franchissaient le 38e parallèle, alors la Chine serait forcée d’agir en conséquence. Pour leur part, les Britanniques avaient interprété cette déclaration du gouvernement chinois comme une menace d’intervention militaire, ce qu’il fallait absolument éviter étant donné que Staline, en Europe, pouvait à son tour menacer la paix dans leur perspective.

Les gouvernements américain et britannique, qui étaient en contact constant, ne s’entendaient pas sur la stratégie à adopter. Peut-être que la Chine bluffait et le fait d’arrêter les troupes alliées au 38e parallèle fournirait à Kim du temps et des renforts pour renouer l’offensive. Face aux protestations des états du bloc communiste à l’ONU, où l’URSS avait accepté de retourner, la décision fut prise d’occuper militairement le nord de la Corée comme une étape préliminaire à l’unification du nord et du sud via un supposé processus démocratique d’élections.

Le 38e parallèle constitue toujours la ligne de démarcation de la frontière entre la Corée du Nord et la Corée du Sud.

L’intervention chinoise

Malheureusement pour les Alliés, la Chine ne bluffait pas. Alors que les forces onusiennes et sud-coréennes faisaient mouvement vers le nord, le général chinois P’eng Te-huai déplaça 130,000 soldats du 4e Groupe d’armées vers la Corée, sous prétexte que ces soldats « volontaires » prêtaient assistance à des « frères ». Staline avait promis d’assurer une couverture aérienne, mais il retint ses avions, croyant que les chasseurs soviétiques n’auraient pu intervenir sur le même prétexte (si un avion soviétique était abattu, il aurait été difficile de justifier la neutralité). Les Chinois étaient choqués de l’attitude des Soviétiques. Face au manque de couverture aérienne, le général Peng dut restreindre le mouvement de ses troupes à la nuit, ce qui d’une certaine façon avantagea initialement les Chinois.

Ces troupes bien entraînées et expérimentées traversèrent la rivière Yalu dans le nord-ouest de la Corée le 26 octobre 1950, sans que l’aviation onusienne ait pu les repérer. Les Chinois étaient sur le point d’encercler les éléments d’avant-garde alliés qui s’approchaient. Combattant habituellement de nuit, parfois même en plein tempête de neige, l’infanterie légère de Peng avançait furieusement, changeant fréquemment l’axe de l’avance. Jusqu’au 6 novembre, la progression de l’infanterie chinoise vers le sud était à ce point inquiétante pour les forces onusiennes, qu’à nouveau la capitale sud-coréenne de Séoul se trouvait menacée.

Des fantassins chinois font mouvement vers le front.

Les gouvernements de l’alliance des Nations-Unies étaient stupéfaits par cette série de revers survenue si tôt après avoir vaincu l’Armée populaire nord-coréenne. Dans le but de stabiliser le front, une trêve fut suggérée comme une étape préliminaire afin d’en venir éventuellement à un véritable cessez-le-feu. Il était également question de créer une zone tampon entre les deux Corées au tournant de 1950-1951.

Tout cela ne signifiait rien pour les Chinois, qui se doutaient fortement que les Alliés allaient reprendre l’offensive sitôt qu’ils auraient repris leur souffle. C’est le général MacArthur qui insista pour que les troupes alliées reprennent l’offensive aussitôt que le 24 novembre, après avoir reçu des renforts appréciables. La force internationale se composait alors de 8 divisions onusiennes et 4 divisions de l’armée sud-coréenne.

Le général P'eng Te-huai, le commandant en chef des forces chinoises en Corée.

En apparence impressionnantes, les forces alliées furent assaillies par 30 divisions de l’armée chinoise. En dépit d’un appui-feu important de l’artillerie et de l’aviation, la 8e Armée et les forces sud-coréennes durent reculer devant les assauts agressifs des forces de Peng d’un bout à l’autre des côtes de la péninsule. Le général Walker décida tout simplement de rompre le contact avec l’ennemi à la fin de 1950. Il replia davantage ses forces vers le sud, abandonnant Séoul au passage. Les troupes alliées reculèrent la ligne de front de 240 kilomètres et se regroupèrent tout juste derrière la rivière du Han, sur les hauteurs. Cette situation n’augurait rien de bon pour le commandement allié, dans la mesure où l’on pouvait craindre à juste titre d’être expulsé de la péninsule coréenne.

Dans le contexte de l’offensive chinoise de la fin de 1950, les forces onusiennes en Corée avaient l’avantage de pouvoir généralement se déplacer en camions, alors que les soldats chinois marchaient. Lorsque ces derniers se rapprochèrent à nouveau des forces alliées en janvier 1951, ils souffrirent de l’exposition prolongée à la température qui pouvait atteindre -20 degrés la nuit. De plus, les forces chinoises manquaient de vêtements chauds et de ravitaillement de toutes sortes.

Le général Peng demanda une pause à Mao, mais celui-ci refusa. Entre temps, la 8e Armée reçut un nouveau commandant, le lieutenant-général Matthew Ridgway, qui remplaça Walker, tué dans un accident. Ridgway envoya immédiatement un message à ses subordonnés à l’effet que la 8e Armée cesserait de reculer et qu’elle tiendrait son front. Les Chinois s’essoufflaient, si bien que les troupes de Ridgway parvinrent à les arrêter, et même à contre-attaquer en certains secteurs. Peng fut par conséquent forcé à son tour de reculer.

Le rétablissement et l’enlisement du front sur le 38e parallèle

À la mi-avril de 1951, Ridgway était parvenu à rétablir la ligne de front sur le 38e parallèle. Ses effectifs étaient également plus nombreux qu’à l’automne précédent. Des bataillons et des brigades provenant de onze nations faisaient partie de la 8e Armée à cette date et, signe encourageant, l’armée sud-coréenne prenait de l’expérience. Les forces alliées étaient à nouveau prêtes à en découdre avec l’ennemi à mesure que l’été approchait.

Représentation artistique d'un soldat britannique en Corée (1950-1953).

Comme de fait, alors que l’hiver s’achevait, Peng préparait une nouvelle offensive vers le sud. Pour ce faire, il avait à sa disposition 40 divisions d’assaut. La marche des Chinois débuta le 21 avril 1951 avec comme objectifs la traversée des rivières Imjin et Kap’yong. Ces secteurs étaient respectivement défendus par des brigades (29e Britannique et 27e Commonwealth).  Ces deux brigades tinrent solidement leur front malgré la férocité des assauts ennemis. Les forces onusiennes durent néanmoins reculer, mais elles le firent à leurs conditions, à leur rythme, dans le but d’amener l’ennemi à s’éloigner de ses lignes de communication et à s’épuiser.

D’ailleurs, les 40 divisions de Peng encaissaient un taux de pertes assez élevé, sans oublier qu’une fois de plus, elles subissaient le feu violent de l’aviation onusienne et qu’elles étaient éloignées de leurs zones de ravitaillement. En clair, l’offensive chinoise d’avril 1951 perdit rapidement son tempo. Ce fut la dernière offensive chinoise au niveau stratégique de la guerre.

Cette guerre de grandes manœuvres qui caractérisa les années 1950 et 1951 fut suivie par des affrontements dans un style de guerre de tranchées. Ce type de combats localisés fut très coûteux pour les belligérants, qui avaient recours à des tactiques copiées sur celles des soldats de la guerre de 1914-1918, mais qui utilisaient un armement datant de la Seconde Guerre mondiale. Au moment où le front se stabilise en une guerre de tranchées vers l’été de 1951, les forces alliées comptent dans leurs rangs 7 divisions américaines, 1 du Commonwealth et 11 de l’armée sud-coréenne. À cela, il faut ajouter les effectifs formant des brigades ou des bataillons de quatorze autres nations de plus petite puissance. Ce front nouvellement stabilisé bougea peu jusqu’à la fin des hostilités.

Des soldats américains dans une tranchée soumise aux tirs des mortiers chinois. La stabilisation du front en Corée vers l'automne de 1951 força les belligérants à s'enterrer, ce qui n'est pas sans rappeler les combats de la guerre de 1914-1918.

Faire la guerre et négocier

La stabilisation du front coïncida également avec l’ouverture de pourparlers entre les commandants en chef. De son côté, Staline se contenta de jouer le jeu de l’attente. Pour sa part, Mao était plus ou moins persuadé que la campagne coréenne ne lui offrirait peut-être pas le triomphe escompté. À l’Ouest, il semblait que l’opinion publique américaine n’appuierait pas des projets d’offensive qui ne promettraient pas une victoire assurée, surtout lorsque l’ouverture de pourparlers signifiait que la paix faisait partie des options. Un cessez-le-feu aurait pu être négocié dès 1951, mais la question du rapatriement des prisonniers restait problématique.

En effet, les Américains et les Britanniques insistaient pour qu’aucun des prisonniers qu’ils avaient faits ne soit retourné contre son gré, une condition qui affectait principalement les détenus chinois et nord-coréens qui étaient bien traités. Les prisonniers des états des Nations-Unies et ceux de l’armée sud-coréenne avaient pour leur part été traités de façon inacceptable, si bien qu’il semblait évident qu’ils voudraient être libérés de leur « plein gré ». Il était par conséquent impossible d’obtenir un échange équilibré de prisonniers.

Un camp de prisonniers en Corée. Rappelons que la question de l'échange de prisonniers pendant la guerre était épineuse. L'objet du contentieux qui avait retardé la signature d'un armistice était la question du rapatriement des prisonniers. Au moins le tiers des prisonniers communistes capturés par les Alliés ne souhaitaient pas être rapratriés, ce qui constitua une sérieuse source d'embarras pour les gouvernements chinois et nord-coréen.

D’ailleurs, la vie dans les divers camps de prisonniers en Corée avait ses particularités. Par exemple, dans les camps du sud, les Chinois qui affichaient leurs préférences pour le régime nationaliste en exil à Taiwan, ou encore les membres de l’Armée populaire nord-coréenne qui affichaient leurs désillusions face au régime de Kim Il-sung, tous ces gens préféraient ne pas retourner dans leur patrie d’origine. À l’inverse, les prisonniers aux fermes convictions communistes se manifestèrent bruyamment dans ces camps, si bien que par moment, les autorités américaines perdaient temporairement le contrôle de la situation. En clair, le régime communiste de Beijing ne pouvait pas accepter qu’il puisse y avoir des Chinois qui préféraient le camp nationaliste. Par conséquent, la possibilité de conclure un armistice s’éloignait progressivement.

Le commandement américain tenta de profiter de l’impasse sur la ligne de front afin de bombarder par la voie des airs les positions ennemies. L’aviation alliée s’en prit régulièrement aux troupes, aux industries et aux voies de communication. Inévitablement, plusieurs civils furent tués au cours de ces raids aériens en 1952 et 1953. Les effets de ces bombardements étaient limités. L’ONU s’était fixé des règles afin de ne pas attaquer des cibles en Chine ou de recourir à la bombe atomique.

Les raisons étaient parfaitement justifiables, car cela aurait été contre-productif d’un point de vue politique et inefficace dans une perspective militaire. Par contre, en Corée du Nord, il semblait que la capacité de survie des gens excédait celle de destruction des bombardiers. Sur mer, les forces navales onusiennes maintinrent à longueur d’année un blocus serré sur les deux côtes de la péninsule. Au final, en dépit de leur supériorité matérielle, les forces de l’ONU ne parvenaient pas à briser les rangs serrés des troupes communistes chinoises et nord-coréennes leur faisant face.

Des soldats canadiens observent les positions ennemies en Corée.

L’armistice

Heureusement pour les belligérants, un facteur commun militait en faveur de la paix: les coûts humains et monétaires très élevés de la guerre. Au moment du décès de Staline en mars 1953, les coûts étaient devenus insupportables dans le camp communiste, en particulier du côté de la Chine qui fournissait le principal effort. À l’Ouest, l’année 1953 vit un changement de garde à Washington avec l’élection du président Dwight Eisenhower, qui était également préoccupé par les coûts montants de la guerre. Le président américain déclara qu’il n’hésiterait pas à reprendre les hostilités advenant que les négociations d’armistice demeurent improductives et le recours éventuel à la bombe atomique faisait toujours partie des options à sa disposition.

Dans ce contexte toujours tendu, les négociations reprirent vie. L’échange de prisonniers blessés et malades en constituait les prémisses. Avec l’adoption d’un système particulier de filtrage dans l’échange de prisonniers, afin d’amenuiser les sensibilités chinoises, le principal obstacle aux négociations d’un armistice avait été levé. En dépit de la libération rapide de prisonniers nord-coréens par les autorités sud-coréennes, et de certaines opérations militaires menées par les communistes afin de sécuriser des portions de terrain stratégiques, un accord put finalement être conclu. Les hostilités en Corée s’étaient officiellement terminées le 27 juillet 1953.

La première opération militaire de l’ONU avait échoué à réunir la nation coréenne, mais elle avait empêché les Sud-Coréens de tomber sous la tyrannie et l’incompétence du régime de Kim Il-sung. De plus, l’impasse militaire en Corée avait démontré les failles dans les habiletés de Mao à mener à terme une campagne militaire qui était censée monter la supériorité de ses forces et de l’idéologie communiste sur ses adversaires. Enfin, la victoire toute relative remportée par les Américains et leurs alliés en Corée encouragea une large partie de l’opinion publique à croire que les États-Unis pouvaient gagner n’importe quelle guerre qu’ils allaient livrer en Asie dans le but d’enrayer la progression du communisme. En ce sens, les fondations de la guerre du Vietnam étaient en train de se couler.

Le mémorial de la Guerre de Corée à Washington.

Histoire de l’infanterie

La guerre à pied

À une certaine époque de l'humanité, la pratique de la chasse et celle de la guerre demandait des habiletés similaires.

Dans l’histoire de l’humanité, le soldat à pied est aussi vieux que l’Homme. L’habileté de celui-ci à fabriquer des armes et à s’en servir avait un but initial bien précis. L’Homme cherchait à livrer à l’animal une lutte à armes égales, dans la mesure où il ne possédait pas, tout simplement, des dents et des griffes.

Les armes que l’Homme fabrique se divisent en deux catégories qui s’appliquent toujours et qui définissent le soldat d’infanterie. Il y a d’abord des armes de jet, qui étaient initialement, à titre d’exemple, le bâton, la pierre, la flèche et la lance de jet. Ces armes permettaient au soldat de frapper à distance, alors que d’autres armes lui servaient pour le combat rapproché. Parmi ces dernières, notons la masse, la lance de frappe et l’épée.

Par ailleurs, la fragilité du corps humain, qui est spécialement exposé lors d’un combat rapproché d’infanterie, amena le soldat à se protéger avec des boucliers, des casques et des armures. La relation entre le poids des armes et des équipements et la mobilité générée par la force musculaire fut une préoccupation constante chez le fantassin. De plus, à une époque plus ancienne, la guerre et la chasse pouvaient se confondre, en particulier au plan tactique. En effet, les tactiques de l’Homme à la guerre étaient une extension de ce qu’il pratiquait au quotidien à la chasse.

L’Homme embusquait, il effectuait des raids et il pouvait balayer ses ennemis en comptant sur la coopération de ses semblables et en utilisant son environnement immédiat à des fins tactiques. L’Homme était essentiellement un guerrier dont les habiletés tactiques se constataient au niveau individuel. Il n’était pas un soldat au sens premier du terme, dans la mesure où il lui est demandé d’exécuter ces mêmes habiletés tactiques en collectivité, avec ses semblables.

L’infanterie à l’ère antique

L'organisation de l'infanterie et des moyens de pratiquer la guerre sont aussi anciens que les premières cités-états.

Cette transition consistant à faire la guerre seul vers la pratique de la guerre en collectivité ne se fit pas du jour au lendemain. On peut penser que vers 2,500 avant J.-C., la pratique organisée de la guerre se vit une première fois à travers l’infanterie des cités-états de Mésopotamie. Ces soldats disposaient d’un armement similaire, avec des épées et des boucliers, et ils partaient à la bataille en masse plus ou moins compacte de phalanges qui demandaient un entraînement peu complexe.

Bien que le statut de cette première infanterie ait été éclipsé par celui des chariots et des cavaliers, les soldats à pied jouèrent un rôle primordial dans plusieurs des grandes armées de l’Antiquité. Les cités-états de la Grèce antique mirent sur pied les hoplites, dont l’appellation dérivait de l’hoplon, le bouclier de bronze utilisé par ces soldats. Les armées hoplites livrèrent des batailles dont la durée était généralement limitée en raison des difficultés physiques à transporter les lourds boucliers et les longues lances de l’époque.

Comme infanterie lourde et bien équipée, les hoplites grecs ne craignaient pas une charge directe de la cavalerie ennemie. Par contre, ils étaient vulnérables face à des assauts sur les flancs. Pour leur part, on note que les Spartiates démontraient un impressionnant niveau d’organisation dans leur infanterie. Selon certains chroniqueurs de l’époque, notamment Plutarque, l’infanterie spartiate manœuvrait avec une cohésion qui semblait parfaite, ne laissant aucun vide dans les rangs.

Sous le règne Alexandre le Grand, les fantassins formaient le cœur de son armée. Ils étaient plus légèrement équipés que leurs prédécesseurs, bien qu’ils emportaient la sarisse, une longue lance qui faisait au moins 4,5 mètres. Au niveau tactique, l’unité de base de l’infanterie d’Alexandre était le syntagme, une formation de 256 hommes répartis sur 16 rangs. Le syntagme pouvait être combiné à d’autres unités pour former une phalange spéciale, suffisamment flexible afin de pouvoir ouvrir les rangs à tout moment et ainsi laisser passer les chariots perses ou les éléphants indiens de l’époque.

Une unité de phalange grecque nommée "le syntagme" consistant en une formation de 256 hommes répartis sur 16 rangées.

Plus tard, les légions romaines, qui se sont développées à la suite de deux guerres majeures contre Carthage au IIIe siècle avant notre ère, faisaient preuve d’une flexibilité encore plus grande. L’organisation de l’infanterie romaine reposait sur des sous-groupes précis. La plus petite unité, le contubernium, était composée de 8 soldats, suivie de la centurie de 80 hommes, de la cohorte formée de 6 centuries et, enfin, de la légion comprenant 10 cohortes. Cette organisation connut des variantes sous la République et l’Empire, mais sa survie au cours des siècles reflète au final la force de l’institution militaire romaine.

Le légionnaire romain emportait une lance de jet, le pilum, qu’il utilisait dans le but de désorganiser les rangs ennemis avant qu’il charge, armé de son épée et de son bouclier. De plus, la discipline de fer, l’entraînement très dur et les procédures opérationnelles standardisées ont tous été des facteurs qui, combinés, ont contribué aux succès des légions romaines. Les Romains étaient néanmoins conscients que malgré la qualité de leur infanterie, il fallait qu’elle soit appuyée par des unités auxiliaires. Celles-ci comprenaient de la cavalerie et des troupes plus légères armées de missiles (lances, flèches, pierres…) que fournissaient généralement les alliés de Rome.

Les légions romaines constituèrent probablement les troupes d'infanterie les plus redoutables de leur époque.

Face à l’armée romaine, il y avait toujours de dangereux ennemis. Le fait de les sous-estimer et de livrer bataille sur des terrains difficiles pouvait former une combinaison pouvant s’avérer fatale aux légions romaines. En 53 avant J.-C., les archers montés parthes vainquirent Crassus à Carrhes, de même que des légions romaines furent anéanties en 9 dans la dense forêt de Teutberg.

Le déclin de la base de recrutement des légions romaines (qui étaient de moins en moins « romaines ») et la rigidité de leur doctrine tactique à la fin de l’Empire causèrent l’affaiblissement global de l’infanterie romaine. L’empereur Valens fut défait et tué en 378 à la bataille d’Andrinople par la cavalerie gothique qui se rua sur son infanterie fatiguée et démoralisée. Pour au moins les mille prochaines années, la cavalerie semblait dominer les champs de bataille, du moins en Occident.

La « période noire » médiévale

De l’Est venaient des vagues de cavaliers légers manœuvrant dans les steppes, alors qu’à l’Ouest des chevaliers aux armures lourdes émergeaient comme instrument militaire dominant. Le lien entre le statut social et l’efficacité militaire, qui favorisait le soldat à pied à l’époque des hoplites et des légionnaires, avait évolué au début de la période médiévale. En clair, les fantassins ne jouissaient plus du même prestige que les soldats montés, même qu’un accroissement éventuel de l’efficacité de l’infanterie pouvait poser une menace au statut du chevalier. Les armées du Moyen Âge n’étaient en effet qu’un ensemble restreint de soldats montés issus de la noblesse, avec des soldats à pied qui avaient une faible valeur, et ce, tant au niveau social qu’au plan de l’efficacité militaire.

Un exemple d'une formation de piquiers suisses. Les soldats de la première rangée pointent leur pique de manière à arrêter la vague ennemie. La seconde rangée pointe la pique à la hauteur des épaules de sorte à protéger les soldats de la première rangée.

La menace majeure qui se posait aux chevaliers de l’ère médiévale vint des soldats formés en Suisse. Ces fantassins étaient entraînés rigoureusement de manière à utiliser la pique. Il s’agissait d’une longue lance faisant au moins 5,4 mètres qui était pointée défensivement à la hauteur des épaules, tandis que d’autres soldats postés tout juste devant la pointe des piques pouvaient se ruer sur l’ennemi avec leurs épées ou leurs haches. Dans ce contexte, les Suisses s’organisaient généralement pour livrer bataille sur un sol qui ne permettait pas à la cavalerie ennemie de manœuvrer adéquatement. Ce sont d’ailleurs ces tactiques efficaces qui permirent aux Suisses de remporter d’importantes victoires aux XIV et XVe siècles face à divers envahisseurs. Les formations de piquiers furent éventuellement surpassées à partir du XVIe siècle, notamment par les lansquenets allemands qui combinaient de judicieuses utilisations de piques (hallebardes) et d’arquebuses.

Si la pique était une arme de choc reconnue, la seconde menace qui se présenta aux chevaliers était exactement l’opposé. Dès le XIIIe siècle, l’arc long était devenu l’arme principale de l’infanterie anglaise et galloise. Les archers ont combattu avec des chevaliers et des lanciers en tant que membres d’une sorte de force combinée et leurs effets contre une force de cavalerie en armure lourde ou contre une infanterie ennemie laissée à elle-même pouvaient être dévastateurs. À la bataille de Falkirk en 1298, les archers anglais taillèrent en pièces les lanciers écossais sous un tir répété de flèches. À Crécy, en 1346, ces mêmes archers anglais ont démoli la cavalerie française. Les Français en avaient déduit que leur échec était attribuable à la vulnérabilité de leurs soldats montés face aux flèches. Cependant, la bataille d’Azincourt de 1415 montra la fausseté de cette analyse, puisque l’infanterie française subit le même sort.

Des pressions d’ordre militaires et sociales ont amené le déclin progressif de l’arc long sur le champ de bataille. Ce ne fut pas avant le début du XIXe siècle que les armes à feu pouvaient rivaliser avec les arcs longs, tant au niveau de la distance et de la cadence du tir que de la précision. À cet égard, il faut considérer que les archers étaient les produits de plusieurs siècles d’entraînement, et de transmission de savoirs et d’habiletés qu’il était difficile à reproduire selon les pertes qu’ils subissaient. Par contre, les monarques des XVe et XVIe siècles investissaient de plus en plus dans des armements plus modernes, si bien que les armes à feu étaient sur le point de redéfinir, comme la chevalerie à une autre époque, le nouveau statut social des soldats.

La « renaissance » de l’infanterie (XVIe – XVIIIe siècles)

Les XVIe et XVIIe siècles ont démontré les différentes configurations de l’infanterie, dont les styles et les organisations variaient, que ce soit chez les Anglais ou chez les Suisses. L’infanterie du début de l’Europe moderne combinait le feu de la poudre à canon (d’abord avec l’arquebuse et ensuite le mousquet) avec celui de l’arme blanche pour délivrer le choc. Ce fut l’armée espagnole qui montra en ce sens l’exemple des nouvelles évolutions tactiques avec les tercios (qui signifie dans un contexte militaire le « tiers d’une armée »), l’unité administrative et militaire de l’infanterie espagnole à cette époque. Les tercios s’organisaient normalement en plaçant des piquiers au centre d’un front d’infanterie et des unités armées de mousquets sur les flancs.

Une unité espagnole de "tercio".

D’autres tacticiens tels Maurice de Nassau et Gustave Adolphe améliorèrent l’efficacité de l’infanterie en mettant d’abord au point des unités plus petites et flexibles, tout en augmentant la proportion de mousquetaires par rapport aux piquiers. Cette transformation progressive s’accéléra au cours de la Guerre de Trente Ans et lors des guerres civiles en Angleterre au XVIIe siècle. D’ailleurs, en 1691, lorsque des régiments anglais quittèrent pour aller combattre en Flandre, les piquiers formèrent un peu moins du quart des effectifs.

Vers la fin du XVIIe siècle, le fusil à mèche fut remplacé par le fusil à silex, une arme plus facile d’utilisation, mais qui était plus coûteuse à fabriquer. Aussi, l’invention de la baïonnette à la même époque sonna le glas de la pique, bien que pendant plusieurs décennies subséquentes les officiers et les sergents pouvaient emporter des piques comme symbole d’autorité. Les premières baïonnettes de type « bouchon » étaient insérées dans le canon du mousquet, faisant en sorte qu’évidemment, l’arme ne pouvait pas tirer. Les armées européennes se rendirent rapidement compte des difficultés à combattre avec ce système, puisqu’elles ne pouvaient pas, par exemple, tirer puis charger à la baïonnette. Plus tard, au début du XVIIIe siècle, on inventa une baïonnette à « tenon » qui se fixait autour du canon afin que l’arme puisse tirer.

Une unité d'infanterie prussienne vers le milieu du XVIIIe siècle. On remarque un officier (ou sergent) armé d'une pique. La pique était à la fois une arme et un symbole d'autorité à cette époque. Les soldats sont quant à eux armés d'un fusil à silex et d'une baïonnette à tenon.

À l’âge de l’industrialisation (XIXe siècle)

La généralisation des armes à feu amena le développement d’une infanterie de ligne. Celle-ci formait dorénavant le noyau des armées et elles influençaient la décision sur les champs de bataille par la régularité de son tir et la cohésion dans ses rangs. Cependant, il faut préciser qu’à lui seul, le mousquet était une arme relativement imprécise, même entre les mains d’un bon tireur. Pour donner une idée, un bataillon d’infanterie prussien de la fin du XVIIIe siècle qui tirait sur une cible de deux mètres de hauteur et 30 mètres de largeur, ce bataillon touchait l’objectif 25% du temps à une distance de 200 mètres, 40% à 135 mètres et 60% à 70 mètres.

Sous le stress des conditions d’un champ de bataille, la proportion diminuait dramatiquement. Bon nombre des grands commandants de l’époque, comme Napoléon, Frédéric II de Prusse et le Duc de Wellington, étaient des hommes qui accordèrent un soin particulier à l’entraînement de l’infanterie et ils l’utilisèrent à bon escient. Il y avait également des débats quant à l’efficacité de la formation en colonne ou en ligne pour l’infanterie.

Waterloo, 1815. La vue d'un régiment d'infanterie qui avance baïonnettes aux canons créer un impact psychologique qui peut entraîner la panique et la fuite des soldats ennemis.

La colonne semblait mieux adaptée pour la manœuvre, alors que la ligne était recommandée pour la concentration du tir. Bien qu’il y avait certaines préférences nationales, on note par exemple que les armées françaises sous la Révolution utilisaient souvent la colonne, avec des tirailleurs déployés au-devant pour prendre contact avec l’ennemi, puis des bataillons déployés pour le tir et d’autres, en colonne, prêt à renforcer ces derniers ou à charger à la baïonnette. Cette approche tactique des armées révolutionnaires connut généralement du succès au tournant du XVIIIe siècle.

Contrairement à une certaine croyance populaire, les affrontements à la baïonnette étaient plutôt rares, pour la simple raison que dans une majorité de batailles, l’un des belligérants fuyait avant que ne se produise le choc. La baïonnette avait sans doute un impact d’ordre psychologique, mais la détermination d’une armée à engendrer le choc avec l’ennemi résulte davantage de la discipline, de la ferveur patriotique (le cas échéant) et des habiletés tactiques des soldats.

Toujours à la même époque, une unité d’infanterie qui fait preuve de cohésion sur le champ de bataille pouvait généralement faire obstacle à un assaut de cavalerie en formant le carré. Face à cette situation, le commandant de l’armée ennemie qui se trouve en face pouvait utiliser diverses tactiques pour battre l’infanterie adverse. Il pouvait utiliser son artillerie pour briser ce carré, puis faire donner à nouveau sa cavalerie pour déstabiliser davantage la formation ennemie.

Un exemple classique d'une formation d'infanterie en carré. Le but premier de cette formation est de contrer un assaut de la cavalerie ennemie ou de quelconque force mobile.

Ces tactiques avaient leurs limites. Une infanterie sur la défensive et armée d’un équipement adéquat pouvait causer de lourdes pertes, même si elle faisait face à un adversaire résolu à marcher à travers son feu. À cette infanterie lourde devait s’adjoindre une force à pied plus légère. À la fin du XVIIIe siècle, des compagnies légères étaient fréquemment combinées à des unités de grenadiers dont les soldats emportaient des grenades à main et qui étaient censés constituer les compagnies de flanc d’un bataillon.

Les changements technologiques se sont accélérés au XIXe siècle. Par exemple, le fusil à silex fut progressivement remplacé dans les années 1830 par le fusil à percussion, plus simple d’utilisation. De plus, les fusils commençaient à être manufacturés à grande échelle dans les années 1850. Vingt ans plus tard, lors de la guerre franco-prussienne, on assista au premier conflit d’envergure dans lequel les infanteries de part et d’autre utilisèrent des fusils à armement par la culasse.

Les lourdes pertes enregistrées en 1870-1871 par les infanteries belligérantes ne sont pas tant attribuables au fusil à culasse, mais surtout parce qu’on manœuvrait les forces en masses compactes face à une puissance de feu beaucoup plus forte. Par exemple, à la bataille de Saint-Privat, la Garde prussienne perdit plus de 8,000 fantassins en une journée. Par ailleurs, les premières mitrailleuses d’un modèle primitif firent leur apparition. Autrement dit, plus la technologie s’améliorait et plus les pertes de l’infanterie allaient être lourdes si des améliorations tactiques n’étaient pas apportées.

Il était évident en 1871 que l’infanterie pouvait atteindre de meilleurs résultats par une juste combinaison du feu et de la manœuvre. Cela signifiait, par exemple, qu’une compagnie ouvrait le feu afin de couvrir le mouvement d’une autre compagnie. Aussi, la guerre franco-prussienne avait clairement démontré que, lorsque bien utilisée, l’artillerie pouvait carrément arrêter l’infanterie et briser sa cohésion.

Guerres mondiales et conflits contemporains

Ces leçons avaient été plus ou moins bien assimilées, si l’on se fit aux conflits subséquents. À titre d’exemple, lors de la Seconde Guerre des Boers (1899-1902), l’infanterie britannique subit des pertes considérables en effectuant des assauts frontaux contre des positions bien tenues par des combattants qui utilisaient des armes à poudre sans fumée.

Dans les années précédant la Première Guerre mondiale, il y eut un regain de « popularité » face à une doctrine tactique offensive prônant que l’infanterie avance en rangs serrés vers l’ennemi. L’un des arguments avancés pour justifier la doctrine était que les armées européennes, pour la plupart composées de soldats conscrits, perdraient de leur cohésion et de leur discipline si on leur permettait de s’étirer devant le feu concentré de l’ennemi.

L'infanterie britannique. Guerre de 1914-1918.

La Première Guerre mondiale apporta davantage de souffrances à l’infanterie et elle força une révision en profondeur de ses tactiques. Les fantassins composaient la majorité des combattants de ce conflit. Ils étaient les souffre-douleurs, avançant péniblement dans les tranchées sous le poids de leurs équipements, souffrant des privations de toutes sortes et expérimentant tous les dangers de la guerre des tranchées, dont le feu de l’artillerie ennemie. L’infanterie utilisa une variété d’armements. En plus des fusils, les fantassins avaient des grenades à main, des mortiers, des fusils-mitrailleurs. Oublié depuis le Moyen Âge, le casque fit également sa réapparition.

Bien que le champ de bataille fut dominé par l’artillerie, l’infanterie put trouver sa juste place. Pour l’assaut, il était impératif de disperser les formations et assurer une coordination entre les mouvements de l’infanterie et le feu de l’artillerie et des mortiers qui les appuient. On peut dire que ce furent les unités spéciales d’assaut de l’armée allemande de 1918 qui illustrèrent de la manière la plus éclatante l’importance du feu et du mouvement, et celle de la coordination interarmes.

La guerre de 1914-1918 avait bouleversé les tactiques de l’infanterie et il est à se demander dans quelle mesure les leçons avaient été assimilées. L’infanterie de la Seconde Guerre mondiale avait retenu des tactiques du précédent conflit, tout en tentant de les adapter dans un contexte de mécanisation rapide des forces. La mécanisation avait commencé pendant la période de l’entre-deux-guerres, mais les fantassins mobiles constituaient une minorité. Certains éléments, par exemple les panzergrenadiers et les fusiliers motorisés soviétiques, étaient de véritables unités d’infanterie mobiles.

La prolifération des armes se poursuivit, notamment avec l’entrée en service de canons antichars portatifs comme le Panzerfaust ou le bazooka, de même qu’avec l’augmentation notable des armes automatiques. Cette diversification accrue de l’armement facilita l’innovation tactique, dans la mesure où les rôles de chaque fantassin étaient mieux associés aux types d’armes à leur disposition.

Les unités allemandes de panzergrenadiers alliaient la mobilité et la puissance de feu. Guerre de 1939-1945.

Malgré tout, les fantassins de la guerre de 1939-1945 marchaient sur de longues distances. De plus, la nature du terrain et les conditions climatiques, de la jungle de Birmanie aux montagnes d’Italie en passant par les steppes russes, étaient toujours des donnes invariables. Parfois, la nature du terrain résultait du travail de l’homme, surtout lorsque l’infanterie avait à combattre dans des ruines comme à Stalingrad en 1942-1943. Cela démontrait la valeur de l’infanterie dans un environnement urbain.

De nos jours, l’introduction généralisée de véhicules pour l’infanterie amène la question à savoir si le rôle traditionnel de celle-ci, soit éliminer l’adversaire et occuper le terrain, n’est pas remis en question. Dans les années 1990, à une époque où l’infanterie était censée subir moins de pertes sous ses casques et ses gilets pare-balles, les véhicules s’avérèrent utiles, notamment lors des opérations de maintien de la paix. De plus, une plus grande disponibilité de véhicules permet aux soldats d’y laisser une partie de leurs équipements et d’effectuer des patrouilles à pied en étant moins chargés.

Par le fait même, cette situation amena une demande accrue pour des forces d’infanterie plus légères et faciles à déployer. De plus, selon les difficultés du terrain, l’infanterie conserve son utilité comme principale force de frappe et ses armements plus légers peuvent constituer des outils plus convenables, dans la mesure où l’utilisation d’armes plus lourdes cause des dommages collatéraux qui sont toujours inacceptables, en particulier d’un point de vue politique.

À mesure que les armées des nations occidentales mesurent les risques liés à la pratique d’une guerre asymétrique contre un ennemi qui décide de ne pas offrir des cibles idéales pour les armes technologiques, on peut en conclure que l’infanterie aura toujours sa place sur les champs de bataille. Pour qu’une guerre soit victorieuse, il faudra toujours des soldats sur le terrain qui pensent.

La Guerre d’Indochine (1946-1954)

Dans la période suivant la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France était placée devant le défi de recouvrer ses colonies perdues non seulement aux mains de son ancien ennemi qu’était le Japon, mais également des mouvements de résistance indigènes qui s’étaient développés en Asie, de 1941 à 1945. En Indochine française, la résistance de la guérilla du Vietminh contre l’occupant japonais s’organisait. Les différents groupes s’unifiaient sous la direction de Ho Chi Minh et, forcément, ils devaient être dissouts advenant la restauration de l’autorité française.

À cette époque, plus de 80% du territoire de l’Indochine était classé comme forestier, à savoir une forêt généralement dense sous la forme d’une jungle humide. Les problèmes pour n’importe quelle force qui entreprend une campagne militaire sur un tel terrain apparaissent évidents. Dans le cas de la région qui est aujourd’hui le Vietnam, les difficultés étaient accrues en raison des conditions climatiques particulières. La mousson dans le sud-ouest du pays, à titre d’exemple, limitait le temps pendant lequel il était possible de faire campagne. Pendant la moitié d’une année, il était à peu près impossible et imprudent de déplacer des troupes parce que le moindre problème logistique prenait une ampleur exponentielle en raison des pluies torrentielles qui balayaient le pays.

Le contexte politique qui amena la guerre en Indochine est aussi important afin de comprendre le type de combats qui s’y sont livrés et l’issue finale. Sous la direction militaire du général Vo Nguyen Giap, le Vietminh amorça la campagne en 1946 avec des ressources inférieures, mais il parvint, à partir de 1949, à obtenir l’appui de la Chine communiste. En effet, la défaite des nationalistes chinois fut un élément crucial aux succès des insurgés vietnamiens dans les années qui ont suivi.

Le général Jean de Lattre de Tassigny, l'un des commandants des forces françaises en Indochine.

Par contraste, le gouvernement français ne reçut qu’un mince appui des États-Unis. Ceux-ci étaient divisés entre leur traditionnel anticolonialisme et leur appréciation plus récente de la menace communiste. De plus, le gouvernement français était entré dans la campagne d’Indochine à reculons, affaibli militairement au sortir de la guerre en 1945 et divisé politiquement. La plupart des généraux français qui furent dépêchés dans la région reçurent des ressources limitées, sans compter que l’opinion publique en France désapprouvait largement l’opération.

La campagne française d’Indochine débuta par une série d’escarmouches avec le Vietminh et une certaine controverse perdure à savoir lequel des camps tira le premier coup de feu. Les Français souhaitaient briser la fragile position sur laquelle les Vietnamiens s’étaient établis dans l’appareil de l’État au lendemain de la capitulation du Japon. Ces derniers bénéficiaient d’une sympathie dans la population, mais leurs forces militaires étaient faibles. Par conséquent, les Français parvinrent à les repousser vers le Vietbac (au nord de Hanoi) dès 1946. Cette région du nord du Vietnam parsemée de vallées creuses et de caves était à peu près impénétrable, d’autant plus que la frontière chinoise non loin permettait d’y trouver refuge.

Carte du théâtre des opérations en Indochine (1946-1954).

En 1947, le commandant français, le général Jean Valluy, prit le temps d’amasser suffisamment de ressources et se lança à l’assaut du Vietbac. L’opération au nom de code LÉA connut un succès initial, mais le plan, inspiré des tactiques de la Seconde Guerre mondiale, s’enlisa comme le reste des troupes françaises sur le terrain difficile. Les unités françaises se retrouvèrent isolées et le style de commandement du Vietminh semblait avoir moins de difficultés à s’adapter à une situation qui évoluait rapidement. À la fin de cette première opération, les Français parvinrent à s’extirper de la dangereuse région dans laquelle ils se trouvaient, alors que les forces du Vietminh demeuraient intactes et que leur moral fut rehaussé.

Une patrouille française dans un delta (1952).

Les deux prochaines années de la campagne française furent marquées par des batailles à petite échelle et par l’indécision quant aux actions à entreprendre. À preuve, le général Valluy fut remplacé par le général Roger Blaizot en 1948, qui lui-même fut relevé par le général Marcel Charpentier un an plus tard. Charpentier venait à peine de prendre le commandement sur le terrain que Giap lança sa première offensive majeure en 1950. Les forces du Vietminh entrèrent dans Dong Khe et Cao Bang à la fin de l’année (voir la carte). Le général Charpentier tenta une contre-attaque en envoyant deux colonnes de troupes qui furent prises en embuscade et anéanties par un ennemi qui possédait une connaissance intime du terrain.

L'homme qui dirigea les offensives contre les Français, le général Vo Nguyen Giap, qui fêta en août 2010 son 100e anniversaire.

À son tour, Charpentier fut relevé par le général Jean de Lattre de Tassigny qui connut un peu plus de succès que son prédécesseur face à la seconde offensive de Giap en 1951. Par exemple, les Français avaient arrêté le Vietminh à Vinh Yen, Mao Khe et lors de la bataille du Day (mai-juin 1951). Le général de Lattre entreprit de lever une Armée nationale vietnamienne dans le but évident d’appuyer les forces françaises, puis d’utiliser ces nouvelles troupes afin de défendre une série de forts et de bases nommée la Ligne de Lattre. Cela libéra des troupes françaises pour une offensive à Hoa Binh en novembre 1951, mais le Vietminh contre-attaqua, forçant les Français à reculer de cette position trois mois plus tard.

La maladie força de Lattre à rentrer en France à la fin de 1951 et son remplaçant, le général Raoul Salan, mit au point un plan d’offensives et de contre-offensives limitées, remportant notamment une victoire à la bataille de Na San en novembre 1952. Pour sa part, Giap connut quelques succès lors de la campagne de la Rivière Noire en 1952, de même que pendant sa campagne laotienne l’année suivante. Ces succès étaient largement attribuables à la rapidité de mouvements des forces de Giap, à tel point que la logistique du Vietminh ne parvenait pas à suivre.

Le succès de la campagne laotienne marquait en quelque sorte le début de la fin pour la France en Indochine. Le général Henri Navarre devint le dernier commandant français et il préparait une offensive majeure non pour gagner la guerre, mais pour assurer à la France une position de force dans l’éventualité de négociations de paix. Lorsque cette bataille planifiée de toutes pièces débuta, Giap prit aussitôt l’initiative. Le plan de Navarre reposait sur le principe qu’il pouvait tenir une tête de pont à Diên Biên Phu, où se trouvait un d’importantes pistes d’aviation près de la frontière laotienne. Cependant, lorsque la bataille commença autour de Diên Biên Phu le 12 mars 1954, les Français étaient inférieurs en nombre, en équipements et ils étaient par surcroît coincés dans une vallée surplombée de montagnes où se terrait l’artillerie du Vietminh qui les pilonnait.

La garnison tint son front pendant deux mois, mais la situation était sans issue au moment où l’artillerie française fut réduite au silence et que les forces ennemies s’approchaient des « bases » aériennes (souvent de simples pistes). Le 7 mai, les derniers défenseurs se rendirent et la délégation française envoyée à Genève pour négocier la paix ne put imposer ses conditions.

La plupart des combats de la guerre d’Indochine se sont déroulés dans la partie nord de l’actuel Vietnam. Sous la pression des États-Unis, un état non communiste du Sud Vietnam fut créé. Ho Chi Minh et Giap n’allaient pas en rester là. Cela leur prit un autre vingt ans avant de consolider leur conquête de l’ensemble du Vietnam, chose qui avait déjà été faite aux dépens des Japonais en 1945. Cette fois, l’ennemi était la France.

Des parachutistes français à Diên Biên Phu (1953).

La Guerre de Cent Ans (1337-1453)

Le roi anglais Henry V priant avant la bataille d'Azincourt (1415).

L’appellation Guerre de Cent Ans est apparue en France dans les années 1860 afin de décrire les guerres entre l’Angleterre et la France de 1337 à 1453. Dans les faits, il n’y avait pas un état de guerre constant entre les deux royaumes. Le conflit fut ponctué de plusieurs trêves et il y eut une période de paix stable entre 1360 et 1369. Cela dit, les périodes de paix relatives pouvaient, en exagérant un peu, être comparées au type de tension latente de la période de la Guerre froide au XXe siècle, mais cette fois entre la France et l’Angleterre. Même en temps de paix, leurs hostilités se sont à certaines reprises étendues ailleurs, comme en Espagne lors de la guerre civile pendant la paix officielle de 1360-1369.

Un conflit de longue date

L’Angleterre et la France ont été en conflit à plusieurs reprises avant 1337, plus récemment de 1294 à 1297, puis de 1324 à 1327. L’objet des litiges concernait l’étendue et les conditions d’occupations de parcelles du territoire de France que possédaient ou réclamaient les rois d’Angleterre. Au début du XIIIe siècle, les régions du Poitou, d’Anjou, du Maine et de la Normandie avaient été perdues par l’Angleterre et seul le duché d’Aquitaine demeurait en sa possession. La partie la plus importante de l’Aquitaine, en particulier en raison du commerce du vin, était la Gascogne, dont la capitale était Bordeaux. Au Traité de Paris de 1259, Henri III accepta de conserver l’Aquitaine comme fief de la couronne française. Cela fournit au roi français l’occasion d’intervenir dans les possessions anglaises de Gascogne, et même le droit de confisquer le duché. Cela amena la France et l’Angleterre en conflit en 1294 et en 1324.

Les relations entre les royaumes étaient donc orageuses lorsqu’un nouveau roi anglais, Édouard III, accède au trône en 1327. L’année suivante, le roi de France Charles IV meurt sans laisser d’héritier mâle de directe lignée. La couronne française passa aux mains de Philippe VI de Valois, qui se trouvait être l’héritier mâle le plus proche de la lignée directe. Cependant, Édouard prétendait aussi à la couronne sur la base qu’il était l’héritier le plus proche de Charles, mais à travers la lignée féminine. Il était le fils de la sœur de Charles, Isabelle.

Les menaces de confiscation du duché d’Aquitaine combinées avec sa position de faiblesse en Angleterre ont forcé Édouard à payer un hommage à Philippe en 1329. Ce faisant, Édouard reconnaissait Philippe comme roi de France. Malgré tout, le problème inhérent à la possession d’une partie du sol de France par le roi anglais persistait, jusqu’au moment où Philippe confisqua le duché en 1337. Ce geste consistait ni plus ni moins en une déclaration de guerre.

La première phase du conflit (1340-1369)

Après quelques hésitations, Édouard se déclara finalement roi de France en janvier 1340, et bien qu’il abandonna ce titre lors de la paix de 1360 à 1369, comme le fit aussi Henri V entre 1420 et 1422, les rois anglais ont continué de s’appeler « rois de France » jusqu’en 1801-1802. Entre 1337 et 1453, il y eut donc des périodes d’affrontements intensifs au sujet de la possession de la couronne de France, de même que sur des litiges territoriaux, dont celui de l’Aquitaine.

Carte montrant l'évolution des opérations entre 1337 et 1453.

Les premières phases de la Guerre de Cent Ans ont vu l’Angleterre et la France se battre l’une contre l’autre par le biais de leurs alliances respectives avec d’autres puissances, des alliances qu’elles avaient eu le temps de construire dans les années 1330, alors que l’on savait la guerre inévitable. D’ailleurs, la première campagne amorcée par Édouard III en est un bon exemple. En 1338, Édouard établit une base à Anvers, la capitale de son allié, le duc du Brabant. Par le fait même, Édouard négocia une alliance avec le dirigeant du Saint-Empire romain germanique, l’empereur Louis de Bavière qui fit de lui le vicaire général impérial en France et sur les territoires allemands.

Le premier assaut fut lancé en septembre 1339 dans le Cambrésis, cette partie de la France qui se trouvait à l’époque à la frontière avec le Saint-Empire. À Gand, en janvier 1340, Édouard se déclara roi de France afin de compter sur l’appui militaire de la population qui était en rébellion ouverte contre le comte qui dirigeait la cité, un pro-Valois. La seconde campagne d’Édouard de juillet à septembre 1340 fut contre Tournai, une ville du nord de la France que réclamaient les Flamands.

De leur côté, les Français réagirent en conduisant une série de raids sur la côte sud de l’Angleterre en 1338-1339, mais la menace sur l’Angleterre et la Manche avait été réduite par la victoire navale anglaise à L’Écluse (Pays-Bas), le 24 juin 1340. Toujours au plan stratégique, il faut aussi préciser que l’Écosse faisait partie des préoccupations. L’intervention anglaise dans la région dans les années 1290 avait amené les Écossais à s’allier aux Français. Au début des années 1330, Édouard III tenta de restaurer l’autorité anglaise en Écosse en y plaçant un de ses hommes. Par conséquent, David II d’Écosse dut s’exiler en France en 1334, mais il parvint à y retourner en 1341 afin de poursuivre la lutte.

Édouard III, roi d'Angleterre de 1327 à 1377.

La situation à l’automne de 1340 consiste en une impasse et une trêve est conclue. Édouard avait peu de ressources et ses alliés étaient de plus en plus réfractaires à lui fournir une assistance. C’est alors qu’une nouvelle opportunité se présenta à Édouard en 1341 au sujet d’une dispute quant à la succession au trône de Bretagne. Édouard offrit un appui militaire au prétendant de la famille Montfort. Il envoya ainsi ses troupes dans la région et il y fit campagne en personne en 1342. L’effort de guerre anglais devint plus aventureux dans les années 1340. En 1345, le duc de Lancaster étendit ses possessions en Aquitaine. L’année suivante, Édouard envahit la Normandie, saccageant la ville de Caen et poursuivant sa marche dans les terres pour s’arrêter non loin de Paris.

Alors qu’il faisait mouvement vers le nord-est, il fut intercepté par une armée française à Crécy, une localité située non loin de Ponthieu qui appartenait aux Anglais. La victoire d’Édouard à Crécy le 26 août 1346 asséna un coup terrible au moral des Français, tout comme le fit la victoire anglaise sur les Écossais à Neville’s Cross (17 octobre 1346) et la capitulation de Calais l’année suivante. Cette dernière ville fut par la suite convertie en une importance base commerciale et militaire anglaise et ne fut pas reprise par les Français avant 1558.

La fin des années 1340 connut une pause dans les affrontements en raison des ravages causés par la Peste Noire. Philippe VI en mourut en 1350 et son héritier, Jean II, effrayé par une alliance anglo-navarraise et d’autres succès militaires anglais, semblait plus disposé que son père à trouver une solution négociée. La papauté prit en main les négociations à Guînes en 1354, mais celles-ci échouèrent et la guerre reprit l’année suivante. Édouard Plantagenêt, le Prince de Galles (surnommé le « Prince Noir »), mena un raid à travers le sud de la France à partir de Bordeaux vers la côte méditerranéenne. En 1356, le duc de Lancaster poursuivait toujours sa campagne en Normandie et le Prince Noir faisait mouvement vers le nord. Celui-ci fut forcé de livrer bataille à Poitiers où il remporta une victoire catégorique, faisant du coup prisonnier Jean II.

Édouard lança par la suite sa dernière offensive d’envergure en 1359, dans l’espoir probable de reprendre Reims et ainsi être couronné roi de France. Par contre, son plan échoua et il consentit plutôt à un règlement négocié par le Traité de Brétigny signé le 8 mai 1360. Jean II fut libéré en échange d’une rançon de 3 millions d’écus et Édouard accepta d’abandonner ses prétentions à la couronne française, en retour d’un élargissement de ses possessions d’Aquitaine, du Poitou, de Ponthieu et de Calais. Tous ces territoires devraient être pleinement souverains, c’est-à-dire qu’Édouard n’aurait pas à payer un hommage ou à subir la tutelle française. Bien que ce règlement fut officialisé à Calais le 24 octobre 1360 entre Édouard et Jean, les clauses renonciatrices (à savoir qu’Édouard abandonne son titre français et que les Français laissaient tomber leur souveraineté sur ses dernières acquisitions) furent retirées du traité principal et elles ne furent jamais effectives. Ce faisant, il est probable qu’Édouard voulait garder ses options ouvertes.

Miniature de Jean Froissart représentant la bataille de Poitiers de 1356. Cet affrontement tourna au désastre pour l'armée française, pourtant trois fois plus nombreuse que l'armée anglaise.

La seconde phase (1389-1429)

Ce qui apparaît comme un flou juridique dans le Traité de Brétigny fut exploité par Charles V en 1369, lui permettant de confisquer à nouveau l’Aquitaine et d’envoyer des troupes dans les possessions d’Édouard. En revanche, Édouard décida de reprendre le titre de roi de France. Dans une autre phase du conflit (1369-1389), les Anglais connurent une série d’insuccès et ils perdirent la presque totalité de leurs gains des vingt dernières années. Les Français avaient bénéficié de leur alliance avec le royaume de Castille qui leur donna la suprématie en mer, leur permettant de harceler sporadiquement les côtes anglaises.

Les Anglais tentèrent diverses formes d’assaut, par exemple des raids dans le nord du territoire français, des tentatives d’établir des têtes de pont sur les côtes, des alliances avec les Flamands et le duc de Bretagne, mais le tout sans succès notable. Le schisme papal de 1378 à 1418 compliquant davantage les choses, car les Anglais et les Français donnèrent leurs appuis à chacun des papes qui s’opposaient et chaque royaume avait des rois qui n’étaient pas majeurs (Richard II en Angleterre et Charles VI en France).

Toutes ces problématiques ne semblaient pas trouver de solutions. Tout ce que l’on put convenir fut la conclusion d’une autre trêve en 1396, une trêve qui dura néanmoins trente ans, facilitée par le mariage de Richard II avec Isabelle, la fille de Charles VI. Cependant, les problèmes mentaux de Charles VI plongèrent la France dans une situation désespérée qui dégénéra en une guerre civile entre les Bourguignons et les Armagnacs (et d’autres factions orléanistes). La situation n’était guère mieux dans le camp anglais, où Richard II avait déposé son cousin Henry Bolingbroke (Henry IV). Bien que la longue trêve continuait de s’appliquer en théorie, les Français avaient envoyé de l’aide aux rebelles gallois qui combattaient Henry. Ils tentèrent également de reprendre Calais, la Gascogne et nuire au trafic anglais dans la Manche.

En 1410, la guerre civile en France avait atteint un tel sommet que chaque camp français alla demander une assistance aux Anglais. Cela finit par convaincre les Anglais qu’il était temps d’effectuer une autre tentative en France. Par conséquent, Henry V lança en 1415 sa première invasion qui mena à la capture de Harfleur et à la victoire d’Azincourt. Malgré qu’ils étaient largement dépassés en nombres et qu’ils étaient affaiblis par la longue marche, les Anglais battirent les Français dans ce qui s’avéra être un véritable massacre. Les Anglais capturèrent le neveu de Charles VI, Philippe duc d’Orléans, et plusieurs autres personnalités.

Miniature du XVe siècle représentant la bataille d'Azincourt (1415). Une autre victoire stratégique de l'armée anglaise.

Le vent était du côté des Anglais et les succès militaires des années suivantes étaient attribuables non seulement au génie militaire de Henry V et de ses commandants, mais également aux divisions qui minaient la France. La seconde campagne de Henry débuta le 1er août 1417 et elle consista en une conquête méthodique de la Normandie au moyen de sièges, ce qui était d’ailleurs la première fois que les Anglais tentèrent ce type de stratégie sur une grande échelle. La chute de Rouen en janvier 1419 (après un siège de huit mois) marqua la conquête complète du duché de Normandie et Henry commença à faire mouvement vers Paris.

Conscients des divisions qui les rongeaient, les Français devaient négocier entre eux. Or, ces négociations prirent fin de façon abrupte lorsque Jean, le duc de Bourgogne, fut assassiné par les hommes du dauphin (qui dirigeaient maintenant le clan des Armagnacs). Cela força les Bourguignons, qui étaient parvenus à contrôler le dangereux Charles VI, à faire une alliance avec Henry, qui était en position de dicter ses conditions. Par le Traité de Troyes du 21 mai 1420, Henry devint l’héritier de Charles VI (le dauphin, qui devint plus tard Charles VII, se trouvait donc déshérité) et régent de France.

Henry V, roi d'Angleterre de 1413 à 1422.

Bien entendu, ce traité ne fut pas reconnu dans les territoires hors des possessions anglaises et bourguignonnes. La conséquence fut que le roi Henry V vieillissant et les hommes qui agirent au nom de son fils Henry VI (qui était encore un bébé) reçurent la difficile mission d’étendre leurs possessions. Les victoires anglaises lors des batailles de Cravant (31 juillet 1423) et de Verneuil (16 août 1424) avaient permis aux Anglais et à leurs alliés bourguignons d’étendre le territoire jusqu’à la Loire vers 1428. Cependant, les forces du dauphin étaient parvenues à faire lever le siège sur Orléans, en partie grâce à la contribution morale de Jeanne d’Arc. L’armée de Charles VII finit par vaincre les Anglais à Patay le 18 juin 1429 et elle reprit la plupart des territoires à l’est de Paris, permettant ainsi au dauphin d’être couronné roi de France à Reims le mois suivant.

La reprise en main de la situation par la France (1429-1453)

À partir de cet instant, les Anglais durent adopter une posture défensive, malgré que Henry VI se soit fait couronner roi de France à Paris le 16 décembre 1431. Ce faisant, Henry devenait de fait le premier roi anglais à réaliser concrètement ce que son ancêtre réclamait presque un siècle auparavant. Les alliés bourguignons des Anglais se retirèrent de l’alliance en 1435 et Charles VII fit son entrée dans Paris l’année suivante. Il restait aux Anglais la Gascogne, Calais, la Normandie, bien que le contrôle de la Haute-Normandie fut contesté par une révolte 1435-1436 dans laquelle Harfleur fut perdue. Cette cité fut reprise en 1440, mais les Anglais perdaient du même coup Dieppe, ce qui rendait une fois de plus les côtes anglaises et la Manche vulnérables aux attaques.

Charles VII, roi de France de 1422 à 1461.

Les Anglais restèrent à nouveau sur la défensive dans les années 1440, car les coûts de la guerre devenaient de plus difficiles à supporter. Après la conclusion d’une trêve en 1444 et le mariage de Henry VI avec Marguerite d’Anjou, les défenses anglaises en Normandie furent grandement affaiblies, laissant le loisir à Charles VII de les prendre, ce qu’il fit lorsqu’il envahit le duché avec l’assistance du duc de Bretagne en 1449. Ce qui restait de la Normandie tomba en l’espace d’une année et la Gascogne tomba à son tour en 1451. Une rébellion contre l’autorité française à Bordeaux en 1453 encouragea les Anglais à y envoyer une armée sous le commandement de Lord John Talbot, mais lui et l’effort de guerre anglais furent anéantis à la bataille de Castillon du 17 juillet.

Les batailles de la Guerre de Cent Ans

Sur une période de plus de cent ans, il est certain que les buts de guerre des belligérants ne furent pas les mêmes. Par exemple, la prétention anglaise au trône de France fut moins significative après 1360 jusqu’au moment où elle revint à l’ordre du jour au lendemain du Traité de Troyes.

Les stratégies ont également varié. Pour ainsi dire, le XIVe siècle vit la domination de la chevauchée. Il s’agissait de la conduite d’un raid à grande échelle sur le territoire français dans le but d’affaiblir le moral, de créer des distorsions économiques et collecter autant de prisonniers que de butins possible. Ce genre de manœuvres militaires était populaire parmi les troupes anglaises qui y voyaient des opportunités de s’enrichir. Cela avait aussi un impact politique considérable, dans la mesure où les raids anglais remettaient en question la capacité du régime des Valois à défendre adéquatement la France et ses habitants.

Aussi attirante fût-elle, la stratégie des raids avait ses limites. Seule la conquête systématique de la France permettrait aux Anglais de traduire leurs prétentions sur le territoire, la souveraineté et la couronne en réalité. Sous Henry V et Henry VI, donc, la stratégie privilégiée fut le siège. Déjà à cette époque, l’artillerie était utilisée, et ce, autant à des fins offensives que défensives lors de sièges. Le XIVe siècle vit donc la conduite de sièges, le plus évident fut probablement celui de Calais, et il y eut également des actions de chevauchée au XVe siècle, dont celle exécutée par les Anglais en Bretagne en 1443.

Les XIV et XVe siècle virent aussi des actions à plus petites échelles, comme des raids et des patrouilles, de même que la fortification et l’envoie de garnisons dans des places fortifiées avaient leur importance. À cet égard, les Français eurent des difficultés à pénétrer en Gascogne anglaise, car la frontière était bien protégée par des structures défensives. De plus, étant donné que les Anglais menaient une guerre outre-mer, l’activité navale s’avéra importante pendant cette période, notamment pour le transport des troupes, pour la patrouille dans la Manche et pour la protection de la route commerciale entre l’Angleterre et la Gascogne.

Les archers: l'ennemi no. 1 de la chevalerie.

Autant sur terre que sur mer, les batailles à grande échelle furent peu nombreuses, mais on se souviendra toujours dans cette guerre de certains épisodes particuliers, comme les trois victoires anglaises à Crécy, Poitiers et Azincourt. Toutes ces batailles furent livrées de façon similaire, avec les soldats anglais démontés et qui comptaient sur l’efficacité du tir de leurs archers pour arrêter la charge de la chevalerie française. Dans toutes ces occasions, le commandant anglais déploya ses troupes sur un front relativement mince. Cela créa un effet d’entonnoir qui limita du coup la liberté d’action des Français (qui était importante pour eux étant donné qu’ils étaient largement supérieurs en nombre), tout en accroissant l’effet du tir des flèches sur les soldats ennemis trop serrés.

Étant donné que les Anglais devaient envoyer leurs armées outre-mer, il n’est pas étonnant qu’elles fussent moins nombreuses que celles de leurs adversaires. Par exemple, une armée anglaise envoyée en France au XVe siècle dépassait rarement 2,500 hommes (bien que des troupes aient été régulièrement envoyées en renforts entre 1415 et 1450) et les chevauchées dirigées par le Prince Noir en 1355 et 1356 le furent avec le même contingent, qui fut appuyé par des Gascons.

Dans un autre contexte, à Crécy, il est probable qu’Édouard III n’ait pas eu plus de 7,000 hommes et au maximum 10,000 lors de sa campagne de 1359. De son côté, Henry V avait quitté l’Angleterre avec 12,000 soldats, mais la maladie et le besoin de défendre Harfleur l’avaient dépossédé de la moitié de ses effectifs lorsque débuta la bataille d’Azincourt en 1415. Selon les sources, on pense qu’Édouard III aurait pu avoir une armée allant jusqu’à 32,000 hommes au siège de Calais, mais il n’y eut assurément aucune armée anglaise qui dépassa ce nombre au cours du long conflit.

Un exemple de canon tel qu'il put en exister dans la seconde moitié du XIVe siècle. Le canon s'avéra particulièrement utile lors du siège d'une place forte.

D’autre part, la Guerre de Cent Ans avait démontré l’importance des alliances. Celle entre les Français et les Écossais fut efficace et causa des ennuis aux Anglais. Une autre, celle entre la Castille et la France, fournit à celle-ci une précieuse assistance navale. De leur côté, mis à part les quatre premières années de la guerre, les Anglais ont essentiellement compté sur leurs troupes nationales et non sur des forces étrangères.

Lorsque la guerre reprit après 1369, les troupes anglaises étaient recrutées d’après un système contractuel où des capitaines devaient fournir un certain quota d’hommes qui percevaient une solde royale pour la durée du service. Plusieurs servaient pour une courte période, qui souvent ne dépassait pas six mois, bien que le besoin d’avoir des troupes de garnisons (surtout au XVe siècle en Normandie) finit par créer une sorte d’armée permanente avec des hommes qui contractaient une plus longue période de service.

On remarque également qu’au XIVe siècle, les soldats d’infanterie étaient en nombre à peu près égal à celui des archers. Sous Richard IV d’Angleterre, lors des guerres galliques, il n’était pas rare de voir un ratio de 1 pour 3, c’est-à-dire un fantassin pour trois archers. Ceux-ci avaient une valeur tactique reconnue, ils étaient disponibles en grand nombre et ils ne coûtaient pas chers à équiper. Les armées françaises comptaient aussi sur le rôle de la noblesse dans le recrutement et la direction des troupes. Par contre, ces forces étaient souvent recrutées à la suite d’obligations féodales (de vassalité) et elles provenaient en grande partie de milices urbaines. Les Français pouvaient mobiliser de grandes armées, mais celles-ci manquaient du niveau de cohésion et de professionnalisme que l’on retrouvait chez les Anglais.

Représentation de la bataille de Castillon (1453). Cette victoire française marqua le dernier affrontement de la Guerre de Cent Ans.

L’utilisation croissante de l’arc long dans les armées anglaises, de l’arbalète chez les Français, le perfectionnement des épées et le retour en force de l’infanterie, tout cela fit en sorte que le soldat de la Guerre de Cent Ans dut investir davantage sur son armure. Pour sa part, l’artillerie commençait à faire sa marque, et ce, dès la seconde moitié du XIVe siècle. À la fin du conflit, des armes à feu d’infanterie et des canons de plus fort calibre virent leur apparition dans les deux camps. En effet, la victoire ultime de la France est largement attribuable non seulement à l’usure chez l’adversaire, mais aussi grâce à l’utilisation accrue de l’artillerie et à la nécessaire réorganisation et à la professionnalisation de son armée. Ce fut une entreprise que le roi Charles VII avait jugé essentielle dans les années 1440.

Le cheval: l’oublié des champs de bataille

Apprivoiser l’animal

Le cheval figure parmi les premiers animaux à avoir été domestiqués par les hommes et son utilisation à des fins militaires remonte au moins au XVIIIe siècle avant notre ère. Il est probable que les premiers chevaux utilisés par les hommes étaient différents de ceux d’aujourd’hui. À une autre époque, les chevaux étaient plus légers, ils avaient les pattes plus courtes, un dos plus faible, si bien qu’il s’avérait sans doute difficile de les monter pour la promenade.

À certains moments au second millénaire avant notre ère, des peuples du sud de l’Asie centrale se servirent de chariots tirés par deux chevaux malgré que ceux-ci semblaient toujours de plus petite taille. Vers 900 avant J.-C., des chevaux plus gros étaient élevés et montés. Ils étaient suffisamment solides sur leurs pattes pour supporter le poids d’un homme et ses armes.

Les Assyriens furent parmi les premiers peuples à utiliser massivement le cheval sur les champs de bataille. Ils étaient réputés pour leur efficacité au combat à bord de chariots sur lesquels deux hommes embarquaient. L’un tenait les rênes tandis que l’autre faisait usage de son arc. À l’apogée de leur puissance, les Assyriens employaient également les chevaux pour former des unités de cavalerie. C’est probablement la cavalerie, encore mieux utilisée par les ennemis des Assyriens, qui parvint à anéantir leur empire.

La valeur du cheval

Le cheval fut également l’instrument privilégié dans le déplacement des peuples nomades des steppes d’Asie centrale vers le « monde civilisé » de l’Ouest. Sur deux mille ans, du premier millénaire avant notre ère jusqu’au millénaire suivant, nombreux furent en effet les mouvements migratoires et les invasions où le cheval occupa une place de premier plan. Dans ce contexte, le cheval n’était pas seulement un outil militaire, mais il était aussi au cœur du mode de vie des populations nomades.

L'Akhal-Teke.

Sans trop exagérer, le nomade des steppes passa presque sa vie sur un cheval. Certaines histoires racontent même que certains peuples comme les Huns mangeaient, buvaient, dormaient, faisaient de la politique et déféquaient en restant sur leurs chevaux. Plusieurs de leurs chevaux étaient de petite taille, mais certaines évidences archéologiques tendent à prouver qu’ils avaient à leur disposition des chevaux un peu plus gros, qui seraient peut-être les ancêtres de la race moderne de l’Akhal-Teke.

Le succès des aventures des peuples nomades est en partie dû à l’endurance de leurs chevaux. De plus, le cheval en soi constituait un important trophée de guerre qui s’ajoutait au butin des conquêtes ou des invasions. Autrement dit, le cheval devenait un enjeu stratégique. Il existe des sources attestant à différents moments de l’Histoire d’expéditions ayant été entreprises où le cheval était l’enjeu central justifiant la guerre. À titre d’exemple, les Chinois avaient subi de lourdes pertes lors de l’expédition de Fereghana (sur la route de la soie) vers 109 avant J.-C., dans le but de mettre la main sur une race spéciale de chevaux. Plus tard, en 1215, les Mongols capturèrent Pékin et mirent la main sur le parc de chevaux de la famille impériale. Ce faisant, ils amélioraient leur propre parc et ils privaient du coup les Chinois de cette ressource précieuse au bon fonctionnement de leur économie.

Les cultures de guerre différentes entre les civilisations signifiaient aussi des approches variées quant à l’utilisation du cheval. Les nomades des steppes, par exemple, qui étaient des cavaliers somme toute légers, utilisaient peu l’étrier sur leurs montures, contrairement aux chevaliers occidentaux qui en avaient besoin pour se stabiliser. Pourtant, ces différentes approches signifient que le cheval était tout aussi important pour les sociétés orientales qu’occidentales.

Faire du cheval un soldat

Cependant, monter un cheval à des fins militaires ne va pas de soi. Des tentatives de monter des chevaux de taille imposante pour créer des unités de cavalerie, dans le but d’impressionner et augmenter l’effet du choc, ne furent pas toujours un succès. De lourds cavaliers signifient que le cheval doit fournir un plus grand effort, donc qu’il s’épuise plus vite. De plus, si le terrain est le moindrement inhospitalier, comme sur un sol vaseux, le cheval risque de s’enfoncer. Lors de la Guerre des Boers de 1899-1902, l’armée britannique perdit environ 325,000 chevaux, en partie à cause de l’inhabileté de nombre de cavaliers, mais surtout parce qu’une majorité de chevaux envoyés dans la région n’étaient tout simplement pas acclimatés au rude climat. Vers la fin de ce conflit, les Britanniques eurent recours aux poneys locaux pour le transport des troupes et du matériel.

Un escadron de cavalerie britannique lors de la Guerre des Boers (1899-1902). Les chevaux eurent de grandes difficultés à s'adapter au rude climat sud-africain.

L’appétit vorace des armées pour les chevaux remonte à très loin dans le temps. Par exemple, les armées de l’Europe au début de l’époque moderne en employaient de grandes quantités et les besoins étaient encore plus importants à mesure que les armées nationales augmentaient leurs effectifs aux XVIIIe et XIXe siècles. Par conséquent, les états durent mettre sur pied des écuries entretenues à leurs frais. En France, Colbert en fit construire une en 1665 à Le Pin en Normandie. Cette écurie disposait de magnifiques installations qui créaient les conditions idéales afin d’entraîner les chevaux pour la guerre.

Des chevaux, encore des chevaux

Logiquement, en période de guerres majeures, il arrivait que la demande pour des chevaux surpasse l’offre. Napoléon Bonaparte n’avait pas toujours à sa disposition des quantités suffisantes de chevaux pour équiper ses régiments de cavalerie, qui parfois durent se convertir malgré eux en unités d’infanterie en attendant que leur soit livrée la précieuse ressource.

Ce n’étaient pas tous les chevaux qui pouvaient servir à des fins militaires. Les officiers de cavalerie des armées européennes de la seconde moitié du XIXe siècle avaient l’habitude d’effectuer de longues promenades avec leurs montures dans le but d’évaluer lesquelles feraient les meilleurs chevaux de guerre. De façon plus classique, l’équitation avait également une connexion militaire, ne serait-ce qu’en considérant que certaines techniques de dressage visaient à apprendre aux chevaux à mordre et frapper un adversaire potentiel avec leurs pattes.

Le développement de l’automobile ne signifia pas la disparition immédiate, ni totale du cheval. Lorsque la Grande Guerre éclate en 1914, on observa des variantes dans les préférences des états pour l’acquisition de chevaux. La cavalerie britannique avait des chevaux d’un type « chasseur », alors que les Allemands optèrent pour des races plus solides, lourdes, tels les chevaux hanovriens. De son côté, la cavalerie russe montait des chevaux de race similaire à ceux des Britanniques, quoique les Cosaques en disposaient de plus petites tailles qui se rapprochaient des montures autrefois employées par les nomades des steppes.

Par moment, il était possible de soigner des chevaux blessés, comme en témoigne cette illustration d'un hôpital vétérinaire britannique pendant la guerre de 1914-1918.

Qu’importe leurs races, les chevaux furent rapidement mis au service des armées européennes. Que se soit pour tirer des canons, des caissons, transporter des messages ou charger l’ennemi, les chevaux faisaient la guerre au même titre que les soldats. Une fois de plus, comme à l’époque de Napoléon, la demande excéda de loin l’offre. À elle seule, l’armée britannique employait en 1917 environ un million d’animaux, essentiellement des chevaux et des mules, bien que la qualité des bêtes diminua à mesure qu’avançait la guerre. Les durs hivers sur le front tuaient quantité de chevaux, qui ne disposaient pas toujours d’abris adéquats contre les éléments de la nature. Les pertes parmi les chevaux de l’armée britanniques s’élèvent à 485,000 pendant la guerre, ce qui donne presque un ratio de 1 pour 2, soit un cheval qui tombe pour deux hommes.

La mécanisation grandissante des armées dans la période de l’entre-deux-guerres avait amené une réduction, mais pas une abolition totale du recours au cheval. Les Russes et les Allemands entretinrent des régiments de cavalerie pendant toute la Seconde Guerre mondiale, les chevaux étaient essentiellement utilisés pour le transport. Les divisions allemandes employaient des quantités importantes et cela s’observe sur les nombreuses photos de cadavres de chevaux victimes des attaques aériennes menées par l’aviation anglo-américaine.

L’attachement à la bête

Autant des hommes pouvaient faire preuve de cruauté entre eux, autant il s’avéra par moment difficile de voir des chevaux agoniser et crier jusqu’à ce qu’on les achève. Ceux-ci sont souvent présentés dans la littérature comme d’innocentes victimes de la folie humaine. Bref, le soldat et sa monture entretiennent une relation particulière, presque intime. Napoléon avait son célèbre cheval Marengo, nommé à la suite de sa victoire près de cette localité italienne en 1800. Son grand rival, Wellington, avait lui aussi une monture qui lui tenait à cœur et qui faillit le tuer d’un coup de patte, car elle était très fatiguée après la bataille de Waterloo.

Le cheval partageait donc les mêmes risques que le soldat. Certaines circonstances d’ordre tactiques requièrent qu’on leur fasse toujours appel, sans honneurs, ni monuments.