Mois : août 2010

1914-1918 : La guerre du Canada. L’été 1917 et la cote 70

Un changement de direction

France. Juin 1917. Voilà quelques semaines que la bataille de Vimy était une affaire réglée. Les soldats canadiens qui avaient survécu passaient à autre chose et devaient se préparer pour les opérations dans la plaine de Douai vers Lens, à l’est de la crête de Vimy.

Juin 1917. Le nouveau commandant du Corps canadien, le lieutenant-général Sir Arthur Currie.

Le mois de juin 1917 allait voir un changement de direction à la tête du Corps canadien. En effet, le major-général Arthur Currie, le commandant de la 1ère Division et présent au front depuis maintenant deux ans, avait été informé de sa nomination à la tête du Corps avec un nouveau grade, celui de lieutenant-général. De plus, Currie avait été fait Chevalier par le Roi et devenait membre des Ordres de Saint-Michel et de Saint-Georges.

Sir Arthur Currie faillit ne pas être présent à la cérémonie pour recevoir son nouveau titre de chevalerie. Au lendemain de la publication de sa nomination, un bombardier allemand lâche ses bombes sur son quartier-général divisionnaire tuant deux membres de son personnel et en blessant 16 autres, tout cela au moment où il venait à peine de quitter l’édifice.

Currie ne prit pas le temps de se remettre de cet incident, car il était presque immédiatement convoqué au quartier-général du Corps canadien où le lieutenant-général Byng l’informa que le commandant de la 3e Armée britannique, le général Allenby, avait été nommé pour servir en Égypte. Par conséquent, par un jeu de chaises musicales, Byng allait commander la 3e Armée et Currie prendra sa succession à la tête du Corps canadien.

Sir Currie prit officiellement ses fonctions le 9 juin 1917, ce qui était un accomplissement remarquable. Les troupes canadiennes étaient désormais commandées par un Canadien. Par ailleurs, à 41 ans, Currie devenait le plus jeune commandant de Corps dans l’armée britannique et le seul officier qui n’en était pas un de carrière à occuper un tel poste. Ceci était d’autant plus un exploit, si l’on considère que trois années auparavant, Currie était un lieutenant-colonel d’une unité de la Milice non permanente. Il était difficile de rater Currie, surtout du haut de ses six pieds quatre, ce qui en faisait probablement l’un des commandants britanniques les plus imposants physiquement.

La nomination de Currie serait cependant effective au moment de sa ratification par le ministre canadien des Forces d’outre-mer, qui avait protesté auprès des Britanniques, car il n’avait pas été consulté avant cette nomination. Le ministre, Sir George Perley, considérait que d’autres candidats auraient pu occuper ce poste. Il pensait entre autres au major-général Richard Turner, qui avait été commandant de division au front et qui occupait à l’été de 1917 un poste administratif au sein des forces canadiennes en Angleterre. Turner était l’officier « sénior » parmi tous ceux qui détenaient le grade de major-général dans les forces canadiennes.

Dans ce contexte, ce fut la comparaison des feuilles de route de Currie et de Turner qui fit la différence dans l’esprit du commandement britannique. En effet, le général Byng et le maréchal Sir Douglas Haig, le commandant en chef des forces britanniques sur le continent, avaient tous les deux jugé que le curriculum de Currie était meilleur. Le major-général Turner avait été absent du front pendant six mois et son travail au sein de l’administration des forces canadiennes en Angleterre semblait être couronné de succès. Il excellait davantage à ce poste que lorsqu’il commandait des hommes au front, semble-t-il. En guise de compromis, Currie et Turner furent tous les deux promus au grade de lieutenant-général, tout en accordant à Turner le même titre de « sénior » parmi les rares officiers canadiens à détenir ce grade.

Une position d’artillerie canadienne soumise à un tir de contre-batterie allemand près de la cote 70.

Au moment où Currie prend le commandement du Corps, il doit faire face à un double défi que les commandants britanniques du Corps canadien dans les années passées n’eurent pas eu à faire face. Currie devait à la fois livrer la marchandise sur le front, tout en étant directement responsable auprès du gouvernement du Canada de sa performance à la tête du Corps. Par exemple, le premier défi « politique » soumis à Currie fut de trouver son remplaçant à la tête de la 1ère Division qu’il commandait avant de monter au Corps. Currie avait recommandé la nomination du brigadier-général Archibald MacDonell, le commandant de la 7e Brigade (3e Division), un officier parfaitement capable d’exercer cette fonction.

Encore une fois, le nom de Garnet Hughes, le fils de l’ex-ministre de la Milice congédié en novembre 1916, revint sur la liste des candidats. Sa nomination était appuyée par un fort lobby qui incluait son père qui était déterminé à voir son fils monter en grade. Malgré les menaces contre son propre poste dirigées par la famille Hughes, Currie ne bougea pas et confirma le major-général MacDonnell à la tête de la 1ère Division. Cela s’avéra un choix très populaire au sein de la troupe.

Entre temps, le Currie avait l’esprit ailleurs. Le Corps devait avancer vers Lens. Devant la ville se trouvait un obstacle: la cote 70.

La préparation de l’assaut

Dans le contexte des manœuvres politiques entourant la succession de Currie et la réorganisation administrative du Corps à l’été de 1917, la situation évoluait rapidement sur le front en cette période d’offensives majeures. La Seconde Armée britannique du général Plumer avait lancé en juin une offensive d’envergure au sud d’Ypres, sur la crête de Messine. L’offensive avait été précédée par l’explosion de 19 mines gigantesques dont le bruit s’était entendu jusqu’à Londres, tuant sur le coup environ 10,000 soldats allemands.

Le maréchal Haig décida ensuite de tourner l’effort principal de l’offensive britannique au nord d’Ypres, tout en demandant au commandant de la 1ère Armée (le général Horne) de créer une diversion au sud dans le secteur d’Arras-Lens où se trouvait le Corps canadien subordonné à la 1ère Armée.

Conformément au désir de Haig, Horne planifia une série d’assauts avec pour objectif final de percer le front allemand à la hauteur d’Arras et d’entrer dans Lens (voir la carte). Cette dernière tâche, la prise de Lens, revint au Corps canadien et ce serait la première bataille de Currie à la tête de cette formation. D’une position surélevée derrière le front canadien, Currie observa minutieusement le terrain des opérations à venir. Son premier constat était inquiétant et il en fit part à son patron, le général Horne.

Carte des opérations sur la cote 70 (août 1917).

Le problème identifié par Currie était que Lens était en quelque sorte dominée par deux hautes collines, celle appelée la « Cote 70 » au nord de la ville, puis celle de Sallaumines au sud-est. Il serait possible d’attaquer directement Lens, mais une fois dans la ville, ses hommes seraient soumis à des tirs d’enfilade provenant des deux collines. Si Currie le savait, on peut présumer que les Allemands l’avaient aussi remarqué.

Currie était parvenu à convaincre le général Horne et le maréchal Haig de modifier le plan d’assaut pour faire de la prise de la cote 70, au nord, la priorité avant d’attaquer Lens directement. Les arguments avancés par Currie pouvaient aussi s’appliquer au commandement allemand en face. En clair, les Allemands allaient investir beaucoup de ressources pour tenir la cote 70, qui permettait de dominer la région de Lens-Douai, surtout depuis la perte de la crête de Vimy quelques semaines auparavant.

Conscient de cela, Currie croyait en la capacité de ses hommes à prendre la cote 70, mais il était à peu près certain que les Allemands allaient lancer de puissantes contre-attaques pour la reprendre. L’idée était alors simple: faire en sorte de choisir le terrain où l’ennemi sera forcé d’y faire avancer ses troupes au moment de la contre-attaque et transformer la zone en véritable superficie de la mort, ce que les Anglais appellent un « Killing Ground ».

L’assaut contre la cote 70 serait mené conjointement par les 1ère et 2e Divisions appuyées de l’artillerie et du feu des mitrailleuses nécessaires. Sitôt que l’objectif serait pris, les mitrailleurs canadiens avaient ordre d’avancer le plus rapidement possible au pas de charge afin d’occuper la hauteur de la cote 70. De plus, des officiers observateurs accompagneraient l’infanterie afin d’identifier les zones précises que devait balayer l’artillerie au moment de la contre-attaque allemande. À l’instar de la bataille de Vimy, les soldats canadiens reçurent un entraînement intensif et eurent l’occasion de faire une répétition générale de l’assaut avant le Jour J.

La bataille

La bataille de la cote 70 débuta le 15 août 1917 vers 4h30. Elle fut, comme à Vimy, précédée d’un barrage roulant composé cette fois d’un mélange d’obus explosifs et d’obus asphyxiants. La prise de l’objectif se fit en quelques heures et les Canadiens étaient maîtres de la position vers 6h.

Inévitablement, les Allemands réagirent. À peine deux heures plus tard, la première d’une série de 21 contre-attaques démarra, et ce, jusqu’au 18 août. Les Canadiens parvinrent à chaque reprise à briser ces assauts, conformément à ce que Currie avait anticipé. Le gros des contre-attaques allemandes fut décimé sous le tir combiné de l’artillerie et des mitrailleuses canadiennes. Les rares forces ennemies qui parvinrent à pénétrer dans la première ligne canadienne avaient été promptement repoussées par l’infanterie. En fin de journée le 18 août, les Allemands avaient fini par concéder le terrain aux Canadiens.

Le bilan

Le soldat Stanislas Tougas du 22e bataillon (canadien-français), mort à la bataille de la cote 70.

Les combats dans et autour des banlieues minières de Lens se poursuivirent pendant encore une semaine, jusqu’au 25 août. À ce moment, on estimait les pertes ennemies à 20,000 hommes. De leur côté, les pertes canadiennes se chiffraient autour de 9,000 hommes et quatre Croix de Victoria supplémentaires s’ajoutaient au palmarès du Corps. En termes de férocité et d’horreur, les combats de la cote 70 et de Lens ne furent pas pires que les batailles antérieures menées et le résultat fut une autre grande victoire pour le Corps.

La cote 70 fut donc la première bataille dirigée par Currie à la tête du Corps canadien, ce qui laissait croire que sa nomination à ce poste avait été réfléchie. Il avait livré la marchandise dans un premier temps et il disposait de la confiance de ses troupes. Sans aucun doute, le Corps canadien figurait maintenant parmi les formations d’élite des forces britanniques sur le continent.

C’est précisément en considérant la feuille de route impressionnante du Corps canadien que le maréchal Haig établit de nouveaux projets pour les Canadiens. Leur séjour en France était pour l’instant terminé. Le Corps allait repartir pour la Belgique, dans le secteur d’Ypres, que nombre de vétérans connaissaient trop bien depuis l’époque des gaz de Saint-Julien et des cratères de Saint-Éloi.

Lorsqu’on l’informa de la prochaine mission, Currie eut un mauvais pressentiment. Les soldats canadiens allaient se retrouver dans une mer de boue abritant les restes d’un village.

Son nom: Passchendaele.

1914-1918: La guerre du Canada. Vimy

La route vers Vimy

Le Corps canadien avait quitté le sinistre champ de bataille de la Somme à l’automne de 1916. Environ 24,000 hommes avaient été perdus dans des affrontements qui apparaissaient stériles. Les gains de terrain étaient limités (à peine quelques kilomètres) et les bataillons avaient été décimés. Dans les circonstances, il importait de tirer rapidement des leçons et se préparer pour la prochaine épreuve: la conquête de la crête de Vimy.

La cote 145, le point le plus élevé de la crête de Vimy sur lequel trône l'actuel mémorial édifié par le Canada.

La bataille de la crête de Vimy figure parmi les opérations militaires de la Première Guerre mondiale qui furent les plus soigneusement préparées. En effet, il fallait être méticuleux (et fou) pour entreprendre délibérément un assaut frontal sur ce qui semblait être des positions quasiment invincibles.

La crête avait été capturée par les Allemands en octobre 1914, dans une tentative de déborder le flanc des forces franco-britanniques au début des hostilités. Cette crête atteint à son sommet une hauteur de 145 mètres par rapport au niveau de la mer, ce qui en fait l’un des points les plus élevés, sinon le plus élevé de la région du Pas-de-Calais.

Au sommet, avec des jumelles, un observateur avisé peut voir sans problème dans un rayon de 35 kilomètres. Autrement dit, les Allemands qui trônaient au sommet pouvaient aisément observer les positions de leurs ennemis.

Par ailleurs, non sans surprise, la crête de Vimy avait été si bien fortifiée que toutes les précédentes tentatives pour sa capture avaient échoué. À deux reprises, en 1915, les forces françaises avaient en vain tenté des assauts, laissant au tapis environ 150,000 hommes. L’année suivante, en mai 1916, les Britanniques et les Allemands s’étaient affrontés, laissant à ces derniers l’avantage du terrain.

En cette fin de 1916 et début de 1917, le commandement canadien analysait les leçons amères des dernières attaques frontales faites par l’infanterie vulnérable et laissée à elle-même en terrain ouvert. Cette fois, les préparatifs ont été élaborés et il n’y avait à peu près aucune place à l’improvisation. Il fallait aussi prendre le temps de former le soldat afin qu’il sache précisément ce qu’il devait faire. Le Corps a une mission, la division en a une, la brigade en a une, le bataillon, la compagnie, le peloton, la section et le soldat ont des missions.

Voilà ce qui, à notre sens, distingue dans un premier temps la bataille de Vimy de celles qui ont été menées auparavant. À la fin de l’automne de 1916, les Canadiens marchent donc vers le nord, tentant tant bien que mal de panser leurs blessures subies sur la Somme. D’octobre à décembre 1916, les troupes canadiennes vont progressivement relever les Britanniques en face des pentes ouest de la crête de Vimy.

Préparer l’assaut

La relative tranquillité du secteur de Vimy à cette époque ne cadrait pas bien avec le climat extrêmement froid de l’hiver 1916-1917, l’un des plus durs en Europe de mémoire d’hommes. Les Canadiens ont passé l’hiver le plus froid de la guerre en renforçant les défenses, en effectuant des raids sur les tranchées ennemies sur une base quotidienne et en collectant des renseignements, en préparation de l’offensive de printemps. Les raids continus de la mi-mars ont fait plus de 1,400 victimes dans les rangs canadiens. Cependant, les informations ainsi recueillies ont grandement contribué à l’identification claire des objectifs, avec pour conséquence de minimiser les pertes subséquentes.

Toujours dans cet esprit novateur, une réplique grandeur nature du champ de bataille avait été aménagée avec un flot de rubans de couleur et de drapeaux identifiant les objectifs à atteindre. Parallèlement, les unités canadiennes avaient mené des exercices répétant exactement ce qu’elles feraient tout au long de la journée de l’attaque. Des cartes militaires ont aussi été distribuées à tous les échelons afin de guider les plus petites unités. Par conséquent, les troupes étaient pleinement informées de leurs objectifs et leurs itinéraires.

Un autre élément que l’état-major canadien devait prendre en compte dans l’élaboration de ses plans était le vaste réseau de galeries souterraines qui existait depuis longtemps sous la crête de Vimy. Les ingénieurs allemands, français et britanniques avaient creusé plusieurs galeries sous le No Man’s Land. Ils les avaient remplies avec des charges explosives faisant sauter les tranchées ennemies, laissant d’énormes cratères qui vinrent bouleverser le paysage.

Dans le but de dissimuler à l’ennemi les préparatifs de l’assaut, on entreprit d’agrandir le réseau de galeries existantes pour construire un nouveau dédale qui permettrait carrément de cacher les troupes canadiennes avant l’assaut. En outre, on avait creusé une douzaine de galeries totalisant plus de cinq kilomètres de long, à travers lesquelles les troupes d’assaut pourraient se dissimuler.

Un exemple de ce qui reste de l'une des galeries aménagées sous le front canadien en préparation de la bataille de Vimy.

De plus, ces galeries protégeraient les troupes contre les bombardements et permettraient une évacuation plus aisée des blessés ramenés du champ de bataille. Certains passages souterrains étaient assez courts, tandis que l’un, la ligne Goodman, en face de la Ferme de la Folie, avait une longueur de 1,2 kilomètre. Toutes les galeries avaient l’eau courante et la plupart étaient éclairées par l’électricité fournie par des génératrices. Les galeries étaient aussi équipées de lignes téléphoniques.

On avait également creusé à l’intérieur des parois des galeries des pièces (chambres) pour y installer des troupes, des munitions, des centres de communications et des postes de secours. La plus grande de ces « cavernes », la grotte Zivy, pouvait y accueillir un bataillon complet.

Le labyrinthe de galeries, de tunnels et de cavernes a été l’un des exploits les plus remarquables du génie militaire canadien. Le vaste réseau souterrain contribua à réduire les pertes parmi les fantassins en plus d’améliorer l’ensemble de la lourde logistique associée à cette bataille.

En plus de la construction de ce réseau, les ingénieurs canadiens ont réparé plus de 40 kilomètres de route dans la zone avancée du Corps et ont ajouté quelque 5 kilomètres de nouvelles routes. Ils ont également remis en état 32 kilomètres de tramways, sur lesquels de petits trains, actionnés par des moteurs à essence ou avec des mules, ont transporté du matériel destiné aux troupes de première ligne.

Au plan opérationnel, l’assaut de l’infanterie a été précédé par un barrage d’artillerie massif, qui a commencé le 20 mars. Il impliquait 245 canons lourds et obusiers, et plus de 600 pièces d’artillerie de campagne. En soutien, l’artillerie britannique a fourni 132 canons lourds et 102 pièces de campagne. Cette puissance de feu signifiait qu’il y avait un canon lourd à tous les 20 mètres et un canon de campagne à tous les 10 mètres.

Déjà intense, le bombardement s’accrut à partir du 2 avril. Au moment où l’infanterie attaque, le 9, un million d’obus d’artillerie s’étaient abattus sur les positions allemandes. L’efficacité du tir d’artillerie avait réduit au silence environ 80% des canons allemands qui avaient été préalablement identifiés par la reconnaissance aérienne et par des méthodes de reconnaissance sonore que les Canadiens avaient mises au point. Les Allemands avaient qualifié la semaine ayant précédé l’assaut du 9 avril de « Semaine de souffrance ». Leurs tranchées étaient pulvérisées et les obus d’artillerie fusibles avaient grandement contribué à détruire les fils de fer barbelés.

Peinture de Richard Jack illustrant le bombardement ayant précédé l'assaut de la crête de Vimy.

Dans un autre ordre d’idées, il ne faut pas négliger l’impact significatif de la guerre aérienne dans le contexte de la bataille de Vimy. Bien que la reconnaissance aérienne ait donné de précieux renseignements sur les positions ennemies et les sites d’artillerie, une chaude lutte se livra aussi dans le ciel entre les appareils de chasse. Ce travail avait été important et plus que dangereux.

La bataille

À 5h30, le 9 avril 1917, le lundi de Pâques, le barrage d’artillerie roulant commença à se déplacer progressivement vers les positions allemandes. Derrière ce tir infernal avançaient les 20,000 premiers soldats d’une vague d’assaut constituée des quatre divisions canadiennes. Ces bataillons avançaient avec un fort vent du nord-ouest dans le dos. Ce vent était accompagné de neige et de grésil projetés vers l’est, en plein visage des défenseurs allemands.

Le tir de l'artillerie visait notamment à détruire les fils de fer barbelés.

Guidées par des piquets de peinture marquée, les compagnies d’infanterie de tête franchirent la dévastation du No Man’s Land, se frayant un chemin à travers les trous d’obus et les tranchées brisées. Elles étaient lourdement chargées. Chaque soldat portait au moins 32 kilos de matériel, ainsi que, selon certains, le même poids de la boue omniprésente sur les uniformes et les équipements.

Il y a eu des combats au corps-à-corps, mais la plus grande résistance, celle qui engendra les pertes les plus lourdes, provenait des mitrailleuses allemandes intermédiaires se trouvant en 2e et 3 lignes du front et qui avaient été épargnées par le tir d’artillerie. Malgré tout, trois des quatre divisions canadiennes avançant sur un front d’assaut large d’environ 7 kilomètres avaient remporté leurs objectifs à la mi-journée du 9 avril.

La plus forte résistance allemande se trouvait sur le chemin de la 4e Division au sommet de la cote 145, le point le plus élevé de la crête de Vimy. Une fois prise, la cote 145 donnerait aux Canadiens une vue imprenable sur défenses allemandes vers l’arrière dans la plaine de Douai.

Carte des opérations sur la crête de Vimy (avril 1917).

En raison de son importance, les Allemands avaient fortifié la cote 145 par une série de tranchées et de profonds abris en contre-pente. Les brigades de la 4e division avaient été entravées par le tir ennemi provenant d’un point nommé le « Bourgeon » situé à quelques centaines de mètres au nord de la cote 145. La capture du Bourgeon avait obligé la 4e Division à monter de nouvelles attaques. Ce ne fut que deux jours plus tard que les unités de la 10e Brigade canadienne s’emparèrent du Bourgeon. La non-capture de cette position risquait de menacer le flanc gauche du Corps canadien, compromettant ainsi les succès remportés au sud par les 1ère, 2e et 3e Divisions.

Le gros des combats s’acheva le 12 avril. L’ennemi avait accepté la perte de la crête de Vimy et s’était retiré plus de trois kilomètres dans la plaine de Douai. La bataille de la crête de Vimy marqua le seul succès important des offensives printanières des Alliés en 1917. Malgré qu’ils avaient remporté une grande victoire tactique, les Canadiens avaient été incapables d’exploiter leur succès rapidement, principalement parce que leur artillerie s’était embourbée et était incapable de se déplacer avec eux dans la boue, un phénomène problématique et récurrent de la guerre de 1914-1918.

Bilan de la bataille de Vimy

Les succès canadiens sur la crête de Vimy s’expliquent par la planification méticuleuse visant à minimiser les pertes. Par-dessus tout, ce furent les brillantes qualités de combat et de dévouement des officiers et des soldats canadiens sur le champ de bataille qui ont été décisives. La plupart d’entre eux étaient des soldats-citoyens qui se sont comportés comme des militaires professionnels. Quatre Croix de Victoria furent gagnées à Vimy.

À Vimy, le Corps canadien avait pris plus de terrain et de prisonniers que toutes les offensives britanniques précédentes en deux ans et demi de guerre. Vimy fut l’une des plus belles victoires des Alliés jusqu’à ce moment.

Des soldats canadiens avancent sur la crête de Vimy, l'arme à l'épaule. Cela en dit long sur la puissance destructrice du tir d'artillerie qui a pulvérisé une large partie du système défensif allemand avant l'assaut.

Bien que la victoire de Vimy fut rapide, les trois quarts des objectifs ayant été pris la première journée, cela ne se fit pas sans coût. Les pertes canadiennes s’élèvent approximativement à 10,000 hommes en trois jours de combat, dont 3,600 tués.

Ce furent surtout les bataillons des premières vagues d’assaut qui ont souffert. Malgré les pertes élevées, celles-ci demeuraient beaucoup plus faibles que ce qu’avaient encaissé les forces franco-britanniques lors d’assauts infructueux sur la crête en 1915 et 1916. L’adroite planification par le commandant du Corps, Sir Julian Byng, et son bras droit, Arthur Currie, avait permis aux troupes canadiennes d’encaisser un taux raisonnable de pertes dans ces circonstances précises.

Comme toujours, le temps pour se reposer serait plus que bref. La guerre continuait et les Canadiens se préparaient à poursuivre l’offensive à l’est de la crête de Vimy vers la ville minière de Lens.

Les Allemands étaient installés sur une élévation: la cote 70.

Il fallait la prendre.

1914-1918: La guerre du Canada. La Somme

Vers la Somme

Un fantassin allemand observant le front dans une tranchée relativement profonde (Somme, 1916).

Le transfert du Corps canadien de la Belgique en France commença le 26 août 1916 et fut complété le 3 septembre suivant, lorsque les derniers éléments arrivèrent dans la vallée de la Somme, en Picardie. La bataille de la Somme en était une d’envergure. Elle avait débuté le 1er juillet par une offensive conjointe des forces françaises et britanniques. Depuis cette date, les progrès avaient été bien minces et les pertes catastrophiques. Le Corps canadien devait prendre la relève des Britanniques à bout de souffle.

Les Canadiens ont été affectés dans le secteur de Pozières, relevant ainsi le 1er Corps d’armée australien. La 1ère Division canadienne avait relevé la 4e Division australienne, alors que les trois autres divisions canadiennes étaient restées en réserve non loin. Une bonne partie du Corps canadien se trouva initialement en réserve, le temps de s’acclimater au secteur. La première tâche de la 1ère Division en ligne consistait à dégager la crête de Pozières toujours aux mains des Allemands et l’objectif fut atteint au soir du 9 septembre.

Le prochain objectif (et le premier véritable test) du Corps sur la Somme visait à s’emparer des défenses autour du village de Courcelette, du village lui-même et du système de tranchées couvrant la superficie entre les villages de Courcelette et Martinpuich. Le village de Courcelette était situé sur la route Albert-Bapaume et incluait un autre objectif nommé la « Raffinerie de sucre » qu’il fallait prendre (voir la carte).

L’honneur de mener la charge contre ces objectifs revint à la 2e Division, qui avait été relativement épargnée au Mont Sorrel en juin dernier. Celle-ci reçut les tout premiers chars d’assaut à être mis en service, soit 7 sur les 49 disponibles.

Carte du champ de bataille de la Somme.

La bataille

Ce qu’on appelle la bataille de Flers-Courcelette débuta au matin du 15 septembre 1916, à la suite d’un intense bombardement d’artillerie qui avait mis en ruines la raffinerie de sucre. En un court, mais féroce engagement, les Allemands s’étaient repliés de leurs tranchées de première ligne aux abords de Courcelette et la raffinerie avait été enlevée par le 21e bataillon, faisant du coup 150 prisonniers.

Dans le but d’exploiter ce succès initial, la 5e Brigade (2e Division) poursuivit l’offensive à partir de 18h et pénétra dans Courcelette. Deux des bataillons de cette brigade, le 22e (canadien-français) et le 25e Nova Scotia Rifles livrèrent aux Allemands de sauvages combats au corps-à-corps. Pendant au moins un quart d’heure, au soir du 15 septembre 1916, des centaines de soldats de part et d’autre se frappaient dessus avec tout ce qui leur tombait entre les mains. Conscients de l’importance stratégique de Courcelette, les Allemands ont contre-attaqué une douzaine de fois dans les jours qui suivirent, soit du 15 au 18 septembre 1916. Complètement encerclés dans Courcelette et coupés du reste du monde pendant trois jours et trois nuits, les soldats du Québec et de la Nouvelle-Écosse s’étaient accrochés.

À la gauche de la 2e Division se trouvait la 3e qui rencontra elle aussi une sérieuse résistance face à la fameuse tranchée Fabeck, qui partait du coin nord-ouest de Courcelette jusqu’à la ferme du Mouquet. Le 16 septembre, la tranchée Fabeck était aux mains des Canadiens, établissant ainsi la liaison avec la 2e Division sur la droite dans Courcelette.

Carte du champ de bataille de la Somme montrant certains objectifs dont le village de Courcelette ainsi que les tranchées Fabeck et Régina.

Aucun repos

Âgé de 28 ans en 1916, le lieutenant-colonel Thomas-Louis Tremblay commandait le 22e bataillon (canadien-français). C'est à ce titre qu'il mena la charge sur Courcelette en septembre 1916. Photo prise avant la bataille.

La bataille de Flers-Courcelette se termina officiellement le 22 septembre. Au cours de cette semaine sanglante, le Corps canadien avait perdu environ 7,200 combattants. Comme si cela n’était pas assez, le Corps allait livrer quelques jours plus tard d’autres affrontements qui allaient virer au carnage. À titre d’exemple, nombre de bataillons qui avaient été décimés à Courcelette, comme le 22e canadien-français (qui en était ressorti avec 118 des 850 combattants initiaux), reçurent des renforts inexpérimentés et devaient repartir à l’attaque presque immédiatement, au début d’octobre. Cela fournit une idée toute relative des pressions exercées sur des combattants usés à la corde et renvoyés au front à peine après être sortis d’une bataille majeure. On peut y voir là le triste portrait des terribles conditions qui ont régné au front lors de la guerre de 1914-1918.

Cela dit, on repart à l’attaque. Cette fois, le Corps doit s’emparer d’une position fortement défendue nommée la Tranchée Régina, située quelque peu au nord-est de la crête de Thiepval (voir la carte). Tous les efforts menés par les Canadiens échouèrent, alors que les vagues d’assaut s’étaient butées à des défenses ennemies presque intactes, sous le feu croisé des mitrailleuses et de l’artillerie. Non sans surprise, les pertes sont montées à des niveaux inquiétants jusqu’à ce que, finalement, le 17 octobre, les trois divisions canadiennes qui avaient pris part à cet assaut (la 1ère, 2e et 3e) furent relevées et envoyées au nord, en face de la crête de Vimy pour se reconstituer. Vimy étant à la fin de 1916 un secteur relativement tranquille.

Un exemple de char d'assaut britannique fourni aux Canadiens sur la Somme. Les soldats du 22e bataillon avaient surnommé l'un d'eux "Crème de menthe".

Le baptême de feu de la 4e Division

Pendant ce temps, la 4e Division, qui n’avait pas encore été testée, arriva dans la Somme le 10 octobre, alors que les trois autres divisions du Corps canadien s’apprêtaient à quitter ce théâtre d’opérations. Par conséquent, la 4e Division fut temporairement placée sous les ordres du 2e Corps d’armée britannique.

L’initiation fut brutale, dans la mesure où l’on avait assigné la Tranchée Régina comme objectif à la nouvelle division. Par surcroît, en ce début d’octobre, les conditions climatiques s’étaient grandement détériorées, transformant le terrain en mer de boue, non sans compter que les traces des combats des semaines précédentes étaient clairement visibles (et olfactives).

Le lieutenant-colonel Tremblay. Photo prise après la bataille de Courcelette.

La 4e Division inexpérimentée s’est bien comportée à son baptême de feu sur la Somme, parvenant même à capturer et tenir la Tranchée Régina au moment de la relève le 28 novembre, après avoir capturé d’autres systèmes de tranchées en support à la Tranchée Régina. La 4e Division était restée en ligne pendant sept semaines consécutives et fut à son tour transférée au nord, dans le secteur de Vimy pour y rejoindre le reste du Corps.

Bilan de la Somme

La bataille de la Somme pour le Canada s’était déroulée officiellement du 9 septembre au 28 novembre 1916, où les combats autour de Courcelette et des Tranchées Fabeck et Régina furent les épisodes importants de cet engagement. Les pertes canadiennes s’élevaient à 24,000 hommes. Trois Croix de Victoria avaient été décernées à des Canadiens et la nouvelle 4e Division avait relevé avec brio son premier baptême de feu, contribuant à son tour à la réputation d’agressivité du Corps canadien sur les champs de bataille d’Europe.

Le Corps se trouvait maintenant devant une crête, tenue par les Allemands depuis 1914 et jugée imprenable: Vimy.

Le terrain que devaient franchir les soldats canadiens à Courcelette en septembre 1916.

1914-1918: La guerre du Canada. Le Mont Sorrel

Toujours en Belgique

Au printemps de 1916, le Corps canadien occupait la portion sud-est du saillant d’Ypres en Belgique. Le front s’étendait de Saint-Éloi au sud pour se terminer quelques centaines de mètres au nord de Hooge, couvrant ainsi une étendue d’environ 8 kilomètres de tranchées. Le nouveau commandant du Corps,

Le lieutenant-général Sir Julian Byng, commandant du Corps expéditionnaire canadien (mai 1916 à juin 1917).

le lieutenant-général Sir Julian Byng, n’a pas eu à attendre bien longtemps avant de livrer sa première bataille avec les Canadiens. Lorsque le choc survint, celui-ci s’abattit sur la plus récente des divisions arrivées en ligne, la 3e, commandée par le major-général Malcolm Mercer.

Au matin du 2 juin, un bombardement allemand qui durait déjà depuis 24 heures prit une intensité soudaine et jamais expérimentée auparavant par les soldats canadiens. Le front de la 3e Division canadienne au sud-est d’Ypres était enveloppé dans un immense nuage de poussière, avec des troncs d’arbres qui volaient en éclat, balançant par le fait même de vastes quantités d’équipements et de cadavres dans les airs.

Après plusieurs heures d’enfer sous ce bombardement, les Allemands se lancèrent à l’assaut. Ils dirigèrent leur effort principal sur une étendue partant du Mont Sorrel jusqu’à quelques centaines de mètres vers la cote 62, où deux bataillons de la 8e Brigade et une compagnie du PPCLI étaient en ligne.

La bataille

Le bombardement allemand avait pulvérisé le système défensif des Canadiens et pour compliquer davantage cette situation confuse, le commandant de la 3e Division (le major-général Mercer) et celui de sa 8e Brigade (le brigadier-général Williams) étaient introuvables au cours de cette phase critique du début de l’assaut. Il y eut d’ailleurs quelques délais avant que ce fait ne fût confirmé au commandant du Corps, le lieutenant-général Byng, qui ordonna au commandant de l’artillerie divisionnaire, le brigadier-général Hoare-Nairne, de prendre temporairement le commandement de la division en attendant de retrouver les généraux Mercer et Williams.

Le secteur au sud-est d'Ypres défendu par le Corps canadien s'étendait des villages de Hooge (au nord) vers Saint-Éloi (au sud). Entre ces deux positions, sur ce terrain généralement plat, se trouvaient une série de positions surélevées comme le Mont Sorrel et les collines 60, 61 et 62. Les combats dans ce secteur furent particulièrement violents d'avril à juin 1916.

En fait, l’absence du major-général Mercer s’explique parce qu’il a été tué quelque temps auparavant par un éclat d’obus. Quant au brigadier-général Williams, il fut grièvement blessé par une explosion d’obus et fait prisonnier. D’ailleurs, le major-général Mercer est le plus haut gradé canadien à avoir trouvé la mort au front. Les premières phases de l’assaut ont vu la capture par les Allemands de points stratégiques au sud-est d’Ypres, comme le Mont Sorrel, la cote 61 et 62. Une contre-attaque menée par la 1ère Division canadienne le lendemain 3 juin échoua, notamment par le manque de préparation.

Les Allemands reprirent l’offensive le 6 juin et parvinrent à prendre Hooge, notamment après qu’ils eurent fait exploser quatre mines sous les tranchées canadiennes. Ce gain était d’une importance mineure dans l’esprit de Byng, qui était davantage préoccupé à reprendre les trois collines perdues un peu plus au sud de Hooge. Ces collines étaient peu élevées, mais elles revêtaient néanmoins une importance stratégique capitale dans la région, étant donné que la vaste partie du terrain au sud-est d’Ypres est plat et qu’il fallait profiter de toutes positions le moindrement élevées.

Un aperçu des tranchées du Mont Sorrel quelques temps après la fin de la guerre.

La tâche de reprendre les collines revint à la 1ère Division du major-général Currie et, cette fois, il avait du temps et des moyens de se préparer. Sa planification minutieuse de la bataille allait devenir la marque de commerce de Currie dans toutes les futures opérations qu’il allait mener. Cela l’amena à devenir l’un des meilleurs commandants de toutes les forces britanniques du front Ouest. Le major-général Currie portait une attention particulière à la préparation du tir d’artillerie et il mettait aussi une nouvelle emphase sur la coordination entre l’infanterie et l’artillerie.

À titre d’exemple, dans le but de brouiller les cartes sur ses intentions, il avait fait bombarder entre le 9 et le 12 juin les positions allemandes par quatre tirs intenses d’une durée de 30 minutes chacun, en des points différents. Le véritable assaut de la 1ère Division débuta la nuit, à 1h30, le 12 juin, sous une pluie battante et à la suite d’un autre bombardement encore plus massif et méthodique qui avait duré dix heures. Toutes les positions allemandes entre la colline 60 et le Bois du Sanctuaire y goûtèrent.

Le major-général Arthur Currie, commandant la 1ère Division au moment de la bataille du Mont Sorrel (juin 1916).

Dans ce contexte, Currie devait composer avec un épineux problème d’effectifs. Les pertes importantes occasionnées par la contre-attaque ratée de la 1ère Division quelques jours auparavant avaient forcé Currie à réorganiser temporairement ses bataillons pour les rendre opérationnels. Malgré tout, l’assaut du 12 juin se déroula rondement pendant environ une heure seulement. On en déduit que les Allemands furent pris par surprise, car ils avaient offert peu de résistance. Les Canadiens étaient parvenus à reprendre les collines et quelque 200 prisonniers. Deux jours plus tard, le 14, les Allemands tentèrent un nouvel assaut contre les collines, mais échouèrent. Le front avait fini par se stabiliser, laissant une distance d’environ 150 mètres entre les positions canadiennes et allemandes.

Bilan de la bataille: des changements s’imposent

Les pertes canadiennes du 2 au 14 juin 1916 s’élèvent approximativement à 8,400 hommes, essentiellement au sein des 1ère et 3e Divisions. De ce nombre, un peu plus de 1,100 soldats ont été tués et 2,000 avaient été portés disparus.

Les soldats canadiens n’ont pas immédiatement quitté le saillant d’Ypres à la suite de la bataille du Mont Sorrel. Ils vont y rester jusqu’en septembre, avant que le Corps ne soit transféré en France, dans la région de la Somme en Picardie. Suite à la mort du major-général Mercer, un problème politique de taille s’est présenté au lieutenant-général Byng: qui allait devenir le commandant de la 3e Division?

Byng avait reçu un télégramme du ministre canadien de la Milice Sam Hughes lui demandant de promouvoir son fils Garnet, qui commandait alors la 1ère Brigade (1ère Divison). Cependant, à la plus grande colère du ministre Hughes, Byng décida plutôt de promouvoir le commandant de la 2e Brigade (1ère Division) Louis Lipsett comme nouveau commandant de la 3e Division, qui par surcroît était un Britannique et un soldat de carrière. Il conservera ce poste jusqu’à sa mort en octobre 1918. Byng avait refusé la candidature de Garnet Hughes, qu’il jugeait tout simplement incompétent à occuper ce poste (Byng avait probablement été informé de la piètre performance de Garnet lors de la bataille de Saint-Julien un an auparavant).

Sam Hughes envoya à Byng une lettre officielle de protestation en août 1916, mais cela ne fit pas changer l’avis du commandant du Corps. Byng n’avait personnellement rien contre Garnet Hughes, mais l’officier canadien n’avait probablement pas les critères requis par le commandant du Corps pour occuper les tâches liées au commandement divisionnaire.

L’arrivée du lieutenant-général Byng à la tête du Corps canadien à la fin du printemps de 1916 marqua assurément un changement de dynamique. Byng avait un leadership particulier et une impressionnante feuille de route sur les champs de bataille depuis 1914. Sa bonne gestion de la bataille du Mont Sorrel, sa première vécue à titre de commandant du Corps canadien, lui avait conféré une influence renouvelée et augmentée. En clair, il pouvait bloquer le puissant ministre Sam Hughes.

Outre le refus de promouvoir le fils Garnet, Byng en avait profité pour débarrasser ses troupes de l’inefficace carabine Ross, au plus grand déplaisir de Sir Sam, mais à la plus grande joie des soldats. Byng fit de même en remplaçant l’inefficace mitrailleuse Colt (imposée aussi par Sam Hughes) par les mitrailleuses britanniques Vickers et Lewis à l’été de 1916.

De nouveaux équipements pour les soldats canadiens à l'été de 1916: la carabine Lee-Enfield et le fusil-mitrailleur Lewis.

La 4e Division et la route vers la Somme

La relative période de tranquillité qui suivit la fin de la bataille du Mont Sorrel et le début de celle sur la Somme (juillet à novembre) avait vu de grands changements dans le Corps canadien, notamment au niveau de l’équipement, mais des renforts étaient aussi arrivés. Une 4e Division d’infanterie venait se greffer au Corps.

À son tour, la 4e Division fut levée dans un contexte qui lui est propre. En septembre 1915, il y avait officiellement 88 bataillons d’infanterie qui avaient été levés par le Canada. Le War Office britannique avait demandé si le Canada était prêt à fournir 12 bataillons supplémentaires pour servir en Égypte, sur ce qu’on appelait le « front mésopotamien ».

Ces nouveaux bataillons devaient s’ajouter à la 3e Division alors en constitution à la fin de 1915, quitte à utiliser des forces de celle-ci pour le service en Égypte. Cependant, les autorités canadiennes avaient d’emblée accepté la recommandation du lieutenant-général Alderson qui suggérait à la place de porter le Corps canadien à 3 divisions et de se servir des effectifs de la 4e afin de maintenir les effectifs au front des trois premières. En clair, on oubliait l’Égypte. Tout le monde irait en Europe et le War Office accepta à son tour cette recommandation.

Le grand nombre de volontaires qui s’étaient enrôlés depuis le début des hostilités faisait en sorte qu’on ne manquait pas de soldats à la fin de 1915. La conséquence directe de cette situation fut qu’on décida d’envoyer finalement la 4e Division au front. Celle-ci avait commencé à s’assembler en Angleterre à la fin de novembre 1915 et fut au départ sous les ordres du brigadier-général Lord Brooke, l’ancien commandant de la 4e Brigade canadienne au front.

Les unités de la 4e Division étaient concentrées à Bramshott où elles poursuivaient leur entraînement intensif. C’est finalement le major-général David Watson, originaire de Québec, qui assuma le commandement de la 4e Division jusqu’à la fin de la guerre. À l’instar des 2e et 3e Divisions, la 4e n’avait pas au départ sa propre artillerie. Le temps de s’équiper, les Britanniques fournirent l’artillerie.

La 4e Division rejoignit le Corps en France en août 1916, à temps pour participer à la bataille de la Somme, la prochaine des épreuves qui attendaient les Canadiens.

Le mémorial canadien de Mont Sorrel situé sur la colline 62.

1914-1918: La guerre du Canada. Saint-Éloi ou la tragédie des cratères

La 2e Division en ligne

Le major-général Richard Turner, VC, commandant de la 2e Division canadienne à la bataille de Saint-Éloi (avril 1916).

Du début de la guerre jusqu’à la fin de 1915, la 1ère Division avait subi le gros des affrontements menés à ce jour par le Canada. Au tout début de 1916, il y avait maintenant trois divisions d’infanterie canadiennes en ligne, soit les 1ère, 2e et 3e Divisions.

L’épisode analysé ici se concentre sur le baptême de feu la 2e Division, dans ce qui restait d’une petite localité belge nommée Saint-Éloi, à environ 5 kilomètres au sud d’Ypres. Arrivée en ligne en septembre 1915, la 2e Division avait été jusqu’à présent relativement épargnée par les combats. Elle comprenait essentiellement des hommes issus de la levée du second contingent promis par le Premier ministre Borden. Cette division comprenait notamment une unité francophone du Québec, le 22e bataillon (canadien-français).

Dans un effort visant à réduire un petit saillant allemand qui s’était dessiné sur le front tenu par les Britanniques, six mines géantes avaient été creusées sous les tranchées ennemies. Ces mines furent détonnées le 27 mars 1916. Le vacarme et la confusion qui suivirent ces explosions avaient permis à la 3e Division britannique d’attaquer et de corriger la ligne de front à leur avantage.

La semaine qui suivit l’explosion de la fin mars avait vu d’importants affrontements entre les soldats allemands et britanniques afin de voir lequel des belligérants pouvaient prendre le contrôle des cratères résultants de ces déflagrations. Chacun des bataillons de la 3e Division britannique avait été engagé dans ces combats autour des cratères. Le dernier de ces six cratères avait finalement été capturé le 3 avril et les troupes britanniques épuisées avaient été relevées par les Canadiens dans la nuit du 3 au 4 avril.

Aux dires de certains contemporains et historiens après coup, il aurait fallu attendre quelque peu avant d’opérer la relève des troupes britanniques par les Canadiens, car les positions nouvellement conquises n’étaient pas consolidées et pouvaient être reprises à tout moment. Cependant, les bataillons britanniques qui étaient sortis des cratères de Saint-Éloi étaient complètement démolis, démoralisés et épuisés. L’attente de leur relève était hors de question.

C'est à la bataille de Saint-Éloi que les premiers casques d'acier furent distribués aux soldats canadiens.

Équipés pour la première fois de casques d’acier (en fait, seulement 50 par compagnie), les premiers soldats canadiens arrivés dans le secteur de Saint-Éloi furent ceux de la 6e Brigade (2e Division) qui prirent la relève de ce qui restait des Britanniques de la 76e Brigade (3e Division), puis ce fut le Corps canadien au complet qui arriva en ligne, relevant ainsi le Ve Corps britannique.

Saint-Éloi: Un aperçu

Le secteur couvert par le Corps canadien s’étendait du village de Saint-Éloi au sud jusque vers celui de Hooge au nord (voir la carte). Environ la moitié du stratégique saillant d’Ypres était en avril 1916 sous la direction du Corps canadien. Cette relève avait été en quelque sorte symbolique, car il s’agit de la première fois où un Corps d’armée au complet en relevait un autre. La relève des troupes, pour tous les problèmes logistiques qu’elle engendre, était toujours une manœuvre délicate.

Carte du saillant d'Ypres. Les troupes canadiennes ont occupé en avril 1916 un secteur au sud-est d'Ypres s'étirant de Saint-Éloi au sud vers Hooge au nord.

Cela correspondait également avec le désir du gouvernement canadien de l’époque de faire en sorte que le Corps reste unifié d’un point de vue opérationnel et soit traité comme une formation à part. L’idée étant qu’on ne voulait pas que le Corps canadien puisse être malléable administrativement, au point d’adopter la structure britannique de corps d’armée où le nombre de divisions à l’intérieur de celui-ci était variable et facilement transférable selon les considérations tactiques du moment. Bref, le gouvernement canadien voulait garder le caractère unique de son Corps et les divisions qui le composaient ensemble.

Une autre observation que l’on peut faire sur le secteur de Saint-Éloi en ce début de 1916 est qu’il s’agissait probablement d’un des plus dangereux secteurs défendus par les forces de l’Empire britannique. Cette portion sud du saillant d’Ypres était carrément à éviter et l’état-major canadien savait que le séjour dans ce secteur ne serait pas une sinécure.

D’abord, la ligne de front (soit les tranchées) était difficilement distinguable à la suite des immenses explosions provoquées par les mines. Les « tranchées » n’étaient en fait que de petits fossés eux aussi difficilement identifiable. Les parapets étaient démolis et le barbelé censé protéger les entrées des tranchées quasi inexistant. Les trous d’obus et les sapes pouvant potentiellement abriter les soldats étaient remplis d’eau et il était à peu près impossible de relier entre elles les tranchées par des canaux de communication.

L'un des six cratères que les soldats canadiens ont du défendre ou reprendre à Saint-Éloi.

Souvent, il était nécessaire que les soldats apportant du ravitaillement en première ligne soient attachés ensemble pour éviter de se perdre. C’était aussi pratique au cas où l’un d’eux tomberait dans le fond d’un cratère et qu’il soit possible de le remonter, ou encore pour éviter qu’il ne se noie dans la boue.

Les Canadiens arrivés à Saint-Éloi devaient aussi vivre avec les blessés et les cadavres allemands et britanniques qui parsemaient le terrain, souvent à moitié enterrés dans la mer de boue. La vision était d’autant plus horrifiante, car le levé du soleil (les Canadiens étaient arrivés la nuit) avait dévoilé aux soldats toute l’horreur du champ de bataille, notamment les dizaines de cadavres qui remplissaient les cratères.

La bataille: Que se passe-t-il?

Les premières journées dans (et autour) des cratères de Saint-Éloi furent occupées à consolider le terrain, ce que les Britanniques n’avaient pu faire auparavant. À ce propos, les Allemands bombardaient régulièrement les positions canadiennes pour les empêcher justement d’atteindre ce but. Par exemple, vers 23 heures, le 5 avril 1916, les Allemands avaient intensifié leurs bombardements, un canonnade ininterrompue pendant quatre heures. À 3h30, le 6 avril, les Allemands s’étaient lancés à l’assaut au levé du jour et avaient reconquis vers 7h tous les cratères perdus aux mains des Britanniques à la fin mars.

Carte du front de Saint-Éloi illustrant les cratères en jeu.

À leur tour, les Canadiens amorcèrent une série de contre-attaques visant, non sans surprise, à reprendre les six cratères, mais seulement deux purent être repris dans les premiers moments, ce qui entraîna une situation dès plus confuse qui vira au cauchemar. Pour faire simple dans cette situation chaotique, les six cratères avaient été numérotés de 1 à 6, de droite à gauche (voir la carte).

Les cratères 2, 3, 4 et 5 étaient aux mains des Allemands, tandis que les cratères 1 et 6, plus petits, avaient fini par disparaître au travers d’autres trous d’obus (le cratère 6 était situé au côté d’un 7e cratère qui avait fini lui aussi par disparaître). Les Canadiens étaient donc parvenus à reprendre le contrôle des cratères 6 (et 7), mais ceux-ci croyaient qu’il s’agissait en fait des cratères 4 et 5. Par conséquent, les rapports envoyés par l’état-major canadien au haut commandement britannique stipulaient que les cratères 4 et 5 étaient en leur possession. Rien n’était plus faux.

Cette confusion dans l’identification des objectifs avait donc atteint le quartier-général de la Seconde armée britannique du général Plumer (de laquelle relevait le Corps canadien). Plumer et son état-major en déduisirent que, finalement, seulement les cratères 2 et 3 avaient été perdus. Par conséquent, il ordonna aux Canadiens de tenir leur front et de tout faire pour reprendre les cratères 2 et 3.

En clair, cela signifie que pendant les sept jours qui suivirent, l’état-major du général Plumer n’avait à peu près aucune idée où étaient positionnés les soldats canadiens sur la ligne de front, malgré que ceux-ci se soient battus pendant une semaine pour la possession de chacun des cratères. Ce ne fut que le 16 avril que le quartier-général de Plumer eu la confirmation (la vraie) à l’effet que les Allemands étaient bel et bien en possession des cratères 2, 3, 4 et 5, ce qui entraîna une annulation de futures contre-attaques dans l’immédiat. Par surcroît, on avait appris qu’au cours de cette semaine de combats confus, les Allemands avaient repris ce qui restait des cratère 6 (et 7), ne laissant aux Canadiens que le cratère 1 et la rage de s’être fait tiré dessus par leur propre artillerie.

Les combats avaient fini par s’estomper, au plus grand soulagement des hommes sur le terrain. Ceux-ci avaient souffert des terribles conditions d’une mitraille constante et d’une nature plus qu’imprévisible. Du 4 au 16 avril 1916, les pertes de la 2e Division canadienne s’élevaient à un peu plus de 1,300 combattants.

Conclusion: À qui la faute?

De nombreuses récriminations avaient suivi la bataille des cratères de Saint-Éloi. La première victime de la soi-disant mauvaise gestion des opérations avait été le commandant du Corps canadien, le lieutenant-général Edwin Alderson. Il avait été démis de ses fonctions et retourna en Angleterre pour occuper le poste d’Inspecteur général des Forces canadiennes en ce pays. À sa place, on nomma le lieutenant-général Sir Julian Byng, un autre officier britannique qui fut confirmé dans son poste de commandant du Corps canadien en mai de la même année.

Les critiques étaient aussi présentes à des échelons plus bas de la hiérarchie militaire canadienne. Certains commandants de divisions et de brigades canadiennes n’avaient pas été à la hauteur et leur professionnalisme fait aussi l’objet de récriminations. Cependant, et bien que le haut commandement britannique avait en théorie un droit de vie et de mort sur le sort des généraux canadiens, il fallait faire attention avant de les démettre, surtout d’un point de vue politique.

Politiquement parlant, dans le but d’assurer la bonne image coopérative entre le gouvernement britannique et canadien, il semblait préférable de maintenir en poste quelques commandants incompétents. De plus, Sir Douglas Haig, le commandant en chef des forces britanniques (et canadiennes) en France, était sensible à cette problématique. Il avait notamment pris en compte les circonstances dramatiques et exceptionnelles dans lesquelles les généraux canadiens eurent à diriger leurs troupes.

Par exemple, Haig avait rejeté certaines recommandations du général Plumer quant au congédiement de généraux canadiens. On savait entre autres choses que les relations entre le commandant de la 2e Division (le major-général Turner) et le commandant du Corps (le lieutenant-général Alderson) étaient mauvaises. Alderson accusait Turner d’être responsable de la confusion qui a régné sur le champ de bataille pendant une semaine, entre autres de sa soi-disant incapacité à localiser ses propres troupes. En d’autres termes, Alderson a reçu de faux rapports du front et c’est lui qui en paya le prix ultime. Au final, non sans compter sur un important jeu de coulisses, ce fut Alderson qui dut partir. En lisant entre les lignes, on peut en déduire que tant et aussi longtemps que Sam Hughes était ministre de la Milice, Turner était protégé.

Au final, le séjour des troupes canadiennes dans le saillant d’Ypres était loin de s’achever. Le secteur leur était que trop familier. Ces soldats maintenant aguerris resteraient en Belgique. La prochaine étape (ou épreuve): le Mont Sorrel.

Ce qui reste de l'un des cratères de Saint-Éloi...