La route vers Vimy
Le Corps canadien avait quitté le sinistre champ de bataille de la Somme à l’automne de 1916. Environ 24,000 hommes avaient été perdus dans des affrontements qui apparaissaient stériles. Les gains de terrain étaient limités (à peine quelques kilomètres) et les bataillons avaient été décimés. Dans les circonstances, il importait de tirer rapidement des leçons et se préparer pour la prochaine épreuve: la conquête de la crête de Vimy.

La bataille de la crête de Vimy figure parmi les opérations militaires de la Première Guerre mondiale qui furent les plus soigneusement préparées. En effet, il fallait être méticuleux (et fou) pour entreprendre délibérément un assaut frontal sur ce qui semblait être des positions quasiment invincibles.
La crête avait été capturée par les Allemands en octobre 1914, dans une tentative de déborder le flanc des forces franco-britanniques au début des hostilités. Cette crête atteint à son sommet une hauteur de 145 mètres par rapport au niveau de la mer, ce qui en fait l’un des points les plus élevés, sinon le plus élevé de la région du Pas-de-Calais.
Au sommet, avec des jumelles, un observateur avisé peut voir sans problème dans un rayon de 35 kilomètres. Autrement dit, les Allemands qui trônaient au sommet pouvaient aisément observer les positions de leurs ennemis.
Par ailleurs, non sans surprise, la crête de Vimy avait été si bien fortifiée que toutes les précédentes tentatives pour sa capture avaient échoué. À deux reprises, en 1915, les forces françaises avaient en vain tenté des assauts, laissant au tapis environ 150,000 hommes. L’année suivante, en mai 1916, les Britanniques et les Allemands s’étaient affrontés, laissant à ces derniers l’avantage du terrain.
En cette fin de 1916 et début de 1917, le commandement canadien analysait les leçons amères des dernières attaques frontales faites par l’infanterie vulnérable et laissée à elle-même en terrain ouvert. Cette fois, les préparatifs ont été élaborés et il n’y avait à peu près aucune place à l’improvisation. Il fallait aussi prendre le temps de former le soldat afin qu’il sache précisément ce qu’il devait faire. Le Corps a une mission, la division en a une, la brigade en a une, le bataillon, la compagnie, le peloton, la section et le soldat ont des missions.
Voilà ce qui, à notre sens, distingue dans un premier temps la bataille de Vimy de celles qui ont été menées auparavant. À la fin de l’automne de 1916, les Canadiens marchent donc vers le nord, tentant tant bien que mal de panser leurs blessures subies sur la Somme. D’octobre à décembre 1916, les troupes canadiennes vont progressivement relever les Britanniques en face des pentes ouest de la crête de Vimy.
Préparer l’assaut
La relative tranquillité du secteur de Vimy à cette époque ne cadrait pas bien avec le climat extrêmement froid de l’hiver 1916-1917, l’un des plus durs en Europe de mémoire d’hommes. Les Canadiens ont passé l’hiver le plus froid de la guerre en renforçant les défenses, en effectuant des raids sur les tranchées ennemies sur une base quotidienne et en collectant des renseignements, en préparation de l’offensive de printemps. Les raids continus de la mi-mars ont fait plus de 1,400 victimes dans les rangs canadiens. Cependant, les informations ainsi recueillies ont grandement contribué à l’identification claire des objectifs, avec pour conséquence de minimiser les pertes subséquentes.
Toujours dans cet esprit novateur, une réplique grandeur nature du champ de bataille avait été aménagée avec un flot de rubans de couleur et de drapeaux identifiant les objectifs à atteindre. Parallèlement, les unités canadiennes avaient mené des exercices répétant exactement ce qu’elles feraient tout au long de la journée de l’attaque. Des cartes militaires ont aussi été distribuées à tous les échelons afin de guider les plus petites unités. Par conséquent, les troupes étaient pleinement informées de leurs objectifs et leurs itinéraires.
Un autre élément que l’état-major canadien devait prendre en compte dans l’élaboration de ses plans était le vaste réseau de galeries souterraines qui existait depuis longtemps sous la crête de Vimy. Les ingénieurs allemands, français et britanniques avaient creusé plusieurs galeries sous le No Man’s Land. Ils les avaient remplies avec des charges explosives faisant sauter les tranchées ennemies, laissant d’énormes cratères qui vinrent bouleverser le paysage.
Dans le but de dissimuler à l’ennemi les préparatifs de l’assaut, on entreprit d’agrandir le réseau de galeries existantes pour construire un nouveau dédale qui permettrait carrément de cacher les troupes canadiennes avant l’assaut. En outre, on avait creusé une douzaine de galeries totalisant plus de cinq kilomètres de long, à travers lesquelles les troupes d’assaut pourraient se dissimuler.

De plus, ces galeries protégeraient les troupes contre les bombardements et permettraient une évacuation plus aisée des blessés ramenés du champ de bataille. Certains passages souterrains étaient assez courts, tandis que l’un, la ligne Goodman, en face de la Ferme de la Folie, avait une longueur de 1,2 kilomètre. Toutes les galeries avaient l’eau courante et la plupart étaient éclairées par l’électricité fournie par des génératrices. Les galeries étaient aussi équipées de lignes téléphoniques.
On avait également creusé à l’intérieur des parois des galeries des pièces (chambres) pour y installer des troupes, des munitions, des centres de communications et des postes de secours. La plus grande de ces « cavernes », la grotte Zivy, pouvait y accueillir un bataillon complet.
Le labyrinthe de galeries, de tunnels et de cavernes a été l’un des exploits les plus remarquables du génie militaire canadien. Le vaste réseau souterrain contribua à réduire les pertes parmi les fantassins en plus d’améliorer l’ensemble de la lourde logistique associée à cette bataille.
En plus de la construction de ce réseau, les ingénieurs canadiens ont réparé plus de 40 kilomètres de route dans la zone avancée du Corps et ont ajouté quelque 5 kilomètres de nouvelles routes. Ils ont également remis en état 32 kilomètres de tramways, sur lesquels de petits trains, actionnés par des moteurs à essence ou avec des mules, ont transporté du matériel destiné aux troupes de première ligne.
Au plan opérationnel, l’assaut de l’infanterie a été précédé par un barrage d’artillerie massif, qui a commencé le 20 mars. Il impliquait 245 canons lourds et obusiers, et plus de 600 pièces d’artillerie de campagne. En soutien, l’artillerie britannique a fourni 132 canons lourds et 102 pièces de campagne. Cette puissance de feu signifiait qu’il y avait un canon lourd à tous les 20 mètres et un canon de campagne à tous les 10 mètres.
Déjà intense, le bombardement s’accrut à partir du 2 avril. Au moment où l’infanterie attaque, le 9, un million d’obus d’artillerie s’étaient abattus sur les positions allemandes. L’efficacité du tir d’artillerie avait réduit au silence environ 80% des canons allemands qui avaient été préalablement identifiés par la reconnaissance aérienne et par des méthodes de reconnaissance sonore que les Canadiens avaient mises au point. Les Allemands avaient qualifié la semaine ayant précédé l’assaut du 9 avril de « Semaine de souffrance ». Leurs tranchées étaient pulvérisées et les obus d’artillerie fusibles avaient grandement contribué à détruire les fils de fer barbelés.

Dans un autre ordre d’idées, il ne faut pas négliger l’impact significatif de la guerre aérienne dans le contexte de la bataille de Vimy. Bien que la reconnaissance aérienne ait donné de précieux renseignements sur les positions ennemies et les sites d’artillerie, une chaude lutte se livra aussi dans le ciel entre les appareils de chasse. Ce travail avait été important et plus que dangereux.
La bataille
À 5h30, le 9 avril 1917, le lundi de Pâques, le barrage d’artillerie roulant commença à se déplacer progressivement vers les positions allemandes. Derrière ce tir infernal avançaient les 20,000 premiers soldats d’une vague d’assaut constituée des quatre divisions canadiennes. Ces bataillons avançaient avec un fort vent du nord-ouest dans le dos. Ce vent était accompagné de neige et de grésil projetés vers l’est, en plein visage des défenseurs allemands.

Guidées par des piquets de peinture marquée, les compagnies d’infanterie de tête franchirent la dévastation du No Man’s Land, se frayant un chemin à travers les trous d’obus et les tranchées brisées. Elles étaient lourdement chargées. Chaque soldat portait au moins 32 kilos de matériel, ainsi que, selon certains, le même poids de la boue omniprésente sur les uniformes et les équipements.
Il y a eu des combats au corps-à-corps, mais la plus grande résistance, celle qui engendra les pertes les plus lourdes, provenait des mitrailleuses allemandes intermédiaires se trouvant en 2e et 3 lignes du front et qui avaient été épargnées par le tir d’artillerie. Malgré tout, trois des quatre divisions canadiennes avançant sur un front d’assaut large d’environ 7 kilomètres avaient remporté leurs objectifs à la mi-journée du 9 avril.
La plus forte résistance allemande se trouvait sur le chemin de la 4e Division au sommet de la cote 145, le point le plus élevé de la crête de Vimy. Une fois prise, la cote 145 donnerait aux Canadiens une vue imprenable sur défenses allemandes vers l’arrière dans la plaine de Douai.

En raison de son importance, les Allemands avaient fortifié la cote 145 par une série de tranchées et de profonds abris en contre-pente. Les brigades de la 4e division avaient été entravées par le tir ennemi provenant d’un point nommé le « Bourgeon » situé à quelques centaines de mètres au nord de la cote 145. La capture du Bourgeon avait obligé la 4e Division à monter de nouvelles attaques. Ce ne fut que deux jours plus tard que les unités de la 10e Brigade canadienne s’emparèrent du Bourgeon. La non-capture de cette position risquait de menacer le flanc gauche du Corps canadien, compromettant ainsi les succès remportés au sud par les 1ère, 2e et 3e Divisions.
Le gros des combats s’acheva le 12 avril. L’ennemi avait accepté la perte de la crête de Vimy et s’était retiré plus de trois kilomètres dans la plaine de Douai. La bataille de la crête de Vimy marqua le seul succès important des offensives printanières des Alliés en 1917. Malgré qu’ils avaient remporté une grande victoire tactique, les Canadiens avaient été incapables d’exploiter leur succès rapidement, principalement parce que leur artillerie s’était embourbée et était incapable de se déplacer avec eux dans la boue, un phénomène problématique et récurrent de la guerre de 1914-1918.
Bilan de la bataille de Vimy
Les succès canadiens sur la crête de Vimy s’expliquent par la planification méticuleuse visant à minimiser les pertes. Par-dessus tout, ce furent les brillantes qualités de combat et de dévouement des officiers et des soldats canadiens sur le champ de bataille qui ont été décisives. La plupart d’entre eux étaient des soldats-citoyens qui se sont comportés comme des militaires professionnels. Quatre Croix de Victoria furent gagnées à Vimy.
À Vimy, le Corps canadien avait pris plus de terrain et de prisonniers que toutes les offensives britanniques précédentes en deux ans et demi de guerre. Vimy fut l’une des plus belles victoires des Alliés jusqu’à ce moment.

Bien que la victoire de Vimy fut rapide, les trois quarts des objectifs ayant été pris la première journée, cela ne se fit pas sans coût. Les pertes canadiennes s’élèvent approximativement à 10,000 hommes en trois jours de combat, dont 3,600 tués.
Ce furent surtout les bataillons des premières vagues d’assaut qui ont souffert. Malgré les pertes élevées, celles-ci demeuraient beaucoup plus faibles que ce qu’avaient encaissé les forces franco-britanniques lors d’assauts infructueux sur la crête en 1915 et 1916. L’adroite planification par le commandant du Corps, Sir Julian Byng, et son bras droit, Arthur Currie, avait permis aux troupes canadiennes d’encaisser un taux raisonnable de pertes dans ces circonstances précises.
Comme toujours, le temps pour se reposer serait plus que bref. La guerre continuait et les Canadiens se préparaient à poursuivre l’offensive à l’est de la crête de Vimy vers la ville minière de Lens.
Les Allemands étaient installés sur une élévation: la cote 70.
Il fallait la prendre.