Mois : août 2010

1914-1918: La guerre du Canada. L’année 1915 et la bataille d’Ypres

Ypres: le baptême de feu

L’arrivée au front des troupes canadiennes de la 1ère Division s’effectua dans la nuit du 2 au 3 mars 1915, dans le secteur d’Armentières-Fleurbaix non loin de la frontière belge. Les Canadiens partagèrent le secteur avec les forces britanniques (4e et 6e divisions du IVe Corps) qui leur montrèrent les rudiments de la vie dans les tranchées, avant de les laisser à eux-mêmes, face aux Allemands.

Le ministre de la Milice Sir Sam Hughes exhibant fièrement l'une de ses trouvailles: la pelle "MacAdam". Le soldat était censé pouvoir creuser un trou et, le cas échéant, insérer sa carabine à travers une ouverture spéciale, ce qui ferait en sorte de le "protéger" derrière la plaque métallique de la pelle.

Le premier mois passé au front fut relativement tranquille et la division canadienne fut transféré au nord en Belgique, dans le secteur du saillant d’Ypres. La division canadienne releva la 11e Division de l’armée française, qui se trouvait à l’extrême gauche de la ligne de front occupée par l’armée britannique en Belgique. La division canadienne avait dans un premier temps été assignée au Ve Corps de la Seconde armée britannique. À la droite des Canadiens se trouvait la 28e Division britannique, à la gauche la 45e Division algérienne de l’armée française.

C’était en face de ces forces en présence que les troupes allemandes lancèrent un assaut contre les positions françaises et une partie du front de la division canadienne le 22 avril 1915 à Ypres. L’assaut allemand était appuyé d’une nouvelle arme: le chlore. En effet, les Allemands avaient répandu dans l’air du chlore contenu dans quelque 5,730 cylindres installés sur le rebord de leurs tranchées, prêts à être relâchés au moindre signe de vent favorable. C’était la première fois que cette arme était utilisée sur le front Ouest.

Les forces algériennes avaient rapidement reculé, prises de panique, laissant derrière elles un grand nombre de soldats tués ou suffoquant sous les effets du chlore. La situation était critique, car en reculant, les forces algériennes avaient laissé ouvert un large trou sur la ligne de front, si bien que la gauche de la division canadienne était à flanc ouvert et pouvait être prise à revers à tout moment. Dans le but de boucher le trou, les Canadiens ont dû rapidement se redéployer sur une nouvelle ligne de tranchées construites à la hâte le long de la route de Saint-Julien et Poelkapelle (voir la carte). Par conséquent, les Canadiens avaient dû étirer dangereusement leur front, au risque de l’amincir, le rendant ainsi plus vulnérable à d’éventuelles percées ennemies.

Carte du secteur d'Ypres au matin du 22 avril 1915. La tâche verte représente la surface généralement couverte par le chlore déployé par les Allemands. On remarque que cette nappe frappe directement le front de la 45e Division algérienne, épargnant relativement la 1ère Division canadienne se trouvant à droite.

Heureusement pour les Alliés, les Allemands ne parvinrent pas à exploiter cet avantage, notamment parce qu’eux-mêmes n’étaient pas préparés à exploiter une situation dont le succès initial les avait aussi surpris. Par surcroît, les actions des forces canadiennes avaient permis de gagner du temps et même de lancer quelques contre-attaques fort coûteuses en des points précis du front.

Secteur d'Ypres, quelques heures après le début de l'assaut allemand. On remarque le repli de la 45e Division algérienne et l'ampleur du "trou" laissé dans ce secteur du front. Telle était la situation qui se présenta au commandement canadien le 22 avril 1915. Il fallait carrément redéployer une partie de la 1ère Division pour couvrir la route de Saint-Julien-Poelkapelle, tout en maintenant le front initialement assigné.

Forte de 12,000 fantassins, la division canadienne mena un combat désespéré du 22 au 25 avril 1915, moment le plus fort de la Seconde bataille d’Ypres (la Première ayant eu lieu dans le même secteur en octobre 1914, avant l’arrivée des Canadiens). Pendant ces trois jours, la division canadienne fut impliquée dans des combats continus, ce qui laissa du temps aux Britanniques de se réorganiser et d’y envoyer à leur tour des renforts afin de soulager le front canadien. Le gros de l’orage était passé au matin du 25 avril, mais les Canadiens restèrent dans le secteur pour encore deux jours.

Célèbre tableau de l'artiste Richard Jack illustrant la Seconde bataille d'Ypres d'avril-mai 1915 en Belgique. Dans l'historiographie canadienne, on fait régulièrement référence à cet épisode comme la "Bataille de Saint-Julien". Ici, des soldats canadiens tentant d'arrêter un assaut allemand.

Les Canadiens étaient sortis de leur premier engagement majeur la tête haute et avec une excellente réputation. Le haut commandement britannique avait publiquement fait l’éloge de la division canadienne, qui avait littéralement empêché une défaite initiale de se transformer en déroute. Les faits d’armes n’ont pas manqué. Par exemple, quatre Croix de Victoria furent décernées à des soldats canadiens. Parmi eux, on note le lance-caporal Fisher (13e bataillon), le premier récipiendaire de la division. Il avait été tué le 24 avril, le lendemain après l’annonce officielle de sa décoration. Sa dépouille n’a jamais été retrouvée et, par conséquent, son nom fut gravé sur la Porte de Ménin, en Belgique, avec les 7,000 autres soldats canadiens tués dans ce petit pays et qui n’ont pas de sépultures connues.

Au cours des trois semaines pendant lesquelles la division canadienne fut dans le saillant d’Ypres, elle enregistra des pertes d’environ 6,000 hommes. De ce nombre, un peu plus de 2,000 avaient été tués.

La levée d’une nouvelle division: la 2e

Trois jours après que le premier contingent eut quitté le Canada à l’automne de 1914, le gouvernement Borden avait offert d’en lever un second d’environ 20,000 hommes. De sérieux problèmes de logements et de transports du côté de l’Angleterre ont retardé le déploiement de ce deuxième contingent qui ne traversa l’Atlantique qu’en mai 1915. Du côté canadien, le manque de canons a également contribué à retarder la formation, l’entraînement et le déploiement du second contingent.

La levée d’un second contingent représentait la création de 15 nouveaux bataillons, dont trois parmi ce nombre furent envoyés directement en renfort de la 1ère division au front au début de 1915. Les 12 bataillons restants furent organisés en tant que « 2e Division », elle aussi découpée en trois brigades correspondant autant que possible aux régions géographiques de recrutement. Par exemple, la 4e brigade (la « 4e brigade » originale faisait partie du premier contingent, mais elle avait été dissoute en Angleterre afin de fournir des renforts à la 1ère Division au front) venait de l’Ontario, la 5e brigade comprenait des bataillons du Québec et des Maritimes (dont le 22e bataillon canadien-français) et l’Ouest était représenté par des bataillons formant la 6e brigade.

Le second contingent arriva en Angleterre en mai 1915 et fut officiellement constitué en 2e division à la fin du mois. La 2e Division fut une première fois déployée dans la région de Shorncliffe sous le commandement du major-général Samuel Steele, un officier de 65 ans qui avait combattu lors des raids des Fenians vers 1870. En raison de son âge avancé, il n’a pas accompagné la division en France et il fut remplacé par le brigadier-général Turner, qui commandait alors la 3e brigade de la 1ère Division.

Entre temps, la 2e division complétait son entraînement dans la région de Shorncliffe dans des conditions de loin meilleures, tant au point de vue climatique qu’environnemental, que ce qu’avait connue la 1ère division quelques mois auparavant. Comme c’était la coutume, le Roi, en compagnie de son ministre de la Guerre Lord Kitchener, avait inspecté la 2e Division le 2 septembre et le transport de celle-ci en France s’effectua du 13 au 17 septembre. La division avait débarqué à Boulogne et Le Havre. Elle fut ensuite transportée par train et à pied dans la région de Hazebrouck en Belgique. Jusqu’au début de 1916, une partie de l’artillerie de la 2e Division était britannique, en raison du manque de canons pour les Canadiens, tel qu’évoqué précédemment.

Le 48e bataillon de Highlanders dans les tranchées en 1915. On remarque à la gauche de la photo une carabine Lee-Enfield avec baionnette. Malgré que la carabine Ross équipait les troupes, celles-ci n'hésitaient pas à s'approrier l'arme britannique quand l'occasion se présentait.

La formation d’un Corps d’armée

Avec l’arrivée de la 2e Division au front, il fut décidé de regrouper l’ensemble des forces afin de former le « Corps canadien » qui fut au départ commandé par le lieutenant-général britannique Alderson. Son poste à la tête de la 1ère Division fut comblé par le brigadier-général Currie, qui fut remplacé à la tête de la 2e brigade de la 1ère Division par le lieutenant-colonel Lipsett, l’ancien commandant du 8e bataillon (1ère Division).

Le lieutenant-général Eldwin Alderson, commandant de la 1ère Division canadienne, puis du Corps canadien en 1915.

La formation du nouveau Corps canadien amenait un problème épineux, soi le manque d’officiers d’état-major compétents. Non sans surprise, une bonne partie des postes à l’état-major du Corps furent dans un premier temps comblés par des officiers britanniques.

Bien que le Corps canadien ne fut considéré comme réalité qu’à partir de septembre 1915, le débat autour de sa création datait de plusieurs mois déjà et la formation existait sur le papier dès le mois de juin. Au moment où la 2e Division arrive en France, les effectifs du Corps canadien se situaient autour de 38,000 hommes.

En plus de l’infanterie endivisionnée, le Corps comprenait la Brigade de cavalerie (Lord Strathcona’s Horse, Royal Canadian Dragoons et un régiment britannique spécial nommé, le 2nd King Edward’s Horse) et quatre unités de Canadian Mounted Rifles converties en bataillons d’infanterie. À cela le Corps se vit ajouter quelques bataillons supplémentaires d’infanterie, dont le PPCLI (alors avec la 27e Division britannique) et le RCR (anciennement aux Bermudes) qui arriva en France en novembre 1915. Ces derniers renforts allaient amener la création d’une 3e Division sous les ordres du major-général Mercer.

La 3e Division et la fin de l’année 1915

La décision de lever une troisième division avait été prise à l’été de 1915. Les 7e, 8e et 9e brigades allaient former cette nouvelle division. Ce n’est qu’au début de 1916 que la 3e Division était à effectifs complets, dans la mesure où elle était opérationnelle, malgré que son artillerie fut au départ fournie par les Britanniques, et ce, jusqu’à l’été de 1916.

Toutes proportions gardées, on peut affirmer que l’année 1915 (et en particulier la Seconde bataille d’Ypres) fut la plus terrible pour les soldats canadiens en termes de pertes et d’apprentissage de la guerre moderne. Les soldats canadiens avaient commis les mêmes erreurs que les autres belligérants (des attaques en rangs serrés, de mauvaises tranchées, une mauvaise utilisation de l’équipement disponible, etc.) et firent face aux mêmes réalités pénibles de la guerre de positions.

Représentation artistique de la bataille de Saint-Julien de 1915. Les Canadiens se défendent comme ils le peuvent face au chlore, allant jusqu'à uriner dans des mouchoirs puis de les appliquer sur la bouche afin de filtrer le poison.

De plus, la publication des listes des pertes avait alarmé le public canadien. Les soldats comme les civils prenaient subitement conscience de toute la barbarie de la guerre. Une bonne partie des défaillances du corps canadien furent mises sur la responsabilité de Sam Hughes, qui par ailleurs ne se gênait pas pour critiquer publiquement les généraux britanniques. En effet, on a longtemps blâmé les généraux britanniques qui commandaient les Canadiens, mais bon nombre d’officiers canadiens n’avaient aucune expérience militaire, encore moins pour accomplir des fonctions d’état-major.

Chose certaine, la guerre n’était pas terminée au moment où s’achevait l’année 1915. Les deux camps étaient bien enterrés dans leurs tranchées et il fallait trouver de nouvelles solutions pour rompre l’impasse qui régnait sur le front occidental.

1914-1918: La guerre du Canada. La mobilisation

Introduction

France, 9 avril 1917, 5h30. La première vague d’assaut des quatre divisions d’infanterie canadiennes avance vers les positions allemandes sur la crête de Vimy. La température était froide, accompagnée d’un fort vent du nord-ouest qui entraînait à sa suite un mélange de pluie et de neige dans le dos des soldats canadiens et en plein visage des défenseurs allemands. Les Canadiens avançaient sous le couvert d’un barrage d’artillerie constitué d’environ 1,000 canons, le tout appuyé par le feu continu et concentré de 150 mitrailleuses. Ceci représentait une concentration de feu rarement également par la suite dans les annales de la guerre moderne.

Un bataillon canadien sur une route de France. 1918.

Au 14 avril, la bataille de Vimy était terminée et la crête était aux mains des Canadiens. En soit, Vimy était l’une des positions défensives allemandes les mieux organisées sur le front Ouest et des tentatives de l’armée française visant à capturer la crête en 1915 s’étaient soldées par des pertes d’environ 150,000 hommes. La bataille de 1917 avait été menée par 52 bataillons d’infanterie, 48 bataillons canadiens et 4 britanniques (la 13e Brigade britannique relevant de la 2e Division canadienne). Les Canadiens avaient progressé d’environ 5 kilomètres, capturé 4,000 prisonniers, 54 canons, 104 mortiers de tranchées et 124 mitrailleuses, le tout pour des pertes de 10,600 hommes, dont 3,698 tués. Parmi les faits d’armes, quatre Croix de Victoria furent attribuées au cours de cet engagement.

La capture de la crête de Vimy peut être considérée comme l’une des victoires les plus spectaculaires des forces alliées depuis 1914. Pour la première (et seule) fois, les quatre divisions canadiennes ont été à la bataille côte à côte et le Corps canadien s’était bâti une réputation d’agressivité au combat hors pair. De plus, un sentiment de fierté nationale était né au Canada à la suite de cette bataille « canadienne ». Sur le terrain, trois des quatre commandants de divisions étaient canadiens et moins de deux mois plus tard, l’un d’eux, Arthur Currie, l’un des plus brillants tacticiens que le Canada ait produits, allait devenir le commandant du Corps.

La route jusqu’à Vimy fut longue pour le Canada et ses soldats. Lorsque la Grande-Bretagne déclare la guerre à l’Allemagne en août 1914, le Canada se trouve automatiquement en état de guerre. Sa position constitutionnelle de Dominion dans l’Empire britannique ne lui accorde aucun droit de regard sur des gestes de politique étrangère, comme le fait de déclarer la guerre ou de faire la paix. Cependant, le Canada avait le droit de décider de la nature de sa contribution à l’effort de guerre de l’Empire.

Sir Robert Borden. Premier ministre du Canada de 1911 à 1920.

La loyauté face à l’Empire, les liens qui unissaient avec la mère-patrie britannique et un sentiment de patriotisme très élevé étaient des éléments communs d’une large partie de la population canadienne de l’époque. Il n’y avait pas vraiment de doutes que la réponse du Canada à l’appel de la mère-patrie serait dès plus généreuse. Le Premier ministre Sir Robert Borden exprimait bien le sentiment de la nation lors de l’ouverture d’une session extraordinaire du Parlement le 18 août 1914 en affirmant que le Canada serait au coude à coude avec l’Angleterre et les autres Dominions dans la guerre qui s’amorçait. Accomplir son devoir était avant tout une question d’honneur.

Au début du conflit, l’armée régulière canadienne, que l’on appelait la Milice active permanente, se composait d’à peine 3,000 hommes. Elle consistait en deux régiments de cavalerie (le Royal Canadian Dragoons et le Lord Strathcona’s Horse), un bataillon d’infanterie (le Royal Canadian Regiment, RCR) et de quelques unités d’artillerie, de génie et d’approvisionnement. Cette petite force avait été renforcée quelques jours plus tard suivant la déclaration de guerre avec la formation d’une nouvelle unité d’infanterie, le Princess Patricia’s Canadian Light Infantry (PPCLI). Levé par le capitaine et philanthrope Hamilton Gault, et nommé d’après le nom de la fille du Gouverneur Général de l’époque, ce bataillon avait rapidement comblé ses rangs de volontaires, notamment par des vétérans de la guerre des Boers.

Le PPCLI avait été la première unité à être envoyée au front lorsque ses hommes mirent les pieds dans les tranchées avec la 80e Brigade de la 27e Division britannique, le 6 janvier 1915, soit deux mois avant que les forces canadiennes de la 1ère Division n’arrivent en ligne. Ironiquement, la seule unité régulière d’avant-guerre, le RCR, avait été envoyé aux Bermudes pour relever un bataillon britannique et ne parvint pas en France avant novembre 1915.

Derrière la petite force régulière se trouvait une Milice active non-permanente. Forte sur papier d’environ 60,000 à 70,000 hommes, elle comprenait 36 régiments de cavalerie et 106 régiments d’infanterie. Bien que des mesures avaient été mises en place pour avant la guerre afin d’améliorer les équipements et l’entraînement, les forces canadiennes de 1914 n’étaient pas prêtes au combat, mais elles fournissaient à tout le moins une base sur laquelle on pouvait construire une force plus solide.

Débuts chaotiques

Dès l’annonce de l’entrée en guerre, le gouvernement canadien offrit d’envoyer un contingent, une offre d’emblée acceptée par l’Angleterre. Le département britannique de la Guerre (le War Office) croyait qu’une division d’infanterie canadienne organisée sur le modèle britannique serait d’à-propos. L’effectif autorisé de cette division était fixé à 25,000 hommes. Ce chiffre est élevé, car une division d’infanterie à l’époque comprenait environ 18,000 hommes, mais le surplus demandé était pour combler aux pertes et assurer la relative autonomie de ladite division une fois au front, du moins pendant quelques mois.

Sir Sam Hughes. Ministre de la Milice de 1911 à 1916.

Le ministre canadien de la Milice était le colonel Sam Hughes, un homme énergique, quoiqu’arrogant et imbu de sa personne, mais grandement pourvu de zèle pour la cause de l’Empire. Hughes avait décidé d’ignorer les plans de mobilisation mis en place avant le conflit. Il décida d’y aller de son propre plan qui se voulait un « appel aux armes » personnel adressé directement à tous les commandants des unités de la milice non-permanente.

Chaque unité de milice devait selon Hughes envoyer des volontaires au nouveau camp militaire à Valcartier, au nord de Québec. Valcartier était l’endroit désigné où devait s’assembler le contingent qui allait partir en Europe. Au plan administratif et sanitaire, la situation au camp de Valcartier à l’automne de 1914 était chaotique à maints égards, au moment où plus de 30,000 volontaires venaient s’y installer. De plus, le colonel Hughes avait décidé d’ignorer les structures régimentaires existantes. À la place, il avait ordonné la formation de nouveaux bataillons qui seraient désignés par un numéro au lieu d’un nom propre, comme c’était la coutume avant la guerre.

Le camp militaire de Valcartier en septembre-octobre 1914.

Une autre décision controversée du ministre Hughes, qui entraîna un fort sentiment d’amertume au sein de la troupe, fut l’imposition de la carabine Ross comme arme d’ordonnance du contingent canadien. Fabriquée à Québec, la carabine Ross avait une bonne réputation comme arme de tir sportif dans un environnement contrôlé. Par contre, elle n’était pas du tout adaptée à l’environnement des tranchées. La carabine ne supportait pas la pluie et encore moins la boue. De plus, elle avait la fâcheuse tendance à s’enrayer après avoir tiré une cinquantaine de cartouches, notamment par la surchauffe de la culasse qui faisait « enfler » cette dernière et rendait son actionnement avec la main presque impossible. Le plus simple était de frapper à coup de pied afin de débloquer la culasse.

La carabine Ross fabriquée à Québec. Elle était l'arme principale (et officielle) des soldats canadiens d'août 1914 à août 1916.

Sans surprise, les soldats détestaient cette arme et une fois rendus au front, dès que l’occasion se présentait, ils s’en débarrassaient au profit de la carabine britannique Lee-Enfield, une arme parfaitement adaptée aux conditions du front. Lorsque la 1ère Division quitta le front après cinq jours de combat suivant l’attaque allemande aux gaz à Ypres, environ 1,400 soldats canadiens qui avaient survécu s’étaient approprié des carabines Lee-Enfield prises sur le champ de bataille. Ce ne fut pas avant la mi-juin 1915 que fut entamé le processus d’équiper la 1ère Division avec la carabine Lee-Enfield.

La carabinne britannique Lee-Enfield, arme principale des soldats canadiens de 1916 à 1918.

Vers l’Angleterre

Malgré toutes les erreurs initiales, un premier contingent canadien d’un peu plus de 30,000 hommes avait quitté du port de Québec pour l’Angleterre le 3 octobre 1914. C’était un chiffre beaucoup plus élevé que les 25,000 hommes initialement promis par le Premier ministre Borden. Le convoi de 31 navires remonta le fleuve Saint-Laurent et fut rejoint au large de Terre-Neuve par un 32e navire (qui embarquait le Newfoundland Regiment) et des navires d’escorte britanniques.

Cette première traversée de l’Atlantique se passa sans histoire. Le convoi était finalement arrivé à Plymouth le 14 octobre, alors que la destination aurait dû être Southampton, mais la menace sous-marine allemande avait fait changer les plans. L’accueil de la population fut bien chaleureux.

Les forces canadiennes nouvellement débarquées en Angleterre furent transportées dans une immense plaine à Salisbury où, durant les quatre prochains mois, elles allaient compléter leur entraînement dans le but d’être déployées au front au début de l’année suivante. Les conditions de vie à Salisbury furent pénibles pour les Canadiens, à commencer par la température exécrable où l’Angleterre connut l’un des hivers (celui de 1914-1915) les plus humides de récente mémoire. Pendant les premières semaines, les hommes étaient logés dans des tentes entourées d’une mer de boue. Éventuellement, des baraquements en bois quelque peu surélevés furent aménagés, ce qui permettait aux hommes d’être au moins au sec.

Des soldats canadiens dans la plaine de Salisbury (sud de l'Angleterre) pendant l'hiver de 1914-1915.

À la fin de janvier 1915, le contingent, maintenant connu sous l’appellation de la « Division canadienne », fut jugé prêt à être envoyé au front. Les comandants des trois brigades composant la division étaient des Canadiens: la 1ère brigade sous les ordres du brigadier-général Malcom Mercer, la 2e sous Arthur Currie et la 3e sous Richard Turner (un général de Québec qui avait remporté une Croix de Victoria en Afrique du Sud). Ces trois généraux de brigade n’étaient pas des militaires réguliers. Le commandement de la division canadienne fut confié à un officier britannique de carrière, le lieutenant-général Alderson.

La division canadienne fut passée en revue le 4 février 1915 par le Roi George V accompagné de Lord Kitchener, le ministre de la Guerre. Cinq jours plus tard, le gros de la division fut transporté d’Avonmouth vers Saint-Nazaire en France. Le 16, l’effectif complet de la division se trouvait en France.

En une période de six mois, le premier contingent canadien avait été recruté, assemblé et provisoirement organisé. La formation avait reçu un entraînement de base, elle avait traversé l’Atlantique, avait été réorganisée selon un modèle divisionnaire, élevée à un standard opérationnel et transférée en France. C’est un exploit, étant donné qu’à peine six mois auparavant, la presque totalité de ces hommes était des civils. La division canadienne était également la première division « irrégulière » à joindre les rangs des forces professionnelles britanniques se trouvant en France. Elle avait quelque peu précédé à l’arrivée d’autres divisions irrégulières britanniques.

Nous étions en mars 1915. Les Canadiens étaient maintenant dans les tranchées.

Tableau représentant le débarquement de la 1ère Division canadienne à Saint-Nazaire (France) en février 1915.