Une valeur fondamentale

Pris au sens du plus haut respect, de la gloire, du crédit, de la réputation et de l’adhérence à ce qui est juste, l’honneur est une valeur, voire une dimension qui a toujours été associée à la conduite de la guerre. Pour le chevalier médiéval, le sens de l’honneur constituait un facteur contrôlant à la bataille, l’empêchant en principe de fuir devant l’ennemi. L’idéal médiéval est personnifié par la célèbre Chanson de Roland. Roland avait accepté de livrer bataille contre un ennemi largement supérieur en nombre, même s’il savait qu’il aurait pu fuir lorsqu’il était temps. Mais Roland se considérait comme un chevalier honorable, alors il choisit l’affrontement, surmonta son envie de fuir et mourut héroïquement.
L’honneur du chevalier figure au centre du texte de la Chanson de Roland parce que, selon ses rédacteurs, celui-ci craignait par-dessus tout non pas la mort, mais l’accusation de lâcheté. Cependant, au-delà de la légende, l’expérience pratique et la nature humaine ont montré que ce n’est pas tout le monde qui s’est accordé la possibilité de mourir en sachant pertinemment que l’armée était vaincue. Les batailles perdues ne signifiaient pas nécessairement des guerres perdues, bien que cela puisse être le cas si les vaincus se laissent tuer. Dans ces circonstances, l’honneur doit être réconcilié avec ce besoin de combattre à nouveau… pour l’honneur!
En théorie, l’honneur de la chevalerie autorisait seulement deux avenues en temps de guerre: la mort ou la capture. Lors de la Troisième Croisade, le Maître des Templiers refusa de fuir la bataille quand c’était possible et fut, non sans surprise, tué. Le Maitre croyait que s’il prenait la fuite, ce serait non seulement son honneur personnel qui en prendrait un coup, mais également l’honneur de l’Ordre. Par contre, on finit par établir une distinction entre, d’une part, un individu qui fuit la bataille lorsque l’issu demeure incertain et, d’autre part, la retraite ou la fuite collective d’une armée faisant face à la défaite. À cet égard, les Templiers fournirent la règle généralement acceptée en cas de défaite: une fois que les chrétiens étaient si près de la déroute que leurs bannières avaient disparu, le Templier pouvait s’échapper là où il lui plaisait.
La pérennité et l’élargissement de la notion d’honneur
À partir du début du XIXe siècle, le concept de l’honneur était relativement interprété de la même façon. Par exemple, certains officiers de l’armée du Duc de Wellington ne cherchaient pas à se sacrifier inutilement. En fait, c’était la manière avec laquelle ils faisaient face à la mort qui les préoccupait. Celle-ci était une idée abstraite, qui influençait leur comportement et les amenait à prendre des risques. Si la mort devait survenir, il fallait l’accepter. Les officiers étaient certes préoccupés par leur image, mais c’était le reflet de cette image auprès de leurs confrères qui comptait. Cela pouvait se démontrer, par exemple, par le refus de l’officier de recevoir des traitements médicaux à la suite d’une très grave blessure, ou encore en acceptant calmement et stoïquement l’ordre d’une mission dangereuse.
Un officier qui reçoit l’ordre de mener ses hommes à l’assaut n’est pas sans savoir qu’il y a de fortes chances qu’il risque de ne pas en revenir. Dans son esprit, il se doit d’afficher un calme dans l’acceptation et l’exécution de cet ordre. Par conséquent, la mort incarne l’idéal de l’honneur à travers toute cette dimension du devoir et de l’attitude du bon officier. De plus, les officiers démontraient leurs capacités à maintenir l’ordre dans leurs rangs, aussi bien au campement que dans la conduite d’une bataille. Pris individuellement, les officiers sont des gentlemen et cela se reflétait dans leurs comportements et attitudes. Pour tout cela, la notion de l’honneur se rattache à ce que l’officier dégage par rapport à ses confrères, de même qu’à l’image qu’il projette face au reste du régiment.

Avec le temps, la définition de l’honneur s’est élargie et, par-dessus tout, elle n’est plus réservée qu’à une certaine élite. Frédéric II de Prusse croyait que seuls les gentlemen devraient devenir officiers parce qu’eux seuls étaient capables d’être guidés dans leurs gestes par la notion d’honneur. Néanmoins, le test de la réalité montra que la situation était fort différente. Par exemple, cette armée allemande, que Frédéric contribua à forger, était parvenue aux XIXe et XXe siècles à inculquer un sens de l’honneur qui transpirait dans tous les rangs.
La cohésion sur le champ de bataille était promue par le désir des hommes du rang d’être soudés entre eux, c’est-à-dire de rester ensemble, peu importe ce qui arrive. L’honneur, qui apparaît ici sous sa forme abstraite, était remplacé par un désir bien concret de ne pas laisser tomber ceux qui étaient nos camarades. Cela permet de comprendre en partie pourquoi des hommes ont défendu des bouts de terrain ou des bouts de tissus, sans trop se demander si on se rappellerait ce qu’ils ont fait.
La dimension culturelle
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les soldats japonais allaient à la bataille, armés d’une solide culture de l’honneur pour les soutenir. Pendant des siècles, la caste guerrière des samouraïs du Japon avait mis l’emphase sur la nature première de l’honneur et de la loyauté. Elle avait codifié la pratique de l’honneur en produisant le fameux bushido (la voie du guerrier), que les officiers de l’armée impériale japonaise s’assuraient de garder vivant. Le bushido était le concept d’une vie héroïque qui excluait la faiblesse et devait amener le guerrier à l’accomplissement d’un service parfait et irréprochable.
Le bushido engendra une forme d’héroïsme qui impressionna les étrangers, en particulier ceux qui eurent à combattre les Japonais. Par exemple, toujours pendant la Seconde Guerre mondiale, peu d’unités des forces alliées défendirent leurs positions jusqu’au dernier homme. Pour les Japonais, la capitulation, même lorsqu’elle est envisagée dans une situation désespérée, n’est nullement une option. La capitulation signifie tout simplement la disgrâce. Par conséquent, le fait de combattre jusqu’au dernier souffle n’avait rien de bien extraordinaire pour les Japonais.

C’était en quelque sorte la routine et rares étaient les soldats japonais non blessés à être faits prisonniers. Par exemple, à peine 216 des quelque 20,000 soldats de la garnison d’Iwo Jima furent faits prisonniers au printemps de 1945. Inversement, cela produisit un phénomène d’une cruauté révoltante. Les prisonniers qui, en vertu des standards du bushido, avaient le malheur d’être capturés par les Japonais pouvaient s’attendre à subir de mauvais traitements. Il en allait de même pour les populations civiles des pays ennemis qui étaient sujettes au viol, au massacre et à la torture.
L’honneur, qui peut produire le plus noble des comportements sur le champ de bataille et inspirer des actes extraordinaires de courage, avait également fini par se rendre coupable en provoquant quelques-unes des pires manifestations de barbarie commises par des militaires.
bonjour,j’ai été très impressioné par vos articles car je suis moi meme un passioné de l’histoire et en particulier l’Antiquité je voulais vous demander si vous aviez des articles sur la guerre de chine des Trois Royaumes.Merci
Bonjour,
Merci pour vos commentaires. Je n’ai pas d’articles sur le sujet dont vous mentionnez, mais je considère cela comme une suggestion. 🙂
Cordialement,
C. Pépin