Introduction
Comme homme politique, et en particulier comme premier ministre de la Grande-Bretagne, Winston Churchill eut à prendre nombre de décisions difficiles au cours de sa carrière. Certaines de ses décisions, controversées, entraînèrent la mort de milliers d’hommes, et l’on peut se demander carrément si le coup en valut la peine. L’épisode auquel nous faisons référence est celui de l’affaire de Mers-el-Kébir du 3 juillet 1940.
Pour faire court, Mers-el-Kébir était une base navale française située près d’Oran, sur la côte algérienne. Au moment où la France dépose les armes et signe un armistice en juin 1940, la base abrite toujours certaines des meilleures unités navales du pays. Le bombardement de cette flotte par la Royal Navy britannique le 3 juillet constitua un tournant dans les relations anglo-françaises au cours de la Seconde Guerre mondiale. Considérant que la flotte française de cette époque était la quatrième plus puissante du monde, l’idée fut pour les Britanniques de l’anéantir dans les plus brefs délais, et ce, afin d’éviter que les bâtiments ne tombent entre les mains des Allemands. Ainsi, les Britanniques ne souhaitèrent prendre aucune chance, aucun risque dans ce qu’ils considérèrent, à commencer par Churchill, comme un mal nécessaire, quitte à s’aliéner les Français et voir les Allemands exploiter l’incident à des fins de propagande.
Penser l’élimination: prélude à la bataille
D’emblée, pendant la période allant de la signature de l’armistice de juin et l’incident de juillet, les Britanniques avaient immédiatement saisi les quelques navires de guerre français se trouvant dans leurs ports tels celui d’Alexandrie en Égypte. Cet incident n’était nullement un acte isolé. Il faisait partie d’une stratégie claire et précise visant à prendre le contrôle de l’ensemble de la flotte française de par le monde et d’y consacrer les ressources nécessaires à cette fin. Deux options s’offrirent alors aux Britanniques: soit interner les bâtiments et leurs équipages ou carrément les détruire au moindre signe de résistance. Le temps pressait.
Suivant cette logique, l’objectif pour les Britanniques consista à neutraliser, isoler ou détruire les bâtiments de guerre français de Mers-el-Kébir, soit quatre cuirassés, six contre-torpilleurs, de même qu’un petit bâtiment permettant le décollage d’hydravions. Cette force navale se trouva sous le commandement du vice-amiral Marcel-Bruno Gensoul. De plus, les Britanniques souhaitèrent également s’emparer d’unités navales localisées à Alger, soit sept contre-torpilleurs, quatre sous-marins et douze autres bâtiments d’un plus faible tonnage. Cela donne une idée de la mission à accomplir, qui en fut une de taille, mais Churchill voulut y consacrer les moyens nécessaires.
Ce dernier se fit de plus en plus insistant, malgré les véhémentes protestations des amiraux Dudley Pound et Andrew Cunningham, respectivement son conseiller naval et son commandant de la flotte britannique en Méditerranée. En conséquence, ordre fut donné au vice-amiral James Sommerville de quitter la base de Gibraltar avec un cuirassé, un porte-avions, deux croiseurs et onze contre-torpilleurs pour un court voyage en direction de Mers-el-Kébir qu’ils atteignirent le 3 juillet.

Avant d’ouvrir le feu, Sommerville voulut négocier avec l’amiral Gensoul. Il dépêcha en ce sens le capitaine Cedric S. Holland, mais Gensoul refusa de lui accorder une audience sous prétexte qu’il était à ses yeux un officier subalterne. En fait, il est probable que Gensoul voulut s’entretenir directement avec Sommerville, mais il n’est pas impossible qu’il chercha à gagner du temps en attendant de recevoir des ordres plus précis (voire des renforts) du commandant en chef de la marine française, l’amiral François Darlan.
Toujours est-il qu’à Londres, Churchill ragea devant la lenteur des événements. Holland put finalement délivrer à un adjoint de Gensoul l’ultimatum de Sommerville. Comme tout bon ultimatum, celui-ci était clair: rallier la cause des Alliés, désarmer vos navires dans des ports britanniques, voguer ensuite vers la Martinique ou vers un port américain neutre pour internement ou saborder la flotte. Si ces conditions n’étaient pas acceptées, Sommerville avait carte blanche pour ouvrir le feu et détruire la flotte française.
Pendant ce temps, à Alexandrie, l’amiral Cunningham présenta le même ultimatum à l’escadron français se trouvant dans le port. Là, Cunningham obtint du commandant français un accord conclu de gré à gré, où les bâtiments seraient vidés de leurs munitions tout en conservant le droit d’exister sous leur drapeau. À l’autre bout de la Méditerranée, la flotte française était prise dans le port, plus ou moins parée au combat, malgré que l’ultimatum avait expiré. La force de Sommerville ouvrit le feu à 17h30, le 3 juillet 1940.
La bataille
Pour résumer le type d’affrontement naval qui se déroula à Mers-el-Kébir, nous pourrions seulement dire qu’il fut bref, mais d’une violence extrême. Disposés en mer en une simple ligne de bataille et par une température impeccable, les navires britanniques bénéficièrent d’un avantage immédiat face aux navires français toujours amarrés. Disposant de meilleurs canons, les obus s’abattirent de très loin sur les bâtiments français qui tentèrent tant bien que mal de se dégager de la souricière du port. Un cuirassé français fut coulé et trois autres navires furent grièvement endommagés, tuant du coup près de 1,300 marins et en blessant environ 350 autres, le tout pour des pertes quasi nulles dans le camp britannique. Après une demi-heure de combat, l’amiral Gensoul demanda un cessez-le-feu afin de secourir des marins tombés à l’eau, ce que consentirent les Britanniques.

Conclusion
Nécessité faisant loi, surtout en temps de guerre, Churchill voulut littéralement casser la flotte française et il y parvint. Ainsi, la Grande-Bretagne avait à nouveau garanti sa suprématie en mer, en particulier dans le théâtre d’opérations européen. En revanche, l’« honneur » français avec bel et bien été souillé. L’épisode ternit assurément les relations anglo-françaises, malgré que notre impression est à l’effet que nombre de Français anti-collaborationnistes aient pu voir l’incident sous un œil moins négatif qu’il en parut de prime abord.
Pour sa part, l’amiral Darlan ordonna aux bâtiments restants de sa flotte de tirer à vue sur toute embarcation militaire britannique. Naturellement, les propagandes allemande et anti-britannique de Vichy se régalèrent du fait que les Britanniques ouvrirent le feu contre des marins français, des marins en apparence désarmés et non prêts pour le combat. En conséquence, le gouvernement de Vichy rompit officiellement ses relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne, sans oublier que cette dernière souffrit pendant un certain temps de la suspicion des Forces françaises libres à son égard.