Une tension latente

La Seconde Guerre des Boers (qui est à distinguer de la Première de 1880-1881) eut lieu de 1899 à 1902. Elle opposa l’Empire britannique et les républiques indépendantes de l’État libre d’Orange et du Transvaal où vivaient les Boers, des colons d’origine néerlandaise vivant dans l’actuelle Afrique du Sud. La conclusion favorable de cette guerre au profit des Britanniques fit des Boers des sujets de la Couronne, et ce, pour les 60 années qui ont suivi et elle assura une domination de la minorité blanche pour au moins les 90 années après la paix de 1902.
Dans les années 1880 et 1890, l’autonomie, le commerce et le mode de vie traditionnel des colons vivant dans les républiques boers semblaient menacés par la prospérité des colonies britanniques voisines du Cap et du Natal. De plus, la création de la colonie britannique de la Rhodésie au nord, l’afflux de travailleurs étrangers dans les mines d’or du Transvaal, les pressions du lobby impérial de Londres (de même que du Cap et de Johannesburg) ont fait en sorte d’accréditer, dans l’esprit des impérialistes, l’idée d’unifier toute la région sous le drapeau britannique. En clair, cela remettait en cause le règlement de paix de 1881, de même que l’indépendance des républiques boers. La guerre apparaissait comme une solution à la question boer. Il ne manquait que le prétexte.
À cet effet, un grave incident impliquant le riche homme d’affaires et premier ministre du Cap Cecil Rhodes survint à la fin de 1895. Sous prétexte de porter assistance aux uitlanders, ces travailleurs étrangers qui s’affairaient dans les mines, Rhodes avait financé une expédition punitive dirigée par le docteur Leander Jameson. Le but véritable était de renverser le gouvernement boer du Transvaal, justifiant du coup une intervention britannique. Cependant, le raid de Jameson fut un cuisant échec et les autorités boers du Transvaal procédèrent à son arrestation, bien qu’il fut relâché à la suite de négociations avec Londres. Le raid de Jameson avait alerté les républiques boers qui se préparaient à la guerre, renforçant par conséquent l’argumentaire impérialiste qui favorisait une intervention militaire.

Les républiques boers n’avaient pas officiellement d’armées, mais elles comptaient sur une variété de milices montées, que l’on nommait les « commandos », répartis sur le territoire en divers districts militaires. Ces milices à cheval élisaient leurs officiers et pouvaient s’y greffer des forces de police, le tout appuyé sur une artillerie relativement moderne. La stratégie des Boers reposait essentiellement sur trois principes. Le premier consistait en une frappe rapide avant l’arrivée de renforts britanniques, le second visait à alimenter la rébellion au Cap, puis conclure une paix négociée.
Le début des hostilités: les déboires britanniques
La Seconde Guerre des Boers débuta en octobre 1899. Des milices boers totalisant 40,000 hommes investirent des garnisons frontalières britanniques à Kimberley et Mafeking, puis elles envahirent la colonie du Natal (voir la carte), parvenant aussi à encercler une force britannique à Ladysmith en novembre. La situation initiale sur le terrain était confuse, car à la guerre conventionnelle s’adjoignait une guerre civile. En effet, des centaines de colons du Cap prirent les armes du côté des Boers, de même que des milliers d’uitlanders formèrent des régiments pour combattre aux côtés des forces régulières britanniques. D’autres contingents, plus petits, provenant de l’Australie, du Canada et d’autres parties de l’Empire participèrent au conflit sur une base volontaire (bien qu’elles se trouvaient automatiquement en guerre de par le statut de Dominions semi-indépendants).

L’offensive initiale des Boers perdit de son souffle, entre autres parce que leur front était dangereusement étiré pour la force de leur contingent. Par contre, l’arrivée d’une armée britannique sous le commandement du Redvers Buller n’apporta pas une victoire rapide, contrairement à ce que plusieurs à Londres auraient souhaité. L’armée de Buller avait d’emblée un problème majeur. Elle ne disposait pas suffisamment de troupes montées pour livrer bataille au rythme de l’ennemi et les forces étaient trop divisées, ce qui pouvait la rendre vulnérable selon les circonstances.
Au cours de la fameuse « Semaine noire » du 10 au 15 décembre 1899, les trois forces divisées de l’armée britannique furent successivement battues à Stormberg (à l’est du Cap, le 10 décembre), à Magersfontein (au sud de Kimberley, le 11 décembre) puis sous le commandement personnel de Buller à Colenso (au sud de Ladysmith, le 15 décembre). Ce désastre amena la rétrogradation de Buller, qui allait désormais commander uniquement les forces au Natal. Une tentative de contre-offensive britannique au Natal sous les ordres de Buller se solda par la perte de 1,500 hommes à Spion Kop, non loin de l’État libre d’Orange, le 24 janvier 1900.
Un autre problème auquel faisaient face les Britanniques au début du conflit relève d’une question raciale. Les Britanniques ne souhaitaient pas faire combattre, par exemple, des forces indiennes et africaines. Les Britanniques et les Boers avaient à cet égard des vues similaires. Il était convenu que seuls les Blancs se réservaient les rôles de combat, alors que les troupes non blanches exécuteraient des travaux d’aménagement et de ravitaillement, de même que des missions de reconnaissance (ce qui peut s’avérer dangereux).
La reprise en main de la situation (1900)

Bref, de plus en plus de soldats réguliers britanniques arrivèrent en Afrique du Sud, de même que nombre de citoyens blancs provenant de tout l’Empire qui y virent une belle occasion d’affirmer une solidarité impériale tout en partageant avec la métropole le fardeau de la guerre. Plus important encore dans l’immédiat, soit au début de 1900, il y eut des changements à l’état-major britannique. Le maréchal Frederick Roberts (Lord Roberts) prit le commandement d’un contingent de 180,000 hommes, assisté dans cette tâche de Lord Kitchener comme chef d’état-major.
De leur côté, les Boers semblaient avoir bonne presse en Europe et même aux États-Unis. Les Américains préférèrent garder une neutralité, étant eux-mêmes à cette époque passablement occupés aux Philippines, alors que l’Allemagne, qui souhaitait l’établissement d’une « Ligue continentale » contre l’Angleterre, n’obtint que peu d’échos favorables à son projet. En clair, le monde observait de près la situation en Afrique du Sud et un important ballet diplomatique s’ensuivit.
La cause des Boers attirait le regard de la planète, si bien que nombre d’aventuriers et d’idéalistes voulurent se joindre à eux. Plus sérieusement, des États comme l’Allemagne vendaient des armes aux Boers sous le couvert de tierces entreprises. Par conséquent, les diplomates britanniques s’activaient pour couper le ravitaillement militaire et financier des Boers, tout en essayant de discréditer leur cause. Ils avaient entre autres demandé au Portugal d’empêcher les Boers d’utiliser les installations portuaires de leur colonie de l’est de l’Afrique (l’actuel Mozambique). De plus, le contrôle incontesté des mers par la Royal Navy assurait aux Britanniques un ravitaillement continu. Politiquement parlant, l’Angleterre était isolée et le fait qu’elle tenta de forger des alliances avec la France, la Russie et le Japon n’est pas étranger à sa délicate position diplomatique tout au long du conflit et même après.
Alors que Buller se débattait au Natal, libérant éventuellement Ladysmith à la fin février 1900, Roberts fit marcher 60,000 hommes contre les capitales boers. Kimberley fut reprise le 15 février et les Boers subirent une grave défaite à Paardeberg entre les 18 et 27 du même mois. Roberts avait accompli ces exploits dans un contexte où les distances à parcourir étaient grandes, que le fourrage manquait pour les chevaux et qu’une épidémie de typhoïde frappa dans ses rangs. Néanmoins, Roberts entra dans Bloemfontein (13 mars), Johannesburg (31 mai) et Pretoria (5 juin).
Sur Diamond Hill, à l’est de Pretoria, Roberts parvint à repousser une force du Transvaal sous les ordres de Louis Botha et le front se déplaça à l’est pour s’arrêter officiellement à Komati Poort à la fin septembre. Là, le 25, quelque 14,000 Boers déposèrent les armes. L’Empire britannique avait annexé les deux républiques boers, ce qui marquait également la fin des mandats de Buller et Roberts qui retournèrent en Angleterre. Lord Kitchener prit la relève dans ce qui apparaissait désormais être une action de police, c’est-à-dire d’éliminer les dernières poches de résistance. De son côté, le président déchu du Transvaal Paul Kruger fit le voyage en Europe pour plaider en vain la cause boer.

1901: le jeu du chat et de la souris
La fin de l’année 1900 n’amena pas nécessairement le calme en Afrique du Sud. Plusieurs Boers n’acceptèrent pas la défaite de septembre. Les Boers étaient de redoutables soldats, sinon des guerriers. Fermiers pour la plupart, ils étaient habitués à la vie dure, à la vie dans la nature et par-dessus tout, ils étaient de très bons tireurs. Leur jeunesse et leur force physique combinées à un esprit défiant en firent des combattants à ne pas sous-estimer.
Les durs combats livrés depuis la dernière année et l’enchaînement de revers avaient également épuré la chaîne de commandement des Boers. En clair, certains dirigeants jugés trop âgés ou incapables d’assumer une direction avaient été remplacés par des chefs jugés plus jeunes et aptes. Parmi eux notons Louis Botha dans l’est du Transvaal, Christiaan De Wet dans l’État libre d’Orange ainsi que Koos De la Rey à l’ouest du Transvaal. Leur objectif était de harceler l’ennemi dans une guerre de guérilla afin de l’amener à la table des négociations.
À l’instar des forces boers de la fin de 1899, l’armée britannique était grandement étirée un peu partout sur le théâtre d’opérations au début de 1901. Cet étirement précaire peut s’expliquer par le fait que les Britanniques devaient assurer l’occupation des villes conquises, garder les mines, les lignes de chemin de fer, les lignes télégraphiques, sans compter qu’il fallait escorter des convois et organiser des groupes de combat pour poursuivre l’ennemi. Les garnisons, les arsenaux et dépôts de ravitaillement étaient donc soumis à de fréquents raids des Boers. De plus, une partie non négligeable du contingent britannique était composée de troupes qui n’avaient que très peu d’expérience du combat et de la vie dans cet environnement hostile.

À titre d’exemple, peu de temps après la prise de Bloemfontein par Robert en mars 1900, des Boers dirigés par De Wet avaient attaqué des éléments isolés britanniques, faisant du coup 1,000 prisonniers. Ce type d’incidents se reproduisit sur une base régulière, au grand déplaisir des Britanniques. En clair, les Boers constituaient toujours une menace. Les forces de Louis Botha menaçaient à nouveau le Natal à la fin de 1900 et De Wet avait réussi à pénétrer au Cap au début de l’année suivante. Il est même rapporté que quelques Boers avaient atteint la mer à Lambert’s Bay, au nord de Cape Town (janvier 1901), échangeant quelques tirs avec un navire britannique au large.
En dépit de ces succès, l’analyse de la situation d’ensemble demeure inquiétante pour les Boers. Ceux-ci étaient clairement inférieurs en nombre et les combats qu’ils livraient prenaient la forme de manœuvres d’arrière-gardes en face d’un ennemi qui poursuit, plutôt que de réelles actions offensives. Pour sa part, le maréchal Roberts était d’avis qu’une solution efficace afin de réduire la volonté boer de combattre serait de brûler les fermes, détruire les récoltes, abattre les troupeaux, tout cela pour officiellement empêcher les commandos d’avoir accès à leurs dépôts et abris.

Plus encore, Lord Kitchener n’y alla pas de main morte en établissant ce qui apparaît être des camps de concentration (une série de bâtiments rudimentaires reliés entre eux par du fils de fer barbelés) pour emprisonner des femmes, des enfants et des prisonniers de guerre boers, de même que des populations noires réfugiées. La vie dans les camps était dure, notamment en raison de la malnutrition et de la maladie qui tuèrent un grand nombre de prisonniers laissés à eux-mêmes. On estime à 42,000 le nombre de personnes mortes dans ces camps de concentration.
Les Boers acculés au mur (1902)
Sur le plan tactique, l’année 1901 avait permis aux Britanniques de parfaire leurs méthodes, surtout en ce qui concerne les déficiences observées dans l’art de faire la guerre à cheval. Il ne s’agissait pas ici d’effectuer de classiques charges de cavalerie, mais d’entraîner des hommes à servir d’infanterie montée. Les Britanniques durent également maîtriser les techniques de marche de nuit pour surprendre un adversaire lui-même sournois, profitant ainsi de la levée du jour pour tomber sur un ennemi désorganisé.

De plus, les Britanniques seraient assistés et guidés sur le territoire par quelque 5,000 Boers, surtout des fermiers pauvres, qui avaient déserté la cause pour des raisons pécuniaires. Au début de 1902, les colonnes britanniques montées balayaient systématiquement tout le territoire. Des trains blindés équipés de canons, de mitrailleuses et de projecteurs pouvaient aussi balayer une certaine zone, en protégeant spécialement les lignes de communication la nuit.
À mesure qu’avançait l’année, les Boers étaient confrontés au choix difficile d’accepter la domination britannique ou de voir leur monde s’effondrer. Il fallait trouver une solution politique pour mettre un terme à une guerre qui dura depuis trop longtemps. Les négociations entre les deux camps ont amené la signature, le 31 mai 1902, d’un accord de paix à Vereeniging (Transvaal). Cet accord amena la mise en place d’une Afrique du Sud fédérée dans laquelle les Boers et les Britanniques exerceraient conjointement le pouvoir (sous-entendu que les Blancs domineraient les populations noires, malgré que ces dernières soient quatre fois plus nombreuses).
Le bilan
Près de 500,000 combattants blancs venant de tous les coins de l’Empire britannique avaient servi sur le théâtre sud-africain. Ils avaient été appuyés par une force non blanche de 100,000 personnes, tout cela pour amener les Boers à devenir sujets britanniques. Cette immense force pour l’époque avait aussi transformé le terrain. Par exemple, environ 8,000 « blockhouses », ces petites places fortes servant à protéger les voies de ravitaillement, avaient été construits et plus de 6,000 kilomètres de fils de fer barbelés parsemaient le paysage.
Le bilan humain était également lourd. Les forces de l’Empire britannique eurent quelque 8,000 soldats tués, tandis que les Boers en comptent 4,000. La maladie s’avéra plus mortelle que les combats à proprement parler, puisque 13,000 soldats britanniques blancs, 15,000 auxiliaires non blancs et 30,000 Boers sont morts, soit par la maladie ou par la malnutrition. Plus de 30,000 fermes boers ont été détruites, tout comme les espoirs des populations non blanches locales qui espéraient des terres et la citoyenneté en échange de leur appui aux Britanniques.
Du strict point de vue militaire, la Seconde Guerre des Boers entraîna d’importantes et nécessaires réformes à travers tout l’Empire britannique. Cette guerre avait aussi renforcé la solidarité impériale, une solidarité qui s’exprima clairement lorsque débuta la Première Guerre mondiale en 1914. Pour les populations locales de l’époque et l’ensemble des Sud-Africains d’aujourd’hui, la guerre de 1899 laisse encore des traces, ne serait-ce qu’en observant les tensions persistantes entre Blancs et Noirs, tensions exacerbées par l’Apartheid qui fut aboli en 1991.

Bonjour, j’ai recueilli un document de 250 pages (témoignage d’un aïeul et recueil de poèmes) pendant la guerre de Transvaal. Soldat français dans la seconde guerre des Boers à priori, je ne comprends pas l’implication des français dans cette guerre contre les boers. Pouvez vous m’éclairer ? Vous en remerciant.
Bonjour, nous avons en Forêt domaniale de Vierzon (Sologne), un chemin des Boërs. Ce chemin est situé dans une zone autrefois utilisée pour le paccage (les animaux, boeufs mouton chèvre porc, étaient menés en forêt pour les nourrir). Cette région pauvre, comme celle de La Brenne sur l’Indre, devait être également une région où le protestantisme était très présent, et souvent rejeté par le catholiscisme. Peut-être une des raisons de l’exil et de la recherche d’une terre d’accueil (malheureusement prise à ceux qui y vivaient). Cordialement.