Introduction

La guerre de 1904-1905 entre la Russie et le Japon fut un conflit majeur du début du XXe siècle. Celui-ci eut des conséquences politiques considérables (ex: la révolution en Russie après la défaite), mais plus important encore, la nature des combats préfigura à un détail près celle des affrontements de la guerre de 1914-1918 une décennie plus tard en Europe.
La guerre russo-japonaise fut un conflit aux fronts étendus, où l’on assista à des batailles d’usure qui mirent à rude épreuve les compétences des généraux dans l’exercice du commandement de leurs larges armées. De plus, ce fut une guerre de tranchées où les mitrailleuses, les mortiers, les grenades, les mines (terrestres et marines), voire les sous-marins et les radios, furent utilisés en quantités non négligeables.
C’est probablement ce contexte combinant la masse et la technologie qui attira nombre d’observateurs étrangers des États-Unis, de l’Angleterre, de la France et de l’Allemagne, pour ne nommer que quelques états qui dépêchèrent des représentants afin de suivre le déroulement des combats. Ceux-ci étaient présents dans les deux armées qui s’affrontèrent et leurs rapports des événements furent régulièrement rapportés dans la presse. À cet égard, on peut dire que la guerre russo-japonaise fut probablement le meilleur documentaire de style « photo-reportage » réalisé jusqu’à cette époque.
Les origines du conflit
En 1898, la Russie loua la péninsule du Kwantung au Japon et y installa une base navale à Port-Arthur (l’actuelle ville chinoise de Lüshunkou) dans le but d’avoir un débouché sur la Mer Jaune, puis vers l’Océan Pacifique. Plus tard, à l’automne de 1900, les Russes prirent la décision d’occuper en entier le territoire de la Mandchourie afin de sécuriser l’accès à Port-Arthur, naturellement au grand déplaisir du Japon qui y vit une profanation de l’accord de 1898.
Cela dit, les Japonais analysèrent la situation et ils décidèrent en 1902 de conclure un accord de neutralité avec l’Angleterre (qui contestait certaines des prétentions russes dans le monde), ce qui leur laissa les coudées franches pour se préparer à la guerre inévitable contre la Russie. De son côté, l’habileté de la Russie à influencer la tournure des événements dans cette région fort éloignée de son centre Moscou dépendait de l’efficacité de son chemin de fer transsibérien. Il s’agissait là d’un élément stratégique d’une importance capitale, dont on avait envisagé la construction en 1860, entamé des études en 1875 et entrepris finalement les travaux en 1891. Cinq années plus tard, la portion ouest de la ligne (qui allait d’Irkoutsk au Lac Baïkal) puis la portion est (partant de Sretensk près de la rivière Amur) étaient complétées.

Cependant, les Russes décidèrent alors de ne pas contourner la grande boucle frontalière de l’Amur, mais plutôt de couper à travers la Mandchourie à partir de Chita, quelque 480 kilomètres à l’est du Lac Baïkal, via la cité de Harbin jusqu’à Vladivostok (voir la carte). En fait, pour la dernière portion du trajet jusqu’à Vladivostok, les Russes décidèrent carrément de prendre possession de la ligne de chemin de fer chinoise alors en construction et qui appartenait à la compagnie Chinese Eastern Railway.
Bref, en raison des intérêts stratégiques représentés par la ligne transsibérienne et Port-Arthur, l’occupation russe de la Mandchourie choqua les Japonais. Peut-être plus encore que pour Port-Arthur, la ligne transsibérienne fut une cause majeure de la guerre russo-japonaise, malgré que cette ligne, aussi ironique que cela puisse paraître, installée à la hâte était loin de constituer un chef-d’œuvre d’ingénierie.
Les forces en présence
Au début de la guerre, la Russie disposait de la plus large armée professionnelle du monde (environ 1,350,000 hommes), mais la plupart de ses unités étaient stationnées en Europe. En Extrême-Orient, la Russie alignait deux corps d’armée totalisant près de 100,000 hommes, plus une réserve d’environ 25,000 soldats recrutés localement et 200 canons. Ces effectifs étaient dispersés un peu partout en Mandchourie, sur la côte pacifique et dans la région du Lac Baïkal. Enfin, la flotte de guerre russe en Extrême-Orient comprenait officiellement 63 bâtiments, dont 7 cuirassés et 11 croiseurs, la plupart d’un modèle désuet. Pour sa part, le Japon, qui était à une distance beaucoup plus rapprochée du théâtre des opérations, disposait d’une armée de 375,000 soldats à la mobilisation, avec un peu plus de 1,100 canons, 150 mitrailleuses, en plus d’une flotte de guerre de 80 bâtiments incluant six cuirassés et 20 croiseurs.

Comme nous l’avons mentionné au début de l’article, la guerre russo-japonaise en était une où la technologie était au rendez-vous. À titre d’exemple, et malgré ses faiblesses initiales, l’armée russe qui se trouvait en Europe était équipée d’une artillerie moderne avec ses canons de campagne de 76mm (modèles 1900 et 1902) décrits par les observateurs étrangers comme étant d’excellentes pièces. Cependant, la majorité de l’artillerie russe en place dans le théâtre qui nous concerne était une artillerie dite « de forteresse » localisée à Port-Arthur et dont les canons dataient d’une autre époque.
Si l’on prend en considération le rôle majeur que jouera l’artillerie dans les conflits du XXe siècle, à commencer par la guerre russo-japonaise, on ne peut pas conclure, à première vue, que la Russe fut parfaitement prête à livrer un affrontement contre le Japon. D’ailleurs, le commandement japonais le savait et les Russes en étaient aussi conscients. Sur ce point, le plan russe consistait à retarder aussi longtemps que possible l’avancée éventuelle des Japonais en Mandchourie et y concentrer l’essentiel des forces dans le secteur ferroviaire de Liao-Yang en Chine, à mi-chemin entre Port-Arthur et la rivière Yalu, l’endroit par où déboucherait logiquement l’avance terrestre japonaise. En théorie, le plan russe semblait cohérent au niveau stratégique.

On peut cependant émettre des doutes quant à la qualité du haut commandement de l’armée russe et son habileté à appliquer le plan décrit précédemment. Le commandant de l’Armée de Mandchourie était le général Aleksey Kuropatkin, un officier qui avait la réputation d’être, sous un vocable quelque peu péjoratif, un « général académicien », préférant davantage naviguer dans la théorie et l’étude stratégiques. Cet ancien ministre de la Guerre avait été nommé à la tête de l’Armée de Mandchourie en février 1904, mais ce faisant, Kuropatkin se trouvait à être subordonné au commandant en chef en Extrême-Orient, le général Yevgeniy Alekseyev, ce qui amena inévitablement des frictions entre ces deux officiers. D’ailleurs, pour la « petite histoire », Kuroptakin prit le poste d’Alekseyev en octobre de la même année, mais au lendemain des batailles de Liao-Yang et de Mukden, il fut rétrogradé au commandement de la 1ère Armée.
Le début du conflit: la première phase (1904)
Le 6 février 1904, le Japon rompit ses relations diplomatiques avec la Russie et deux jours plus tard, les forces de l’empire du Soleil Levant lancèrent une attaque surprise avant même que ne soit déclarée officiellement la guerre (une tactique qui serait répétée en 1941). Dans la nuit du 8 au 9 février, des navires-torpilleurs japonais attaquèrent l’escadre russe de Port-Arthur et, le jour suivant, ils parvinrent à couler deux bâtiments de guerre ennemis près du port d’Inchon en Corée.
En dépit de ses lourdes pertes, l’escadre russe de Port-Arthur demeurait une menace, même si elle fut confinée en raison du blocus du port. Cela fut néanmoins bénéfique pour les Japonais, car ce blocus permit de dégager la Mer Jaune, ce qui rendit sécuritaire le transport des troupes dans la péninsule de Corée, une opération nécessaire avant la marche vers la Mandchourie.

Les troupes japonaises ayant mis le pied en Corée étaient sous le commandement du maréchal Oyama. À la fin d’avril 1904, la 1ère Armée japonaise du général Kuroki Tamemoto, forte de 45,000 hommes, progressa vers le nord à travers la Corée. Les premiers accrochages sérieux avec l’armée russe eurent lieu le long de la rivière Yalu. Les Russes battirent en retraite, dans ce qui sembla être le premier d’une série de replis ordonnés par le très prudent général Kuropatkin. Le 5 mai, les 35,000 hommes de la seconde armée japonaise du général Yasukata Oku débarquèrent dans la péninsule de Liao-dun (près de la rivière Yalu), coupant ainsi les communications entre Port-Arthur et le reste de l’armée russe en Mandchourie.

Les Russes tentèrent tant bien que mal de rétablir les communications avec Port-Arthur en ordonnant au 1er Corps sibérien d’attaquer les Japonais lors de la bataille de Wafangkou (Telissu) du 14 et 15 juin 1904. La tentative échoua, si bien que les Japonais purent assiéger la forteresse de Port-Arthur, avec les 60,000 hommes et 400 canons de la 3e Armée sous les ordres du général Nogi Maresuke. Pendant ce temps, la 2e Armée japonaise s’affairait à repousser les Russes au nord à la bataille de Tashichao (23 juin au 4 juillet) et ainsi dégager la zone pour permettre à la 3e Armée de manœuvrer librement autour de Port-Arthur. L’engagement autour de Taschichao est considéré comme une victoire tactique russe, mais Kuroptakin ordonna néanmoins le repli vers le nord, ce que souhaitaient les Japonais.
Il est probable que Kuropatkin voulut affronter l’ennemi sur des positions bien établies par ses propres troupes dans la région de Liao-Yang, qui était un endroit important du dispositif russe dans la région, tel que nous l’avons mentionné auparavant. Les Japonais s’y attendaient et là, du 24 août au 3 septembre, la grande bataille de Liao-Yang fut livrée. Une fois de plus, les Russes s’étaient enterrés sur un front très large, ce que leur permirent leurs larges effectifs, d’autant que le défenseur dispose généralement d’un avantage tactique sur l’assaillant. Comme à Taschichao, les Russes remportèrent théoriquement la victoire, mais Kuropatkin ordonna à nouveau la retraite. Le 6 septembre, les Russes reculèrent non loin jusqu’à Shah-ho, entre Liao-Yang et Mukden, où Kuropatkin avait l’intention de refaire les forces de son armée puis de lancer une contre-offensive.
Là aussi, le plan de Kuropatkin n’était pas dépourvu de logique. En effet, l’Armée de Mandchourie alignait en septembre 1904 quelque 215,000 hommes et 750 canons, face aux 170,000 soldats et 650 canons de l’armée japonaise dans la région. Croyant toujours à la possibilité de livrer une bataille décisive, Kuropatkin décida que le temps était maintenant venu de passer pour de bon à l’offensive. Celle-ci fut livrée dans le secteur de Shah-ho du 5 au 17 octobre, mais le résultat s’avéra décevant. Le front finit par se stabiliser sur une largeur de 60 kilomètres, ce qui n’était pas sans rappeler ce qui allait se passer une décennie plus tard en Europe.
La seconde phase: de Port-Arthur à Mukden (janvier – mars 1905)
Il y eut au lendemain de la bataille de Shah-ho une relative accalmie sur la ligne de front. Voulant profiter de la situation, les Russes entreprirent à la fin de 1904 et au début de 1905 un raid sous les ordres du général Mischenko afin de contourner le flanc gauche du front japonais et ainsi couper le ravitaillement ennemi par voie ferrée au nord de Liao-Yang. Ce raid fut mené par une force mobile composée de 7,500 cosaques et les Russes parvinrent effectivement à couper la ligne ferroviaire en maints endroits, dans ce qui apparaît être une manœuvre, voire une stratégie classique où l’on fit usage de la cavalerie à des fins de reconnaissance et de débordement des flancs du front adverse.
Fort audacieux, ce raid finit par renforcer la position stratégique des Russes et, par le fait même, inquiéter le haut commandement japonais. Par conséquent, le général Oyama en conclut que pour sécuriser une fois pour toutes les arrières de son front stabilisé à la hauteur de Liao-Yang, il était impératif de prendre Port-Arthur. La forteresse qui protégeait les installations portuaires était soumise au blocus naval japonais depuis février 1904 et elle avait contenu un assaut terrestre effectué en mai.

Réalisant l’ampleur de la tâche à accomplir, Oyama fit porter de 70,000 à 100,000 le nombre de ses soldats qui allaient donner l’assaut contre Port-Arthur. En réaction, des escadrons navals russes tentèrent à deux reprises de briser le blocus maritime, les 23 juin et 10 août 1904, mais ils échouèrent. Dans la forteresse, la Russie pouvait compter sur une garnison de 50,000 hommes bien enterrés dans leurs tranchées. Ceux-ci réussirent à repousser plusieurs vagues d’assaut ennemies, notamment par une utilisation judicieuse de mortiers de tranchées et de grenades à main. C’est à l’usure que les Japonais purent finalement enlever Port-Arthur, si bien que le 2 janvier 1905, le commandant russe de la place-forte, le général Anatoliy Stoessel, signa l’acte de capitulation.

Au final, et malgré la défaite subie par la Russie, la prise de Port-Arthur avait coûté extrêmement cher aux Japonais. Les Russes avaient infligé à leurs ennemis des pertes de 60,000 hommes en une année d’affrontements. Bien que l’on ait pu critiquer la qualité des installations militaires de Port-Arthur, notamment en ce qui concerne les modèles désuets de l’artillerie de cette place forte, on retient de ce siège qu’une force installée dans un dispositif défensif adéquat peut longtemps tenir en échec une armée ennemie supérieure en nombre. Ce fut le cas ici, car les Japonais durent consacrer une quantité considérable de ressources pour le siège de Port-Arthur, et ce, au détriment d’autres opérations ailleurs sur le front.
Port-Arthur tombé, le centre des opérations se déplaça à nouveau vers le nord, toujours le long de la voie ferroviaire reliant la défunte forteresse à Harbin. Du 25 au 28 janvier 1905, les Russes tentèrent une autre manœuvre de débordement du flanc gauche japonais à la hauteur de San-de-pu, mais l’engagement terrestre décisif de la guerre russo-japonaise eut lieu le mois suivant lors de la bataille de Mukden (actuelle ville chinoise de Shenyang). Cet engagement majeur dura dix-neuf jours et nuits de combats incessants. Cette bataille serait caractéristique des affrontements subséquents sur le continent européen à partir de 1914.
De part et d’autre, les commandants russes et japonais essayèrent, avec de grandes manœuvres qui n’étaient pas sans rappeler la manière napoléonienne de la pratique de la guerre, d’anéantir l’armée adverse. Tous les deux échouèrent, en dépit de la victoire japonaise, si bien qu’à la mi-mars 1905 les opérations militaires terrestres d’envergure cessèrent.
Le chemin de fer: un élément stratégique capital
Pendant ce temps, au lendemain de la bataille de Mukden, les forces russes entamèrent leur repli vers le nord dans le but de réorganiser un front à la hauteur de Sypingai, toujours sur la voie ferrée reliant Harbin à Port-Arthur. Malgré la défaite, la situation ne semblait pas désespérée pour l’armée russe, bien au contraire. Celle-ci avait en effet reçu des renforts par les voies ferroviaires du transsibérien et de la Chinese Eastern Railway qui, rappelons-le, couvraient alors une distance de 6,400 kilomètres entre le front et la frontière européenne de la Russie, puis de 8,600 kilomètres entre ce même front et les principales bases militaires, à l’intérieur de la Russie européenne.
Dans ce cas, la distance explique en grande partie les délais dans l’acheminement (en retard) des renforts, mais il faut également prendre en compte le fait que sur la majorité du parcours, la voie ferrée est simple et non double, ce qui peut occasionner de sérieux problèmes de congestion selon la demande. De plus, la portion du parcours ferroviaire autour du Lac Baïkal n’avait pas encore été achevée. D’ailleurs, l’ingéniosité et les efforts déployés par les Russes afin de pallier à ce problème avaient suscité la curiosité et l’admiration des observateurs étrangers. Leur solution était relativement simple et circonstancielle.

Les Russes avaient attendu que le Lac Baïkal soit gelé, ce qui était chose faite en janvier 1904, juste au moment de la déclaration de guerre. Lorsque la glace atteignit une épaisseur de 1,5 mètre, des rails de chemin de fer totalisant 40 kilomètres furent posés sur le lac, ce qui permit aux renforts et au ravitaillement de traverser et ainsi gagner un temps précieux. Pendant ce temps, les Russes continuèrent les travaux d’achèvement de la voie ferrée autour du Lac Baïkal. Pour ce faire, le trésor public fut encore plus sollicité qu’à l’habitude, car le coût de chaque kilomètre de pose de rails s’avéra deux fois plus élevé qu’en temps normal en Russie, surtout en raison de l’injection massive de ressources humaines pour accélérer les travaux.
Cette ligne simple de chemin de fer fut finalement complétée en septembre 1904. Les Russes purent alors transporter de vastes quantités de munitions, de barbelés et tout le matériel nécessaire à cette première guerre majeure du XXe siècle. Qui plus est, les Russes parvinrent même à transporter des sous-marins construits à Saint-Pétersbourg via cette ligne de chemin de fer, et ce, jusqu’à Vladivostok où ils purent les déployer dans l’Océan Pacifique.
Au lendemain de Mukden: réexamen de la donne stratégique (mars – mai 1905)
Comme nous l’avons mentionné, la sanglante bataille de Mukden se solda par une victoire japonaise, mais on ne peut affirmer hors de tout doute que la guerre fut bel et bien perdue pour la Russie. Non sans raison, le général Kuropatkin était d’avis qu’au lendemain de Mukden, son armée poursuivait sa montée en puissance. En fait, lorsque s’achève la guerre russo-japonaise, les Russes alignent un million d’hommes sur les champs de bataille (quoique les deux tiers sont des recrues), de nouvelles mitrailleuses, plus de canons et d’obus, de même qu’une augmentation de la disponibilité de matériel de communications (téléphone, télégraphe et radio).
Bien qu’en apparence prometteuse en Extrême-Orient, la situation de la Russie commença sérieusement à se dégrader sur le front intérieur, dans la partie européenne de l’empire. La révolution avait éclaté, en débutant avec le massacre d’une foule composée de manifestants pacifistes à Saint-Pétersbourg le 22 janvier 1905. Les protestations avaient débuté au sein des ouvriers industriels, mais la révolution s’étendit rapidement à l’armée et à la marine. D’ailleurs, le général Kuropatkin ne se gêna pas pour porter le blâme de ses échecs militaires sur le dos du peuple russe dont la grève ouvrière aurait, selon lui, nui à la mise sur pied d’un réseau ferroviaire qui aurait pu transporter et déployer d’importantes forces russes au moment décisif. En d’autres termes, Kuropaktin sentait qu’il était près de la victoire, mais le peuple russe (puis une partie de l’armée) l’aurait lâché.

Dans un autre ordre d’idées, le contrôle serré qu’exerçaient les Japonais sur les Mers Jaune et du Japon fut un problème majeur pour les Russes. Pour tenter de reprendre le contrôle de cette zone, le haut commandement russe ordonna, en octobre 1904 et en février 1905, à des escadres de la flotte en Mer Baltique de traverser l’Europe, l’Afrique puis de se rendre en Asie afin de reconstituer une force navale pour affronter la marine japonaise. Peu de temps après avoir quitté la Mer Baltique, les marins russes furent pris de panique lorsqu’ils aperçurent des chalutiers britanniques en Mer du Nord, qu’ils prirent pour des navires-torpilleurs japonais. Par conséquent, les Russes ouvrirent le feu sur ces embarcations de pêcheurs et ils en coulèrent certaines, entraînant ainsi la mort de nombreux marins britanniques et causant naturellement la colère de l’Angleterre.
Après avoir traversé la moitié de la planète, les escadres russes arrivèrent finalement en théâtre d’opérations. Elles furent prises à mal le 27 mai 1905 par la marine japonaise qui les attendait de pied ferme. La flotte japonaise attira l’ennemi dans le détroit de Tsushima, entre le Japon et l’actuelle Corée du Sud. Le vice-amiral russe Zinoviy Rozhdestvenskiy était à la tête des escadres qui s’apprêtèrent à tomber dans le piège japonais. En observant la carte, on constate que la marine de guerre japonaise était déployée grosso modo dans une large zone où elle pouvait aisément manœuvrer. Ce périmètre s’étendait de Pusan en Corée du Sud, de Shimonoseki au Japon et il s’étirait vers le nord et le nord-est sur une profondeur d’environ 300 kilomètres. En face, selon le souhait des Japonais, la flotte russe fut contrainte de traverser le mince détroit de Tsushima où le déploiement en vue de la manœuvre s’avéra beaucoup plus difficile.
La bataille navale de Tsushima (27 – 28 mai 1905)

Pour la bataille navale qui allait s’engager, Rozhdestvenskiy disposait d’une flotte composée de 8 cuirassés, 9 croiseurs (dont un seul était blindé), 3 navires de défense côtière, en plus d’un assortiment de plus petites embarcations diverses. Le vice-amiral russe fonça directement dans le piège tendu par l’amiral Togo Heihachiro. Celui-ci pouvait compter sur une force de 4 cuirassés, 24 croiseurs (dont 8 étaient blindés). Le total des canons de la marine russe se chiffrait à 228 pièces face aux 910 qu’embarquaient les bâtiments japonais. Plus précisément, en ce qui a trait à l’artillerie lourde d’un calibre variant entre 8 et 12 pouces, les forces s’équivalaient, car les Russes disposaient de 54 canons de ce type face aux 60 des Japonais.
À 7h le 27 mai 1905, les Russes repérèrent un croiseur japonais qui servit probablement d’élément d’avant-garde à la flotte de Togo. En début d’après-midi vers 13h15, la flotte russe entra en contact avec le gros de la marine japonaise qui tenta de lui barrer la route entre le détroit de Tsushima et Vladivostok. Le temps d’aligner leurs navires, les Russes furent les premiers à ouvrir le feu une demi-heure plus tard. Ils le firent à partir d’une distance de 6,400 mètres avec leurs grosses pièces.
La bataille navale qui s’ensuivit vit la marine russe soumise aux tirs croisés des Japonais. Celle-ci perdit la totalité de ses 8 cuirassés, de même qu’une large partie de ses autres bâtiments. L’un des rares navires russes à avoir survécu fut le croiseur Aurora, qui plus tard signala l’assaut du Palais d’Hiver en tirant quelques salves lors de la révolution de 1917. Ce dernier bâtiment parvint à s’échapper et trouva refuge à Manille. Par ailleurs, seuls un croiseur et deux navires-torpilleurs réussirent à se rendre à leur destination finale qui était Vladivostok. Le reste de la flotte russe fut par conséquent anéanti au cours de cette célèbre bataille navale.
La fin de la guerre russo-japonaise
La destruction de la flotte russe fut un désastre parmi d’autres que subit l’empire du tsar en ce début de XXe siècle. Alors que les manifestations sur le front intérieur prirent de l’ampleur, les Russes furent contraints à demander la paix. Les belligérants se rencontrèrent à Portsmouth aux États-Unis le 5 septembre 1905 afin de négocier la fin des hostilités.
D’abord, la Russie fut contrainte de reconnaître que la Corée était désormais sous la sphère d’influence du Japon, comme elle dut abandonner la partie sud de l’île Sakhaline et mettre fin à sa prétention sur les territoires de la péninsule de Liao-dun, de Port-Arthur et de Dalny (quelque peu au nord-est de Port-Arthur). Le Traité de Portsmouth obligea aussi les belligérants à retirer leurs troupes de la Mandchourie. Il était difficile de prévoir si ce traité de paix entre le Japon et la Russie serait durable. Malgré tout, la Russie vaincue l’honora et l’Union soviétique en fit de même après la révolution de 1917. On peut affirmer que le traité fut en vigueur au moins jusqu’en 1931, au moment du retour en force de l’armée japonaise en Mandchourie.

Enfin, mentionnons que la guerre russo-japonaise est régulièrement évoquée afin de souligner la soi-disant faiblesse de l’armée russe. Bien que cela soit difficilement contestable à la lumière du désastre naval de Tsushima, les observateurs étrangers qui assistèrent aux affrontements terrestres dans le camp russe furent impressionnés de constater la qualité des équipements des fantassins et leur bonne performance d’ensemble. Plus précisément, les observateurs notèrent la judicieuse utilisation de l’artillerie, notamment en ce qui concerne le tir indirect (et non à vue), une technique qui fut utilisée pour la première fois lors de ce conflit. Le décompte des pertes indique également que l’armée russe perdit environ 45,000 soldats morts au combat, de maladies ou de leurs blessures, alors que l’armée japonaise comptabilisa la perte de 80,000 combattants selon les mêmes paramètres. Ce rapport du simple au double fournit un autre élément nous permettant d’analyser les performances globales des armées russe et japonaise.
En fin de compte, peut-être que le général Kuropatkin avait raison, dans la mesure où la Russie aurait pu l’emporter, n’eut été de la désastreuse situation sur son front intérieur.

Merci d’avance pour cette contribution. Je vous ferai retour de mon travail …
Auriez-vous récupéré des photos ou cartes postales qui illustrent cette épopée ? Je veux m’étendre un peu plus sur la longue escale de l’escadre à Nosy-Bé ( Madagascar).
Si vous avez des adresses de sites intéréssants à consulter, je suis preneur.
Mon adresse mail : gzapolsky@yahoo.fr
Bonjour,
Je suis en troisième année de licence d’Histoire et Patrimoine à Nîmes (Europe, France, Gard). J’ai une dissertation a faire sur la guerre russo-japonaise et je pense l’articuler autour de la problématique suivante: En quoi la guerre russo-japonaise préfigure t-elle les conflits du XXe siècle?
Elle débouche sur un plan type: les germes du conflit(causes, enjeux, effectifs), le choc des empires(les premiers affrontements, de Port-Arthur à Mukden, Tsushima) et la résolution et les conséquences du conflit( vers une inéluctable négociation, le traité de paix de Portsmouth, une guerre lourdes de conséquences). Tout au long de ce devoir je m’attache a montrer les innovations technologiques et stratégiques qui apparaissent lors de ce conflit et qui vont devenir courantes et vitales aux cours des conflits qui suivent.
Quelqu’un pourrait il me donner son avis sur ce travail?
Merci d’avance
Un étudiant dans le doute
je découvre ce blog et votre question. Je prépare un travail autour de cette fameuse épopée. Pourrais-je accéder à votre travail universitaire ? Car, effectivement, dans ce conflit préfigure les innovations technologiques et stratégiques qui seront utilisées dans les conflits suivants.
Merci!
Bonjour, cela fait maintenant trois ans que j’ai fait ce travail mais il s’avère que je l’ai conservé tellement ce sujet m’a plu. Si je peux avoir votre mail, c’est avec plaisir que je vous donnerai mon travail.
Très intéressant ! Mon grand-père, Pierre Gortchakoff n’était pas très loin de la Chine, puisque né à Irkoutsk, il habita, après, à Stretensk, pas très loin de la frontière chinoise.
Merci pour ce bon résumé qui met bien en valeur les logiques stratégiques à l’œuvre. L’angle de vue sur la stratégie russe est particulièrement intéressant.
Bonjour,
Merci pour vos commentaires. Oui effectivement vous avez raison sur ce que vous écrivez. Le but de mon article consiste à me concentrer sur les opérations militaires, mais en effet, ce conflit eut une onde de choc considérable en Europe et en Amérique à l’époque.
C. Pépin
Cela s’écarte un peu de votre excellente analyse des faits, mais je voudrais souligner que les spécialistes de l’histoire de l’Extrême-Orient insistent toujours beaucoup sur le fait que le Japon, malgré ses lourdes pertes, a été le premier pays « non blanc » à vaincre en bonne et dûe forme une armée entraînée et équipée de façon moderne.
Cela a eu un grand impact sur la confiance en eux des pays asiatiques, particulièrement du Japon. On le sent dans la littérature et dans le ton de leurs relations diplomatiques. Jusque là, les Européens, partout en Asie, agissaient sans trop de mal en colonisateurs et en race supérieure. Les pays asiatiques tremblaient devant leurs armées. Cependant, par la suite, les Européens rencontrèrent beaucoup plus de résistance, car leur invicibilité avait été remise en doute.