Catégorie : Champs de bataille

La Seconde Guerre des Boers (1899-1902)

Une tension latente

Soldats du Royal Canadian Regiment en Afrique du Sud.

La Seconde Guerre des Boers (qui est à distinguer de la Première de 1880-1881) eut lieu de 1899 à 1902. Elle opposa l’Empire britannique et les républiques indépendantes de l’État libre d’Orange et du Transvaal où vivaient les Boers, des colons d’origine néerlandaise vivant dans l’actuelle Afrique du Sud. La conclusion favorable de cette guerre au profit des Britanniques fit des Boers des sujets de la Couronne, et ce, pour les 60 années qui ont suivi et elle assura une domination de la minorité blanche pour au moins les 90 années après la paix de 1902.

Dans les années 1880 et 1890, l’autonomie, le commerce et le mode de vie traditionnel des colons vivant dans les républiques boers semblaient menacés par la prospérité des colonies britanniques voisines du Cap et du Natal. De plus, la création de la colonie britannique de la Rhodésie au nord, l’afflux de travailleurs étrangers dans les mines d’or du Transvaal, les pressions du lobby impérial de Londres (de même que du Cap et de Johannesburg) ont fait en sorte d’accréditer, dans l’esprit des impérialistes, l’idée d’unifier toute la région sous le drapeau britannique. En clair, cela remettait en cause le règlement de paix de 1881, de même que l’indépendance des républiques boers. La guerre apparaissait comme une solution à la question boer. Il ne manquait que le prétexte.

À cet effet, un grave incident impliquant le riche homme d’affaires et premier ministre du Cap Cecil Rhodes survint à la fin de 1895. Sous prétexte de porter assistance aux uitlanders, ces travailleurs étrangers qui s’affairaient dans les mines, Rhodes avait financé une expédition punitive dirigée par le docteur Leander Jameson. Le but véritable était de renverser le gouvernement boer du Transvaal, justifiant du coup une intervention britannique. Cependant, le raid de Jameson fut un cuisant échec et les autorités boers du Transvaal procédèrent à son arrestation, bien qu’il fut relâché à la suite de négociations avec Londres. Le raid de Jameson avait alerté les républiques boers qui se préparaient à la guerre, renforçant par conséquent l’argumentaire impérialiste qui favorisait une intervention militaire.

Des combattants boers. On remarque la variété d'armes à feu à leur disposition, dont des carabines britanniques Lee-Enfield et allemandes Mauser.

Les républiques boers n’avaient pas officiellement d’armées, mais elles comptaient sur une variété de milices montées, que l’on nommait les « commandos », répartis sur le territoire en divers districts militaires. Ces milices à cheval élisaient leurs officiers et pouvaient s’y greffer des forces de police, le tout appuyé sur une artillerie relativement moderne. La stratégie des Boers reposait essentiellement sur trois principes. Le premier consistait en une frappe rapide avant l’arrivée de renforts britanniques, le second visait à alimenter la rébellion au Cap, puis conclure une paix négociée.

Le début des hostilités: les déboires britanniques

La Seconde Guerre des Boers débuta en octobre 1899. Des milices boers totalisant 40,000 hommes investirent des garnisons frontalières britanniques à Kimberley et Mafeking, puis elles envahirent la colonie du Natal (voir la carte), parvenant aussi à encercler une force britannique à Ladysmith en novembre. La situation initiale sur le terrain était confuse, car à la guerre conventionnelle s’adjoignait une guerre civile. En effet, des centaines de colons du Cap prirent les armes du côté des Boers, de même que des milliers d’uitlanders formèrent des régiments pour combattre aux côtés des forces régulières britanniques. D’autres contingents, plus petits, provenant de l’Australie, du Canada et d’autres parties de l’Empire participèrent au conflit sur une base volontaire (bien qu’elles se trouvaient automatiquement en guerre de par le statut de Dominions semi-indépendants).

Carte des opérations en Afrique du Sud (1899-1902).

L’offensive initiale des Boers perdit de son souffle, entre autres parce que leur front était dangereusement étiré pour la force de leur contingent. Par contre, l’arrivée d’une armée britannique sous le commandement du Redvers Buller n’apporta pas une victoire rapide, contrairement à ce que plusieurs à Londres auraient souhaité. L’armée de Buller avait d’emblée un problème majeur. Elle ne disposait pas suffisamment de troupes montées pour livrer bataille au rythme de l’ennemi et les forces étaient trop divisées, ce qui pouvait la rendre vulnérable selon les circonstances.

Au cours de la fameuse « Semaine noire » du 10 au 15 décembre 1899, les trois forces divisées de l’armée britannique furent successivement battues à Stormberg (à l’est du Cap, le 10 décembre), à Magersfontein (au sud de Kimberley, le 11 décembre) puis sous le commandement personnel de Buller à Colenso (au sud de Ladysmith, le 15 décembre). Ce désastre amena la rétrogradation de Buller, qui allait désormais commander uniquement les forces au Natal. Une tentative de contre-offensive britannique au Natal sous les ordres de Buller se solda par la perte de 1,500 hommes à Spion Kop, non loin de l’État libre d’Orange, le 24 janvier 1900.

Un autre problème auquel faisaient face les Britanniques au début du conflit relève d’une question raciale. Les Britanniques ne souhaitaient pas faire combattre, par exemple, des forces indiennes et africaines. Les Britanniques et les Boers avaient à cet égard des vues similaires. Il était convenu que seuls les Blancs se réservaient les rôles de combat, alors que les troupes non blanches exécuteraient des travaux d’aménagement et de ravitaillement, de même que des missions de reconnaissance (ce qui peut s’avérer dangereux).

La reprise en main de la situation (1900)

Le maréchal Lord Roberts, l'un des architectes des succès britanniques en Afrique du Sud. Cette photo d'après-guerre montre le maréchal à l'âge de 82 ans.

Bref, de plus en plus de soldats réguliers britanniques arrivèrent en Afrique du Sud, de même que nombre de citoyens blancs provenant de tout l’Empire qui y virent une belle occasion d’affirmer une solidarité impériale tout en partageant avec la métropole le fardeau de la guerre. Plus important encore dans l’immédiat, soit au début de 1900, il y eut des changements à l’état-major britannique. Le maréchal Frederick Roberts (Lord Roberts) prit le commandement d’un contingent de 180,000 hommes, assisté dans cette tâche de Lord Kitchener comme chef d’état-major.

De leur côté, les Boers semblaient avoir bonne presse en Europe et même aux États-Unis. Les Américains préférèrent garder une neutralité, étant eux-mêmes à cette époque passablement occupés aux Philippines, alors que l’Allemagne, qui souhaitait l’établissement d’une « Ligue continentale » contre l’Angleterre, n’obtint que peu d’échos favorables à son projet. En clair, le monde observait de près la situation en Afrique du Sud et un important ballet diplomatique s’ensuivit.

La cause des Boers attirait le regard de la planète, si bien que nombre d’aventuriers et d’idéalistes voulurent se joindre à eux. Plus sérieusement, des États comme l’Allemagne vendaient des armes aux Boers sous le couvert de tierces entreprises. Par conséquent, les diplomates britanniques s’activaient pour couper le ravitaillement militaire et financier des Boers, tout en essayant de discréditer leur cause. Ils avaient entre autres demandé au Portugal d’empêcher les Boers d’utiliser les installations portuaires de leur colonie de l’est de l’Afrique (l’actuel Mozambique). De plus, le contrôle incontesté des mers par la Royal Navy assurait aux Britanniques un ravitaillement continu. Politiquement parlant, l’Angleterre était isolée et le fait qu’elle tenta de forger des alliances avec la France, la Russie et le Japon n’est pas étranger à sa délicate position diplomatique tout au long du conflit et même après.

Alors que Buller se débattait au Natal, libérant éventuellement Ladysmith à la fin février 1900, Roberts fit marcher 60,000 hommes contre les capitales boers. Kimberley fut reprise le 15 février et les Boers subirent une grave défaite à Paardeberg entre les 18 et 27 du même mois. Roberts avait accompli ces exploits dans un contexte où les distances à parcourir étaient grandes, que le fourrage manquait pour les chevaux et qu’une épidémie de typhoïde frappa dans ses rangs. Néanmoins, Roberts entra dans Bloemfontein (13 mars), Johannesburg (31 mai) et Pretoria (5 juin).

Sur Diamond Hill, à l’est de Pretoria, Roberts parvint à repousser une force du Transvaal sous les ordres de Louis Botha et le front se déplaça à l’est pour s’arrêter officiellement à Komati Poort à la fin septembre. Là, le 25, quelque 14,000 Boers déposèrent les armes. L’Empire britannique avait annexé les deux républiques boers, ce qui marquait également la fin des mandats de Buller et Roberts qui retournèrent en Angleterre. Lord Kitchener prit la relève dans ce qui apparaissait désormais être une action de police, c’est-à-dire d’éliminer les dernières poches de résistance. De son côté, le président déchu du Transvaal Paul Kruger fit le voyage en Europe pour plaider en vain la cause boer.

Louis Botha et Jan Smuts, deux dirigeants afrikaneers, dans leur uniforme de l'armée britannique (1917).

1901: le jeu du chat et de la souris

La fin de l’année 1900 n’amena pas nécessairement le calme en Afrique du Sud. Plusieurs Boers n’acceptèrent pas la défaite de septembre. Les Boers étaient de redoutables soldats, sinon des guerriers. Fermiers pour la plupart, ils étaient habitués à la vie dure, à la vie dans la nature et par-dessus tout, ils étaient de très bons tireurs. Leur jeunesse et leur force physique combinées à un esprit défiant en firent des combattants à ne pas sous-estimer.

Les durs combats livrés depuis la dernière année et l’enchaînement de revers avaient également épuré la chaîne de commandement des Boers. En clair, certains dirigeants jugés trop âgés ou incapables d’assumer une direction avaient été remplacés par des chefs jugés plus jeunes et aptes. Parmi eux notons Louis Botha dans l’est du Transvaal, Christiaan De Wet dans l’État libre d’Orange ainsi que Koos De la Rey à l’ouest du Transvaal. Leur objectif était de harceler l’ennemi dans une guerre de guérilla afin de l’amener à la table des négociations.

À l’instar des forces boers de la fin de 1899, l’armée britannique était grandement étirée un peu partout sur le théâtre d’opérations au début de 1901. Cet étirement précaire peut s’expliquer par le fait que les Britanniques devaient assurer l’occupation des villes conquises, garder les mines, les lignes de chemin de fer, les lignes télégraphiques, sans compter qu’il fallait escorter des convois et organiser des groupes de combat pour poursuivre l’ennemi. Les garnisons, les arsenaux et dépôts de ravitaillement étaient donc soumis à de fréquents raids des Boers. De plus, une partie non négligeable du contingent britannique était composée de troupes qui n’avaient que très peu d’expérience du combat et de la vie dans cet environnement hostile.

Un exemple de "blockhouse" que les Britanniques aménagèrent par milliers afin de protéger les voies de communications.

À titre d’exemple, peu de temps après la prise de Bloemfontein par Robert en mars 1900, des Boers dirigés par De Wet avaient attaqué des éléments isolés britanniques, faisant du coup 1,000 prisonniers. Ce type d’incidents se reproduisit sur une base régulière, au grand déplaisir des Britanniques. En clair, les Boers constituaient toujours une menace. Les forces de Louis Botha menaçaient à nouveau le Natal à la fin de 1900 et De Wet avait réussi à pénétrer au Cap au début de l’année suivante. Il est même rapporté que quelques Boers avaient atteint la mer à Lambert’s Bay, au nord de Cape Town (janvier 1901), échangeant quelques tirs avec un navire britannique au large.

En dépit de ces succès, l’analyse de la situation d’ensemble demeure inquiétante pour les Boers. Ceux-ci étaient clairement inférieurs en nombre et les combats qu’ils livraient prenaient la forme de manœuvres d’arrière-gardes en face d’un ennemi qui poursuit, plutôt que de réelles actions offensives. Pour sa part, le maréchal Roberts était d’avis qu’une solution efficace afin de réduire la volonté boer de combattre serait de brûler les fermes, détruire les récoltes, abattre les troupeaux, tout cela pour officiellement empêcher les commandos d’avoir accès à leurs dépôts et abris.

L'artillerie se révèle efficace face à un ennemi fixe et retranché. Dans le contexte d'une guerre généralement mobile comme celle des Boers, son utilisation s'avéra contraignante.

Plus encore, Lord Kitchener n’y alla pas de main morte en établissant ce qui apparaît être des camps de concentration (une série de bâtiments rudimentaires reliés entre eux par du fils de fer barbelés) pour emprisonner des femmes, des enfants et des prisonniers de guerre boers, de même que des populations noires réfugiées. La vie dans les camps était dure, notamment en raison de la malnutrition et de la maladie qui tuèrent un grand nombre de prisonniers laissés à eux-mêmes. On estime à 42,000 le nombre de personnes mortes dans ces camps de concentration.

Les Boers acculés au mur (1902)

Sur le plan tactique, l’année 1901 avait permis aux Britanniques de parfaire leurs méthodes, surtout en ce qui concerne les déficiences observées dans l’art de faire la guerre à cheval. Il ne s’agissait pas ici d’effectuer de classiques charges de cavalerie, mais d’entraîner des hommes à servir d’infanterie montée. Les Britanniques durent également maîtriser les techniques de marche de nuit pour surprendre un adversaire lui-même sournois, profitant ainsi de la levée du jour pour tomber sur un ennemi désorganisé.

L'infanterie montée, une force sur laquelle il fallait compter en Afrique du Sud. Ici des soldats canadiens.

De plus, les Britanniques seraient assistés et guidés sur le territoire par quelque 5,000 Boers, surtout des fermiers pauvres, qui avaient déserté la cause pour des raisons pécuniaires. Au début de 1902, les colonnes britanniques montées balayaient systématiquement tout le territoire. Des trains blindés équipés de canons, de mitrailleuses et de projecteurs pouvaient aussi balayer une certaine zone, en protégeant spécialement les lignes de communication la nuit.

À mesure qu’avançait l’année, les Boers étaient confrontés au choix difficile d’accepter la domination britannique ou de voir leur monde s’effondrer. Il fallait trouver une solution politique pour mettre un terme à une guerre qui dura depuis trop longtemps. Les négociations entre les deux camps ont amené la signature, le 31 mai 1902, d’un accord de paix à Vereeniging (Transvaal). Cet accord amena la mise en place d’une Afrique du Sud fédérée dans laquelle les Boers et les Britanniques exerceraient conjointement le pouvoir (sous-entendu que les Blancs domineraient les populations noires, malgré que ces dernières soient quatre fois plus nombreuses).

Le bilan

Près de 500,000 combattants blancs venant de tous les coins de l’Empire britannique avaient servi sur le théâtre sud-africain. Ils avaient été appuyés par une force non blanche de 100,000 personnes, tout cela pour amener les Boers à devenir sujets britanniques. Cette immense force pour l’époque avait aussi transformé le terrain. Par exemple, environ 8,000 « blockhouses », ces petites places fortes servant à protéger les voies de ravitaillement, avaient été construits et plus de 6,000 kilomètres de fils de fer barbelés parsemaient le paysage.

Le bilan humain était également lourd. Les forces de l’Empire britannique eurent quelque 8,000 soldats tués, tandis que les Boers en comptent 4,000. La maladie s’avéra plus mortelle que les combats à proprement parler, puisque 13,000 soldats britanniques blancs, 15,000 auxiliaires non blancs et 30,000 Boers sont morts, soit par la maladie ou par la malnutrition. Plus de 30,000 fermes boers ont été détruites, tout comme les espoirs des populations non blanches locales qui espéraient des terres et la citoyenneté en échange de leur appui aux Britanniques.

Du strict point de vue militaire, la Seconde Guerre des Boers entraîna d’importantes et nécessaires réformes à travers tout l’Empire britannique. Cette guerre avait aussi renforcé la solidarité impériale, une solidarité qui s’exprima clairement lorsque débuta la Première Guerre mondiale en 1914. Pour les populations locales de l’époque et l’ensemble des Sud-Africains d’aujourd’hui, la guerre de 1899 laisse encore des traces, ne serait-ce qu’en observant les tensions persistantes entre Blancs et Noirs, tensions exacerbées par l’Apartheid qui fut aboli en 1991.

Un camp de concentration en Afrique du Sud. L'aménagement de ces camps souleva l'indignation internationale à l'époque. Cela fit partie de la stratégique britannique de guerre d'usure. La maladie, la malnutrition et la surpopulation furent autant de facteurs qui contribuèrent au taux élevé de mortaité.

L’opération Barbarossa, Russie (1941)

Une lutte à finir

Le nom de code Barbarossa fut attribué à l’assaut surprise de l’Allemagne contre l’Union soviétique le 22 juin 1941. En termes de moyens engagés, il s’agit de la plus ambitieuse campagne militaire de la Seconde Guerre mondiale, une campagne préparée et planifiée dans le but d’achever un objectif stratégique à l’intérieur d’un seul théâtre d’opérations selon un calendrier fixe. C’était également la pièce maîtresse d’une vision géopolitique qui prédisait clairement l’avènement d’un génocide.

La guerre menée par Hitler contre l’URSS de Staline comportait deux facettes, l’une militaire et l’autre idéologique, étant donné que Barbarossa représentait à la fois un moyen de régler un problème stratégique de taille de l’Allemagne et, en même temps, de conquérir un « espace vital » (Lebensraum). Hitler était parvenu à faire de Barbarossa une guerre d’extermination contre ce qui était alors appelé le bolchevisme et la « juiverie », notamment parce que des officiers supérieurs de l’armée (Wehrmacht) avaient volontairement autorisé leurs troupes à mener une « guerre idéologique » aux côtés des différentes formations SS. L’aspect idéologique de la guerre menée à l’Est était au centre de tous types d’opérations militaires menées alors, que ce soit au niveau des combats, de la protection des lignes de communication et de l’occupation du terrain.

Pour emprunter le concept de George Mosse, on peut parler d’une « brutalisation » de la guerre à l’Est, incluant une brutalisation des soldats allemands qui avait commencé dès la campagne de Pologne en 1939. La « barbarisation » de la guerre en elle-même allait donc se poursuivre sur le territoire soviétique. La violence étant quelque chose de réciproque, Hitler avait prétexté les atrocités soviétiques et les actions des partisans pour justifier en retour des massacres d’un même ordre comme une « nécessité » de guerre.

Une opération ambitieuse

La campagne de juin 1941 en Russie avait été planifiée plusieurs mois auparavant. Le 18 décembre 1940, Hitler publia la Directive No. 21 qui traitait de l’écrasement de l’URSS via une campagne militaire rapide, avant même que ne soit conclue la guerre avec l’Angleterre. Le cœur de la phase initiale de Barbarossa consistait en la destruction de l’essentiel de l’Armée Rouge en une série d’encerclements rapides à l’ouest des rivières Dniepr et Dvina (voir la carte), ainsi que d’empêcher le repli de forces soviétiques capables de reprendre le combat dans l’immensité du territoire à l’est. Ensuite, par une rapide poursuite, les forces soviétiques seraient anéanties et la ligne d’arrêt de l’offensive serait fixée entre le débouché de la Volga vers la Mer Noire au sud et la ville d’Arkhangelsk au nord. Tout cela devait s’accomplir en l’espace de trois mois. De plus, sur un plan logistique, à peu près rien n’avait été envisagé pour combattre dans l’hiver russe.

Carte des opérations envisagées pour Barbarossa (juin 1941).

Du point de vue opérationnel, l’infanterie allemande serait appuyée par l’aviation dont les tâches consistaient essentiellement à dégager le ciel de la force ennemie, puis appuyer directement la progression de l’armée de terre sur les champs de bataille. Bien qu’une large partie de l’industrie de l’armement de l’URSS se trouva à l’est de l’Oural, il avait été envisagé de ne pas attaquer cette zone. L’idée était de libérer des ressources aériennes allemandes et d’attendre que la guerre mobile livrée à l’ouest de Moscou soit terminée. Pour sa part, le rôle de la marine allemande serait d’empêcher sa rivale soviétique de manœuvrer dans la Mer Baltique.

C’est à la fin de juillet 1940 que Hitler avait décidé d’achever l’URSS au printemps de l’année suivante. Cette décision était la résultante d’une combinaison de divers facteurs idéologiques, stratégiques, de politique étrangère et aussi d’une politique raciale. La destruction de l’URSS était en soi un objectif que caressait Hitler depuis les années 1920. La fin de l’URSS lui servirait pour forcer l’Angleterre à faire la paix, tout en mettant la main sur le fameux espace vital à l’est. Ce dernier élément représentait un amalgame de notions liées à l’économie, à la colonisation, à la force brute, qui incluait l’élimination du « judéo-bolchevisme ».

L'armée soviétique livra un combat désespéré face à l'envahisseur allemand en 1941.

Pour vaincre l’Armée Rouge, l’Allemagne dut masser au-dessus de trois millions de soldats répartis en 152 divisions, incluant 17 divisions de Panzers et 13 divisions motorisées, représentant en tout quelque 3,350 chars, 600,000 véhicules et 625,000 chevaux. Cette impressionnante force terrestre était appuyée par plus de 7,000 canons et 2,000 avions de chasse et de bombardement. À l’armée allemande s’ajoutèrent des éléments de l’armée finlandaise. La Finlande fournit à Barbarossa 17 divisions et deux brigades d’infanterie, sans oublier la Roumanie avec 14 divisions et sept brigades d’infanterie.

Toujours au plan opérationnel, il avait été convenu de diviser les éléments d’assaut en trois groupes d’armées distincts. Le groupe d’armées Nord était sous le commandement du Feldmarschall (FM) von Leeb dont l’objectif était Leningrad. Le groupe d’armée Centre était sous les ordres du FM von Bock et devait pousser vers Smolensk. Enfin, un groupe d’armées Sud commandé par le FM von Rundstedt avait Kiev comme objectif. Les Allemands avaient également constitué une force expéditionnaire qui devait partir de la Norvège occupée et prendre Mourmansk.

À chacune de ces grandes zones d’opérations terrestres devaient se joindre des flottes aériennes. La masse de l’offensive allemande était concentrée sur la portion nord de ce gigantesque front de 3,500 kilomètres. Par « portion nord », j’entends la partie de la ligne qui s’étend de la Mer Baltique jusqu’aux marais du Pripet, où deux des quatre Panzergruppen avaient été assignés au groupe d’armées Centre. Le contrôle d’ensemble de l’opération Barbarossa relevait du haut commandement des armées sous les ordres du FM von Brauchitsch et de son adjoint, le colonel-général Halder.

Enivrés par la victoire sur la France et certains de pouvoir battre l’Union soviétique, Hitler et une majorité de ses conseillers avaient grandement sous-estimé les capacités de l’ennemi, tout en surestimant leurs capacités propres. La perception régnante d’une URSS faible, ce colosse aux pieds d’argile, d’une Armée Rouge sans direction et d’un peuple russe « inférieur » ne correspondait en rien aux soi-disant qualités toutes contraires de la nation et de l’armée allemandes. Étant donné que Staline n’avait démontré aucun signe d’agressivité, on ne semblait pas prendre au sérieux, à Berlin, le fait que l’Armée Rouge pourrait être en mesure d’offrir une résistance acharnée. Il était à peu près certain que le régime communiste de Moscou allait céder sous les coups des armées allemandes.

Représentation artistique d'un combat sur le front de l'Est. Hiver 1941-1942.

Avec son plan d’ensemble visant à mener une courte campagne en période estivale, l’opération Barberousse ne peut pas en soi être considérée comme un chef-d’œuvre de l’art militaire. Cette campagne reflète toute la problématique, sinon la contradiction, de ne pas avoir fait la part des choses entre les intentions et la réalité sur le terrain, le tout mis en relief avec les ressources qui ont été consacrées à l’opération.

L’assaut

Les plans dressés par l’état-major allemand dans les premiers mois de 1941 semblaient crédibles à première vue. Or, était-ce réaliste de croire que l’on aurait pu franchir en trois mois l’immensité du territoire russe et atteindre Moscou, lorsque l’on apprend qu’à peine 20% des forces allemandes étaient motorisées? Cette guerre mobile à grande échelle tant souhaitée n’avait rien à voir avec la réalité.

L’opération débuta malgré tout le 22 juin 1941, avec un mois de retard en raison de la campagne livrée dans les Balkans. Les premières batailles à la frontière furent couronnées de succès. D’importantes villes comme Bialystok et Minsk étaient tombées en l’espace de deux semaines, donnant l’impression au commandement allemand que Barbarossa était une réussite. En dépit d’énormes pertes, notamment en Ukraine en août et en septembre, l’Armée Rouge avait mis un genou à terre, mais elle combattait toujours à la fin de 1941, parvenant même à lancer des contre-attaques.

Déjà, en août, bien longtemps avant que l’offensive allemande ne soit bloquée aux portes de Leningrad, Moscou et Rostov, il semblait évident que la guerre éclair à l’est serait un échec. Les conséquences stratégiques pour l’Allemagne étaient graves, au moment où il semblait difficile d’admettre que l’offensive était arrêtée nette à la fin de 1941. L’URSS continuerait de combattre en 1942, l’Angleterre demeurait invaincue, et les États-Unis feraient leur entrée en guerre en décembre.

Plutôt que d’avoir apporté la victoire éclair tant désirée, Barbarossa se transforma en l’une des campagnes militaires les plus sanglantes de l’Histoire.

La marche à l'Est.

La bataille d’El-Alamein (1942)

L’Afrique du Nord

L'infanterie britannique observe le pilonnage des positions ennemies avant l'assaut.

Ce qu’on appelle communément la bataille d’El-Alamein est en fait une série d’affrontements s’étant déroulés en 1942 pendant la campagne d’Afrique lors de la Seconde Guerre mondiale. El-Alamein (al-Alamayn) est une localité se trouvant près de la côte égyptienne à une centaine de kilomètres à l’ouest d’Alexandrie. La localité représentait l’extrémité d’un front s’étendant sur quelques dizaines de kilomètres du nord au sud.

Le premier élément qui frappe l’œil de l’observateur est l’extrême complexité du terrain. Nous sommes en plein désert, la température est suffocante, on gèle la nuit, les tempêtes de sable sont fréquentes et une variété de crevasses et de dépressions rendent difficile, voire impossible la manœuvre des armées en certains points. Par exemple, la dépression Qattarah située à quelque 65 kilomètres au sud d’El-Alamein constituait un obstacle naturel formidable, augmentant du coup l’attrait stratégie de la petite localité égyptienne.

Carte des opérations de la bataille d'El Alamein (automne 1942).

Du côté des forces alliées, le front était tenu par des unités constituant la 8e Armée britannique. Celle-ci avait encaissé une série de revers depuis le début de l’année 1942 face aux forces de l’Axe. La 8e Armée avait non seulement besoin d’une pause, mais par-dessus tout d’une position défensive solide sur laquelle il serait possible de reprendre l’offensive. Le fait d’avoir la mer sur la droite du front britannique représentait une protection naturelle, car on était à tout le moins certain que le commandant des forces de l’Axe, le maréchal Erwin Rommel, ne tenterait par une autre manœuvre de débordement de flanc comme il savait si bien le faire. En d’autres termes, la survie de la 8e Armée britannique dépendrait de la bataille qui allait être livrée sur la ligne d’El-Alamein. Si elle échouait, la ville d’Alexandrie et le canal de Suez seraient ouverts pour Rommel.

La dépression Qattarah en Égypte.

Le dos au mur

Ayant subi grave défaite sur le sol libyen à Gazala et à Tobrouk en juin 1942, la 8e Armée britannique sous les ordres du maréchal Claude Auchinlek se replia vers l’est sur la frontière égyptienne. Suite à la désastreuse bataille de Mersah Matruh, dont une éventuelle victoire aurait permis de gagner du temps pour consolider les défenses d’El-Alamein, Auchinlek et ses troupes finirent par se rétablir à la frontière égyptienne en juillet.

Le maréchal Claude Auchinleck, le commandant de la 8e Armée britannique dans les premiers mois de 1942.

De son côté, Rommel n’avait pas relâché la poursuite de la 8e Armée et il finit par la rejoindre également à la frontière égyptienne. Par contre, le maréchal allemand était conscient que ses lignes de communications et de ravitaillement étaient dangereusement étirées. Il était loin de ses bases et en même temps vulnérable aux attaques aériennes. À titre d’exemple, le ravitaillement en carburant ne pouvait se faire que par la mer où les convois étaient impuissants face aux attaques aériennes et navales. Par conséquent, les forces germano-italiennes arrivèrent devant la ligne d’El-Alamein, mais elles étaient trop affaiblies pour tenter une quelconque percée du front britannique.

Néanmoins, Rommel mena une série d’attaques localisées contre certains points de la ligne El-Alamein, sans trop de succès, ce qui entraîna une réponse d’Auchinlek. Le 10 juillet 1942, la bataille de Tell el Eisa fut une tentative du 30e Corps britannique du lieutenant-général Ramsden de contourner le front ennemi à l’extrémité nord de celui-ci. La 1ère Division sud-africaine et la 9e Division australienne parvinrent à percer le front allemand au nord, mais Rommel s’empressa de colmater la brèche.

Le maréchal Erwin Rommel, le commandant de l'Afrika Korps.

La 8e Armée tenta un autre effort du 14 au 16 juillet à la bataille de Ruweisat avec le 13e Corps britannique du lieutenant-général Gott. Deux divisions de l’armée italienne (Pavia et Brescia) subirent les assauts conjoints de la Division néo-zélandaise et de la 5e Division indienne. Face au recul italien, des renforts allemands arrivèrent rapidement dans la zone et parvinrent une fois de plus à reprendre le terrain initialement perdu. Auchinlek décida de remettre cela en reconduisant un autre assaut à Ruweisat, mais cette fois de nuit entre les 21 et 23 juillet, toujours pour des résultats décevants.

Les deux batailles préalables à El-Alamein livrées à Ruweisat avaient démontré que le succès ne pouvait être possible sans une coordination pleine et entière entre l’infanterie et les blindés. Face à ces échecs et refusant de subir un troisième scénario du même genre, Auchinlek comprit qu’il fallait cesser ce type d’assauts infructueux et prendre le temps de se refaire des forces. Cependant, les jours d’Auchinlek à la tête de la 8e Armée britannique étaient comptés.

En effet, en aout 1942, le Premier ministre britannique Winston Churchill intervint dans le débat sur la succession d’Auchinlek. Il avait fait pression afin qu’il soit remplacé par le maréchal Bernard Montgomery qui prendrait le commandement d’une 8e Armée affaiblie et démoralisée. Montgomery voulait changer les façons de faire, voire les mentalités. Il était impératif que le soldat retrouve une confiance en ses chefs et en lui-même, qu’il adopte le désert et développe son agressivité.

Le premier engagement livré par la 8e Armée sous Montgomery fut la bataille d’Alam Halfa du 30 août au 7 septembre 1942, un épisode que certains historiens considèrent comme étant le véritable début de la grande bataille d’El Alamein. Les compétences du maréchal Montgomery furent dès le départ mises à l’épreuve. Sa grande prudence et sa juste lecture de la situation firent en sorte qu’il n’engagea pas inutilement ses troupes. Les Britanniques avaient arrêté l’offensive germano-italienne, ce qui força Rommel à replier son Afrika Korps le temps de se regrouper. Montgomery refusa la poursuite et préféra attendre, le temps de restaurer la confiance et la force de son armée.

Après une série de délibérations et de désaccords entre les dirigeants alliés, il fut décidé à la fin de 1942 de concentrer les efforts contre l’Allemagne et cela commencerait par un assaut contre les forces germano-italiennes en Méditerranée. Le but ultime de la nouvelle campagne qui s’amorçait serait l’opération TORCH consistant en un débarquement des forces américaines et britanniques sur la côte ouest de l’Afrique du Nord.

La bataille

Le maréchal Bernard Montgomery qui prit la relève d'Auchinleck à la tête de la 8e Armée britannique à El-Alamein.

Face à ce cadre stratégique d’ensemble, le maréchal Montgomery vit son tour arrivé de contribuer à cette campagne africaine le 23 octobre 1942. Réorganisée et reposée, la 8e Armée lança ses 230,000 soldats et 1,000 chars contre les forces de l’Axe de Rommel au nombre de 100,000 combattants et quelque 500 blindés. Au 4 novembre, l’Afrika Korps était en déroute. Quelques jours plus tard, le débarquement sur les côtes marocaines et algériennes s’opérait, le tout combiné à la contre-offensive soviétique dans Stalingrad le même mois. En l’espace de quelques semaines, le cours de la Seconde Guerre mondiale changeait à la faveur des Alliés.

Des soldats britanniques aménagent une position défensive à El-Alamein (été 1942).

Montgomery exécuta son assaut au moment où Rommel se trouvait en convalescence en Allemagne. La bataille d’El-Alamein se déroula en trois phases. D’abord, la percée devait être réalisée au centre du front par le 30e Corps du lieutenant-général Leese, face à des forces ennemies solidement retranchées et protégées par un vaste champ de mines, puis un assaut au sud du 13e Corps (lieutenant-général Horrocks) devait suivre. Ni le 30e ni le 13e Corps ne parvinrent à percer suffisamment le front ennemi de sorte à pouvoir faire manœuvrer adéquatement leurs forces en terrain ouvert.

La seconde phase de l’offensive fut menée du 26 au 31 octobre, toujours au centre du front. Les positions ennemies étaient capables de tenir, mais elles furent réduites au silence, dans un style d’affrontements d’usure qui n’étaient pas sans rappeler les combats de la Première Guerre mondiale. C’était en quelque sorte le « style Montgomery », celui d’user l’ennemi à la corde par des bombardements et, lorsqu’il croyait avoir les conditions gagnantes, d’y envoyer l’infanterie.

La coordination de l’infanterie et des blindés fut un élément cruciale dans la victoire des forces alliées à El-Alamein.

La phase finale, celle de la grande percée, eut lieu entre le 1er et le 4 novembre. La Division néo-zélandaise avait mené une charge agressive qui avait permis au 10e Corps se trouvant en réserve d’exploiter la percée et d’attaquer les arrières ennemis. Ce n’est pas tant l’assaut de Montgomery, mais davantage les contre-attaques de l’Afrika Korps qui avaient fini par user celle-ci à El-Alamein. Seules les forces mobiles de l’Axe avaient réussi à s’échapper, se repliant sur les rares routes en de longues colonnes soumises aux attaques fréquentes venant du ciel. Le reste des divisions germano-italiennes qui combattaient à pied furent rapidement débordées et n’eurent d’autre choix que de capituler.

Conclusion

La bataille d’El-Alamein était terminée. Alexandrie, un symbole historique, était protégée. Plus important encore, dans ce contexte de guerre, les Alliés avaient réussi à dégager le canal de Suez et avaient retraversé la frontière en Libye en janvier 1943.

Même si la campagne en Afrique du Nord n’était pas terminée, la victoire des forces alliées à El-Alamein fut déterminante pour la suite des choses. Les forces germano-italiennes furent contraintes de se replier en Libye, puis en Tunisie. C’était le début de la fin de la présence de l’Axe en Afrique du Nord et moins d’une année plus tard, les Alliés pouvaient se concentrer sur leur prochain objectif: la libération de l’Europe.

Un cimetière britannique à El-Alamein.

La bataille de Bull Run (21 juillet 1861)

Introduction

La bataille de Bull Run est le premier engagement majeur livré sur terre au cours de la Guerre civile américaine (1861-1865). Elle se déroula le 21 juillet 1861, près de la localité de Manassas (Virginie) et de la rivière Bull Run. Elle survint quelques mois après le déclenchement des hostilités. La guerre avait en effet débuté en avril par le bombardement du Fort Sumter (Caroline du Sud) par les forces confédérées sécessionnistes.

L’attaque contre le Fort Sumter avait provoqué une vive réaction dans l’opinion publique du Nord. Le Président Abraham Lincoln subissait de fortes pressions pour faire marcher ses armées au sud, directement contre la capitale confédérée de Richmond en Virginie. L’idée était de porter un coup puissant contre cette ville d’importance située non loin de Washington. Il fallait rapidement mettre un terme à la guerre, ou plutôt à cette « rébellion ».

Répondant donc aux pressions de l’opinion publique, ordre fut donné aux forces inexpérimentées de l’Union du brigadier-général Irwin McDowell de faire marche vers Richmond en traversant la rivière Bull Run (voir la carte). En face, des forces confédérées tout aussi inexpérimentées sous les ordres du brigadier-général Pierre Beauregard marchaient vers le nord à la hauteur de la jonction ferroviaire de Manassas. La situation initiale était ambigüe, notamment parce qu’on demandait aux troupes d’exécuter des manœuvres compliquées que seules des forces régulières pouvaient normalement accomplir.

Le Président des États-Unis Abraham Lincoln (1860-1865).

Le brigadier-général McDowell avait été nommé par Lincoln pour prendre le commandement de l’Armée de Virginie. Dès son arrivée en poste, McDowell, un officier de carrière, subissait les pressions des politiciens et du public de Washington qui souhaitaient voir une victoire rapide et décisive contre ce qu’ils considéraient être une simple rébellion.

Le contexte initial

Avec ses soldats volontaires et inexpérimentés à peine enrôlés, McDowell quitta Washington le 16 juillet 1861. Il commandait alors la plus large force militaire jusqu’ici assemblée sur le continent nord-américain. Il disposait en effet d’un contingent d’environ 35,000 hommes, dont 28,000 combattants.

Le brigadier-général Irwin McDowell, le commandant des forces de l'Union à la Première bataille de Bull Run (21 juillet 1861).

Le plan de McDowell consistait à faire marcher ses hommes à l’ouest de Washington en trois colonnes distinctes dans le but de déborder le flanc gauche de l’armée confédérée. Il voulait créer une diversion contre le front sudiste sur la rivière Bull Run avec deux colonnes, tandis que la troisième tournerait la droite confédérée puis ferait mouvement vers le sud pour couper la ligne de chemin de fer entre l’armée confédérée et Richmond, complétant ainsi l’ambitieuse manœuvre d’encerclement. McDowell partait du principe que les Confédérés allaient paniquer et abandonner la jonction ferroviaire de Manassas, puis se replier sur la rivière Rappahannock. Cette position plus au sud constituerait une ligne naturelle de défense pour ceux-ci, tout en les éloignant de Washington, toujours selon McDowell.

L’armée confédérée aux abords du Potomac disposait d’un effectif d’environ 23,000 hommes sous les ordres du brigadier-général Pierre Beauregard. Ce dernier s’était installé à la jonction ferroviaire de Manassas située à peine à 40 kilomètres au sud-ouest de Washington. Le général McDowell avait prévu attaquer les forces de Beauregard numériquement inférieures. Simultanément, les forces de l’Union à l’ouest sous les ordres du major-général Robert Patterson s’occuperaient d’engager les Confédérés sous les ordres du brigadier-général Joseph Johnston qui arrivait de la vallée de la Shenandoah. Le but pour les forces de l’Union était d’empêcher Johnston de prêter main-forte à Beauregard à l’est.

Donc, les hommes de McDowell quittent Washington le 16 juillet et marchent pendant deux jours sous une température humide et suffocante. Ordre est donné de faire une brève halte à Centerville, histoire de se reposer quelque peu et de laisser à McDowell le temps de réfléchir à ce qu’il allait faire. Craignant pour ses arrières, il détacha une force de 5,000 hommes pour protéger ses communications, ce qui ramena ses effectifs combattants à quelque 23,000 hommes, le même nombre que Beauregard.

Pendant ce temps, McDowell cherchait toujours une manière de contourner la gauche des Confédérés, une manœuvre nettement plus compliquée à réaliser que ce qu’il avait anticipé. Le 18 juillet, McDowell détacha une division sous les ordres du brigadier-général Daniel Tyler dans le but de lui faire traverser la rivière Bull Run sur la droite confédérée à Blackburn’s Ford. Les forces de l’Union furent promptement accueillies par des tirs de l’infanterie confédérée de l’autre côté de la rive et reculèrent en désordre, n’ayant pu avancer plus loin au sud pour l’établissement d’une tête de pont.

Le théâtre des opérations en Virginie au début de la Guerre civile américaine (1861).

Ce repli hâtif et désordonné rendit McDowell nerveux. Il tenta plutôt une manœuvre sur la gauche ennemie. Encore une fois, il utiliserait la division de Tyler en la portant sur la gauche confédérée, à l’autre bout du front sur le pont Stone qui enjambait la rivière Bull Run sur la route Warrenton. Simultanément, toujours dans l’optique de déborder la gauche ennemie, il enverrait les divisions des brigadiers-généraux David Hunter et Samuel Heintzelman au nord-ouest sur Sudley Springs Ford. De là, ces deux divisions pourraient prendre les arrières de l’ennemi.

Toujours effectuée par des forces sans expérience, cette nouvelle manœuvre de débordement serait accompagnée de diversions effectuées sur la droite ennemie à Blackburn’s Ford, puis à l’autre bout dans la vallée de la Shenandoah par les forces de Patterson. Bien que le plan de McDowell apparaisse intéressant, voire crédible à première vue, il soulevait certains questionnements à notre avis.

La situation au matin du 21 juillet 1861. On remarque la délicate position des forces confédérées sur Henry House Hill.

Le plan commandait l’exécution simultanée d’attaques et de manœuvres, des attributs qui, comme nous l’avons mentionné, ne constituaient pas un réflexe naturel pour une armée sans expérience. De plus, le succès de la manœuvre le long de la rivière Bull Run dépendait de l’action du général Patterson dans la vallée de la Shenandoah. Or, il s’avéra que Patterson hésita à engager ses forces contre Johnston.

La conséquence fut terrible pour les forces de l’Union. Devant l’hésitation de Patterson, Johnston fit rapidement monter ses hommes à bord de trains à la station de Piedmont et le convoi fut poussé à pleine cadence vers l’est pour rejoindre Beauregard. Les journées des 19 et 20 juillet 1861 virent débarquer l’armée de Johnston derrière la rivière Bull Run. La plupart des forces de Johnston vinrent renforcer la droite confédérée à la hauteur de Blackburn’s Ford. Ce serait le point de départ de l’assaut que projeta Beauregard au nord sur Centerville. Étonnement, si les belligérants de part et d’autre étaient parvenus à exécuter leurs manœuvres de contournement au même moment, cela aurait provoqué une étrange situation où les fronts auraient été inversés. Les forces du nord se seraient ramassées au sud et celles du sud au nord, dans un immense jeu de chat et de souris.

La bataille

Au matin du 21 juillet 1861, McDowell ordonna aux divisions de Hunter et Heintzelman de déplacer leurs 12,000 hommes de Centerville à 2h30, en pleine nuit. Ils devaient marcher en direction du sud-ouest sur la route de Warrenton puis tourner au nord-ouest vers Sudley Springs Ford. Les 8,000 hommes de Tyler allaient quant à eux marcher directement sur le pont Stone.

Ces unités inexpérimentées connurent immédiatement d’importants problèmes logistiques. La division de Tyler était carrément dans le chemin de Hunter et de Heintzelman qui, rappelons-le, avaient pour mission de faire une grande manœuvre de débordement de la gauche confédérée sur l’autre rive de la rivière Bull Run. Qui plus est, les généraux Hunter et Heintzelman s’aperçurent que les voies routières menant à Sudley Springs Ford n’étaient pas adaptées pour le passage de milliers de soldats. Ces voies étaient en fait de simples sentiers créés par la coupe d’arbres. La traversée de Bull Run s’effectua seulement à partir de 9h30, une heure bien tardive à une époque où il était de mise de livrer un assaut en même temps que la levée du soleil.

Pierre Beauregard, l'un des commandants des forces confédérées à Manassas.

À l’autre bout du front, sur la droite confédérée à la hauteur de Blackburn’s Ford, la canonnade avait commencé dès 5h15. L’artillerie fédérale avait en effet tiré quelques coups sur la droite sudiste, touchant même directement le quartier-général de Beauregard alors qu’il prenait son petit déjeuner. Le général sudiste avait compris que, probablement, l’ennemi en face avait anticipé ses plans. Néanmoins, Beauregard maintint son plan initial de faire porter ses forces sur sa droite au nord vers Centerville, dans le but de harceler l’ennemi. Par contre, les mauvaises communications avaient empêché l’exécution de cette dernière manœuvre.

Cette confusion dans la tentative de transmission effective d’ordres clairs avait créé une autre situation où quelques forces sudistes se trouvaient sur la rive nord de la rivière Bull Run, menaçant indirectement le flanc gauche des troupes fédérales qui avançaient vers l’ouest le long de la route Warrenton. Sur cette route, comme prévu malgré les problèmes logistiques, près de 20,000 soldats de l’Union marchaient plein ouest pour prendre à revers la gauche confédérée. Il n’y avait que 1,000 soldats sudistes sous les ordres du colonel Nathan Evans pour leur barrer le chemin. Evans avait envoyé quelques reconnaissances sur le pont Stone, mais les manœuvres désordonnées des troupes de l’Union l’amenèrent à penser que ce n’était qu’au fond une diversion.

Evans  fut finalement informé par l’état-major de Beauregard que le mouvement des forces fédérales sur le pont Stone n’avait rien d’une diversion et que le gros de la force ennemie avait bel et bien l’intention de s’établir à Sudley Springs Ford, menaçant directement toute la gauche de l’armée sudiste.

De leur position à la droite du front sur Signal Hill, l’état-major de Beauregard avait effectivement remarqué les colonnes fédérales sur la route Warrenton qui marchaient vers l’ouest. Beauregard avait immédiatement dépêché un officier pour avertir le colonel Evans à l’aide de drapeaux signalétiques sémaphoriques. Le colonel Evans prit alors 900 de ses hommes situés tout près du pont Stone et les fit se replier au nord-ouest sur Matthews Hill, toujours dans le chemin des colonnes fédérales qui se dirigeaient sur Sudley Springs Ford. La petite force sudiste était sur une position surélevée qui permettait une meilleure observation.

Le colonel Evans ne fut pas laissé à lui-même. Il reçut des renforts de deux brigades d’infanterie, ce qui porta à 3,000 la force initialement composée de 1,000 hommes sur le flanc gauche. Cela était suffisant pour ralentir la première colonne fédérale qui tenta de traverser Bull Run à la hauteur de Henry House Hill, mais insuffisant pour stopper un autre contingent ennemi débouchant du nord à partir de Sudley Springs Ford et menaçant de prendre Evans à revers.

Les Confédérés tentèrent eux de se regrouper sur Henry House Hill pour livrer bataille. Ils souhaitaient à la fois profiter de cette position un peu plus élevée que Matthews Hill et bénéficier d’un soutien d’artillerie dans ce secteur. Le premier accrochage sérieux se déroula donc sur Henry House Hill et tourna à l’avantage des forces de l’Union.

Le général Joseph Johnston qui fit déplacer ses troupes par trains de la vallée de la Shenandoah, à temps pour le début de la bataille de Manassas.

Coincées entre Matthews et Henry House Hill, les forces confédérées décidèrent de s’accrocher sur cette dernière position, sachant que leur artillerie pourrait temporairement gêner l’avance fédérale de chaque côté. Les généraux Beauregard et Johnston arrivèrent alors sur les lieux pour reprendre le contrôle de la situation. Heureusement pour les Confédérés, le général McDowell se montra hésitant et n’osa pas exploiter son avantage, préférant bombarder la colline et manœuvrer.

Sur l’heure du midi, le 21 juillet 1861, des renforts d’infanterie confédérée dirigés notamment par le colonel Thomas « Stonewall » Jackson arrivèrent dans le secteur de Henry House Hill, renforçant davantage le flanc gauche de l’armée qui montrait d’inquiétants signes de faiblesse. Habile commandant (il était soldat et professeur de stratégie et d’histoire militaire avant la guerre), Jackson positionna ses régiments derrière Henry House Hill en contre-flanc, les protégeant ainsi du bombardement ennemi tout en les dissimulant.

La situation sur Henry House Hill semblait désespérée pour les forces confédérées. Le colonel Stonewall Jackson conseilla aux officiers sur le terrain de faire le maximum pour rallier leurs troupes démoralisées. En clair, ce serait l’heure de la contre-attaque en dépit des mauvais pronostiques. La première attaque des sudistes fut entre autres menée par le 33e Régiment de Virginie, à la plus grande confusion de leurs ennemis, car eux aussi portaient des uniformes bleus, n’ayant pu revêtir l’uniforme gris classique en ce début de conflit. La conséquence première fut que les artilleurs de l’Union n’ouvrirent pas le feu, croyant qu’il s’agissait d’un de leurs régiments.

Voulant tirer profit de ce succès initial, le colonel Jackson ordonna à deux autres régiments de suivre le 33e Virginien, si bien que la position sur Henry House Hill changea plusieurs fois de main au cours de l’après-midi. Les Confédérés étaient finalement parvenus à capturer l’artillerie ennemie à l’ouest de Henry House Hill, ce qui fut un point tournant dans la bataille.

Bien que McDowell ait engagé 15 régiments sur Henry House Hill, deux fois plus que les Confédérés, il ne parvint jamais à les faire combattre simultanément, ayant tout au plus deux ou trois régiments sur la ligne au même moment. Pendant ce temps, Jackson et ses quelques régiments démolis continuaient de pousser vers l’ouest et le nord-ouest. Se promenant à cheval au travers de rangs de chacune de ses unités, le colonel Jackson avait crié aux hommes du 4e Régiment virginien pour leur redonner du courage tout en leur communiquant un enseignement tactique: « Reserve your fire until they come within 50 yards! Then fire and give them the bayonet! And when you charge, yell like furies! »

Les combats sur Henry House Hill cessèrent vers 16h avec les forces confédérées en possession du terrain. C’est à ce moment que McDowell commença à décrocher en un bon ordre relatif vers le nord et le nord-est vers Bull Run. Cependant, l’inexpérience des officiers entraînait une fois de plus de sérieux problèmes au niveau logistique. Un simple incident, la destruction d’un chariot par l’artillerie confédérée, avait créé la panique parmi les forces de McDowell déjà épuisées et démoralisées.

S’ensuit alors une déroute en règle. Les soldats de l’Union prirent leurs jambes à leur coup dans la direction de Centerville, se débarrassant de leurs armes et équipements pour alléger leur course. McDowell ordonna à l’une de ses divisions d’agir comme force d’arrière-garde pour couvrir le repli (ou la déroute) du reste de l’armée, retarder la poursuite ennemie et donner du temps pour rallier les forces en déroute.

Soldat de carrière et professeur à l'Institut militaire de Virginie avant la guerre, la contribution tactique du colonel "Stonewall" Jackson fut décisive à Manassas.

Dans la confusion, des centaines de soldats de l’Union furent capturés. Pour rajouter au côté déjà surréaliste de la scène, des gens de l’élite de Washington (politiciens, gens d’affaires et leurs familles), qui croyaient assurément en une victoire facile des forces gouvernementales contre cette petite rébellion, étaient venus endimanchés pour pique-niquer tout en regardant la bataille. La panique gagna à son tour cette masse de civils qui reflua en même temps que les soldats vers Washington, ajoutant davantage à la confusion et aux problèmes logistiques du moment.

De leur côté, après examen de la situation, les généraux Beauregard et Johnston hésitaient à poursuivre l’ennemi en déroute, et ce, en dépit des pressions exercées par le Président confédéré Jefferson Davis, qui arriva sur le champ de bataille en fin de journée. Les pertes étaient élevées et les troupes épuisées, lui dit-on. Malgré les circonstances désastreuses, quelques unités de l’Union étaient parvenues à effectuer un certain combat d’arrière-garde. Cela sembla suffire à décourager toute tentative de poursuite à mesure que s’achevait la journée.

Les lendemains de Bull Run

La journée du 21 juillet 1861 constituait le premier épisode d’une guerre terrible qui allait diviser les États-Unis pour les quatre prochaines années. Près de 3,000 soldats de l’Union étaient tombés ou portés disparus, alors que les forces sudistes déploraient la perte de près de 2,000 hommes.

Du côté de l’Union, la première question que l’on se posait dans l’immédiat était de savoir si les troupes confédérées allaient avancer vers Washington. La capitale des États-Unis était pour ainsi dire sans défense, une ville ouverte, tant le résultat de cette première défaite avait dépassé toute prévision. Chaque camp finit par réaliser que la guerre serait beaucoup plus longue, brutale et coûteuse que prévu. Le lendemain, 22 juillet, le Président Lincoln avait signé une loi autorisant l’enrôlement pour trois ans de service de 500,000 volontaires.

Reconstitution de la bataille de Bull Run / Manassas. La charge d'un régiment confédéré.

La guerre civile ne faisait que commencer, mais Bull Run était déjà un point tournant. La bataille avait eu l’onde d’un choc dans l’opinion publique du nord, du sud et même à l’étranger. Il fallait vite tirer les leçons de cet engagement. Par ailleurs, le choc de la bataille avait soulevé de nouvelles vagues de patriotisme de part et d’autre de la frontière. À titre d’exemple, les hommes du nord qui s’étaient initialement enrôlés pour une période de 90 jours renouvelèrent leur contrat et des campagnes de recrutement battirent leur plein.

Au sud, la victoire de Manassas était certes une bonne nouvelle, mais on savait que d’autres batailles suivraient, avec encore plus d’hommes qui y trouveraient la mort. De plus, le temps jouait contre les États confédérés, dans la mesure où ceux-ci ne disposaient pas du même potentiel financier et industriel que le Nord pour mener une guerre sur le long terme.

Le général confédéré Pierre Beauregard fut traité comme un véritable héros, malgré que sur un plan purement tactique, le colonel Stonewall Jackson ait fait plus que sa part pour redresser une situation qui semblait désespérée. Au nord, à titre de commandant en chef, McDowell reçut naturellement le premier blâme de la défaite. Il fut remplacé par le major-général George McClellan, qui fut promu commandant en chef de toutes les armées de l’Union. Patterson avait aussi été relevé de son commandement.

Dans la littérature, la bataille porte les appellations de Première bataille de Bull Run ou Première bataille de Manassas. La différence résulte d’une controverse datant de 1861. Les forces de l’Union prirent l’habitude d’identifier les batailles par le nom des cours d’eau et de crêtes qui avaient été des lieux significatifs de leurs engagements. Pour leur part, les Confédérés donnèrent plutôt le nom des localités et des fermes avoisinantes.

Encore de nos jours, les Américains sont libres d’identifier cette bataille comme ils le veulent, signe que l’impact de Bull Run/Manassas dans l’imaginaire collectif de la nation américaine perdure.

Le champ de bataille de Manassas aujourd'hui.

Les batailles de Québec et de Sainte-Foy (1759-1760)

Le général Wolfe et ses troupes devant la falaise du Cap Diamant.

Cet article inaugure une nouvelle série intitulée Champs de bataille. De manière périodique, nous présenterons avec images et cartes à l’appui une vue d’ensemble interprétative des événements historiques qui se sont déroulés en des lieux particuliers. L’idée étant de découvrir ou redécouvrir des lieux où l’Histoire s’est écrite, puis de vous donner le goût de vous y rendre, tout simplement.

Si vous souhaitez nous faire découvrir des endroits que vous avez visités et voulez partager vos expériences, vos contributions sont les bienvenues. Vous n’avez qu’à me contacter pour le travail d’édition et de publication sur ce blogue. Votre nom apparaîtra sur votre papier avec une mention de remerciements. Tous les lieux et toutes les époques sont examinés.

Voici Champs de bataille.

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Contexte historique

Les batailles de Québec et de Sainte-Foy de 1759 et 1760 s’inscrivent dans le contexte plus large de la Guerre de Sept ans en Europe (1756-1763). Conflit majeur du XVIIIe siècle, la Guerre de Sept ans avait en fait commencé quelques années plutôt, en 1754, notamment dans les colonies nord-américaines. Rapidement, le conflit s’est exporté à divers endroits dans le monde. L’Europe demeurant le principal champ de bataille, des affrontements eurent lieu entre les grandes puissances de l’époque en Amérique du Nord de même qu’en Inde.

Par conséquent, les enjeux étaient nombreux. En Europe, à titre d’exemple, le territoire de la Silésie contrôlé par le roi prussien Frédéric II fait l’objet de convoitise. Dans les colonies, les possessions françaises de la Nouvelle-France, des Antilles et des Indes faisaient l’envie des Britanniques. En ce qui concerne la situation en Amérique du Nord, on peut affirmer que dès 1754, la possession de la vallée de l’Ohio était au cœur d’un sérieux litige entre la France et l’Angleterre.

Territoire occupé par les Français, qui y sont présents avec la construction d’une chaîne de fortifications, les Britanniques et les Iroquois usent de diverses manœuvres pour affirmer leurs revendications. Par exemple, les Britanniques évoquent le Traité d’Utrecht de 1713 disant que les Iroquois vivant dans cette région sont des sujets de la couronne d’Angleterre. Pour leur part, les Iroquois affirment que la vallée de l’Ohio est une terre ancestrale, ce qui renforce dans la logique britannique la volonté de revendication.

Au-delà de la crise territoriale, d’autres facteurs ont milité en faveur du déclenchement d’une guerre que l’on savait inévitable. Par exemple, le contrôle des routes commerciales, comme celle du commerce des peaux faisait l’objet de contentieux. D’autre part, on note le désir des Britanniques de contrer l’influence catholique française en Amérique du Nord. À l’extérieur de l’Ohio, les Français et les Britanniques s’affrontent sur la question des droits de pêche au large de Terre-Neuve.

C’est également en analysant la question démographique que l’on se rend compte du caractère inéluctable de la guerre à venir. Les treize colonies anglaises d’Amérique du Nord comprennent vers 1750 environ 1,5 million d’habitants confinés en un espace restreint. Pour sa part, la Nouvelle-France, qui s’étend de l’actuel Québec jusqu’aux confins du Mississippi, comprend une faible population de 60,000 âmes.

Il n’en fallait pas plus pour que tôt ou tard la tension entre les grandes puissances finisse par éclater. Pour faire court, rappelons que le casus belli de la Guerre de Sept ans repose dans l’attaque lancée par Frédéric II de Prusse contre la Saxe menaçante. Sept années plus tard, en 1763, les conséquences notables en ce qui concerne le sujet traité dans cet article sont que l’on assiste à la naissance de l’Empire britannique et à la chute, sinon à l’amputation, d’une large partie de l’Empire français. En effet, avec la signature du Traité de Paris en 1763, la France dut céder la Nouvelle-France à l’Angleterre.

Les forces en présence réparties à l’intérieur de deux coalitions

Prusse France
Grande-Bretagne Saint-Empire
Hanovre Russie
Portugal Suède
Hesse-Cassel Espagne
Brunswick Duchés de Saxe et Pologne
Wurtemberg
Les deux Sicile

 

Les premières phases de la guerre en Amérique du Nord

Dès 1754, les belligérants allaient être d’un côté la France et ses alliés amérindiens face à l’Angleterre, ses treize colonies et leurs alliés amérindiens. Les Français pouvaient compter sur une série de postes et de forts afin d’assurer la liaison et la défense de leur immense colonie. L’expansion du territoire français à l’ouest de la chaîne des Appalaches compromettait sérieusement le développement territorial des colonies américaines enclavées.

Les premiers accrochages dans la région eurent lieu autour de l’actuelle ville de Pittsburgh. En 1754, un certain George Washington, futur premier Président des États-Unis, était alors colonel dans un régiment virginien. C’est autour de Pittsburgh qu’il tenta en vain d’ériger un premier fort pour compromettre le ravitaillement des Français. Délogé par ceux-ci, Washington dut se replier avec son unité et les Français en profitèrent pour construire le Fort Duquesne.

Dispositif des fortifications françaises et britanniques en Amérique du Nord au début de la Guerre de Sept ans, vers 1754.

Ce premier accrochage fut suivi par un autre l’année suivante par l’assaut britannique contre le Fort Niagara. Encore là, ce fut un échec et cela occasionna un répit temporaire pour la France. Ces premières escarmouches permirent aux belligérants de se rendre compte de l’évolution tactique des combats. Par exemple, les Britanniques ont mené ces premiers assauts de manière classique par le déploiement de leurs forces en vue de batailles rangées à l’européenne. Cette tactique s’avéra d’une efficacité plus que douteuse face aux tactiques françaises et indiennes inspirées de la guérilla.

Les premières années d’affrontements en Amérique du Nord ont par conséquent été difficiles pour les Britanniques, qui par surcroît étaient aux prises avec la problématique du soulèvement, puis de la déportation de la population acadienne.

Le 18 mai 1756, l’Angleterre déclare officiellement la guerre à la France, au lendemain de l’attaque prussienne contre la Saxe. Dès le départ, la France se concentre sur sa stratégie européenne et l’Angleterre concentre ses énergies sur l’Amérique du Nord. Le premier défi du marquis de Montcalm, qui hérite du commandement en 1756, est simple en apparence, mais compliqué à réaliser sur le terrain. Il doit conserver intactes les communications entre le Canada (nom communément utilisé au lieu de Nouvelle-France) et l’Ohio, principal objet du litige nord-américain.

Or, le fort britannique d’Oswego (voir la carte) menace carrément cette communication. Cette fortification fera d’ailleurs l’objet d’un des premiers assauts français à la suite d’une expédition-surprise qui réussit. Cet échec des Britanniques à maintenir Oswego ne les empêche pas, en 1757, de se ressaisir avec des renforts qui ont comme objectif initial la prise de Louisbourg, porte d’entrée à l’intérieur du Canada. Les Britanniques piétinent à Louisbourg et les Français en profite pour attaquer victorieusement Fort Henry la même année.

1757 fut somme toute une bonne année pour la France en Amérique du Nord. L’année suivante, et avec plus de moyens, les Britanniques vont lancer simultanément des assauts contre Louisbourg et les forts Carillon et Duquesne. Ces derniers sont battus à Carillon, mais étant plus nombreux, ils peuvent à la fois mettre de la pression à Louisbourg de même qu’en Ohio. D’ailleurs, le Fort Frontenac finit par tomber sans trop de résistance de la part des Français, coupant ainsi les communications entre les divers postes. Autre bonne nouvelle pour les Britanniques, Louisbourg tombe en juillet 1758 devant une armée anglaise imposante de 14,500 hommes.

Dans tout ce contexte, la situation est qu’à la fin de 1758, le Canada est somme toute intact aux mains des Français, mais les Britanniques ont capturé tout le pourtour, de l’Ohio jusqu’à Louisbourg. Le Canada est désormais isolé.

Montcalm comprend rapidement qu’avec les forces à sa disposition, il doit se concentrer sur le Canada, principalement sur une ligne de front entre Québec et Montréal.

1759: Wolfe devant Québec

C’est le 21 juin 1759 que la flotte britannique est repérée devant Québec. Elle embarque une force composée de trois brigades d’infanterie sous les ordres des généraux Moncton, Townsend et Murray, qui tous répondent de Wolfe pour cette opération. Le général Moncton reçoit l’ordre de déployer ses hommes à la Pointe-Lévis en face de Québec afin de commencer le siège de la ville par des bombardements. Sur la rive nord, Wolfe déploie une large partie des forces restantes à l’est de la rivière Montmorency. Nous sommes le 12 juillet, le siège de Québec débute.

Étrangement peut-être, les Français s’attendaient surtout à une avance des forces britanniques en provenance du Lac Ontario ou du Lac Champlain. La descente de Wolfe sur le Saint-Laurent les a un peu surpris. Malgré tout, Montcalm avait pris certaines précautions. Il avait en effet ordonné la construction d’un système défensif le long du Saint-Laurent, entre les rivières Saint-Charles et Montmorency.

Vue actuelle de la chute Montmorency à Québec dont les falaises furent prises d’assaut par les Britanniques le 31 juillet 1759.

C’est sur ce système défensif français que les Britanniques vont se heurter une première fois, le 31 juillet 1759, lors d’un assaut raté à la chute Montmorency contre les fortifications françaises de Beauport. À titre d’exemple des pertes encaissées lors de cet assaut discutable, les régiments britanniques des Grenadiers et le 60th Foot ont perdu environ 500 hommes.

Conscient de l’échec, Wolfe ordonne pendant les semaines suivantes à ses navires de manœuvrer pour repérer de bonnes zones de débarquement et de couper le ravitaillement des Français et de la ville. Cependant, la situation était difficile pour les Britanniques. Minés par la maladie (Wolfe lui-même étant malade), les Britanniques savaient qu’un assaut contre Québec avant l’hiver était impératif. Composée essentiellement de troupes professionnelles, Wolfe commandait une petite force hautement disciplinée et mieux entraînée que celle de Montcalm.

Le 4 septembre, les Britanniques se résignent finalement à quitter la rive nord à l’est de la rivière Montmorency et tenteront une autre manœuvre dans un secteur moins bien défendu. Ironiquement, malgré l’échec, la manœuvre britannique autour de Beauport avait fini par persuader Montcalm de la diversion de cette action, à savoir qu’il fallait renforcer les défenses de Beauport. Montcalm envoya néanmoins le général Bougainville et quelque 3,000 hommes en amont de Québec afin d’y établir des postes d’observation le long du fleuve.

Le dilemme de Wolfe était donc de trouver l’endroit idéal où débarquer son armée, de préférence sur un terrain plat qui permettrait de couper la liaison entre Québec et Montréal. On oublie donc Beauport, il fallait passer à autre chose. Il fallait également ne pas débarquer trop loin en amont (à l’ouest) de Québec, sinon les Français auraient eu facilement un ou deux jours pour transférer le gros de leurs troupes situées à Beauport.

12-13 septembre: le débarquement

Les troupes britanniques naviguaient depuis déjà quelques jours le long du fleuve dans l’espoir de débarquer en un endroit favorable. C’est le 12 septembre qu’une tentative de débarquement s’effectue à l’Anse-aux-Foulons, à travers un petit sentier abrupt situé au sud-ouest de la ville, à peu près à trois kilomètres en amont de la pointe du Cap Diamant.

À titre indicatif, notons que la hauteur entre la berge et le plateau (les Plaines d’Abraham) était de 53 mètres. En haut, les Français avaient déployé une batterie de canons qui défendait le passage. Les Britanniques avaient rapidement compris que la surprise et le secret étaient essentiels à la réussite de l’opération.

Les forces britanniques escaladant les hauteurs des Plaines d’Abraham.

C’est à un petit groupe de soldats anglais qu’échut la mission de débarquer sur la berge, de grimper la pente abrupte, s’emparer du sentier et, si nécessaire, éliminer la garnison ennemie en poste. À cet égard, un petit campement français doté d’un effectif maximal de 50 miliciens sous les ordres du capitaine de Vergor était censé garder le passage de l’Anse-aux-Foulons. Plusieurs Français n’ont rien soupçonné, ni perçu de menace immédiate entre le Cap Diamant et Cap-Rouge. On pensait bien que les quelques navires aperçus étaient des embarcations françaises de ravitaillement. Malgré tout, une sentinelle française a crié « Qui Vive? » et s’est fait répondre en excellent français par un officier britannique des Highlanders.

Contrairement à une certaine croyance populaire, cet incident rappelle que les troupes du général Wolfe n’ont pas débarqué précisément sur la berge de l’Anse-aux-Foulons. En fait, elles ont dévié de leur parcours, abordant le sol devant une falaise beaucoup plus étroite encore. Baïonnettes aux canons, un groupe de volontaires britanniques fut envoyé pour dégager la route, tandis que trois compagnies de soldats passaient directement par la falaise. Ce faisant, ces compagnies ont réussi à capturer le camp du capitaine Vergor par le flanc arrière. L’un des hommes du camp avait réussi à fuir et parvint à se rendre à Beauport prévenir Montcalm des événements. Or, personne ne le crut. À l’aube, près de 5,000 soldats britanniques se trouvaient sur les Plaines d’Abraham.

En conséquence, trois options se présentèrent à Montcalm. La première, ne rien faire et attendre. La seconde, concerter une attaque avec Bougainville, qui se trouvait à l’ouest autour de Cap-Rouge. Intéressante en apparence, cette manœuvre demeurait difficile à exécuter compte tenu du manque de communications soutenues entre les différentes positions françaises.

La troisième option… attaquer immédiatement…

13 septembre: la bataille

La situation des troupes britanniques au matin du 13 septembre 1759 sur les Plaines est précaire. Wolfe réalise qu’il est encerclé d’un côté par Montcalm à Québec, et de l’autre par Bougainville à Cap-Rouge. Analysant rapidement la situation, le général britannique constate qu’il est à 1,5 kilomètre de son objectif Québec, une distance qu’il doit franchir à travers un champ de blé.

Montcalm n’est informé que le matin de la présence britannique, surtout lorsqu’il voit les bataillons ennemis en train de se former sur deux longues et minces lignes. Le temps que Montcalm prenne ses bataillons constitués de Français, de Canadiens et d’Indiens de Beauport vers les Plaines, à travers Québec, cela lui prendra quelques heures.

Dispositif des unités britanniques (à gauche) et françaises (à droite) lors de la bataille de Québec du 13 septembre 1759.

Par ailleurs, Montcalm doit s’obstiner avec le gouverneur le marquis de Vaudreuil pour obtenir un minimum d’artillerie en vue de la bataille. Montcalm dispose d’un effectif théorique de 15,000 troupes professionnelles et de milice pour défendre la place. Dans les faits, environ 5,000 soldats professionnels sont disponibles pour livrer bataille sur les Plaines. De son côté, Wolfe dispose de 8,000 soldats réguliers prêts au combat, mais 4,500 d’entre eux se trouvent sur le champ de bataille le 13 septembre.

Le déploiement des forces britanniques sur les Plaines d’Abraham peut être vu comme une tentative de Wolfe pour forcer Montcalm à livrer bataille le plus tôt possible, sachant que le temps joue en faveur du général français. Wolfe va disposer des troupes en suivant un schéma de « fer à cheval ». La droite de son front est ancrée sur le fleuve, puis sa gauche est déployée sur un kilomètre à l’intérieur des terres, couvrant ainsi les Plaines, avec le pont de la rivière Saint-Charles non loin.

Pour couvrir une telle distance, Wolfe a dû placer ses hommes sur deux lignes, au lieu des trois lignes réglementaires du schéma européen de déploiement tactique. En face, Montcalm ramasse tous les bataillons à portée de main et les fait converger sur les Plaines vers 9 heures, le 13 septembre, et ce, sans attendre des renforts en position à Beauport. Cela prenait une armée bien disciplinée et entraînée à l’européenne pour exécuter les manœuvres tactiques compliquées requises pour un tel déploiement rapide.

Un problème majeur qu’avait Montcalm était qu’il avait perdu beaucoup de ses forces régulières depuis le début de la campagne en 1754. Pour compenser, il avait dû intégrer des miliciens moins familiers aux manœuvres précédemment mentionnées. Cela a affecté en fin de compte les performances de l’armée française.

Les premiers accrochages ont eu lieu entre la gauche de Wolfe (composé d’infanteries légères et de régiments de réserve commandés par Townsend) et les milices canadienne et indienne qui les harcelaient. De leur côté, les trois canons français et l’unique canon anglais sur le champ de bataille ont tiré sur l’infanterie des deux camps pendant environ une heure avant l’assaut français. Vers 10 heures, les bataillons réguliers français ont avancé et, à ce moment, les bataillons anglais, qui étaient couchés au sol pour éviter le tir d’artillerie français et le feu des milices canadienne et indienne sur leurs flancs, se sont alors relevés.

Reconstitution de la bataille de Québec. À gauche quelques miliciens canadiens, au centre des soldats réguliers de l’armée française.

Les Français ont été les premiers à tirer. La salve initiale a été tirée à grande distance et fut somme toute inefficace. Les Français se sont ensuite couchés pour recharger et se sont relevés pour avancer à moins de 40 mètres des Britanniques. Cette première salve avait certes causé des pertes chez les troupes de Wolfe, mais celles-ci sont restées debout, presque impassibles, et ont encaissé le choc avec discipline.

Les Britanniques ont attendu que les Français soient à moins de 35 mètres avant d’ouvrir le feu sur eux. Deux volées ont été tirées et cela fut suffisant pour désorganiser le front ennemi. Wolfe avait ordonné à ses hommes de charger leur mousquet avec deux balles au lieu d’une seule. Comme les Français avançaient à découvert, la première volée britannique a causé de grandes pertes dans leurs rangs.

Les hommes de Wolfe ont ensuite avancé de quelques pas vers les rangs brisés des Français et ont ouvert le feu d’une seconde volée. Une fois leurs mousquets déchargés, les Britanniques ont ensuite marché baïonnettes aux canons vers les Français pour les pourchasser et les refouler dans Québec. Cependant, la poursuite britannique était désorganisée dû au fait que plusieurs officiers étaient hors de combat, rendant ainsi la cohésion et le commandement plus difficile.

De leur côté, dans une tentative désespérée, les Canadiens et les Indiens ont ouvert le feu sur les Britanniques pour les harceler, mais furent à leur tour repoussés. C’est dans une grande confusion que l’armée française s’est repliée dans Québec.

L’unique canon britannique à Québec en 1759.

Observant la bataille derrière le 28th Foot, Wolfe a d’abord été blessé au poignet, puis il a été atteint dans les intestins et la poitrine. Il a été évacué quelques mètres en arrière par ses soldats. Au début de la retraite, Montcalm sur son cheval a aussi été blessé et transporté dans une maison de Québec où il est mort le lendemain matin. Il a été blessé deux fois, atteint d’un projectile dans le bas de l’abdomen, puis d’un autre à la cuisse. L’adjoint de Montcalm a également été tué et le brigadier Moncton blessé à son tour. C’est le général Townsend qui prit la relève pour les Britanniques et il a dû contenir une avancée de Bougainville qui arrivait de Cap-Rouge.

Selon des estimations variables, les pertes totales subies par les belligérantes le 13 septembre 1759 sont évaluées à 1,300 en tout, ce qui inclut les tués, blessés et disparus. La bataille a eu lieu dans un périmètre délimité grossièrement par les actuelles rues Turnbull, le Chemin Sainte-Foy, la rue des Érables et le centre des actuelles Plaines d’Abraham. Lors des salves de mousquets, le front passait approximativement entre les actuelles rues Cartier et de Salaberry.

Après la bataille

Le lendemain de la bataille des Plaines d’Abraham avait laissé maintes récriminations dans le camp français. Par exemple, le gouverneur Vaudreuil a porté le blâme de la défaite entièrement sur Montcalm et il ordonna au restant des troupes d’évacuer Québec et Beauport pour rejoindre Bougainville plus à l’ouest.

Les Britanniques entrèrent dans Québec qui capitule le 18 septembre. Le restant des forces françaises était posté à l’ouest de la ville, le long de la rivière Jacques-Cartier, dans l’attente d’une éventuelle riposte. Dans la ville, les forces britanniques sont laissées à elles-mêmes, puisque la flotte avait dû quitter Québec peu de temps après sa capture, afin de déjouer les glaces qui s’accumulaient dans le Saint-Laurent.

Une partie remise: Sainte-Foy (28 avril 1760)

C’est François de Gaston, Chevalier de Lévis, qui prit le commandement des forces françaises au lendemain de la bataille de Québec. La situation en avril 1760 était précaire pour les deux camps. Lévis parvint à rassembler une force d’un peu plus de 5,000 hommes à Montréal afin de les diriger vers Québec. La moitié de ses troupes étaient composées de miliciens canadiens et indiens. De son côté, Murray, le commandant britannique, devait s’organiser avec une faible de force d’à peine 4,000 hommes affaiblis par la faim et le scorbut.

L’architecte de la victoire française d’avril 1760, François de Gaston, Chevalier de Lévis.

Murray jugeait que ses troupes n’étaient pas assez nombreuses pour défendre adéquatement Québec à l’intérieur des murs. Par conséquent, il déploya quelque 3,800 hommes, presque toute sa force, vers l’ouest avec quelque 20 canons, sur la même position que Montcalm avait occupée l’été précédent.

Plutôt que d’attendre l’avance française, Murray a pris le risque de faire marcher ses troupes vers l’ennemi. Son avance rapide a eu du succès au départ, mais son artillerie finit par être aveuglée par ses propres troupes placées devant et qui lui cachaient la vue. Par surcroît, l’infanterie britannique avait fini par s’enliser dans la boue et la neige fondante qui tombait en ce 28 avril.

Plus nombreux donc, les Français avaient fini par prendre les troupes de Murray par les deux flancs, les menaçant ainsi d’encerclement. Voyant le risque, Murray ordonne une retraite générale derrière les murs de la ville, abandonnant du coup tous ses canons que Lévis pouvait retourner contre lui.

Souvent minimisée par l’Histoire, la bataille de Sainte-Foy fut une grande victoire pour l’armée française. Livrée dans des conditions climatiques difficiles, sur un terrain marécageux, la bataille fut marquée, entre autres, par des combats au corps à corps que l’on n’avait pas connu à Québec. La bataille de Sainte-Foy se déroula sur un site situé à quelques centaines de mètres à peine du périmètre de la bataille de Québec. On peut situer grosso modo le site par l’actuel périmètre marqué à l’ouest par l’Université Laval, au nord par la rivière Saint-Charles, au sud et à l’est par une ligne touchant le champ de bataille de 1759.

Les pertes en tués, blessés et disparus le 28 avril 1760 sont évaluées à 850 pour les Français et 1,100 pour les Britanniques. Ces derniers ont perdu, mais ils sont parvenus à se replier en bon ordre derrière les murs de Québec. Le manque de munitions de l’artillerie française et le renforcement des défenses murales, combiné à l’arrivée de la flotte anglaise à la mi-mai 1760, ont enlevé tout espoir de reprise de la ville par Lévis.

La bataille de Sainte-Foy fut parmi les plus sanglantes livrée en sol canadien. Malgré tout, ce n’était qu’une question de temps avant l’inévitable: la chute de la colonie. Il restait à peine 2,000 hommes à Lévis à l’été de 1760, face à quelque 17,000 Britanniques et alliés américains.

Le commandant français capitula le 8 septembre et ordonna que l’on brûle les drapeaux de ses régiments pour ne pas tomber aux mains de l’ennemi, signe d’ultime disgrâce dans la tradition militaire. Trois ans plus tard, en 1763, les belligérants signaient la paix et le Traité de Paris força la France à céder la Nouvelle-France à la Grande-Bretagne.

Vue partielle des Plaines d’Abraham, telles qu’elles se présentent de nos jours.