Introduction
Ce qu’on appelle la guerre économique consiste en l’utilisation de toutes formes de coercitions économiques pour vaincre un ennemi. Selon les circonstances, il peut s’agir d’une stratégie directe ou indirecte, mais qui demeure une composante intégrale dans la conduite des opérations militaires depuis des temps immémoriaux. À une époque plus ancienne, la guerre économique revêtit certaines constituantes tel le contrôle de la chasse, des pâturages et des terres agricoles. La guerre économique put voir également les belligérants tenter de contrôler les sources d’approvisionnement en eau, les ports maritimes, les cols de montagnes, bref, toutes locations vitales à la bonne marche du commerce et qui devinrent à leur tour des moyens et des enjeux de la lutte armée collective. De plus, à mesure que l’Homme maîtrisa certaines ressources comme le bronze, le fer et l’or, celles-ci devinrent également des enjeux et des moyens d’achever les objectifs politico-militaires des premières civilisations. Ces dernières ressources permirent de fabriquer et d’acheter des armes, tout comme une pénurie ou une faible réserve de ces matériaux affectèrent l’effort de guerre.
L’économie: une arme ancienne
Durant l’Antiquité, les Romains et les Carthaginois s’affrontèrent lors de trois guerres majeures dans lesquelles chaque camp chercha la domination économique dans la Méditerranée. Mis à part les batailles rangées, chaque belligérant voulut perturber le commerce de l’autre en s’efforçant de désorganiser son économie. En perdant certains territoires stratégiques aux périphéries de leur empire, les Carthaginois perdirent du coup leur viabilité économique, ce qui les affaiblit grandement dans leur lutte à finir contre Rome. D’un autre côté, en vertu d’une habile combinaison de sa force économique et de sa puissance militaire, Rome put établir sa célèbre Pax Romana qui dura plusieurs siècles. D’une certaine manière, les Romains préférèrent, autant que possible, atteindre leurs objectifs politiques et économiques par la voie diplomatique.
Plus tard, la division de l’Empire romain en deux parties (est et ouest) devint inévitable, étant donné l’immensité du territoire à administrer, ne serait-ce que d’un strict point de vue économique. Cependant, le choix de Constantinople sur le Bosphore, à titre de capitale de la partie orientale, ne fut pas le fruit du hasard. En effet, la ville se situa à cheval sur un point de passage obligé pour le trafic commercial entre les Mers Noire et Méditerranéenne. Pendant environ mille ans, l’Empire byzantin put largement garnir ses coffres publics, justement en imposant des droits de passage aux commerçants qui utilisèrent le détroit stratégique du Bosphore. À l’instar de ce qui se passa dans la partie occidentale du défunt Empire romain, une désintégration lente et progressive affecta l’Empire byzantin, ce qui amena parallèlement un décroissement de sa vitalité économique. Les Turcs conquirent donc Constantinople en 1453 et prirent le contrôle d’importantes routes commerciales où transigèrent quantité d’épices et de soies, et ce, pendant environ cinq cents ans. Inversement, le déclin de la puissance de Rome à l’ouest mena à de nouveaux conflits d’ordre économique, que ce soit pour la possession des pâturages, voire même le contrôle des zones de piraterie.

La guerre économique à l’âge des empires
Cependant, à mesure que les États devinrent plus sophistiqués, ainsi en alla-t-il de la nature de la guerre économique. À titre d’exemple, à mesure que les pays de l’Ouest s’industrialisèrent, la demande pour des matières premières alla croissant et elle permit de créer des infrastructures économiques. Plus important, la Révolution industrielle accrut la puissance de certains pays comme l’Angleterre et la France, ce qui eut un impact direct sur leur rivalité économique.
Généralement, l’état de la recherche sur la guerre économique moderne situe le début de celle-ci à l’époque napoléonienne. Lorsqu’elle joignit les rangs de la Coalition contre les forces de Napoléon, l’Angleterre dirigea immédiatement une guerre économique contre la France et ses alliés. L’Angleterre le fit non seulement pour priver ses ennemis des matières premières nécessaires à leur effort de guerre, mais aussi pour anéantir le commerce français et permettre à Londres de monopoliser le commerce mondial par le contrôle des voies maritimes à l’aide de sa flotte. Qui plus est, toujours à l’ère napoléonienne, l’industrie textile de l’Angleterre inonda le continent européen de ses produits fabriqués à un rythme effarant, comme conséquence de cette Révolution industrielle et de ses effets sur l’évolution du capitalisme.

Dans le but de contrer le blocus économique imposé à la France, Napoléon Bonaparte émit le Décret de Berlin en 1806, suivi du Décret de Milan l’année suivante, dans lesquels tous les produits britanniques seraient bannis du continent, en plus de prendre des actions contre quelconques tiers partis qui ne respecteraient pas ces avis. Non sans surprise, les décrets de 1806-1807 furent des plus impopulaires dans les nations européennes qui dépendirent du commerce extérieur pour soutenir leurs économies, si bien qu’ils constituèrent un important contentieux entre la France et la Russie. Cette dernière fut envahie en 1812, entre autres parce qu’elle refusa d’adhérer au Système continental imposé par l’empereur français.
Pendant la majorité du XIXe siècle, et suivant la chute de Napoléon, l’Europe et le reste du monde entamèrent une période de relative stabilité, bien que l’on vit poindre de nombreux conflits dans la course folle visant à s’accaparer des colonies et leurs marchés concomitants. À la fin de ce siècle, le déclenchement de la Révolution industrielle en Allemagne créa une intense rivalité entre Berlin et Londres. En effet, l’Allemagne parvint à chasser l’Angleterre de plusieurs marchés lucratifs à travers le monde. Cette rivalité économique et coloniale constitue en elle-même l’une des causes du déclenchement de la Première Guerre mondiale, avec les systèmes d’alliances et les nationalismes exacerbés de l’époque.
En août 1914, les Britanniques n’hésitèrent pas à entamer une guerre économique contre l’Allemagne en lui imposant un blocus naval, tout comme l’Allemagne répondit à cette stratégique en demandant à ses sous-marins d’en faire de même autour des îles Britanniques. D’une certaine façon, cela constitua une approche moderne à la guerre de course (où des navires privés embauchés par l’État faisaient la guerre au commerce ennemi), en faisant la guerre à l’économie de l’adversaire, toujours dans l’espoir d’affaiblir l’effort de guerre des belligérants. Dans ce contexte, et un peu à l’instar de ce que vécut la France de Napoléon, l’Allemagne fut davantage autosuffisante que l’Angleterre, qui dépendit virtuellement de ses importations dans tout ce que consommaient ses citoyens. Malgré cela, après quatre longues années de lutte acharnée, l’Angleterre battit l’Allemagne, mais seulement avec la précieuse assistance des États-Unis, qui entrèrent en guerre en 1917.

À l’époque des idéologies
Vingt ans plus tard, le monde assista au début de la Seconde Guerre mondiale, qui fut essentiellement une guerre économique conduite par la strangulation navale et la puissance aérienne stratégique. En Asie, les Japonais cherchèrent à étendre leur empire afin d’acquérir des matières premières essentielles à l’industrie, tandis que les Allemands furent également attirés par les richesses de l’Europe de l’Est, notamment le grain et le pétrole. Une fois encore, cette guerre vit les îles Britanniques en état de siège par les sous-marins allemands alors que dans le Pacifique, la force sous-marine américaine harcela en permanence la marine marchande japonaise. À la fin des hostilités, la flotte marchande japonaise fut carrément anéantie, tandis que les infrastructures industrielles de l’Allemagne tombèrent en ruines. N’eut été du Plan Marshall, il est probable que l’Allemagne n’aurait jamais pu rétablir rapidement ses infrastructures industrielles au lendemain du conflit.
Quant à la Guerre froide, qui divisa pendant 45 ans les anciens vainqueurs de l’Allemagne, celle-ci est souvent perçue comme un conflit purement idéologique, mais elle fut également une lutte dans laquelle s’affrontèrent des systèmes économiques radicalement différents et en compétition : le capitalisme et le communisme. Chacun chercha à obtenir le contrôle des ressources planétaires afin de soutenir son économie et ainsi prouver la viabilité, sinon la crédibilité de son système. Éventuellement, l’Histoire démontra que les États-Unis possédèrent une économie supérieure à celle de l’Union soviétique, si bien que cette dernière ne put s’en remettre et l’empire communiste dirigé par Moscou finit par se désintégrer de l’intérieur.
Dans cet ordre d’idée, la démarcation entre la compétition économique, la coercition et la guerre peut être mince, tout comme le niveau avec lequel une nation est affectée par des pressions économiques peut varier grandement. À titre d’exemple, la guerre économique fut inefficace contre le Nord Vietnam, entre autres parce que le peuple accepta le conflit et il parvint à abaisser son niveau de vie, à tel point que cela dépassa les prévisions des stratèges américains. Dans d’autres cas, les États-Unis et certains de leurs partenaires occidentaux eurent recours à des sanctions économiques aux résultats mitigés, notamment lorsqu’il s’agit de mettre de la pression sur le régime de l’Apartheid en Afrique du Sud, de forcer le départ de Fidel Castro à Cuba, de limiter la prolifération d’armes nucléaires ou pour atteindre d’autres objectifs stratégiques.

Conclusion
En guise de conclusion, nous aimerions apporter une courte réflexion sur un cas de figure relativement récent, celui de l’Irak. D’une part, la Première Guerre du Golfe de 1991 fut livrée en partie pour des raisons économiques, dans la mesure où il fut impensable que l’Irak d’alors contrôle la majorité des champs pétrolifères mondiaux en détenant en « otage » les puissances occidentales. Il est vrai que la guerre fut menée sur un champ de bataille, mais ce conflit en fut un de nature économique, dans lequel les capacités industrielles écrasantes des puissances occidentales, combinées à un objectif stratégique limité (expulser les forces irakiennes du Koweït), permirent de prédire à coup sûr l’issue finale.
D’autre part, avec son objectif beaucoup plus ambitieux de changer le régime politique irakien, la Seconde Guerre du Golfe qui débuta en 2003 obligea les puissances occidentales belligérantes (États-Unis et Angleterre) à s’engager à plus long terme afin de restructurer l’économie du pays. Ici, l’idée consiste à utiliser l’arme économique (la remise sur rails de l’économie irakienne) à des fins défensives, dans l’espoir de contrer la montée du terrorisme et de l’intégrisme religieux. Encore là, rien ne garantit que cette stratégique aura fonctionné à terme. C’est peut-être la seconde génération d’Irakiens qui en percevra davantage les effets.
Ainsi, la guerre économique peut être une arme à double tranchant, mais qui repose sur un élément fondamental de la stratégie militaire : la volonté de chaque camp de poursuivre ou d’arrêter la lutte.