La sécurité collective

Introduction

La sécurité collective telle perçue dans cette caricature du XIXe siècle.

Le concept de la sécurité collective réfère à un alignement en temps de paix de nations aux fins de défense mutuelle. La sécurité collective repose sur le principe que tous les États membres soient tenus de se prêter une assistance militaire si l’un d’eux faisant partie du pacte est attaqué ou menacé par une puissance étrangère. De plus, le second principe de la sécurité collective réside en la garantie que les États membres s’engagent à ne pas déclarer la guerre à quelconque État adhérant au pacte en question.

Ce qui distingue la sécurité collective d’alliances régionales classiques est que la menace est plus ou moins bien définie dans le premier cas. En effet, la menace ne porte aucun nom. Elle est diffuse, incertaine, si bien que la sécurité collective peut en venir à inclure des États membres qui, sans qu’on le dise haut et fort, représentent la menace aux yeux de tous. La sécurité collective vise donc une adhésion inclusive élargie, la prévention des conflits par le biais de consultations et la dissuasion, en faisant miroiter la perspective d’une réponse militaire forte en cas de violation. La Ligue des Nations et les Nations-Unies constituent dans leur finalité des exemples de sécurité collective, bien que les conditions d’alignement soient différentes selon les contextes.

Les origines de la sécurité collective : le système bismarckien

C’est ainsi que, d’une part, la défense collective représente une formation traditionnelle d’alliances militaires où les États s’engagent à se défendre mutuellement en cas d’attaque contre n’importe lequel des membres de ladite alliance. Cette dernière est caractérisée par des préparatifs militaires tangibles en vue de la défense collective, de même qu’aux fins de dissuasion. Pour les uns, la défense collective engendre des résultats positifs, en ce sens où elle entretiendrait un état de paix, mais il est important de préciser que cette détente demeure relative. Cette forme de détente se concrétise au prix d’un accroissement des tensions, comme elle peut déclencher une course aux armements et maintenir les États dans une situation d’incertitude quasi permanente.

D’autre part, la sécurité collective (ou coopérative) est radicalement différente, en ce sens où elle part du principe qu’aucune nation ne peut atteindre la pleine sécurité par des moyens unilatéraux. Ici, le groupe d’États membres peut admettre en ses rangs des nations n’ayant pas, pour ainsi dire, les mêmes intentions ou « prédispositions idéologiques », tout cela dans le but d’établir un dialogue, entretenir une communication permanente et démontrer une relative transparence dans l’exercice des relations diplomatiques. À cet égard, le cas de l’expansion de l’OTAN au lendemain de la Guerre froide est intéressant, dans la mesure où l’organisation tenta de courtiser la Russie et ses anciens États-satellites communistes.

Le chancelier allemand Otto von Bismarck avait forcé la main à ses partenaires afin qu'ils adhèrent à un système de sécurité collective qui, au final, ne plut à personne, même parmi ses propres compatriotes.

Cela dit, l’étude de l’histoire de la diplomatie nous montre la conclusion d’alliances en temps de paix sur des modèles semblables à ce que nous venons d’évoquer. Dans ce contexte, l’époque de la fin du XIXe siècle dans l’Europe d’Otto von Bismarck est riche d’enseignements. Débutant avec la signature de l’accord de la Duplice de 1878-1879, Bismarck finit par soutirer des accords militaires à des fins défensives avec l’Autriche-Hongrie, l’Italie et la Russie, laissant ainsi la France isolée et la Grande-Bretagne dans son état traditionnel de désengagement des affaires continentales. En dépit de l’incongruité évidente d’une série de traités conclus qui lièrent des nations ennemies comme l’Autriche-Hongrie et la Russie, Bismarck parvint effectivement à réaliser une forme primaire de sécurité collective. Il le fit, car aucune des grandes puissances d’alors ne put entamer une guerre offensive sans qu’une alliance défensive s’y oppose en plaçant sur les champs de bataille des forces de beaucoup supérieures en nombre.

La stratégie politique bismarckienne apparaissait solide, mais elle reposait sur un principe fonctionnel auquel il ne fallait pas déroger, si l’on voulait que le système d’alliance se tienne. En effet, la machine était fonctionnelle, dans la mesure où l’Allemagne demeurait une puissance rassasiée et ne faisant pas preuve d’agressivité ou d’arrogance dans l’exercice de ses relations internationales, une condition qui serait loin d’être respectée par les successeurs de Bismarck. Bien au contraire, le système bismarckien d’alliances ne put enrayer les tensions interétatiques, la ferveur de la guerre, de même que la course aux armements qu’il était censé freiner. Qui plus est, et dans une certaine mesure, ce fut le système bismarckien de sécurité collective qui fut initialement blâmé comme l’une des raisons du déclenchement de la Première Guerre mondiale, malgré que les nations gardèrent le réflexe de nouer d’autres alliances semblables au lendemain des hostilités.

La régionalisation admise de la sécurité collective

Dans un autre ordre d’idées, un autre élément caractéristique de la sécurité collective est qu’elle se pratique généralement dans un cadre régional, malgré qu’à l’échelle internationale, le monde a vu naître deux grandes organisations, soit la défunte Société des Nations à Genève, puis l’actuelle Organisation des Nations-Unies à New York. En fait, la sécurité collective à l’échelon régional fut longtemps abordée dans un contexte de Guerre froide, parce que les objectifs des superpuissances pouvaient aisément s’arrimer avec les intérêts de gouvernements amis, c’est-à-dire des États de moindre puissance et alignés sur un axe idéologique similaire. Vue ainsi, la sécurité collective voit la conclusion d’accords de défense entre des États membres capables de déployer une puissance militaire digne de ce nom. Dans le cas contraire, l’échec de la signature de tels accords de défense collective régionale voit la substitution d’ententes bilatérales entre les superpuissances et des États partenaires désignés.

De nos jours, ce volet régional de la sécurité collective est sanctionné dans la Chartre de l’ONU, en particulier sous les chapitres VI et VIII, où il est recommandé que les nations cherchent à trouver des solutions à leurs conflits à l’intérieur des cadres prévus par des agences régionales ou des traités régionaux existants, et ce, avant de solliciter l’intervention du Conseil de Sécurité de l’ONU. À l’intérieur de tels accords régionaux de sécurité, les obligations fondamentales souscrites par les États membres proviennent d’une appréciation mutuelle du danger immédiat et des questions de sécurité y étant attachées. Ces mêmes obligations découlent également de la qualité du dialogue entre les membres. Ce dernier processus est facilité si les membres possèdent les mêmes prédispositions idéologiques.

Par contre, si des points de vue irréconciliables persistent, surtout au niveau idéologique, alors le maintien de la sécurité collective dépend de la qualité du dialogue, de sa transparence et de sa continuité. Certaines de ces activités se déroulant dans l’échange de points de vue radicalement divergents peuvent, malgré tout, amener la conclusion d’accords qui empêcheraient une situation de dégénérer. La différence étant que ces « ententes » relèvent presque uniquement de la catégorie du maintien du dialogue, où la recherche de la sécurité collective se déroule dans les plus hautes sphères officielles de l’État ou au niveau diplomatique entre des ambassades.

Si l’on sent qu’un accord a de bonnes chances d’être conclu, ou que les dirigeants veulent à tout prix une entente négociée, alors la nature du dialogue peut dépasser le stade officiel en incluant, par conséquent, une structure « officieuse » qui inclurait les domaines militaire, civil (ministériel) ou académique (les échanges entre spécialistes). Enfin, même si cela paraît évident, précisons que si un accord est conclu avec des termes où les signataires s’engagent à ne pas recourir à la force contre un membre, alors la sécurité collective devient effective. De cette coopération en matière de sécurité naît une véritable communauté de sécurité qui engendre ultimement une orientation commune des politiques sécuritaires et militaires.

À titre d’exemple, l’OTAN et le Pacte de Varsovie produisirent une confrontation entre deux communautés de défense collective régionale qui affichèrent respectivement des politiques communes. Par ailleurs, notons que la perspective onusienne d’accords régionaux de sécurité visant à établir un dialogue coopératif ne se matérialisa jamais. Encore une fois, ce fut à l’intérieur de cadres régionaux définis par les initiatives d’États concernés que des solutions semblèrent réalisables. Les Accords de Helsinki de 1975 virent la naissance de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, une organisation sécuritaire vouée au dialogue et qui constitue aujourd’hui le pont le plus important en Europe en matière de sécurité collective. Profitant probablement d’une détente relative avant une nouvelle hausse des tensions au début des années 1980, les puissances de l’époque de la Guerre froide étaient quand même parvenues à conclure un tel accord autrefois impensable.

Un pas important fut franchi en matière de régionalisation de la sécurité collective avec la signature des Accords de Helsinki en 1975.

L’ère post-Guerre froide et le postulat onusien de la sécurité collective

Comme dans bien des dossiers liés aux affaires militaires et internationales, la fin de la Guerre froide vit la question de la sécurité collective prendre d’autres tangentes. Certains ont pu dire qu’elle n’était plus d’actualité (la Guerre froide étant terminée), d’autres croient qu’elle demeure pertinente, à travers le maintien d’un dialogue sécuritaire entre anciens adversaires, le tout à l’intérieur d’un cadre régional élargi qui verrait naître de nouveaux accords. D’ailleurs, la doctrine officielle de l’OTAN entretient toujours ce jardon de « défense collective », que ce soit dans ses relations avec la communauté européenne de défense du modèle helsinkien, ou encore dans ses interventions dans le monde. Vue ainsi, l’OTAN serait une véritable organisation internationale de sécurité collective, la seule à vrai dire qui soit capable de déployer une armée sur un champ de bataille.

Qui plus est, l’évolution de l’OTAN depuis 1949 témoigne de son endurance, et ce, même après que le postulat de défense collective du contexte de la Guerre froide soit disparu. Ironiquement, l’absence d’un environnement typique de la Guerre froide ne vit pas d’apaisement des tensions. Bien au contraire, on assista à une explosion de conflits intra-étatiques et de guerres civiles dans plusieurs pays, comme en Yougoslavie, en Somalie, en Bosnie ainsi qu’au Rwanda, où ce furent essentiellement les populations civiles qui firent les frais de ces déchaînements de violence. Non sans surprise, l’agenda de paix de l’ONU se remplit rapidement, avec le déploiement de plusieurs missions aux résultats variables. En plus d’autoriser le déploiement de forces internationales lors d’une guerre majeure comme celle contre l’Irak en 1990-1991, l’ONU dépêcha plus de 80,000 soldats depuis 1993.

Ce sujet est bien documenté, à savoir que ces différents tests démontrèrent de sérieuses faiblesses et lacunes de toutes sortes dans l’organisation onusienne, en plus d’effriter l’enthousiasme pour de telles missions, sans compter les coûts astronomiques qui vidèrent rapidement les coffres ou le fait que certaines puissances voulurent prendre le contrôle effectif des opérations (ex: les États-Unis dans le Golfe en 1990). Les chiffres peuvent varier selon les sources, mais le nombre des Casques bleus servant dans des missions de paix, au moment d’écrire ces lignes, ne représente qu’une infime portion des effectifs déployés à l’apogée des interventions au milieu des années 1990. Est-ce à dire qu’on assiste à la fin des missions onusiennes, ou plutôt s’agit-il d’une simple réorientation nécessitant des ajustements accompagnés de saines remises en question? Le débat reste ouvert.

L'ONU n'est plus la seule organisation inter-étatique à promouvoir la sécurité collective. D'autres le font, comme l'Union africaine qui est en mesure de dépêcher diverses missions de paix sur le continent de ses États membres.

Cela dit, les sérieuses remises en question du rôle et des capacités de l’ONU à intervenir à la suite de désastres (Rwanda, Bosnie…) remettent au goût du jour la pertinence de la sécurité collective. Encore là, les États désireux d’en venir à des accords de sécurité collective ne le font pas nécessairement dans une optique internationale. Au contraire, les États chercheront à conclure des accords de sécurité collective à l’échelle régionale. Vus ainsi, et à la lumière de la nature des « nouveaux conflits » intra-étatiques et des guerres civiles, les États voudront circonscrire un large périmètre géographique, voire continental, où il leur sera plus facile de négocier des traités leur permettant de répondre à des dangers immédiats, plutôt qu’à des menaces à moyens et longs termes comme au temps de la Guerre froide. En clair, si les forces de l’ONU ne peuvent pas répondre à la commande, les États préoccupés par des questions de sécurité collective doivent s’organiser entre eux.

Conclusion

De telles organisations existent et elles sont nombreuses. On peut penser à l’Organisation des États américains, à l’Union africaine (anciennement l’Organisation de l’unité africaine), à l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, à la Communauté des États indépendants et au Conseil de coopération des États arabes du Golfe. Toutes ces organisations sont nées de discussions initiales qui comprenaient un volet sur la sécurité collective, des discussions qui, pour certaines, aboutiront à la conclusion d’accords contraignants, ou qui demeureront au niveau des échanges officiels. D’ailleurs, la région de l’Asie-Pacifique figure, sauf erreur, parmi les seules régions de la planète à ne pas disposer d’organisation de sécurité collective.

Toutes ces organisations sont loin d’atteindre la parfaite harmonie et certaines ne mettront jamais en vigueur des accords de sécurité collective, bien qu’on ne peut douter des bonnes intentions. De même, ces organisations ne disposent pas toutes des éléments essentiels d’atteinte de la sécurité collective. Parmi ceux-ci, et pour conclure, notons les mécanismes de résolutions des querelles territoriales et commerciales, la capacité à créer des unités militaires conjointes (ex: l’Eurocorps), à développer des doctrines et des exercices du même ordre ou à mettre en place des équipements et des infrastructures interopérables.

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