De retour d’Amiens
La première phase de la campagne des Cent Jours s’était achevée avec la bataille d’Amiens vers la mi-août 1918. Jusqu’à la fin des hostilités, le Corps canadien ne connaîtrait à peu près aucun repos. Dès la fin août, le Corps était transféré au nord dans le secteur familier d’Arras-Lens-Vimy, sous les ordres de la 1ère Armée britannique.

Face aux Canadiens se trouvait une portion de la formidable ligne de défense nommée en l’honneur du maréchal allemand Hindenburg. Les Allemands avaient eu du temps pour aménager ces positions jugées imprenables, tant les réseaux de tranchées, de fortifications et de barbelées s’étendaient à perte de vue. Les Alliés devaient néanmoins reprendre l’offensive, surtout en cet été de 1918 où l’on sentait les forces allemandes fléchir à la suite de leur défaite devant Amiens.
Le Corps canadien occuperait la droite de la 1ère Armée britannique. L’idée était d’attaquer plein est en suivant la route reliant Arras à Cambrai, comme on peut le voir sur la carte. Les Canadiens devaient s’emparer d’une portion de la Ligne Hindenburg nommée la Ligne Drocourt-Quéant, en référence à l’étendue du front couvert entre ces deux villages. La prise de Cambrai demeurait l’objectif final de l’offensive.

Impossible
Pour quiconque observe le front allemand aux endroits nommés, un seul mot vient en tête: IMPOSSIBLE.
Pour atteindre Cambrai (voir la carte), il y avait au moins trois lignes de défense à percer. La première à l’ouest consistait en une ligne reliant Orange Hill vers le village de Monchy-le-Preux, qui représentait en fait l’ancienne position tenue par l’armée britannique avant l’offensive allemande du 21 mars précédent. À un peu plus de 3 kilomètres à l’est se trouvait la seconde position, la ligne Fresnes-Rouvroy et, environ 2 kilomètres à l’est, la troisième ligne, celle de Drocourt-Quéant. Cette dernière ligne était la mieux fortifiée des trois positions. Elle disposait à elle seule d’un système de quatre lignes de tranchées profondes liées chacune d’entre elles par des tunnels bétonnés, le tout protégé par un épais réseau de fils de fer barbelés.

La bataille
Ce qu’on appela a posteriori la Seconde bataille d’Arras (la première étant celle d’avril 1917) débuta le 26 août 1918 à 3h. Les 2e et 3e Divisions eurent l’honneur de mener la charge (la 1ère venant juste d’arriver d’Amiens et la 4e n’était pas encore arrivée). Les Allemands furent pris par surprise. Comme le souhaitait Currie, le village de Monchy fut rapidement capturé avec des pertes d’environ 1,500 hommes. Ce premier succès représentait un beau fait d’armes compte tenu de la qualité du système défensif ennemi. Le bilan de cette première journée d’offensive semblait intéressant. Les Canadiens avaient repris les villages de Guemappe, Wancourt et la crête d’Heninel, de même qu’Orange Hill.

L’offensive fut renouvelée le lendemain, le 27, toujours par les 1ère et 2e Divisions. Le but était cette fois de percer la seconde ligne, celle de Fresnes-Rouvroy sur laquelle s’étaient repliés les Allemands. Contrairement à la veille, ceux-ci étaient beaucoup mieux organisés et la résistance fut féroce, d’autant que l’ennemi avait pu faire monter des renforts provenant de Douai et de Cambrai.
Les combats des 27 et 28 août furent terribles. La 3e Division était arrivée et avait pris la relève d’une partie du front sur la gauche. À droite, la 2e Division avait subi un taux de pertes alarmant et avait été obligée de s’arrêter, voire de reculer en certains endroits. L’un des bataillons de la 2e Division, le 22e (5e Brigade) fut anéanti en prenant d’assaut Chérisy. Tous ses 23 officiers furent tués ou blessés et l’effectif du bataillon était tombé à 39 hommes commandés par un sergent-major de compagnie. Parmi les blessés, le major Georges Vanier, futur Gouverneur général du Canada, qui y laissa une jambe.

Les 2e et 3e Divisions étaient à bout de souffle et décimées. En trois jours, elles avaient progressé d’environ 8 kilomètres pour des pertes de 6,000 hommes. Ces divisions furent relevées en fin de journée le 28. La 2e Division fut remplacée par la 1ère et la 3e par la 4e Division britannique (temporairement prêtée à Currie pour cette offensive). La ligne Fresnes-Rouvroy fut finalement prise le 31 août. Le prochain obstacle était la ligne Drocourt-Quéant.
Face à l’ampleur de la tâche qui l’attendait, tout en essayant de reconstituer les effectifs de ses bataillons décimés, Currie demanda au commandement britannique une pause de quelques jours avant de se lancer à l’assaut de la ligne Drocourt-Quéant. « Quelques jours » étant à prendre avec un grain de sel dans le contexte de la guerre de 1914-1918. L’assaut était prévu pour le 2 septembre.

Dans la nuit du 31 août, la 4e Division canadienne arriva finalement en ligne, se glissant entre la 1ère Division et la 4e Division britannique. La journée du 1er septembre 1918 fut consacrée à un intense tir d’artillerie visant à détruire le réseau de barbelés de la ligne Drocourt-Quéant. Malgré tout, l’infanterie canadienne fut passablement occupée à repousser des contre-attaques allemandes visant à reprendre des positions sur la ligne Fresnes-Rouvroy.
L’assaut sur Drocourt-Quéant débuta comme prévu le 2 septembre, toujours derrière un barrage roulant, avec en appui des chars qui s’occuperaient à détruire les barbelés restants. Contrairement à toutes les prédictions, la résistance allemande sur la troisième ligne fut moindre que celle sur la seconde. La résistance semblait moins bien coordonnée et les assaillants parvinrent à pénétrer dans le réseau Drocourt-Quéant, allant même plus à l’est, vers un « affluent » de Drocourt-Quéant nommé la ligne de support Buissy. Devant l’avance canadienne, l’armée allemande se replia derrière le Canal du Nord.
Le bilan
La capture de la ligne Drocourt-Quéant marque la fin de la Seconde bataille d’Arras. Depuis le 26 août, le Corps canadien avait progressé à l’est de près de 20 kilomètres et capturé 9,000 prisonniers. Les pertes du 26 août au 1er septembre se chiffrent à 11,400 hommes. Neuf Croix de Victoria furent attribuées.

Les Canadiens avaient subi un coup dur sur la route Arras-Cambrai. Des bataillons étaient en piteux état et il avait fallu faire venir d’urgence d’Angleterre des troupes dont commençaient à poindre un plus grand nombre de soldats conscrits. L’un de ces bataillons, le 22e, tentait de se refaire. Deux semaines après la bataille, il remontait en ligne avec des renforts qui avaient peu d’expérience du combat et d’autres soldats encore blessés qui devaient y retourner.
La bataille avait aussi été un choc pour le lieutenant-général Currie et ses conséquences une grande source d’inquiétude. D’abord, Cambrai était toujours aux mains des Allemands. Ensuite, la ville se trouvait derrière le Canal du Nord où s’étaient puissamment retranchés les Allemands.
Cette timide reprise de la guerre de mouvement depuis la bataille d’Amiens avait créé une cadence de marches et de combats qui était difficile à arrêter, ne serait-ce que pour souffler.
Arras était loin derrière maintenant. Devant, toujours à l’est: Cambrai.
On marche.