Quelques facteurs et enjeux de la croissance économique

Sommes-nous plus riches ou plus pauvres qu’avant? Les effets pervers de la croissance économique sont-ils aussi flagrants que cela? Autant l’on peut questionner l’objectivité du discours antimondialiste, qui souvent sert des fins et des visions à très court terme, autant il faut se pencher sur l’importance du caractère divergent de certaines analyses statistiques qui pensent faire une lecture « objective » de la croissance économique.

Dans un premier temps et globalement, hormis peut-être certains pays aux économies complètement fermées aux marchés extérieurs (ex: Corée du Nord), on ne peut pas dire que les pays connaissent une décroissance économique. Les États les plus pauvres connaissent aussi une croissance économique, même si celle-ci ne se fait évidemment pas au même rythme que les États mieux nantis.

Plutôt que de parler de décroissance économique (avec comme corollaire un appauvrissement), il faudrait plutôt parler d’un manque de croissance soutenue parmi les pays les plus pauvres. Néanmoins, plusieurs éléments nous permettent de nous faire une idée sur la manière dont on peut calculer et lire le phénomène de croissance économique.

Un premier indice qui est fondamental lorsqu’il s’agit de faire l’examen de la croissance économique, du développement ou de la pauvreté dans un pays donné, est celui du pouvoir d’achat. L’indice du pouvoir d’achat est important, parce qu’il est plus sensible aux conditions économiques locales. Bref, le pouvoir d’achat des individus dans leur propre pays peut-être très bon, alors qu’en le comparant à celui d’un pays riche, on aurait l’impression que les gens vivent dans la pauvreté.

D’autres indices servent aussi à faire une lecture de la croissance économique. Ce qui est frappant, ce sont les difficultés à obtenir des données fiables lorsque l’on procède à l’examen de la croissance économique. Par exemple, des organisations comme l’ONU et son Programme de Développement existent, comme celles fournies par la Banque mondiale. Cependant, en plus des problèmes méthodologiques de calcul de la croissance économique, les experts ne s’entendent pas toujours sur définition de la « pauvreté » et sur les manières de la quantifier.

Par exemple, quelle somme d’argent dispose un individu vivant dans ce qu’on appelle un seuil d’« extrême pauvreté » (1$ / jour? 2$ / jour?). Un autre problème est celui de la différence entre inégalité et pauvreté. L’inégalité se veut une mesure relative, alors que la pauvreté une mesure absolue. On peut aisément imaginer une baisse de la pauvreté, tout en assistant à une augmentation des inégalités.

Dans cet ordre d’idées, nous sommes d’avis qu’il y a moins de pauvreté dans le monde, moins de personnes pauvres. Le tout en bonne partie à cause de la croissance en Inde et en Chine, deux pays énormes en termes démographiques. Cette tendance globale peut cacher d’autres tendances régionales ou par pays qui peuvent influencer notre lecture de la pauvreté.

La croissance économique : analyse pour des fins pratiques

Ce qu’il faut d’abord saisir au sujet de la croissance économique, c’est qu’elle a comme corollaire une baisse de la pauvreté. En principe, l’un devrait aller avec l’autre. On pourrait identifier deux manières générales d’éliminer la pauvreté dans le monde.

La première serait une redistribution plus équitable de la richesse. Le problème est qu’en ce moment, les gouvernements des pays riches ont plutôt tendance à diminuer l’aide au développement extérieur. L’autre façon d’éliminer la pauvreté serait de provoquer une croissance économique durable dans les pays et les régions pauvres (sous-développés). La question est de savoir : comment peut-on provoquer la croissance économique?

L’aide financière pour l’investissement

La première piste afin de provoquer la croissance économique est ce qu’on peut appeler l’aide financière pour l’investissement. L’idée est que des pays manquent d’argent pour investir.  Donc il faut leur donner de l’argent.  Derrière cela, il y a trois idées sous-entendues.

La première est cette idée qu’il y a un lien direct et concret entre l’aide, l’investissement et la croissance. La seconde idée de l’aide financière à l’investissement est que la croissance économique serait en quelque sorte proportionnelle à la part des dépenses pour l’investissement dans le PIB, comme s’il y avait une formule fixe ou une corrélation directe. La troisième idée est que la croissance de la production (PIB) est proportionnelle à l’augmentation du nombre de machines et d’outils.  Plus il y a d’investissement, plus il y a des machines, plus de production, plus de croissance, plus de richesses pour tout le monde.  Souvent, ce n’est pas la main-d’œuvre qui manque, mais aussi les machines.

Dans tout cela, le rôle des pays développés est de fournir l’argent pour l’investissement, et pour rétrécir l’écart entre les ressources d’un pays pauvre et ses besoins pour assurer une croissance importante. Tout cela est conditionnel au bon vouloir des États riches à investir à l’étranger. Par exemple, dans les années 1960, à l’apogée de l’aide américaine à l’étranger, celle-ci ne représentait que 0,6% du PIB des États-Unis. Même si une aide s’avère non permanente, cela peut être assez pour créer de la croissance, qui va ensuite permettre à un pays de trouver ses propres ressources pour investir.

L’investissement consiste d’abord et avant tout en une décision de se priver au préalable d’un certain luxe, soit de faire des sacrifices, pour avoir plus dans un avenir rapproché. Autant les individus que les entreprises doivent être prêts à faire ce calcul et à vivre avec les conséquences. Historiquement parlant, on avait souvent tendance à associer la croissance économique avec celle de l’industrialisation.

Un exemple intéressant à cet égard était celui du modèle soviétique qui avait connu une industrialisation rapide, qui favorisant l’industrie lourde aux dépens de l’industrie agricole. Par contre, cette façon de raisonner le problème, soit d’associer la croissance économique avec l’industrialisation, avait entraîné des problèmes paradoxaux. Un problème qui était apparu était que les investissements avaient en effet augmenté rapidement, mais simultanément, le PIB de ces pays avait chuté. À titre d’exemple, la Guyane, qui voit son PIB chuter radicalement dans les années 1980-1990, en même temps que l’investissement augmentait de 30 à 40%.

Toujours en ce qui a trait à l’aide financière pour l’investissement, c’est qu’on a fini par se rendre compte qu’il n’existait pas réellement de rapports directs entre cette aide et les investissements concrets. Par exemple, entre 1960 et 1985, le Niger et Hong Kong ont chacun augmenté leurs investissements par plus de 250% par tête d’ouvrier, alors que la production par ouvrier a augmenté de 12% au Niger, et de 328% à Hong Kong.

Il apparaît évident, dans ce contexte, que l’aide financière à été utilisée à d’autres fins que l’investissement (ex : éponger un déficit, biens à la consommation, corruption, etc.). Le problème est donc que l’aide ne change pas nécessairement les incitations pour investir dans l’avenir. Plus important encore, les études ont montré bien plus tard que l’investissement n’est pas une cause principale de la croissance.

Par exemple, si vous augmentez le nombre des machines destinées à la production, cela crée ce qu’on appelle l’effet de « profits diminuant ». Si vous avez plus de machines avec le même nombre d’ouvriers, cela va créer une situation impossible, car c’est l’idée qu’on ne peut pas augmenter un facteur à l’infini en laissant les autres fixes. On ne peut pas augmenter le nombre de machines sans tenir compte du nombre d’ouvriers.

L’éducation

Le second problème de l’aide à la croissance est la question à savoir si l’on souhaite investir dans le capital technologique ou dans le capital humain (qui passe par l’éducation, la formation, etc.). Certains pensent que dans ce contexte, il faudrait davantage investir dans le capital humain.

En fait, entre les années 1960 et 1990, le monde a connu une énorme expansion en terme d’éducation. En 1960, seulement un tiers des pays avaient un taux de scolarisation primaire de 100%; maintenant la moitié ont atteint ce taux. Encore là, lorsque l’on parle des liens entre le taux d’éducation et la croissance économique, le même problème apparaît que lorsqu’on parlait des liens entre le nombre de machines et cette même croissance.

Autrement dit, les études plus récentes confirment toujours en cette absence de liens directs entre scolarisation et production. Un exemple intéressant est celui des pays de l’Europe de l’Est, où les populations sont très scolarisées et cultivées, alors que la production est beaucoup plus faible qu’en Occident. L’argument est donc que l’éducation mène à la croissance, mais l’inverse est tout aussi possible, soit que la croissance pousse à l’éducation (avec la croissance, une éducation vaut plus parce qu’il y a plus de possibilités, de postes, etc.). Par ailleurs, les pays plus pauvres ne sont pas convaincus qu’il vaut la peine d’investir dans l’éducation, dans la mesure où elle ne rapporte rien de concret, d’immédiat.

La croissance démographique

Le troisième problème de l’aide à la croissance est celui de la croissance démographique incontrôlée. On pense qu’un pays qui ne contrôle pas son taux de fertilité verrait les fruits et les richesses associées à la croissance économique absorbés par la pauvreté, souvent associée à cette démographie incontrôlée.

Une des conditions pour que les pays riches fournissent des capitaux aux plus pauvres passerait donc par la théorie du « cash for condoms » (« l’argent pour des condoms). Les pays plus pauvres mettraient en place des mesures énergiques de contrôles des naissances, notamment par la distribution de préservatifs. Encore là, cette théorie/solution est loin d’être parfaite, pour plusieurs raisons.

Cela présume que les personnes ne veulent pas avoir des enfants, mais ce n’est pas le cas, puisque la plupart des naissances sont des naissances voulues. Il n’y pas nécessairement non plus une relation entre une baisse démographique et une croissance économique. Beaucoup dépend aussi de la situation d’un pays. Par exemple, la croissance démographique peut être intéressante en terme d’avoir plus de personnes à l’avenir pour payer des impôts au niveau général. Au niveau personnel, les enfants sont vus comme une garantie pour les parents qu’il y aura du monde pour prendre soin d’eux.

La conditionnalité

Un quatrième élément associé à l’aide à la croissance est celui du principe de la conditionnalité. Il s’agit des prêts des pays riches aux pays plus pauvres, le tout étant soumis à des conditions, ayant trait au remboursement, mais aussi au fait qu’un pays emprunteur doit ajuster sa politique intérieur.

C’est la théorie voulant que la croissance économique va avec un ajustement de la situation politique. Par exemple, dans les années 1980, la Banque Mondiale et le FMI accordent ce type de prêts. Cette théorie a connu quelques succès en Afrique (Ghana, Mauritanie, Botswana), mais c’est plutôt le contraire qui s’est généralement passé. Par exemple, le FMI a émis 12 prêts à la Zambie entre 1980 et 1994, ce qui représentait environ le quart du PIB de ce pays). Une des conditions du FMI était de réduire l’inflation, mais sans succès. Entre 1985 et 1996, la Zambie a un taux d’inflation de 40% par an.

Un autre exemple est celui de la Côte-d’Ivoire. Ce pays a reçu 18 prêts entre 1980 et1993, sous condition de faire baisser le taux de son déficit par rapport au PIB entre 1989 et 1993. En 1993, le déficit de ce pays en rapport au PIB était d’environ 14%, ce qui est énorme. Il serait facile de dire que ces États sont irresponsables, qu’ils ne savent pas tenir leur budget, ne savent pas contrôler leurs dépenses, bref, on ne leur prête plus rien.

Mais en même temps, il est difficile de ne pas leur donner de l’aide (il faut les aider). Il faut lutter contre la pauvreté, il faut aider les pauvres, etc. Généralement, il y a ce problème où les pays avec la plus grande pauvreté reçoivent la plus grande proportion de l’aide, mais ils ne sont pas nécessairement poussés à entreprendre des réformes. Même la Banque mondiale a fini par comprendre ce principe, à savoir que l’aide financière n’insiste pratiquement plus les pays pauvres à entreprendre de sérieuses et urgentes réformes.

Pardonner les dettes

Un dernier élément, mais non le moindre, de cette aide à la croissance consiste à éliminer, voire à pardonner les dettes des pays en situation financière catastrophique. Ce dernier élément a connu une certaine publicité médiatique venant d’artistes connus. L’idée était de permettre aux pays pauvres d’utiliser l’argent disponible à des fins autres que le service de la dette.

Par contre, le fait d’éliminer la dette ne va pas non plus sans problèmes. Beaucoup de dettes ont déjà été pardonnées par le passé. En septembre 1999, un total de $3.4 milliards avait été « pardonné », soit sous forme explicite (éradiquer directement la dette), ou sous une forme implicite (substituer les dettes avec un taux d’intérêt élevé pour des dettes avec un taux beaucoup plus bas). Les résultats sont à peu près nuls. Cela ne fait rien en terme de résoudre le problème fondamental qui est: que les pays se sont endettés en partie pour soutenir un mode de vie (surtout pour les gouvernements et ses clients) qui est insoutenable.

Plus encore, qu’est-ce qui peut empêcher des États de s’endetter à nouveau? Entre 1977 et 1989, un pardon de 33 milliards avait été accordé pour les pays les plus endettés. En même temps, la dette de ces pays a augmenté de $14 milliards. Par contre, il ne faut pas oublier que les pays les plus endettés sont dans cette situation parce qu’ils ont emprunté de l’argent du FMI et de la Banque mondiale. Le rôle du FMI et de la Banque mondiale a été de boucher des trous dans les balances de paiements. Et le problème est justement là, c’est que le FMI et la Banque mondiale donnent plus aux pays qui ont des déficits, donc qui ont des politiques financières et fiscales insoutenables.

On peut alors se demander si ça vaut la peine de pardonner les dettes des pays qui sont gouvernés pas les mêmes gouvernements/régimes qui ont créé les problèmes au début?

En fin de compte, les mêmes politiques qui ont mis les pays dans une situation d’endettement majeur vont empêcher à nouveau l’aide de bénéficier aux pauvres.

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