1914-1918 : La guerre du Canada. L’été 1917 et la cote 70

Un changement de direction

France. Juin 1917. Voilà quelques semaines que la bataille de Vimy était une affaire réglée. Les soldats canadiens qui avaient survécu passaient à autre chose et devaient se préparer pour les opérations dans la plaine de Douai vers Lens, à l’est de la crête de Vimy.

Juin 1917. Le nouveau commandant du Corps canadien, le lieutenant-général Sir Arthur Currie.

Le mois de juin 1917 allait voir un changement de direction à la tête du Corps canadien. En effet, le major-général Arthur Currie, le commandant de la 1ère Division et présent au front depuis maintenant deux ans, avait été informé de sa nomination à la tête du Corps avec un nouveau grade, celui de lieutenant-général. De plus, Currie avait été fait Chevalier par le Roi et devenait membre des Ordres de Saint-Michel et de Saint-Georges.

Sir Arthur Currie faillit ne pas être présent à la cérémonie pour recevoir son nouveau titre de chevalerie. Au lendemain de la publication de sa nomination, un bombardier allemand lâche ses bombes sur son quartier-général divisionnaire tuant deux membres de son personnel et en blessant 16 autres, tout cela au moment où il venait à peine de quitter l’édifice.

Currie ne prit pas le temps de se remettre de cet incident, car il était presque immédiatement convoqué au quartier-général du Corps canadien où le lieutenant-général Byng l’informa que le commandant de la 3e Armée britannique, le général Allenby, avait été nommé pour servir en Égypte. Par conséquent, par un jeu de chaises musicales, Byng allait commander la 3e Armée et Currie prendra sa succession à la tête du Corps canadien.

Sir Currie prit officiellement ses fonctions le 9 juin 1917, ce qui était un accomplissement remarquable. Les troupes canadiennes étaient désormais commandées par un Canadien. Par ailleurs, à 41 ans, Currie devenait le plus jeune commandant de Corps dans l’armée britannique et le seul officier qui n’en était pas un de carrière à occuper un tel poste. Ceci était d’autant plus un exploit, si l’on considère que trois années auparavant, Currie était un lieutenant-colonel d’une unité de la Milice non permanente. Il était difficile de rater Currie, surtout du haut de ses six pieds quatre, ce qui en faisait probablement l’un des commandants britanniques les plus imposants physiquement.

La nomination de Currie serait cependant effective au moment de sa ratification par le ministre canadien des Forces d’outre-mer, qui avait protesté auprès des Britanniques, car il n’avait pas été consulté avant cette nomination. Le ministre, Sir George Perley, considérait que d’autres candidats auraient pu occuper ce poste. Il pensait entre autres au major-général Richard Turner, qui avait été commandant de division au front et qui occupait à l’été de 1917 un poste administratif au sein des forces canadiennes en Angleterre. Turner était l’officier « sénior » parmi tous ceux qui détenaient le grade de major-général dans les forces canadiennes.

Dans ce contexte, ce fut la comparaison des feuilles de route de Currie et de Turner qui fit la différence dans l’esprit du commandement britannique. En effet, le général Byng et le maréchal Sir Douglas Haig, le commandant en chef des forces britanniques sur le continent, avaient tous les deux jugé que le curriculum de Currie était meilleur. Le major-général Turner avait été absent du front pendant six mois et son travail au sein de l’administration des forces canadiennes en Angleterre semblait être couronné de succès. Il excellait davantage à ce poste que lorsqu’il commandait des hommes au front, semble-t-il. En guise de compromis, Currie et Turner furent tous les deux promus au grade de lieutenant-général, tout en accordant à Turner le même titre de « sénior » parmi les rares officiers canadiens à détenir ce grade.

Une position d’artillerie canadienne soumise à un tir de contre-batterie allemand près de la cote 70.

Au moment où Currie prend le commandement du Corps, il doit faire face à un double défi que les commandants britanniques du Corps canadien dans les années passées n’eurent pas eu à faire face. Currie devait à la fois livrer la marchandise sur le front, tout en étant directement responsable auprès du gouvernement du Canada de sa performance à la tête du Corps. Par exemple, le premier défi « politique » soumis à Currie fut de trouver son remplaçant à la tête de la 1ère Division qu’il commandait avant de monter au Corps. Currie avait recommandé la nomination du brigadier-général Archibald MacDonell, le commandant de la 7e Brigade (3e Division), un officier parfaitement capable d’exercer cette fonction.

Encore une fois, le nom de Garnet Hughes, le fils de l’ex-ministre de la Milice congédié en novembre 1916, revint sur la liste des candidats. Sa nomination était appuyée par un fort lobby qui incluait son père qui était déterminé à voir son fils monter en grade. Malgré les menaces contre son propre poste dirigées par la famille Hughes, Currie ne bougea pas et confirma le major-général MacDonnell à la tête de la 1ère Division. Cela s’avéra un choix très populaire au sein de la troupe.

Entre temps, le Currie avait l’esprit ailleurs. Le Corps devait avancer vers Lens. Devant la ville se trouvait un obstacle: la cote 70.

La préparation de l’assaut

Dans le contexte des manœuvres politiques entourant la succession de Currie et la réorganisation administrative du Corps à l’été de 1917, la situation évoluait rapidement sur le front en cette période d’offensives majeures. La Seconde Armée britannique du général Plumer avait lancé en juin une offensive d’envergure au sud d’Ypres, sur la crête de Messine. L’offensive avait été précédée par l’explosion de 19 mines gigantesques dont le bruit s’était entendu jusqu’à Londres, tuant sur le coup environ 10,000 soldats allemands.

Le maréchal Haig décida ensuite de tourner l’effort principal de l’offensive britannique au nord d’Ypres, tout en demandant au commandant de la 1ère Armée (le général Horne) de créer une diversion au sud dans le secteur d’Arras-Lens où se trouvait le Corps canadien subordonné à la 1ère Armée.

Conformément au désir de Haig, Horne planifia une série d’assauts avec pour objectif final de percer le front allemand à la hauteur d’Arras et d’entrer dans Lens (voir la carte). Cette dernière tâche, la prise de Lens, revint au Corps canadien et ce serait la première bataille de Currie à la tête de cette formation. D’une position surélevée derrière le front canadien, Currie observa minutieusement le terrain des opérations à venir. Son premier constat était inquiétant et il en fit part à son patron, le général Horne.

Carte des opérations sur la cote 70 (août 1917).

Le problème identifié par Currie était que Lens était en quelque sorte dominée par deux hautes collines, celle appelée la « Cote 70 » au nord de la ville, puis celle de Sallaumines au sud-est. Il serait possible d’attaquer directement Lens, mais une fois dans la ville, ses hommes seraient soumis à des tirs d’enfilade provenant des deux collines. Si Currie le savait, on peut présumer que les Allemands l’avaient aussi remarqué.

Currie était parvenu à convaincre le général Horne et le maréchal Haig de modifier le plan d’assaut pour faire de la prise de la cote 70, au nord, la priorité avant d’attaquer Lens directement. Les arguments avancés par Currie pouvaient aussi s’appliquer au commandement allemand en face. En clair, les Allemands allaient investir beaucoup de ressources pour tenir la cote 70, qui permettait de dominer la région de Lens-Douai, surtout depuis la perte de la crête de Vimy quelques semaines auparavant.

Conscient de cela, Currie croyait en la capacité de ses hommes à prendre la cote 70, mais il était à peu près certain que les Allemands allaient lancer de puissantes contre-attaques pour la reprendre. L’idée était alors simple: faire en sorte de choisir le terrain où l’ennemi sera forcé d’y faire avancer ses troupes au moment de la contre-attaque et transformer la zone en véritable superficie de la mort, ce que les Anglais appellent un « Killing Ground ».

L’assaut contre la cote 70 serait mené conjointement par les 1ère et 2e Divisions appuyées de l’artillerie et du feu des mitrailleuses nécessaires. Sitôt que l’objectif serait pris, les mitrailleurs canadiens avaient ordre d’avancer le plus rapidement possible au pas de charge afin d’occuper la hauteur de la cote 70. De plus, des officiers observateurs accompagneraient l’infanterie afin d’identifier les zones précises que devait balayer l’artillerie au moment de la contre-attaque allemande. À l’instar de la bataille de Vimy, les soldats canadiens reçurent un entraînement intensif et eurent l’occasion de faire une répétition générale de l’assaut avant le Jour J.

La bataille

La bataille de la cote 70 débuta le 15 août 1917 vers 4h30. Elle fut, comme à Vimy, précédée d’un barrage roulant composé cette fois d’un mélange d’obus explosifs et d’obus asphyxiants. La prise de l’objectif se fit en quelques heures et les Canadiens étaient maîtres de la position vers 6h.

Inévitablement, les Allemands réagirent. À peine deux heures plus tard, la première d’une série de 21 contre-attaques démarra, et ce, jusqu’au 18 août. Les Canadiens parvinrent à chaque reprise à briser ces assauts, conformément à ce que Currie avait anticipé. Le gros des contre-attaques allemandes fut décimé sous le tir combiné de l’artillerie et des mitrailleuses canadiennes. Les rares forces ennemies qui parvinrent à pénétrer dans la première ligne canadienne avaient été promptement repoussées par l’infanterie. En fin de journée le 18 août, les Allemands avaient fini par concéder le terrain aux Canadiens.

Le bilan

Le soldat Stanislas Tougas du 22e bataillon (canadien-français), mort à la bataille de la cote 70.

Les combats dans et autour des banlieues minières de Lens se poursuivirent pendant encore une semaine, jusqu’au 25 août. À ce moment, on estimait les pertes ennemies à 20,000 hommes. De leur côté, les pertes canadiennes se chiffraient autour de 9,000 hommes et quatre Croix de Victoria supplémentaires s’ajoutaient au palmarès du Corps. En termes de férocité et d’horreur, les combats de la cote 70 et de Lens ne furent pas pires que les batailles antérieures menées et le résultat fut une autre grande victoire pour le Corps.

La cote 70 fut donc la première bataille dirigée par Currie à la tête du Corps canadien, ce qui laissait croire que sa nomination à ce poste avait été réfléchie. Il avait livré la marchandise dans un premier temps et il disposait de la confiance de ses troupes. Sans aucun doute, le Corps canadien figurait maintenant parmi les formations d’élite des forces britanniques sur le continent.

C’est précisément en considérant la feuille de route impressionnante du Corps canadien que le maréchal Haig établit de nouveaux projets pour les Canadiens. Leur séjour en France était pour l’instant terminé. Le Corps allait repartir pour la Belgique, dans le secteur d’Ypres, que nombre de vétérans connaissaient trop bien depuis l’époque des gaz de Saint-Julien et des cratères de Saint-Éloi.

Lorsqu’on l’informa de la prochaine mission, Currie eut un mauvais pressentiment. Les soldats canadiens allaient se retrouver dans une mer de boue abritant les restes d’un village.

Son nom: Passchendaele.

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