La prise de Valenciennes
Nous sommes le 17 octobre 1918. Le Corps canadien se trouvait au nord-est de Cambrai, à mi-chemin de la petite ville de Valenciennes, dernière étape en importance avant d’entrer à nouveau en Belgique, toujours à la poursuite des Allemands en plein repli.
L’artillerie se mit à tonner et les troupes de la 1ère Division reçurent l’ordre de marcher sur Valenciennes. Pendant les quatre jours qui suivirent, les forces canadiennes n’ont fait que marcher. Elles suivaient de près les Allemands qui reculaient à un rythme régulier, n’offrant pour ainsi dire aucune résistance sérieuse. Cependant, les ingénieurs du Corps canadien ne manquèrent pas de boulot. Ils devaient réparer les routes, déminer le terrain lorsque nécessaire et voir à ce que les unités de support du Corps (artillerie, ravitaillement, etc.) puissent suivre la cadence rapide de l’infanterie.

Les Canadiens avaient atteint la portion du Canal de l’Escaut devant Valenciennes le 25 octobre. Contrairement à la semaine qui venait de passer, il semblait évident que cette fois les Allemands entendaient offrir une résistance. La preuve étant que le Canal de l’Escaut était couvert de fils de fer barbelés sur les deux rives et que le terrain situé au nord-est et au sud-ouest de Valenciennes avait été inondé. Les approches à partir de l’est et du sud de la cité étaient dominées par une série de hauteurs (Valenciennes étant en quelque sorte au creux d’une vallée) fortement défendues, dont le Mont Houy au sud.
Le lieutenant-général Currie discutait avec les généraux britanniques sur les manières de prendre rapidement Valenciennes avec un taux acceptable de pertes. L’idée était que le 22e Corps britannique prendrait le Mont Houy et le village d’Aulnoy au sud. Une fois ces objectifs pris, le Corps canadien se glisserait entre ces derniers et Valenciennes afin de se positionner sur les hauteurs au sud et au sud-est de la ville.

Le 28 octobre, la 51e Division écossaise mena la charge sur le Mont Houy et parvint à se rendre au sommet, mais ne put s’y maintenir face à des contre-attaques ennemies bien orchestrées. Cet imprévu occasionna un changement de dernière minute, car la prise du Mont Houy était importance avant l’assaut sur Valenciennes. On ordonna alors au Corps canadien d’attaquer le Mont Houy. L’assaut débuta le lendemain à 5h15 et les Canadiens parvinrent à prendre l’objectif. Les Allemands avaient reçu plus de 2,000 tonnes d’obus d’artillerie uniquement sur le Mont Houy et durent reculer.
La chute du Mont Houy eut comme corollaire l’évacuation par les Allemands de Valenciennes. Les pertes canadiennes avaient été relativement légères, comme prévu. Environ 400 soldats étaient tombés dont 80 tués. On estima les pertes ennemies à un peu plus de 800 soldats tués (essentiellement sous le tir de l’artillerie) et près de 2,000 prisonniers furent faits. Une Croix de Victoria fut remportée le 29 octobre, la dernière attribuée au Corps canadien pendant la guerre.
Vers Mons
Plus que jamais, les forces allemands reculaient, toujours vers l’est et il fallait les suivre. Le prochain objectif d’importance était la ville de Mons en Belgique. Ce furent les troupes de la 3e Division qui entrèrent les premières dans la municipalité, dans la nuit du 10 au 11 novembre 1918.
La ville revêtait une dimension symbolique pour les forces britanniques. C’était là en effet que le premier affrontement eut lieu entre les Britanniques et les Allemands le 22 août 1914.

Le Corps canadien finit par se trouver au complet dans et autour de Mons lorsque débuta la journée du 11 novembre. L’état-major de Currie avait reçut un avis à l’effet qu’un armistice entrerait en vigueur à 11 heures. Toujours sur leur garde avec leurs équipements complets et prêts pour la bataille, les soldats canadiens attendaient leurs prochains ordres, tout en prenant soin de consolider leurs positions en vue d’éventuelles contre-attaques qui ne vinrent jamais. L’artillerie continuait de tirer et la guerre se poursuivait. Le dernier soldat canadien à tomber fut le soldat George Lawrence Price du 28e bataillon, tué à 10h58 par un tireur embusqué.
La fin de la guerre marqua également la fin de la campagne des Cent Jours qui avait vu le Corps canadien combattre à un rythme effréné du 8 août au 11 novembre 1918. Au cours de cette période, le Corps avait fait près de 32,000 prisonniers, capturé 620 canons et près de 3,000 mitrailleuses. Les Canadiens avaient libéré 228 localités et 800 kilomètres carrés de terrain. Les quatre divisions d’infanterie du Corps avaient affronté 47 divisions différentes de l’armée allemande, soit près du quart des forces ennemies présentes sur le front Ouest.
Le bilan de guerre du Canada
Le Canada était entré en guerre avec une armée embryonnaire d’à peine 3,000 hommes et s’appuyant sur une force irrégulière de 60,000 à 70,000 hommes. Dès le printemps de 1915, la première des quatre divisions d’infanterie combattait sur le front Ouest. Elle était arrivée en France dans le but de renforcer le Corps expéditionnaire britannique. De plus, la 1ère Division canadienne avait été la première formation de ce type à être, pour l’essentiel, composée de soldats-citoyens.
À mesure que le Corps expéditionnaire canadien en France prit de l’expansion, le professionnalisme des soldats et de leurs chefs suivit une ascension parallèle. Le fait d’armes que l’on retient de nos jours fut la capture de la crête de Vimy en avril 1917 où, pour la première et seule fois, les quatre divisions canadiennes combattaient simultanément, côte à côte.
Comme bien d’autres batailles, Vimy avait été un massacre où l’histoire du Canada s’était écrite par le sang. Il était indéniable dans ces circonstances qu’au sortir de cette bataille, les soldats du Corps canadien se sentaient davantage unis. Le Corps en était sorti transformé et il était véritablement l’une des formations d’élite sous commandement britannique sur le continent.

D’autres dures batailles suivirent celle de Vimy et la contribution du Corps canadien à la victoire des forces alliées fut immense. Le Canada sortait de la guerre avec une réputation rehaussée et surtout un nouveau statut sur la scène internationale. Bien que symbolique, la signature du Canada sur le Traité de Versailles constituait un premier pas vers son autonomie en politique étrangère.
Les statistiques peuvent varier, mais les chiffres sur la contribution du Canada à la Grande Guerre parlent d’eux-mêmes. Environ 625,000 hommes et femmes avaient porté l’uniforme canadien. De ce nombre, 400,000 ont servi sur le continent en France et en Belgique.
Environ 212,000 soldats canadiens ont été blessés au moins une fois et à des degrés divers. On recense 65,000 soldats tués ou morts de leurs blessures entre le mois de février 1915 et celui de novembre 1918.
Cette série d’articles sur le Corps canadien s’est surtout concentrée sur les affrontements et peu a été dit sur les Canadiens (dont les femmes) qui ont servi le pays en dehors Corps en tant que tel. Par exemple, approximativement 38,000 membres du personnel des forces canadiennes servaient en dehors du Corps à la fin de la guerre. Cela incluait entre autres du personnel ferroviaire (Canadian Railway Troops), du Corps forestier, la Brigade de Cavalerie et le personnel médical et auxiliaire (Army Service Corps). Des Canadiens ont également service dans des unités minières (Tunnelling Companies).
La démobilisation
L’armistice étant signé et les négociations en vue de la paix amorcées, il fallait néanmoins garder les soldats sous les drapeaux pour encore quelques mois. Les troupes des 1ère et 2e Divisions furent sélectionnées pour rejoindre l’armée d’occupation en Allemagne sous les ordres du général britannique Plumer. De leur côté, les 3e et 4e Divisions resteraient dans Mons.
La marche de la 1ère Division l’amena à Cologne et celle de la 2e Division à Bonn. Dans une marche au style cérémonial, le lieutenant-général Currie avait pris la peine, le 13 décembre 1918, de se tenir sur une estrade sur le Rhin et de saluer le passage de tous les bataillons des divisions canadiennes en partance pour l’Allemagne.

Au-delà du cérémonial, le problème le plus pressant pour Currie était celui de la démobilisation de ses troupes. Le gouvernement canadien avait proposé un schéma du style « premier arrivé, premier servi », à savoir que la priorité serait accordée aux hommes mariés et aux veufs avec enfants.
Currie s’était vivement opposé à ce plan, dans la mesure où le Corps canadien était directement visé. Son argument était relativement simple et circonstanciel. Currie croyait que les hommes ne devaient pas être séparés et devaient rentrer au pays avec leur unité au complet, dans le but de préserver le moral et la discipline.
Par ailleurs, si des hommes devaient être immédiatement démobilisés sur la base de leur ancienneté, de leur situation familiale ou en raison de compétences professionnelles particulières, ce serait l’efficacité du Corps canadien qui en serait affectée. Currie donnait aussi l’exemple des forces australiennes qui étaient rapatriées à la maison par unités entières sous le commandement des mêmes officiers avec lesquels elles avaient combattu.
Finalement, Currie obtint l’appui du Premier ministre Borden et son schéma fut accepté. Toutes les troupes du Corps canadien allaient cependant rentrer au pays selon le plan « premier arrivé, premier servi », ce qui implique un scénario au niveau divisionnaire qui entraînerait le départ de la 1ère Division, celle-ci étant en ligne depuis 1915.
Les autorités canadiennes et britanniques avaient été surprises de constater qu’à peu près aucun incident sérieux d’indiscipline ne se produisit au sein des troupes combattantes du Corps canadien à leur retour. En fait, ce fut parmi les unités auxiliaires non attachées administrativement au Corps qu’on observa de sérieux désordres (entraînant la mort d’hommes par moment) en Angleterre dans les municipalités de Witley, Epsom et Kimmel dans la première moitié de 1919.
Le séjour des Canadiens en Allemagne fut de courte durée. Dès le mois de février 1919, les derniers soldats quittaient le territoire allemand. La démobilisation progressive du Corps s’amorça, en commençant par la 3e, la 1ère, la 2e et enfin la 4e Division. À la fin de mai 1919, à peu près tous les soldats étaient de retour au Canada.
La guerre était terminée. Les hommes retournaient à la vie civile, laissant en Europe une partie d’eux-mêmes.
Superbe article !