
L’hiver de 1943 sur le front italien n’allait pas signifier un ralentissement de la cadence des opérations pour les forces canadiennes et le Royal 22e Régiment (R22R). Au contraire, en décembre, les Canadiens poursuivent l’offensive et s’emparent du port d’Ortona, sur l’Adriatique, à la suite d’une féroce bataille maison par maison.
Cependant, les 1re et la 2e brigades de la 1ère Division canadienne subissent tour à tour des échecs dans leurs tentatives simultanées de prendre la jonction des routes d’Ortona entourant le port. Le commandant de la 1re Division décide donc d’engager sa 3e brigade qui se trouvait en réserve. Rappelons que la 3e brigade avait tenté sans succès de prendre ce fameux objectif constitué par le carrefour routier d’Ortona. Le Carleton and York Regiment et le West Nova Scotia Regiment l’avaient d’ailleurs appris à leurs dépens. Le R22R était donc le dernier espoir de la 1re Division de capturer l’objectif à court terme.
Un lieu maudit: la Casa Berardi
Dans les opérations en vue de préparer la capture de Rome, il fallait sécuriser une série d’objectifs, dont la jonction des routes autour d’Ortona. Pour ce faire, la capture d’un point fortifié nommé la Casa Berardi au cœur du carrefour routier était essentielle. La prise de cet objectif permettrait la poursuite des opérations de la 8e Armée britannique vers Rome. Par conséquent, l’objectif du R22eR était la capture de cette jonction de routes. La prise de la Casa Berardi, attribuée à la compagnie C, était un sous-objectif vital au succès de la mission.
Le 14 décembre 1943, la compagnie C, commandée par le capitaine Paul Triquet et appuyée par un escadron de chars de l’Ontario Tank Régiment, attaque le point fortifié de la Casa Berardi. Les difficultés commencent dès le début. Autour de l’objectif se trouve un petit ravin fortement défendu et, en s’approchant, la compagnie C est soumise à un feu violent de mitrailleuses et de mortiers. Tous les officiers de la compagnie et cinquante pour cent des hommes furent tués ou blessés en l’espace de quelques minutes.
Autre point inquiétant, la résistance et les manœuvres de l’ennemi finissent par isoler la compagnie C du reste du régiment. Sentant la soupe chaude, le capitaine Triquet rallie ses hommes par ces mots : «Nous sommes encerclés, l’ennemi est en avant, en arrière et sur nos flancs, l’endroit le plus sûr, c’est l’objectif».
À ce moment, la compagnie se trouve à 1,6 kilomètre de la Casa Berardi et il ne reste qu’une trentaine d’hommes dont deux sergents pour les commander. Quand Triquet constate que ses flancs n’étaient plus protégés, il n’y avait donc qu’un endroit sûr, l’objectif. Suivi de ses hommes, Triquet s’élance et enfonce la résistance ennemie. Au cours de cet engagement, quatre chars allemands sont détruits et plusieurs postes de mitrailleuses ennemis sont réduits au silence.

Une fois l’objectif atteint, il fallait le défendre. En prévision d’une contre-attaque, le capitaine Triquet organise immédiatement sa poignée d’hommes en un périmètre défensif autour des chars d’assaut restants et transmet le mot d’ordre: «Ils ne passeront pas». Une contre-attaque ennemie appuyée de chars d’assaut est déclenchée presque immédiatement. Le capitaine Triquet tirait un feu intense. Il était partout, encourageant ses hommes, dirigeant la défense et se servant de n’importe quelle arme qui lui tombait sous la main. Il mit ainsi lui-même plusieurs Allemands hors de combat.

Cette attaque et celles qui suivirent furent repoussées avec des pertes élevées. Le capitaine Triquet et sa petite troupe ont tenu bon contre des forces supérieures en nombre, jusqu’à ce que le reste du régiment se fut emparé de la Casa Berardi et les eut relevés le lendemain. Lorsque l’objectif est atteint, il ne reste plus que 15 hommes et quelques chars. Grâce à eux, la Casa Berardi est prise et la route était ouverte pour l’attaque contre l’embranchement vital d’Ortona, la voie qui menait à Rome. Pour son héroïsme, le capitaine Triquet fut décoré de la Croix Victoria. Au cours de cet engagement, la compagnie C a perdu 23 soldats tués et 107 blessés.
1944 débute
Au lendemain de la bataille de la Casa Berardi, le R22R est placé en réserve pour les deux premières semaines de janvier 1944, histoire de refaire ses forces. Au cours de cette période, un congé sera accordé aux membres ainsi que des cours de tactiques aux nouveaux caporaux ainsi qu’aux renforts.
Le 5 janvier 1944, un événement important se déroule au sein de la vie régimentaire. En effet, le lieutenant-colonel Jean Victor Allard prend officiellement le commandement du régiment. Quant au lieutenant-colonel Paul-Émile Bernatchez, le commandant sortant, il est promu et prend le commandement de la 3e brigade le 13 avril de la même année.
La période de la mi-janvier à avril 1944 pour le R22R se déroule en fonction de deux semaines sur la ligne de front suivie de quelques de jours de congé. Sur la ligne de front, le régiment aura à mener quelques raids et patrouilles. C’est au cours de cette période qu’un militaire, le caporal Armand Hébert, subit en février les plus graves blessures qu’un membre du régiment ait eu au cours de cette guerre, et peut-être dans toute l’histoire de l’unité depuis 1914.
Lors de l’Opération de ravitaillement Bluebird, le caporal Hébert se rendait aux avant-postes en première ligne avec la mule qui transportait le matériel. Soudainement, l’animal posa la patte sur une mine. L’immense explosion blessa gravement le caporal qui se trouvait à côté. Le caporal Hébert y laissa ses deux bras et ses deux jambes, ce qui en fit le plus grand mutilé du régiment.
À l’assaut de la Ligne Hitler
Nombreuses furent les batailles sanglantes pour le R22R en Italie et on peut en évoquer quelques-unes. Le 19 mai 1944 à 06h30, le R22R et le Carleton and York Regiment attaquent la Ligne Hitler, face aux objectifs assignés de la Route Aquino et Pontecorvo.
Malheureusement, une grande partie de l’artillerie, d’abord assignée à l’assaut, est détournée à l’appui de la poussée d’une division voisine. Considérant que l’appui de l’artillerie n’était pas suffisant pour les deux bataillons, le brigadier-général Bernatchez arrête l’avance du Carleton and York et décide de continuer l’assaut avec uniquement le R22R, son ancienne unité.

Les hommes du régiment se trouvent à 2 km au sud d’Aquino et ils n’ont pas encore atteint l’objectif. Au début, le déplacement des troupes est dissimulé par de hautes broussailles, mais lorsqu’elles débouchent dans les champs à découvert, elles essuient le tir incessant des mitrailleuses. Au cours de la matinée, une compagnie se fraye un chemin jusqu’à 40 mètres des barbelés ennemis, où elle tombe sous un feu nourri de mortiers. À deux heures, le lieutenant-colonel Allard, qui commandait le régiment en remplacement de Bernatchez, reçoit l’ordre de rompre le contact avec l’ennemi.
Le régiment perd 57 soldats tués et blessés au cours de cet assaut empreint de frustrations. Il aura l’occasion de se reprendre. Le haut commandement avait compris que seule une attaque de division viendrait à percer la ligne. On décide donc de tenter un nouvel assaut.
L’heure H est fixée à 06h00 le 23 mai. Ayant servi comme force de reconnaissance de combat le 19 mai, le R22R fut versé à la réserve divisionnaire. Vers 17h00 et après d’âpres combats, la ligne Hitler est enfin percée. Dans son rôle d’unité de réserve pour cette bataille, le R22R reçoit alors la tâche d’élargir la brèche et d’exploiter le succès remporté, ce qui vengeait en quelque sorte son demi-échec du 19 mai.
Au cours de cette opération de nettoyage, le régiment fait plusieurs prisonniers, capture un matériel considérable et en entre dans un poste de commandement. Pour la petite histoire, le régiment avait ramassé tout près de vingt Croix de fer non encore décernées aux militaires allemands.
Et il faut en parler du courage de ces hommes face aux dangers! Qui, avec un sens d’abnégation sans équivoque, fait son devoir au mépris de sa vie, tel que le soldat Alban Leblanc lors de l’attaque de la ligne Adolf Hitler. Le peloton du soldat Leblanc avançait vers son objectif à travers les défenses ennemies lorsque, soudainement, il se trouve directement dans la ligne de tir d’un poste de mitrailleuses.
À ce moment critique de l’assaut, chaque minute perdue signifiait davantage de victimes et risquait de compromettre le succès de l’opération. C’est ce dont le soldat Leblanc venait de se rendre compte lorsqu’il se précipite en avant de sa propre initiative. Sans aucun égard pour sa propre sécurité, il charge la position ennemie et capture sans aide un poste de mitrailleuses, tout en tuant un à un ceux qui l’occupaient. Par ce geste, le soldat Leblanc permit à son peloton de poursuivre son avance.
Été 1944-Printemps 1945
Autre événement isolé de la petite histoire, mais grandement médiatisé à l’époque, le régiment aura l’occasion d’obtenir une rencontre privée avec le pape Pie XII le 3 juillet 1944 lors du passage de l’unité dans Rome.
De juillet 1944 à mars 1945, le régiment poursuit sa route vers le nord de l’Italie. Il combat sur la ligne GOTHIQUE à Borgo, Santa Maria, le Passage Lamone, la Ligne Rimini, San Martino, San Lorenzo, San Fortunato et Cesena.

À noter que l’effort principal des Alliés à ce stade de la guerre n’est plus l’Italie, mais bien la France en prévision du débarquement en Normandie. Les ressources seront affectées en conséquence, si bien qu’en février et mars 1945, le Ier Corps canadien et les soldats du R22R se déplacent vers le nord-ouest de l’Europe à la fin des hostilités. Plus de 92,000 Canadiens servirent en Italie. Il y eut 26,000 pertes, dont plus de 5,300 morts.
Juin 1944 : Le débarquement en Normandie
Déterminées à mettre fin à quatre années d’occupation allemande souvent brutale, les forces alliées envahissent l’Europe occidentale le 6 juin 1944, le long d’un front de 80 kilomètres sur les plages de Normandie, en France.
Sur près de 150,000 soldats alliés débarqués ou parachutés dans la zone d’invasion le 6 juin, 14,000 étaient canadiens. Ils prirent d’assaut une plage portant le nom de code de Juno, tandis que des parachutistes canadiens sautaient juste à l’est des plages de débarquement.

Les Alliés se heurtèrent à des défenses allemandes hérissées d’artillerie, de mitrailleuses, de mines et d’objets piégés, mais l’invasion fut couronnée de succès. Le jour J, les Canadiens perdent 1,074 hommes, dont 359 morts. Les Canadiens jouèrent un rôle conséquent dans la bataille en Normandie, avec le débarquement en juillet de la 2e Division d’infanterie et celui de la 4e division blindée en août.
Au cours de la campagne de Normandie, qui a duré dix semaines, les Canadiens perdirent 18,000 hommes, dont 5,000 morts.
1944-1945 : Le Nord-Ouest de l’Europe
La Première armée canadienne combattit dans d’autres conditions extrêmement difficiles. En septembre 1944, cette armée se dirigea vers le nord le long de la côte de la Manche, libérant les ports fortifiés de Boulogne et de Calais.

Au même moment, les Britanniques, qui avaient désespérément besoin d’installations portuaires pour être approvisionnés, s’emparaient de la ville belge d’Anvers. Toutefois, les Allemands occupaient les deux rives de l’estuaire de l’Escaut, qui relie Anvers à la mer sur 70 kilomètres. La plus grande partie de ce territoire se trouvait aux Pays-Bas. Au cours d’une campagne d’un mois qui débuta le 6 octobre, les Canadiens combattirent dans des conditions effroyables en terrain découvert et inondé afin de s’emparer des abords d’Anvers. Ils perdirent plus de 6,300 hommes tués ou blessés au cours de cette campagne.
1945 : La victoire contre l’Allemagne
Ce long préambule de la campagne du nord-ouest de l’Europe introduit le contexte, voire le climat dans lequel le R22R va retrouver les restes de l’armée canadienne au printemps de 1945 à la frontière allemande.

La principale offensive terrestre alliée à partir de l’ouest contre le territoire allemand fut par conséquent lancée en février 1945. Au mois de mars, le R22R débarque dans le port de Marseille. Toute conversation étant interdite, les soldats firent un voyage secret et silencieux puisqu’ils avaient reçu l’ordre de ne pas parler leur langue avec les Français rencontrés en cours de route.
Se frayant un passage à force de combats à travers la Rhénanie, perçant la redoutable ligne Siegfried et pénétrant dans les forêts de Reichswald et de Hochwald, les Canadiens contribuèrent à donner le coup de grâce à la résistance allemande dans ce secteur.
Ce ne fut pas facile. Les Canadiens devaient traverser des forêts denses ou avancer sur des terrains fortement détrempés tout en se heurtant à la féroce résistance de l’ennemi. Puis, le 6 avril, ils se retrouvent sur les bords de l’Yssel, au sud d’Apeldoorn en Hollande. Le R22R participe alors aux dernières opérations de la Deuxième Guerre mondiale en Europe. En avril, les troupes canadiennes libèrent la plus grande partie des Pays-Bas. Lorsque les forces allemandes sur les fronts britannique et canadien se rendent le 5 mai, les Canadiens avaient atteint Oldenburg, dans le nord de l’Allemagne.
Bilan de la guerre 1939-1945
Les forces allemandes capitulent officiellement le 8 mai 1945. La guerre du Royal 22e Régiment était terminée. Par contre, à la fin du conflit en Europe, un autre bataillon du même régiment est levé pour aller combattre dans le Pacifique sous l’appellation, 1st Battalion 3rd Canadian Infantry Regiment. Il se rend en Nouvelle-Écosse pour une période d’entraînement. Après la capitulation du Japon en août 1945, ce bataillon s’établit au camp de Valcartier en octobre et devient le 2e Bataillon Royal 22e Régiment qui existe toujours.
Quant au corps principal du régiment en Europe, celui-ci rentre au Canada en octobre 1945 et est démobilisé à Montréal en mars de l’année suivante.
Le corps principal du Régiment et le 2e bataillon seront dissous pour redevenir le Royal 22e Régiment. L’unité reprend possession de la Citadelle de Québec en août 1946, alors qu’un détachement est envoyé à Saint-Jean-sur-Richelieu pour y occuper les casernes jusqu’en juillet 1950. Ce regroupement de diverses unités du R22R au lendemain immédiat des hostilités fut appelé la « Force intérimaire ». Celle-ci est dissoute le 1er octobre 1946 et le Royal 22e Régiment devient une des unités qui constitue la Force régulière.
La Seconde Guerre mondiale a elle aussi laissé des plaies béantes dans la société canadienne. Plus d’un million de Canadiens ont servi à temps plein dans les forces armées pendant la Deuxième Guerre mondiale. Sur une population totale de 11,5 millions d’habitants, 1,100,000 personnes se sont enrôlées volontairement ou non. De ce nombre, 45,000 ont été tuées et plus 55,000 blessées.
Au cours de la guerre, le Canada voit son industrie se transformer et son économie est en plein essor. De nouvelles technologies et de nouveaux procédés de fabrication permettent de produire d’énormes quantités de matériel militaire. En 1942, on avait atteint le plein emploi, alors que des centaines de milliers de Canadiens trouvaient du travail dans les industries de guerre.
Suite à son énorme contribution militaire, le Canada est également reconnu comme un acteur international important, qui poursuit de plus en plus sa propre voie en politique étrangère. C’est en ce sens que les expériences vécues au pays et outre-mer pendant la Seconde Guerre mondiale ont renforcé le sentiment d’identité des Canadiens.
Bref, pour la guerre de 1939-1945, le Royal 22e Régiment se voit attribuer officiellement 25 honneurs de batailles à la suite des durs combats menés. Le tribut aura été lourd, avec un bilan de 382 soldats tués et 1,265 blessés.
bonjour jaimerais savoir ou je peux me renseigner sur la liste des noms des soldats qui sont revenus de la guerre de 1939 a 1945,mon oncle sappelais idola masson a present ye decede,mais jaimerais savoir si il ya des documents sur lui et mon ere rene masson il a ete soldat mais je sais quil navais pas ete se battre mais mon oncle idola a ete,et je me souviens quil racontais comment ca ete dure de voir mourir ses copains sous ses yeux,il etais tres troubler en le racontant.car je ne sais pas ou madresse merci a lavance.
Mon grand-père Maurice Gagnon faisait parti du R22eR et a combattu à la Casa Berardi. Savez-vous s’il existe une liste de noms des soldats qui y ont participés?
Mon père: Marc (ou: Mark) Martin, né le 09 mai 1917 a fait la deuxième guerre mondiale en qualité de lieutenant (ou: sous-lieutenant) d’infanterie dans le 22e Régiment. Existe-t-il un site (relié à ce régiment) où je pourrais trouver plus d’informations sur les membres du 22e Régiment ?
Merci d’avance
Très bon article qui nous donne la mesure d’un pan longtemps négligé de l’effort consenti à la libération de l’Europe.
On parle souvent, perspective américaine oblige, du Débarquement en Normandie comme ayant été la genèse de la libération sur le front de l’Ouest.
C’est oublier que les combats avaient commencé sur ce front bien avant cette opération certes d’envergure exceptionnelle. En Sicile, le 10 juillet 1943.
Un peu moins d’un an plus tard, le 4 juin 1944, les Alliés, victorieux, entraient à Rome, deux jours avant le fameux débarquement. Là où les opérations allaient se terminer dans les mois suivants, juste au nord-ouest, tout allait commencer dans moins de 48 heures…
Faut-il rappeler que les Canadiens n’ont pas participé aux célébrations de la libération de Rome, malgré les terribles efforts consentis?
Le coup d’envoi de la libération de l’Europe a donc, dans une large mesure, commencé en juillet 1943…
Nombre de vétérans de la campagne d’Italie ont souffert du relatif oubli dans lequel ils ont longtemps été confinés par rapport à leurs semblables qui ont fait la campagne de libération de l’Europe de l’Ouest (6 juin 44-8mai 45).
Merci pour cet article pertinent!