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La mitrailleuse: l’évolution d’une arme

L’élaboration du principe

La mitrailleuse britannique Vickers Mk. I.

Le concept d’une arme à feu capable de tirer rapidement de multiples coups sans avoir à la recharger remonte à aussi loin que le début de l’apparition de ces armes sur les champs de bataille. On peut même dire que cette idée de tirer plusieurs coups à cadence rapide constituait le postulat à la base de l’invention des armes à feu.

Des armes pouvant tirer en volées, avec de multiples petits canons disposés en parallèle en forme d’éventail, ou regroupés en une sorte de grappe, étaient le mieux que pouvaient fabriquer les ingénieurs à l’époque des fusils à silex et à rechargement par le canon. Par conséquent, il apparaissait évident que la meilleure arme à tir rapide et multiple que l’on pourrait fabriquer devrait être rechargée autrement que par le canon. À l’instar de l’invention d’armes à rechargement par la culasse, le développement de cartouches uniformes (qui contenaient l’étui, la poudre et l’ogive) s’avéra un élément déterminant dans la mise au point des mitrailleuses depuis. Les premiers fusils à percussion étaient sans doute meilleurs que ceux à silex, mais ce fut véritablement l’apparition du concept de rechargement via la culasse (et non par le canon) qui fit tomber les dernières barrières à la mise au point du tir multiple à cadence rapide.

Croquis de la mitrailleuse inventée par Wilson Agar vers 1860.

Le problème à la base de l’invention de la mitrailleuse reposait donc sur l’invention d’une cartouche qui contiendrait à la fois l’amorce et le corps de la balle. Cette combinaison fut testée sur une variété de mitrailleuses américaines opérées par manivelle dans les années 1850 et 1860. La plus efficace de ces premières mitrailleuses fut probablement celle de Wilson Agar, une arme qui ressemblait étrangement à un moulin à café. Une cinquantaine de ces mitrailleuses avaient été achetées par les forces de l’Union au début de la Guerre civile américaine pour la défense de Washington. Le surnom de « moulin à café » dérive de la trémie, ce réservoir en forme pyramidale installée sur le dessus de l’arme opérée par l’action d’une manivelle. Ce réservoir alimentait un canon en acier et il était préalablement rempli de cartouches chargées de poudre et d’ogives, le tout actionné à l’aide d’amorces.

L’époque de la manivelle

La mitrailleuse d’Agar fut dépassée par une autre, beaucoup plus efficace, inventée par Richard Gatling en 1861. Cette arme fut utilisée en quantités limitées et dans un but défensif pendant la Guerre civile. Comme la mitrailleuse d’Agar, et à l’image de la plupart des mitrailleuses qui seront mises au point au cours des trente prochaines années, la Gatling était opérée par l’action d’une manivelle. Contrairement à l’unique canon de la mitrailleuse Agar, la Gatling en avait six disposés autour d’un pivot central. Sous l’action de la manivelle, ces canons tournaient autour du pivot. Les cartouches s’inséraient dans la chambre, étaient tirées et les douilles éjectées de chaque canon.

La mitrailleuse à canons rotatifs inventée par Richard Gatling en 1861.

Avant l’apparition de la mitrailleuse automatique par Hiram Maxim dans les années 1880, la plupart des inventeurs firent des expériences sur des engins à canons multiples qui étaient actionnés par manivelle. Mis à part la célèbre Gatling, d’autres mitrailleuses à manivelle furent mises au point. On pense à celle de William Gardner, de même que la mitrailleuse Lowell (de son inventeur De Witt Farington of Lowell) et la Nordenfelt, une arme inventée par l’ingénieur suédois Heldge Palmcranz, mais financée par le banquier Thorsten Nordenfelt.

La mitrailleuse Gardner était équipée de deux canons côte à côte insérés dans un grand tube et ceux-ci étaient alimentés en cartouches par un grand chargeur fixé à la verticale sur la chambre de l’arme, à l’instar de la Gatling. Comme celle-ci, les cartouches « tombaient » dans la chambre, étaient tirées puis les douilles étaient éjectées, toujours par l’actionnement d’une manivelle. Cette mitrailleuse avait d’ailleurs été adoptée avec un succès relatif par la Royal Navy dans les années 1880.

La mitrailleuse à deux canons de William Gardner (1879).

Pour sa part, la mitrailleuse Lowell disposait de quatre canons avec une alimentation en cartouches similaire à la Gardner mais, en dépit de quelques ventes à la Russie et à la marine américaine, l’arme ne fut jamais une réussite. Quant à la Nordenfelt, celle-ci était généralement constituée de dix canons alignés parallèlement, mais leur nombre pouvait varier. Certains modèles de mitrailleuses Nordenfelt alignaient deux canons, d’autres pouvaient en utiliser douze. L’alimentation en cartouches s’opérait par la gravité, avec une trémie installée au-dessus de l’arme, le tout actionné par l’habituelle manivelle.

Une version à cinq canons de la mitrailleuse Nordenfelt.

La Nordenfelt pouvait tirer jusqu’à 100 cartouches par minute par canon, ce qui signifiait un potentiel de 1,000 cartouches tirées à la minute dans la version à dix canons. Cette mitrailleuse fut manufacturée selon différents calibres et elle fut adoptée par la Royal Navy en deux versions: un modèle à cinq canons de calibre de .45 pouce pour un usage antipersonnel, puis un modèle à quatre canons de calibre d’un pouce pour la défense contre de petites embarcations maritimes ennemies. La marine royale britannique utilisa donc trois types de mitrailleuses à actionnement par manivelle au cours de la période de 1870 à 1890: la Gatling, la Gardner et la Nordenfelt. Leurs usages pouvaient être à la fois offensifs et défensifs.

Exposition au début du XXe siècle en Angleterre des mitrailleuses Gardner, Maxim et Nordenfelt.

L’expérience européenne

De l’autre côté de la Manche, les inventeurs s’afférèrent à développer des mitrailleuses qui pourraient rivaliser celles produites en Amérique. Nous avons parlé de la Nordenfelt suédoise, mais d’autres modèles furent conçus en France et en Belgique, toujours sur le principe des canons multiples. À titre d’exemple, le Belge Joseph Montigny mit au point un engin qu’il vendit au gouvernement français. Il s’agissait d’une mitrailleuse à 37 canons (plus tard ramenée à 25 canons) capables de tirer tous les tubes à la fois ou procéder par sélection. En fait, cela dépendait de la vitesse avec laquelle la manivelle était opérée.

Croquis de la mitrailleuse ou du "canon à balles" mis au point par Joseph Montigny en 1863.

La mitrailleuse Montigny fut utilisée par l’artillerie française lors de la guerre franco-prussienne. L’idée de départ était bonne, à savoir l’utilisation de la mitrailleuse avec les canons en position défensive. Cependant, on se rendit vite compte que plusieurs d’entre elles furent détruites par le tir de contre-batterie de l’artillerie ennemie. Malgré tout, lorsqu’une mitrailleuse Montigny fut utilisée en appui de l’infanterie, comme ce fut le cas à la bataille de Rezonville/Gravelotte de 1870, celle-ci causa plus de 2,600 pertes chez les Prussiens, soit plus de 50% des forces faisant face à l’armée française. Il va sans dire que les Prussiens apprirent rapidement la leçon de cette douloureuse expérience.

La France adopta également la première mitrailleuse mise au point par la firme Hotchkiss dans les années 1880. Il s’agissait d’un canon rotatif de 37mm. Ce canon relativement efficace fut aussi acheté par diverses forces navales, comme celles de l’Allemagne, de la Russie, des Pays-Bas, de la Grèce et du Danemark. La mitrailleuse Hotchkiss s’opérait d’une manière similaire à celle de la Gatling, si bien qu’elle contribua à sa façon au développement accéléré dans le contexte de la course aux armements en cette fin de XIXe siècle.

Le "canon-revolver" Hotchkiss de 37mm mis au point en 1879. Le fonctionnement de l'arme est inspiré du mécanisme de la mitrailleuse Gatling.

L’ère Maxim ou le principe d’une arme automatique

Hiram Maxim posant avec sa mitrailleuse dans les années 1880. Il est considéré comme l'inventeur de la première mitrailleuse automatique telle qu'on la connaît de nos jours.

La décennie des années 1880 en fut une de transformations pour la mitrailleuse et, à l’instar de la Gatling, ce fut un Américain qui apporta une contribution décisive (même si ce furent les Européens qui en firent une réussite sur les champs de bataille). Le véritable inventeur de la mitrailleuse automatique, telle qu’on la connaît de nos jours, fut Hiram Maxim. Né dans le Maine de descendance huguenot, Maxim était un inventeur versatile qui avait connu du succès aux États-Unis avant d’émigrer en Angleterre au début des années 1880.

La mitrailleuse qui finit par porter son nom fut développée par lui entre 1883 et 1885. Maxim avait testé son arme devant un groupe d’officiers britanniques. Pour ce faire, il utilisa une cartouche de calibre .45 similaire à celle utilisée dans le fusil Martini-Henry, l’arme d’ordonnance de l’infanterie britannique de l’époque. Sa mitrailleuse était entièrement automatique, car elle alimentait son tir non pas par l’actionnement d’une manivelle, mais simplement par un mécanisme ingénieux qui n’était pas tombé dans l’œil des concepteurs d’autrefois. Maxim avait compris que la mitrailleuse devait s’alimenter en nouvelles cartouches à l’aide de l’énergie du recul séquentielle au tir pour éjecter l’étui et chambrer une nouvelle cartouche.

Une fois initialement armée et tirée, la mitrailleuse pouvait théoriquement fonctionner indéfiniment. L’énergie du recul faisait en sorte d’alimenter à lui seul la chambre avec de nouvelles cartouches, sauf si son utilisateur relâche la détente ou que l’arme s’enraye pour quelconques raisons. Capable de tirer jusqu’à 600 coups à la minute, la mitrailleuse Maxim disposait d’un seul canon qui était attaché à un réservoir d’huile pour permettre son refroidissement. De plus, la cadence du tir était conséquente au débit d’huile, de sorte que le canon ne surchauffe pas, car il risque de se déformer.

La version allemande de la mitrailleuse Maxim. La MaschineGewehr 1908, ou MG 08. Elle fut l'une des principales mitrailleuses utilisées par les Allemands pendant la Première Guerre mondiale.

Les Britanniques modifièrent la mitrailleuse Maxim afin d’adapter le canon pour accueillir la cartouche de calibre .303. Autrement dit, l’armée britannique allait acheter des mitrailleuses Maxim et en faire une arme d’ordonnance en 1889 et doter les premiers bataillons deux années plus tard. Pour leur part, les Allemands allaient également faire l’achat de la Maxim en 1899, de même que la Russie. Ces deux nations avaient acheté la licence afin de manufacturer cette mitrailleuse et la Russie fut la première à l’utiliser lors de la guerre contre le Japon en 1904-1905, avec des effets dévastateurs chez l’ennemi.

Les Britanniques avaient également eu des occasions de tester leur nouvelle acquisition lors de diverses guerres coloniales entre 1889 et 1895, face à des adversaires moins bien équipés. Lors de la Guerre des Boers de 1899 à 1902, un conflit remporté avec beaucoup plus de difficultés, les vainqueurs britanniques de même que leurs ennemis utilisèrent des mitrailleuses Maxim.

Le perfectionnement du principe

Il n’en fallut pas long afin de voir apparaître les premiers compétiteurs de la mitrailleuse Maxim. D’autres systèmes de tir automatique virent le jour à peu près à la même époque, soit au tournant du XXe siècle. Par exemple, l’Américain John Browning inventa une mitrailleuse à rechargement par emprunt de gaz, contrairement à l’énergie du recul chez Maxim. Dans le système de Browning, une partie du gaz sous pression généré par le tir de la cartouche sert à éjecter la douille et insérer une nouvelle cartouche dans la chambre. Ce système avait d’ailleurs été perfectionné par la compagnie Colt en 1895.

John Browning faisant la démonstration de sa mitrailleuse modèle 1917.

La même année, le manufacturier français Hotchkiss développa à son tour une mitrailleuse à emprunt de gaz, dont le même concept avait été inventé simultanément par l’Autrichien Adolph von Odkolek. Ce système fut adopté par l’armée française en 1897. En Autriche, la firme Skoda développa en 1888 une mitrailleuse dont le rechargement automatique était basé prioritairement sur un système dit « à court recul du canon ». Le principe étant que la culasse et le canon reculent ensemble lors du tir avant d’être séparés, puis la culasse continue seule son recul. Par conséquent, à la fin du XIXe siècle, les trois principaux systèmes de tir automatique des mitrailleuses avaient été mis au point: le recul, l’emprunt de gaz et le système à court recul du canon. Les nations continueront de les perfectionner lorsqu’éclatera la Première Guerre mondiale en 1914.

En haut, la mitrailleuse Skoda modèle 1909 avec un "cache-flamme" sur le canon.

La mitrailleuse: une arme parfaite?

Poser la question revient à y répondre, mais par la négative. En effet, la mitrailleuse était loin d’avoir un fonctionnement parfait. Les principaux problèmes étaient centrés sur le poids de l’arme, sa manœuvrabilité, sa versatilité, et par-dessus tout l’incertitude face à son emploi tactique sur les champs de bataille.

Le fusil-mitrailleur Lewis qui équippa les forces britanniques pendant la Première Guerre mondiale. Cette arme comprenait un chargeur de 47 cartouches et le canon était refroidi par un tube à condensation d'air. La version aérienne de la mitrailleuse Lewis ne disposait pas du tube et comprenait un chargeur à 97 cartouches.

En 1914, l’Allemagne et l’Angleterre partirent à la guerre avec des versions différentes, mais inspirées de la mitrailleuse Maxim. L’armée britannique était équipée de la mitrailleuse Vickers Mk. I et l’armée allemande de la mitrailleuse MaschineGewehr (MG) Modell 1908. La Vickers pesait 34 livres et la MG 08 44 livres. Ces poids n’incluaient pas ceux du trépied et d’autres équipements d’appoint, notamment les boîtes d’huile et celles des munitions. Il n’empêche, ces mitrailleuses provoquèrent des effets destructeurs sur les champs de bataille. D’ailleurs, pour ne prendre qu’un exemple, les Britanniques apprirent de dures leçons quant aux rôles de la mitrailleuse dans la guerre statique des tranchées. Autant les soldats devaient affronter cette arme avec respect, autant il était difficile de l’opérer au plan tactique, sans compter qu’une utilisation optimale de l’engin nécessitait un bon travail en équipe.

Le maniement d'une mitrailleuse lourde nécessiste un travail d'équipe. C'était particulièrement le cas lors de la guerre de 1914-1918. Une équipe de trois hommes était l'idéal: le tireur, le chargeur et l'observateur.

La guerre de 1914-1918 vit également l’apparition de modèles de mitrailleuses plus légères. Les Britanniques avaient adopté le fusil-mitrailleur Lewis et les Allemands avaient modifié la MG 08 et lui ajoutant une crosse d’épaule et un bipied. Ce nouvel engin fut rebaptisé la MG 08/15. Cependant, bien qu’étant plus légères, la Lewis et la MG 08/15 demeuraient lourdes et pour être utilisées de manière optimale, il fallait que le tireur soit assisté d’un autre soldat pour le fournir en munitions.

Une version plus légère de la MG 08 avec une crosse d'épaule, la MG 08/15.

De son côté, l’armée française suivit une voie similaire en adoptant pendant la guerre le fusil-mitrailleur Chauchat et la mitrailleuse Hotchkiss. Les deux modèles, mais surtout le premier, équipèrent notamment les forces américaines débarquées en France à partir de 1917. Aux États-Unis, la compagnie Browning poursuivit le développement de nouvelles mitrailleuses. La compagnie mit au point en 1917 une mitrailleuse lourde à refroidissement à l’eau qui vit du service en France l’année suivante. Cette mitrailleuse était dérivée du système d’emprunt à gaz et elle équipa entre autres les escadrons de l’aviation. Les avions de la Première Guerre mondiale étaient généralement équipés des mêmes mitrailleuses que l’infanterie, mais les modèles étaient allégés et conçus pour être refroidis par l’air. Les mitrailleuses montées sur les avions devaient être modifiées afin d’ajuster la cadence de leur tir aux cycles des hélices pour tirer au travers.

La mitrailleuse française Hotchkiss modèle 1914 alimentée par des cartouches fixées sur des plaques.

L’emploi tactique: un débat récurrent

Les leçons durement apprises par l’armée prussienne en 1870-1871 sous-tendaient le débat qui préoccupa les militaires européens de la période de 1880 à 1918 quant à l’emploi tactique de la mitrailleuse. Il était évident que la mitrailleuse s’avérait inefficace lorsqu’elle était utilisée comme une arme d’artillerie. Au niveau défensif, seule l’armée allemande semble avoir compris à partir de 1914 l’impact considérable de cette arme au niveau défensif.

Il suffisait alors de croiser le feu de plusieurs mitrailleuses afin de créer une véritable zone de mort infranchissable pour des troupes d’assaut. Ayant établi sa suprématie comme arme défensive lors de la guerre de 1914-1918, la mitrailleuse est largement responsable de l’impasse constatée sur les divers fronts de la guerre de tranchées, du moins jusqu’au moment de l’apparition du char d’assaut qui lui fit échec.

Les développements ultérieurs de la mitrailleuse après 1918 se sont principalement concentrés sur les questions du poids et de la puissance de feu. Ces deux facteurs devinrent révélateurs à mesure que les guerres de mouvement rapide impliquant une coopération serrée entre les forces terrestres et aériennes remplacèrent la brève expérience de la guerre statique vécue de 1914 à 1918.

La mitrailleuse américaine Browning de calibre .50.

Des mitrailleuses de haute puissance furent mises au point, en particulier pour répondre aux besoins des forces aériennes. Parmi ces armes, notons la mitrailleuse américaine Browning de calibre .50 qui fut employée dans les escadrons de chasse, dans les tourelles et fuselages des bombardiers, et même sur les chars d’assaut. Sur ce point, des munitions antichars furent introduites et leur usage fut étendu pendant la Seconde Guerre mondiale.

Après 1918: l’utilisation offensive de la mitrailleuse

La guerre de 1914-1918 avait vu une utilisation généralement défensive de la mitrailleuse. Ce fut surtout à partir de 1918 et dans la période de l’après-guerre que les militaires étudièrent le potentiel de la mitrailleuse à des fins offensives. En ce sens, l’Allemagne prit la direction avec le développement de mitrailleuses plus légères et de pistolets-mitrailleurs. À titre d’exemple, l’Allemagne adopta la MaschineGewehr 1934 (MG 34) l’année suivant l’accession de Hitler au pouvoir.

La MaschineGewehr 34.

La course renouvelée aux armements à la fin des années 1930 amena la mise au point de diverses mitrailleuses aux accents de légèreté. Les Britanniques adoptèrent la Bren, une mitrailleuse légère développée d’après des plans tchèques, avec une chambre pouvant accueillir la munition de calibre .303 des carabines et qui pesait seulement 22 livres. Pour sa part, la mitrailleuse allemande MG 34 avait été remplacée après 1942 par la MG 42, une arme opérée par emprunt de gaz à piston. Cette mitrailleuse d’une cadence de tir effarante de 1,200 coups à la minute avait de quoi tenir en respect ceux qui lui faisaient face.

Légère, la MG 42 ne coûtait pas cher à manufacturer et elle pouvait s’adapter à n’importe quelle condition sur le terrain. Une version spéciale de la MG 42 avait été dessinée spécialement pour les forces parachutistes sous le nom de FallschirmGewehr (FG 42). La MG 42 « survécut » à la Seconde Guerre mondiale, dans la mesure où nombre de mitrailleuses actuellement en service dans plusieurs armées du monde sont inspirées, sinon carrément copiées sur le modèle allemand.

La terrible MaschineGewehr 42 capable de tirer un maximum de 1,200 coups à la minute. Nombre de mitrailleuses actuellement utilisées dans les armées du monde sont inspirées de ce modèle de la Seconde Guerre mondiale.

La plupart des armées d’aujourd’hui possèdent des mitrailleuses relativement légères inspirées des modèles des années 1940. Par contre, des armes plus lourdes comme la mitrailleuse de calibre .50 et ses dérivés conservent toujours leurs rôles sur les champs de bataille. De plus, des mitrailleuses à « utilisations générales » d’un poids mitoyen furent également mises en service et celles-ci s’inspirent notamment de la célèbre MG 34 allemande. Le but étant de trouver une alternative aux mitrailleuses légères utilisées à l’offensive et celles pour lourdes à des fins défensives. Cependant, les tendances actuelles démontrent que la mitrailleuse légère semble avoir la préférence des armées, dans la mesure où elle constitue un efficace fusil d’assaut monté sur bipied afin de fournir un appui-feu immédiat au sein d’une petite section d’infanterie, à titre d’exemple.

Mitrailleuse ou canon? Le "Chain Gun" capable de tirer 4,000 coups à la minute.

Mis à part l’utilisation qu’en fait l’infanterie, la mitrailleuse est largement utilisée par d’autres branches des forces armées depuis au moins les quarante dernières années, comme au sein des forces blindées et des escadrons aériens (chasseurs et hélicoptères). Par exemple, le concept dérivé de l’ancienne mitrailleuse Gatling des années 1860 fut copié pour la mise au point d’une autre Gatling plus moderne que les Américains surnomment le « Chain Gun ». Cette arme dévastatrice équipe aujourd’hui les chars, les chasseurs et les hélicoptères, utilisant cette fois l’électricité comme force motrice avec comme résultat une terrible cadence de tir de 4,000 coups à la minute.

Tirer à la mitrailleuse demande un effort physique exigeant. En plus du bruit assourdissant, le tireur doit apprivoiser le recul de l'arme, gérer le stress du combat, réparer rapidement son arme en cas d'enrayement et respirer à travers les émanations de gaz provenant des cartouches éjectées et de la chambre.

L’armée macédonienne

Un outil de conquêtes

Représentation de Philippe II de Macédoine.

Jusqu’à l’accession de Philippe II en 359 avant notre ère, des querelles internes et de puissants voisins avaient empêché la Macédoine d’atteindre son plein potentiel militaire. Pendant les cinq premières années de son règne, Philippe avait mis fin aux disputes internes et il développa le plus puissant outil militaire de la Grèce antique dans le but d’abattre ses ennemis voisins. La force de l’armée macédonienne sous Philippe reposait sur les innovations tactiques, l’entraînement et la qualité du commandement.

La base de l’armée macédonienne sous Philippe était constituée d’une solide infanterie nommée la phalange qui, une fois déployée, pouvait ressembler à une sorte de « hérisson mobile ». La phalange comprenait des hommes équipés d’une armure légère et armés d’une longue pique nommée la sarisse. Les faibles coûts relatifs des équipements signifiaient qu’un effectif important pouvait être levé, probablement sur une base locale, jusqu’à former des brigades sur une base régionale. L’entraînement intensif avait pour but premier d’assurer une mobilité modérée à cette masse d’infanterie.

L’élite de cette armée macédonienne sous Philippe était formée de sa garde personnelle royale que l’on identifiait comme les Hypaspistes. Ceux-ci étaient équipés de boucliers plus lourds et d’une pique plus longue, à l’image des hoplites conventionnels. Sur le champ de bataille, les Hypaspistes pouvaient protéger les flancs des phalanges ou entreprendre des missions particulières à la demande du commandement. Au niveau offensif, la force offensive de l’armée de Philippe reposait sur une cavalerie d’élite dite des « Compagnons ».

Représentation d'un soldat des Hypaspistes.

Les effectifs de l’armée macédonienne sous Philippe furent largement accrus. Les conquêtes territoriales au détriment des cités côtières grecques lui permirent d’attribuer de nouvelles terres à une plus grande quantité de ses soldats, ce qui constituait indirectement une source appréciable de recrutement. Celui-ci se faisait sur une base locale, où les villes fournissaient les contingents. Au plan financier, Philippe pouvait compter sur les revenus fournis entre autres par les mines en Thrace, ce qui lui permettait même d’embaucher des mercenaires et des experts comme des ingénieurs de sièges au besoin.

Ce qui pouvait frapper les observateurs à première vue, c’était la rapidité d’exécution de l’armée macédonienne et sa capacité à demeurer mobilisée à longueur d’année, contrairement à celles des autres cités grecques. Les soldats de Philippe étaient entraînés afin d’être capables d’apporter le gros de leurs équipements, mais sans s’épuiser inutilement. Pour les soutenir, ils avaient une logistique organisée à l’aide d’animaux pour assurer le transport de leurs bagages. La discipline régnait également dans l’armée, en particulier chez les mercenaires qui étaient fermement contrôlés. De plus, le moral semblait élevé, dans la mesure où le roi en personne donnait l’exemple sur le champ de bataille et que la bravoure était récompensée.

Conquêtes et adaptation sous Alexandre

Buste d'Alexandre le Grand.

Au lendemain de la mort de son père Philippe, Alexandre « le Grand » hérita d’une formidable machine de guerre prête à entreprendre une nouvelle conquête: celle de la Perse. La marche à l’est fut pénible et seule la discipline permit à cette armée de s’en sortir. Alexandre conduisit son armée à travers les dangereux passages des Balkans. Ses soldats parvinrent à transporter leurs lourds wagons à travers la Thrace, affronter les chariots scythes à Arbèles (actuel nord de l’Irak) ou les éléphants ennemis sur la rivière de l’Hydaspe (actuel Pakistan). Par ailleurs, la bonne coordination entre les différentes unités de l’armée macédonienne permettait l’exécution de manœuvres difficiles, mais nécessaires selon les circonstances. À titre d’Exemple, lors d’un passage difficile d’une rivière en Illyrie, Alexandre parvint à replier son armée en déployant ses catapultes et ses lance-missiles de sorte à couvrir la retraite de l’infanterie et de la cavalerie.

Cela dit, l’armée macédonienne forma le corps principal de l’expédition qu’entreprit Alexandre en Perse en 334 avant J.-C. Le roi disposait d’une infanterie macédonienne forte de 15,000 hommes et de trois brigades d’Hypaspistes (dont l’une était sa garde personnelle) composée de 1,000 cavaliers chacune. La phalange principale était organisée en six brigades fortes de 1,500 à 2,000 fantassins. Pour sa part, la composante à la base de cette infanterie dans la brigade était le lochos, une unité de seize hommes commandés par un lochagos. De son côté, la cavalerie était organisée en huit escadrons d’environ 225 à 250 hommes appuyés au besoin par une poignée d’escadrons de reconnaissance.

Comme nous l’avons dit, les troupes alliées et les mercenaires pouvaient fournir non seulement des effectifs supplémentaires, mais également des compétences spécialisées. Parmi les unités régulièrement affectées aux missions difficiles, aux côtés des Hypaspistes macédoniens, se trouvaient notamment des archers crétois. Aussi, la cavalerie thessalienne, forte de près de 2,000 hommes en 334, était une unité d’élite appelée à intervenir dans les situations difficiles.

Représentation de la bataille de Gaugamèles en 331 avant J.-C. L'armée macédonienne d'Alexandre (à gauche) face aux Perses commandés par le roi Darius (à droite).

Malgré les distances, Alexandre recevait régulièrement des renforts grâce à la qualité du travail de son général Antipater qui lui en envoyait de la Macédoine. Il n’est par contre pas possible d’établir avec précision le nombre des effectifs de l’armée macédonienne au cours de la campagne perse, à titre d’exemple. Cependant, on pense que l’armée macédonienne atteint son effectif maximum à la bataille d’Arbèles (Gaugamèles) avec l’arrivée à point nommé de recrues qui furent rapidement intégrées aux unités existantes.

Les rivalités politiques ou le début de la fin

Comme toute armée efficiente, celle de Macédoine savait s’adapter aux circonstances, aux pertes subies et même aux aléas de la situation politique. En 331, la cavalerie se réorganisa en étant subdivisée en deux unités (lochos), peut-être en réponse aux effectifs grandissants, mais peut-être aussi en raison des rivalités politiques qui liaient les commandants avec leurs unités recrutées sur une base locale. En 330, d’autres facteurs politiques amenèrent d’autres changements dans la chaîne de commandement de la cavalerie macédonienne. Après l’élimination de Philotas pour complot, le commandant de la cavalerie depuis 334, la direction des forces à cheval fut attribuée à deux hipparques, Héphaestion et Cleithos. Au moment de l’invasion de l’Inde en 326, la direction de la cavalerie était confiée à huit hipparques.

Le développement le plus significatif qui s’est opéré dans l’armée macédonienne sous Alexandre fut probablement l’incorporation progressive de troupes orientales initialement enrégimentées sous leurs bannières nationales. Venues de l’Orient, ces troupes fournissaient principalement de la cavalerie, en particulier des régions de Bactrie et la Sogdiane. Alexandra poussa la logique plus loin en mélangeant ces unités à ses propres soldats de cavalerie, si bien qu’avec le temps, les Orientaux finirent par obtenir le titre convoité de Compagnons. Du côté de l’infanterie, Alexandre paya pour le recrutement et l’entraînement à la manière macédonienne de quelque 30,000 Orientaux qui formèrent des phalanges vers 324. Simultanément, la phalange fut réorganisée de manière à saupoudrer dans ses rangs, au niveau des lochos, des recrues orientales.

Représentation de la célèbre phalange macédonienne.

Après la mort d’Alexandre en 323, ses successeurs connurent des difficultés dans la gestion de l’armée macédonienne qui perdit de sa flexibilité. Le recrutement était problématique et les successeurs des dynasties des Ptoléméens et des Séleucides durent compter sur les habitants locaux pour combler les rangs. Aussi compétentes que ces troupes puissent être, leur arrivée dans l’armée macédonienne avait forcément changé le caractère « élitiste » de cette institution. Cette dernière délaissait tranquillement l’infanterie pour se rabattre sur les éléphants (qu’Alexandre avait contré avec facilité de son vivant). La cavalerie perdit de son efficacité comme force de frappe principale, si bien que la phalange, équipée de sarisses pouvant atteindre 5,5 mètres de long, était devenue l’arme offensive de choix.

Face aux dangereux ennemis qu’étaient les Romains, la phalange offrait toujours un spectacle impressionnant. Cependant, son inflexibilité et ses difficultés à s’adapter aux différents terrains la rendirent vulnérable à terme.

Histoire de l’infanterie

La guerre à pied

À une certaine époque de l'humanité, la pratique de la chasse et celle de la guerre demandait des habiletés similaires.

Dans l’histoire de l’humanité, le soldat à pied est aussi vieux que l’Homme. L’habileté de celui-ci à fabriquer des armes et à s’en servir avait un but initial bien précis. L’Homme cherchait à livrer à l’animal une lutte à armes égales, dans la mesure où il ne possédait pas, tout simplement, des dents et des griffes.

Les armes que l’Homme fabrique se divisent en deux catégories qui s’appliquent toujours et qui définissent le soldat d’infanterie. Il y a d’abord des armes de jet, qui étaient initialement, à titre d’exemple, le bâton, la pierre, la flèche et la lance de jet. Ces armes permettaient au soldat de frapper à distance, alors que d’autres armes lui servaient pour le combat rapproché. Parmi ces dernières, notons la masse, la lance de frappe et l’épée.

Par ailleurs, la fragilité du corps humain, qui est spécialement exposé lors d’un combat rapproché d’infanterie, amena le soldat à se protéger avec des boucliers, des casques et des armures. La relation entre le poids des armes et des équipements et la mobilité générée par la force musculaire fut une préoccupation constante chez le fantassin. De plus, à une époque plus ancienne, la guerre et la chasse pouvaient se confondre, en particulier au plan tactique. En effet, les tactiques de l’Homme à la guerre étaient une extension de ce qu’il pratiquait au quotidien à la chasse.

L’Homme embusquait, il effectuait des raids et il pouvait balayer ses ennemis en comptant sur la coopération de ses semblables et en utilisant son environnement immédiat à des fins tactiques. L’Homme était essentiellement un guerrier dont les habiletés tactiques se constataient au niveau individuel. Il n’était pas un soldat au sens premier du terme, dans la mesure où il lui est demandé d’exécuter ces mêmes habiletés tactiques en collectivité, avec ses semblables.

L’infanterie à l’ère antique

L'organisation de l'infanterie et des moyens de pratiquer la guerre sont aussi anciens que les premières cités-états.

Cette transition consistant à faire la guerre seul vers la pratique de la guerre en collectivité ne se fit pas du jour au lendemain. On peut penser que vers 2,500 avant J.-C., la pratique organisée de la guerre se vit une première fois à travers l’infanterie des cités-états de Mésopotamie. Ces soldats disposaient d’un armement similaire, avec des épées et des boucliers, et ils partaient à la bataille en masse plus ou moins compacte de phalanges qui demandaient un entraînement peu complexe.

Bien que le statut de cette première infanterie ait été éclipsé par celui des chariots et des cavaliers, les soldats à pied jouèrent un rôle primordial dans plusieurs des grandes armées de l’Antiquité. Les cités-états de la Grèce antique mirent sur pied les hoplites, dont l’appellation dérivait de l’hoplon, le bouclier de bronze utilisé par ces soldats. Les armées hoplites livrèrent des batailles dont la durée était généralement limitée en raison des difficultés physiques à transporter les lourds boucliers et les longues lances de l’époque.

Comme infanterie lourde et bien équipée, les hoplites grecs ne craignaient pas une charge directe de la cavalerie ennemie. Par contre, ils étaient vulnérables face à des assauts sur les flancs. Pour leur part, on note que les Spartiates démontraient un impressionnant niveau d’organisation dans leur infanterie. Selon certains chroniqueurs de l’époque, notamment Plutarque, l’infanterie spartiate manœuvrait avec une cohésion qui semblait parfaite, ne laissant aucun vide dans les rangs.

Sous le règne Alexandre le Grand, les fantassins formaient le cœur de son armée. Ils étaient plus légèrement équipés que leurs prédécesseurs, bien qu’ils emportaient la sarisse, une longue lance qui faisait au moins 4,5 mètres. Au niveau tactique, l’unité de base de l’infanterie d’Alexandre était le syntagme, une formation de 256 hommes répartis sur 16 rangs. Le syntagme pouvait être combiné à d’autres unités pour former une phalange spéciale, suffisamment flexible afin de pouvoir ouvrir les rangs à tout moment et ainsi laisser passer les chariots perses ou les éléphants indiens de l’époque.

Une unité de phalange grecque nommée "le syntagme" consistant en une formation de 256 hommes répartis sur 16 rangées.

Plus tard, les légions romaines, qui se sont développées à la suite de deux guerres majeures contre Carthage au IIIe siècle avant notre ère, faisaient preuve d’une flexibilité encore plus grande. L’organisation de l’infanterie romaine reposait sur des sous-groupes précis. La plus petite unité, le contubernium, était composée de 8 soldats, suivie de la centurie de 80 hommes, de la cohorte formée de 6 centuries et, enfin, de la légion comprenant 10 cohortes. Cette organisation connut des variantes sous la République et l’Empire, mais sa survie au cours des siècles reflète au final la force de l’institution militaire romaine.

Le légionnaire romain emportait une lance de jet, le pilum, qu’il utilisait dans le but de désorganiser les rangs ennemis avant qu’il charge, armé de son épée et de son bouclier. De plus, la discipline de fer, l’entraînement très dur et les procédures opérationnelles standardisées ont tous été des facteurs qui, combinés, ont contribué aux succès des légions romaines. Les Romains étaient néanmoins conscients que malgré la qualité de leur infanterie, il fallait qu’elle soit appuyée par des unités auxiliaires. Celles-ci comprenaient de la cavalerie et des troupes plus légères armées de missiles (lances, flèches, pierres…) que fournissaient généralement les alliés de Rome.

Les légions romaines constituèrent probablement les troupes d'infanterie les plus redoutables de leur époque.

Face à l’armée romaine, il y avait toujours de dangereux ennemis. Le fait de les sous-estimer et de livrer bataille sur des terrains difficiles pouvait former une combinaison pouvant s’avérer fatale aux légions romaines. En 53 avant J.-C., les archers montés parthes vainquirent Crassus à Carrhes, de même que des légions romaines furent anéanties en 9 dans la dense forêt de Teutberg.

Le déclin de la base de recrutement des légions romaines (qui étaient de moins en moins « romaines ») et la rigidité de leur doctrine tactique à la fin de l’Empire causèrent l’affaiblissement global de l’infanterie romaine. L’empereur Valens fut défait et tué en 378 à la bataille d’Andrinople par la cavalerie gothique qui se rua sur son infanterie fatiguée et démoralisée. Pour au moins les mille prochaines années, la cavalerie semblait dominer les champs de bataille, du moins en Occident.

La « période noire » médiévale

De l’Est venaient des vagues de cavaliers légers manœuvrant dans les steppes, alors qu’à l’Ouest des chevaliers aux armures lourdes émergeaient comme instrument militaire dominant. Le lien entre le statut social et l’efficacité militaire, qui favorisait le soldat à pied à l’époque des hoplites et des légionnaires, avait évolué au début de la période médiévale. En clair, les fantassins ne jouissaient plus du même prestige que les soldats montés, même qu’un accroissement éventuel de l’efficacité de l’infanterie pouvait poser une menace au statut du chevalier. Les armées du Moyen Âge n’étaient en effet qu’un ensemble restreint de soldats montés issus de la noblesse, avec des soldats à pied qui avaient une faible valeur, et ce, tant au niveau social qu’au plan de l’efficacité militaire.

Un exemple d'une formation de piquiers suisses. Les soldats de la première rangée pointent leur pique de manière à arrêter la vague ennemie. La seconde rangée pointe la pique à la hauteur des épaules de sorte à protéger les soldats de la première rangée.

La menace majeure qui se posait aux chevaliers de l’ère médiévale vint des soldats formés en Suisse. Ces fantassins étaient entraînés rigoureusement de manière à utiliser la pique. Il s’agissait d’une longue lance faisant au moins 5,4 mètres qui était pointée défensivement à la hauteur des épaules, tandis que d’autres soldats postés tout juste devant la pointe des piques pouvaient se ruer sur l’ennemi avec leurs épées ou leurs haches. Dans ce contexte, les Suisses s’organisaient généralement pour livrer bataille sur un sol qui ne permettait pas à la cavalerie ennemie de manœuvrer adéquatement. Ce sont d’ailleurs ces tactiques efficaces qui permirent aux Suisses de remporter d’importantes victoires aux XIV et XVe siècles face à divers envahisseurs. Les formations de piquiers furent éventuellement surpassées à partir du XVIe siècle, notamment par les lansquenets allemands qui combinaient de judicieuses utilisations de piques (hallebardes) et d’arquebuses.

Si la pique était une arme de choc reconnue, la seconde menace qui se présenta aux chevaliers était exactement l’opposé. Dès le XIIIe siècle, l’arc long était devenu l’arme principale de l’infanterie anglaise et galloise. Les archers ont combattu avec des chevaliers et des lanciers en tant que membres d’une sorte de force combinée et leurs effets contre une force de cavalerie en armure lourde ou contre une infanterie ennemie laissée à elle-même pouvaient être dévastateurs. À la bataille de Falkirk en 1298, les archers anglais taillèrent en pièces les lanciers écossais sous un tir répété de flèches. À Crécy, en 1346, ces mêmes archers anglais ont démoli la cavalerie française. Les Français en avaient déduit que leur échec était attribuable à la vulnérabilité de leurs soldats montés face aux flèches. Cependant, la bataille d’Azincourt de 1415 montra la fausseté de cette analyse, puisque l’infanterie française subit le même sort.

Des pressions d’ordre militaires et sociales ont amené le déclin progressif de l’arc long sur le champ de bataille. Ce ne fut pas avant le début du XIXe siècle que les armes à feu pouvaient rivaliser avec les arcs longs, tant au niveau de la distance et de la cadence du tir que de la précision. À cet égard, il faut considérer que les archers étaient les produits de plusieurs siècles d’entraînement, et de transmission de savoirs et d’habiletés qu’il était difficile à reproduire selon les pertes qu’ils subissaient. Par contre, les monarques des XVe et XVIe siècles investissaient de plus en plus dans des armements plus modernes, si bien que les armes à feu étaient sur le point de redéfinir, comme la chevalerie à une autre époque, le nouveau statut social des soldats.

La « renaissance » de l’infanterie (XVIe – XVIIIe siècles)

Les XVIe et XVIIe siècles ont démontré les différentes configurations de l’infanterie, dont les styles et les organisations variaient, que ce soit chez les Anglais ou chez les Suisses. L’infanterie du début de l’Europe moderne combinait le feu de la poudre à canon (d’abord avec l’arquebuse et ensuite le mousquet) avec celui de l’arme blanche pour délivrer le choc. Ce fut l’armée espagnole qui montra en ce sens l’exemple des nouvelles évolutions tactiques avec les tercios (qui signifie dans un contexte militaire le « tiers d’une armée »), l’unité administrative et militaire de l’infanterie espagnole à cette époque. Les tercios s’organisaient normalement en plaçant des piquiers au centre d’un front d’infanterie et des unités armées de mousquets sur les flancs.

Une unité espagnole de "tercio".

D’autres tacticiens tels Maurice de Nassau et Gustave Adolphe améliorèrent l’efficacité de l’infanterie en mettant d’abord au point des unités plus petites et flexibles, tout en augmentant la proportion de mousquetaires par rapport aux piquiers. Cette transformation progressive s’accéléra au cours de la Guerre de Trente Ans et lors des guerres civiles en Angleterre au XVIIe siècle. D’ailleurs, en 1691, lorsque des régiments anglais quittèrent pour aller combattre en Flandre, les piquiers formèrent un peu moins du quart des effectifs.

Vers la fin du XVIIe siècle, le fusil à mèche fut remplacé par le fusil à silex, une arme plus facile d’utilisation, mais qui était plus coûteuse à fabriquer. Aussi, l’invention de la baïonnette à la même époque sonna le glas de la pique, bien que pendant plusieurs décennies subséquentes les officiers et les sergents pouvaient emporter des piques comme symbole d’autorité. Les premières baïonnettes de type « bouchon » étaient insérées dans le canon du mousquet, faisant en sorte qu’évidemment, l’arme ne pouvait pas tirer. Les armées européennes se rendirent rapidement compte des difficultés à combattre avec ce système, puisqu’elles ne pouvaient pas, par exemple, tirer puis charger à la baïonnette. Plus tard, au début du XVIIIe siècle, on inventa une baïonnette à « tenon » qui se fixait autour du canon afin que l’arme puisse tirer.

Une unité d'infanterie prussienne vers le milieu du XVIIIe siècle. On remarque un officier (ou sergent) armé d'une pique. La pique était à la fois une arme et un symbole d'autorité à cette époque. Les soldats sont quant à eux armés d'un fusil à silex et d'une baïonnette à tenon.

À l’âge de l’industrialisation (XIXe siècle)

La généralisation des armes à feu amena le développement d’une infanterie de ligne. Celle-ci formait dorénavant le noyau des armées et elles influençaient la décision sur les champs de bataille par la régularité de son tir et la cohésion dans ses rangs. Cependant, il faut préciser qu’à lui seul, le mousquet était une arme relativement imprécise, même entre les mains d’un bon tireur. Pour donner une idée, un bataillon d’infanterie prussien de la fin du XVIIIe siècle qui tirait sur une cible de deux mètres de hauteur et 30 mètres de largeur, ce bataillon touchait l’objectif 25% du temps à une distance de 200 mètres, 40% à 135 mètres et 60% à 70 mètres.

Sous le stress des conditions d’un champ de bataille, la proportion diminuait dramatiquement. Bon nombre des grands commandants de l’époque, comme Napoléon, Frédéric II de Prusse et le Duc de Wellington, étaient des hommes qui accordèrent un soin particulier à l’entraînement de l’infanterie et ils l’utilisèrent à bon escient. Il y avait également des débats quant à l’efficacité de la formation en colonne ou en ligne pour l’infanterie.

Waterloo, 1815. La vue d'un régiment d'infanterie qui avance baïonnettes aux canons créer un impact psychologique qui peut entraîner la panique et la fuite des soldats ennemis.

La colonne semblait mieux adaptée pour la manœuvre, alors que la ligne était recommandée pour la concentration du tir. Bien qu’il y avait certaines préférences nationales, on note par exemple que les armées françaises sous la Révolution utilisaient souvent la colonne, avec des tirailleurs déployés au-devant pour prendre contact avec l’ennemi, puis des bataillons déployés pour le tir et d’autres, en colonne, prêt à renforcer ces derniers ou à charger à la baïonnette. Cette approche tactique des armées révolutionnaires connut généralement du succès au tournant du XVIIIe siècle.

Contrairement à une certaine croyance populaire, les affrontements à la baïonnette étaient plutôt rares, pour la simple raison que dans une majorité de batailles, l’un des belligérants fuyait avant que ne se produise le choc. La baïonnette avait sans doute un impact d’ordre psychologique, mais la détermination d’une armée à engendrer le choc avec l’ennemi résulte davantage de la discipline, de la ferveur patriotique (le cas échéant) et des habiletés tactiques des soldats.

Toujours à la même époque, une unité d’infanterie qui fait preuve de cohésion sur le champ de bataille pouvait généralement faire obstacle à un assaut de cavalerie en formant le carré. Face à cette situation, le commandant de l’armée ennemie qui se trouve en face pouvait utiliser diverses tactiques pour battre l’infanterie adverse. Il pouvait utiliser son artillerie pour briser ce carré, puis faire donner à nouveau sa cavalerie pour déstabiliser davantage la formation ennemie.

Un exemple classique d'une formation d'infanterie en carré. Le but premier de cette formation est de contrer un assaut de la cavalerie ennemie ou de quelconque force mobile.

Ces tactiques avaient leurs limites. Une infanterie sur la défensive et armée d’un équipement adéquat pouvait causer de lourdes pertes, même si elle faisait face à un adversaire résolu à marcher à travers son feu. À cette infanterie lourde devait s’adjoindre une force à pied plus légère. À la fin du XVIIIe siècle, des compagnies légères étaient fréquemment combinées à des unités de grenadiers dont les soldats emportaient des grenades à main et qui étaient censés constituer les compagnies de flanc d’un bataillon.

Les changements technologiques se sont accélérés au XIXe siècle. Par exemple, le fusil à silex fut progressivement remplacé dans les années 1830 par le fusil à percussion, plus simple d’utilisation. De plus, les fusils commençaient à être manufacturés à grande échelle dans les années 1850. Vingt ans plus tard, lors de la guerre franco-prussienne, on assista au premier conflit d’envergure dans lequel les infanteries de part et d’autre utilisèrent des fusils à armement par la culasse.

Les lourdes pertes enregistrées en 1870-1871 par les infanteries belligérantes ne sont pas tant attribuables au fusil à culasse, mais surtout parce qu’on manœuvrait les forces en masses compactes face à une puissance de feu beaucoup plus forte. Par exemple, à la bataille de Saint-Privat, la Garde prussienne perdit plus de 8,000 fantassins en une journée. Par ailleurs, les premières mitrailleuses d’un modèle primitif firent leur apparition. Autrement dit, plus la technologie s’améliorait et plus les pertes de l’infanterie allaient être lourdes si des améliorations tactiques n’étaient pas apportées.

Il était évident en 1871 que l’infanterie pouvait atteindre de meilleurs résultats par une juste combinaison du feu et de la manœuvre. Cela signifiait, par exemple, qu’une compagnie ouvrait le feu afin de couvrir le mouvement d’une autre compagnie. Aussi, la guerre franco-prussienne avait clairement démontré que, lorsque bien utilisée, l’artillerie pouvait carrément arrêter l’infanterie et briser sa cohésion.

Guerres mondiales et conflits contemporains

Ces leçons avaient été plus ou moins bien assimilées, si l’on se fit aux conflits subséquents. À titre d’exemple, lors de la Seconde Guerre des Boers (1899-1902), l’infanterie britannique subit des pertes considérables en effectuant des assauts frontaux contre des positions bien tenues par des combattants qui utilisaient des armes à poudre sans fumée.

Dans les années précédant la Première Guerre mondiale, il y eut un regain de « popularité » face à une doctrine tactique offensive prônant que l’infanterie avance en rangs serrés vers l’ennemi. L’un des arguments avancés pour justifier la doctrine était que les armées européennes, pour la plupart composées de soldats conscrits, perdraient de leur cohésion et de leur discipline si on leur permettait de s’étirer devant le feu concentré de l’ennemi.

L'infanterie britannique. Guerre de 1914-1918.

La Première Guerre mondiale apporta davantage de souffrances à l’infanterie et elle força une révision en profondeur de ses tactiques. Les fantassins composaient la majorité des combattants de ce conflit. Ils étaient les souffre-douleurs, avançant péniblement dans les tranchées sous le poids de leurs équipements, souffrant des privations de toutes sortes et expérimentant tous les dangers de la guerre des tranchées, dont le feu de l’artillerie ennemie. L’infanterie utilisa une variété d’armements. En plus des fusils, les fantassins avaient des grenades à main, des mortiers, des fusils-mitrailleurs. Oublié depuis le Moyen Âge, le casque fit également sa réapparition.

Bien que le champ de bataille fut dominé par l’artillerie, l’infanterie put trouver sa juste place. Pour l’assaut, il était impératif de disperser les formations et assurer une coordination entre les mouvements de l’infanterie et le feu de l’artillerie et des mortiers qui les appuient. On peut dire que ce furent les unités spéciales d’assaut de l’armée allemande de 1918 qui illustrèrent de la manière la plus éclatante l’importance du feu et du mouvement, et celle de la coordination interarmes.

La guerre de 1914-1918 avait bouleversé les tactiques de l’infanterie et il est à se demander dans quelle mesure les leçons avaient été assimilées. L’infanterie de la Seconde Guerre mondiale avait retenu des tactiques du précédent conflit, tout en tentant de les adapter dans un contexte de mécanisation rapide des forces. La mécanisation avait commencé pendant la période de l’entre-deux-guerres, mais les fantassins mobiles constituaient une minorité. Certains éléments, par exemple les panzergrenadiers et les fusiliers motorisés soviétiques, étaient de véritables unités d’infanterie mobiles.

La prolifération des armes se poursuivit, notamment avec l’entrée en service de canons antichars portatifs comme le Panzerfaust ou le bazooka, de même qu’avec l’augmentation notable des armes automatiques. Cette diversification accrue de l’armement facilita l’innovation tactique, dans la mesure où les rôles de chaque fantassin étaient mieux associés aux types d’armes à leur disposition.

Les unités allemandes de panzergrenadiers alliaient la mobilité et la puissance de feu. Guerre de 1939-1945.

Malgré tout, les fantassins de la guerre de 1939-1945 marchaient sur de longues distances. De plus, la nature du terrain et les conditions climatiques, de la jungle de Birmanie aux montagnes d’Italie en passant par les steppes russes, étaient toujours des donnes invariables. Parfois, la nature du terrain résultait du travail de l’homme, surtout lorsque l’infanterie avait à combattre dans des ruines comme à Stalingrad en 1942-1943. Cela démontrait la valeur de l’infanterie dans un environnement urbain.

De nos jours, l’introduction généralisée de véhicules pour l’infanterie amène la question à savoir si le rôle traditionnel de celle-ci, soit éliminer l’adversaire et occuper le terrain, n’est pas remis en question. Dans les années 1990, à une époque où l’infanterie était censée subir moins de pertes sous ses casques et ses gilets pare-balles, les véhicules s’avérèrent utiles, notamment lors des opérations de maintien de la paix. De plus, une plus grande disponibilité de véhicules permet aux soldats d’y laisser une partie de leurs équipements et d’effectuer des patrouilles à pied en étant moins chargés.

Par le fait même, cette situation amena une demande accrue pour des forces d’infanterie plus légères et faciles à déployer. De plus, selon les difficultés du terrain, l’infanterie conserve son utilité comme principale force de frappe et ses armements plus légers peuvent constituer des outils plus convenables, dans la mesure où l’utilisation d’armes plus lourdes cause des dommages collatéraux qui sont toujours inacceptables, en particulier d’un point de vue politique.

À mesure que les armées des nations occidentales mesurent les risques liés à la pratique d’une guerre asymétrique contre un ennemi qui décide de ne pas offrir des cibles idéales pour les armes technologiques, on peut en conclure que l’infanterie aura toujours sa place sur les champs de bataille. Pour qu’une guerre soit victorieuse, il faudra toujours des soldats sur le terrain qui pensent.

Le cheval: l’oublié des champs de bataille

Apprivoiser l’animal

Le cheval figure parmi les premiers animaux à avoir été domestiqués par les hommes et son utilisation à des fins militaires remonte au moins au XVIIIe siècle avant notre ère. Il est probable que les premiers chevaux utilisés par les hommes étaient différents de ceux d’aujourd’hui. À une autre époque, les chevaux étaient plus légers, ils avaient les pattes plus courtes, un dos plus faible, si bien qu’il s’avérait sans doute difficile de les monter pour la promenade.

À certains moments au second millénaire avant notre ère, des peuples du sud de l’Asie centrale se servirent de chariots tirés par deux chevaux malgré que ceux-ci semblaient toujours de plus petite taille. Vers 900 avant J.-C., des chevaux plus gros étaient élevés et montés. Ils étaient suffisamment solides sur leurs pattes pour supporter le poids d’un homme et ses armes.

Les Assyriens furent parmi les premiers peuples à utiliser massivement le cheval sur les champs de bataille. Ils étaient réputés pour leur efficacité au combat à bord de chariots sur lesquels deux hommes embarquaient. L’un tenait les rênes tandis que l’autre faisait usage de son arc. À l’apogée de leur puissance, les Assyriens employaient également les chevaux pour former des unités de cavalerie. C’est probablement la cavalerie, encore mieux utilisée par les ennemis des Assyriens, qui parvint à anéantir leur empire.

La valeur du cheval

Le cheval fut également l’instrument privilégié dans le déplacement des peuples nomades des steppes d’Asie centrale vers le « monde civilisé » de l’Ouest. Sur deux mille ans, du premier millénaire avant notre ère jusqu’au millénaire suivant, nombreux furent en effet les mouvements migratoires et les invasions où le cheval occupa une place de premier plan. Dans ce contexte, le cheval n’était pas seulement un outil militaire, mais il était aussi au cœur du mode de vie des populations nomades.

L'Akhal-Teke.

Sans trop exagérer, le nomade des steppes passa presque sa vie sur un cheval. Certaines histoires racontent même que certains peuples comme les Huns mangeaient, buvaient, dormaient, faisaient de la politique et déféquaient en restant sur leurs chevaux. Plusieurs de leurs chevaux étaient de petite taille, mais certaines évidences archéologiques tendent à prouver qu’ils avaient à leur disposition des chevaux un peu plus gros, qui seraient peut-être les ancêtres de la race moderne de l’Akhal-Teke.

Le succès des aventures des peuples nomades est en partie dû à l’endurance de leurs chevaux. De plus, le cheval en soi constituait un important trophée de guerre qui s’ajoutait au butin des conquêtes ou des invasions. Autrement dit, le cheval devenait un enjeu stratégique. Il existe des sources attestant à différents moments de l’Histoire d’expéditions ayant été entreprises où le cheval était l’enjeu central justifiant la guerre. À titre d’exemple, les Chinois avaient subi de lourdes pertes lors de l’expédition de Fereghana (sur la route de la soie) vers 109 avant J.-C., dans le but de mettre la main sur une race spéciale de chevaux. Plus tard, en 1215, les Mongols capturèrent Pékin et mirent la main sur le parc de chevaux de la famille impériale. Ce faisant, ils amélioraient leur propre parc et ils privaient du coup les Chinois de cette ressource précieuse au bon fonctionnement de leur économie.

Les cultures de guerre différentes entre les civilisations signifiaient aussi des approches variées quant à l’utilisation du cheval. Les nomades des steppes, par exemple, qui étaient des cavaliers somme toute légers, utilisaient peu l’étrier sur leurs montures, contrairement aux chevaliers occidentaux qui en avaient besoin pour se stabiliser. Pourtant, ces différentes approches signifient que le cheval était tout aussi important pour les sociétés orientales qu’occidentales.

Faire du cheval un soldat

Cependant, monter un cheval à des fins militaires ne va pas de soi. Des tentatives de monter des chevaux de taille imposante pour créer des unités de cavalerie, dans le but d’impressionner et augmenter l’effet du choc, ne furent pas toujours un succès. De lourds cavaliers signifient que le cheval doit fournir un plus grand effort, donc qu’il s’épuise plus vite. De plus, si le terrain est le moindrement inhospitalier, comme sur un sol vaseux, le cheval risque de s’enfoncer. Lors de la Guerre des Boers de 1899-1902, l’armée britannique perdit environ 325,000 chevaux, en partie à cause de l’inhabileté de nombre de cavaliers, mais surtout parce qu’une majorité de chevaux envoyés dans la région n’étaient tout simplement pas acclimatés au rude climat. Vers la fin de ce conflit, les Britanniques eurent recours aux poneys locaux pour le transport des troupes et du matériel.

Un escadron de cavalerie britannique lors de la Guerre des Boers (1899-1902). Les chevaux eurent de grandes difficultés à s'adapter au rude climat sud-africain.

L’appétit vorace des armées pour les chevaux remonte à très loin dans le temps. Par exemple, les armées de l’Europe au début de l’époque moderne en employaient de grandes quantités et les besoins étaient encore plus importants à mesure que les armées nationales augmentaient leurs effectifs aux XVIIIe et XIXe siècles. Par conséquent, les états durent mettre sur pied des écuries entretenues à leurs frais. En France, Colbert en fit construire une en 1665 à Le Pin en Normandie. Cette écurie disposait de magnifiques installations qui créaient les conditions idéales afin d’entraîner les chevaux pour la guerre.

Des chevaux, encore des chevaux

Logiquement, en période de guerres majeures, il arrivait que la demande pour des chevaux surpasse l’offre. Napoléon Bonaparte n’avait pas toujours à sa disposition des quantités suffisantes de chevaux pour équiper ses régiments de cavalerie, qui parfois durent se convertir malgré eux en unités d’infanterie en attendant que leur soit livrée la précieuse ressource.

Ce n’étaient pas tous les chevaux qui pouvaient servir à des fins militaires. Les officiers de cavalerie des armées européennes de la seconde moitié du XIXe siècle avaient l’habitude d’effectuer de longues promenades avec leurs montures dans le but d’évaluer lesquelles feraient les meilleurs chevaux de guerre. De façon plus classique, l’équitation avait également une connexion militaire, ne serait-ce qu’en considérant que certaines techniques de dressage visaient à apprendre aux chevaux à mordre et frapper un adversaire potentiel avec leurs pattes.

Le développement de l’automobile ne signifia pas la disparition immédiate, ni totale du cheval. Lorsque la Grande Guerre éclate en 1914, on observa des variantes dans les préférences des états pour l’acquisition de chevaux. La cavalerie britannique avait des chevaux d’un type « chasseur », alors que les Allemands optèrent pour des races plus solides, lourdes, tels les chevaux hanovriens. De son côté, la cavalerie russe montait des chevaux de race similaire à ceux des Britanniques, quoique les Cosaques en disposaient de plus petites tailles qui se rapprochaient des montures autrefois employées par les nomades des steppes.

Par moment, il était possible de soigner des chevaux blessés, comme en témoigne cette illustration d'un hôpital vétérinaire britannique pendant la guerre de 1914-1918.

Qu’importe leurs races, les chevaux furent rapidement mis au service des armées européennes. Que se soit pour tirer des canons, des caissons, transporter des messages ou charger l’ennemi, les chevaux faisaient la guerre au même titre que les soldats. Une fois de plus, comme à l’époque de Napoléon, la demande excéda de loin l’offre. À elle seule, l’armée britannique employait en 1917 environ un million d’animaux, essentiellement des chevaux et des mules, bien que la qualité des bêtes diminua à mesure qu’avançait la guerre. Les durs hivers sur le front tuaient quantité de chevaux, qui ne disposaient pas toujours d’abris adéquats contre les éléments de la nature. Les pertes parmi les chevaux de l’armée britanniques s’élèvent à 485,000 pendant la guerre, ce qui donne presque un ratio de 1 pour 2, soit un cheval qui tombe pour deux hommes.

La mécanisation grandissante des armées dans la période de l’entre-deux-guerres avait amené une réduction, mais pas une abolition totale du recours au cheval. Les Russes et les Allemands entretinrent des régiments de cavalerie pendant toute la Seconde Guerre mondiale, les chevaux étaient essentiellement utilisés pour le transport. Les divisions allemandes employaient des quantités importantes et cela s’observe sur les nombreuses photos de cadavres de chevaux victimes des attaques aériennes menées par l’aviation anglo-américaine.

L’attachement à la bête

Autant des hommes pouvaient faire preuve de cruauté entre eux, autant il s’avéra par moment difficile de voir des chevaux agoniser et crier jusqu’à ce qu’on les achève. Ceux-ci sont souvent présentés dans la littérature comme d’innocentes victimes de la folie humaine. Bref, le soldat et sa monture entretiennent une relation particulière, presque intime. Napoléon avait son célèbre cheval Marengo, nommé à la suite de sa victoire près de cette localité italienne en 1800. Son grand rival, Wellington, avait lui aussi une monture qui lui tenait à cœur et qui faillit le tuer d’un coup de patte, car elle était très fatiguée après la bataille de Waterloo.

Le cheval partageait donc les mêmes risques que le soldat. Certaines circonstances d’ordre tactiques requièrent qu’on leur fasse toujours appel, sans honneurs, ni monuments.

Brève histoire de l’armée française (2e partie)

De l’Année Terrible à la Grande Guerre

Des zouaves de l'armée française en action lors de la guerre franco-prussienne (1870-1871).

L’armée française du milieu du XIXe siècle avait la réputation d’être agressive et bien entraînée. Cela se vit dans les fréquents engagements qu’elle livra en Algérie, en Italie, en Crimée et au Mexique. Cette armée répondit aux attentes stratégiques de la France à une époque où les guerres pour la survie nationale étaient choses du passé et que des forteresses s’érigeaient aux frontières afin de gagner du temps et permettre la levée de troupes supplémentaires.

Cette armée avait également accompli sa mission politique au temps de Napoléon III, soit appuyer le régime, surtout que nombre de ses officiers supérieurs étaient personnellement liés à l’empereur. Cette armée comprenait en ses rangs des soldats servant sur une longue période, des hommes imbus de l’esprit militaire et désireux de défendre le régime contre ses ennemis externes.

La défaite de la France contre la Prusse et les états allemands en 1870 était le pâle reflet de ces hypothèses rudement démenties. Bien que l’armée du Second Empire ait eu à sa disposition l’excellente carabine à culasse Chassepot et des mitrailleuses, elle était essentiellement une force expéditionnaire et non une armée européenne de type continental. Les tentatives de modernisation avaient eu leurs limites et la mobilisation avait été chaotique, si bien que la France ne put déployer à sa frontière de l’est des forces suffisantes en un temps convenable. Les armées du gouvernement de la Défense nationale, qui avaient poursuivi la lutte après la chute du régime impérial, allaient désormais paver la voie de la future armée française.

Cependant, une série d’obstacles allaient se présenter en cours de route. La suppression de la Commune de Paris en 1871 avait renforcé la suspicion de la gauche politique face à tout ce qui est militaire. Les élus issus de la gauche, qui auraient à voter les crédits nécessaires aux réformes de l’armée, questionneront chaque dépense. L’armée étant perçue comme le symbole du pouvoir, elle serait au cœur des divisions entre la bourgeoise et les masses au lendemain de la Commune.

Simultanément, les années qui suivront la guerre franco-prussienne marqueront une sorte d’« Âge d’or » de l’armée française. Le nationalisme gagnera en popularité, dans un contexte où les regards seront tournés vers l’est afin de venger le désastre de 1870 et de reprendre les provinces perdues d’Alsace et de Lorraine. Pour se préparer, la première étape avait consisté en la réintroduction d’une conscription universelle entre 1872 et 1875. Les vieilles familles militaires redécouvraient également la profession des armes. Il y avait également une certaine compréhension à l’effet de garder l’armée et ses dirigeants en dehors des cercles politiques.

Le fusil d'infanterie Lebel, en service dans l'armée française de 1887 jusqu'au début des années 1940.

L’étape suivante des réformes avait été la création d’un état-major général avec un Conseil Supérieur de la Guerre. Le mandat de ces organisations consistait à perfectionner la structure organisationnelle de l’armée du temps de paix dans le but d’être au fait des avancées les plus modernes et ainsi éviter les erreurs de 1870-1871. Les régiments se virent confier des garnisons fixes et allaient recruter localement afin de créer un sentiment d’identité. Par exemple, le 35e Régiment d’Infanterie (R.I.) de Belfort, le 41e R.I. de Rennes, le 110e R.I. de Dunkerque et ainsi de suite. Les armes et les équipements allaient à leur tour être changés. Le fusil à répétition Lebel allait équiper l’infanterie et les artilleurs recevraient un véritable bijou d’équipement, le célèbre canon de campagne de 75mm qui servira de modèle pour les artilleries du monde entier.

Canon de campagne à frein hydraulique de 75mm modèle 1897. Un chef d'oeuvre technique de l'artillerie française.

Malgré tout, ce qui semblait être une « lune de miel » dans la réorganisation de l’armée française allait être assombri par l’Affaire Dreyfus qui divisa la nation en 1894. L’armée allait intervenir à plusieurs reprises au cours de grèves et de révoltes locales, dans toute une série d’incidents qui divisaient les Français au quotidien. À certaines reprises, la loyauté des régiments français avait été testée. Par exemple, le 100e R.I. se mutina en 1907 par sympathie pour des grévistes.

En parlant de loyauté, on ne peut passer outre l’Affaire des fiches qui concernait une opération de fichage politique et religieux survenu dans l’armée française au début du XXe siècle. Dans une tentative malavisée de vérifier la « loyauté » des officiers au régime républicain, le ministre de la Guerre, le général André, avait gardé des dossiers secrets qui contenaient des informations sur les sympathies politiques et religieuses. C’est dans ce contexte qu’un officier tel le futur maréchal Foch avait vu l’une de ses promotions anormalement retardée parce qu’il avait un frère qui était jésuite.

Néanmoins, les promotions étaient effectivement lentes à obtenir. Un jeune officier pouvait demeurer lieutenant pendant douze à quinze ans et un capitaine de quinze à vingt ans à ce grade. Alors que la bureaucratie se faisait lourde en France métropolitaine, il s’avéra qu’outre-mer les colonies fournissaient davantage de possibilités de nouveaux défis et d’avancements. Les diverses conquêtes coloniales avaient apporté un baume sur les scandales qui avait entaché la réputation de l’armée française.

L’épreuve de la Grande Guerre

Pourtant, lorsque la guerre éclate à nouveau en 1914, l’armée française releva le défi. Contrairement à 1870, la mobilisation de 1914 se fit en bon ordre et l’appui populaire à la guerre, en dépit de certaines réserves dans les campagnes, fut convaincant. L’arrivée de la guerre marqua une sorte de renaissance nationale, que certains auteurs traduisaient par un élan vital et une volonté d’affronter l’ennemi avec une armée fière et violente. Au niveau de la doctrine tactique, les derniers règlements datés de 1913 étaient clairs: l’armée française ne connaît aucune loi, sauf celle de l’offensive à outrance.

Pour traduire concrètement cette doctrine séduisante et simpliste, l’état-major français avait conçu le désastreux Plan XVII visant à reprendre l’Alsace et la Lorraine. Au cours des cinq premiers mois de la guerre, l’armée française enregistrait des pertes de 300,000 soldats tués (sans compter les blessés, ni les prisonniers), sous la direction de son imperturbable commandant en chef, le général Joffre. Pendant les dix-huit prochains mois, Joffre monta une série d’offensives avec l’aide des Britanniques qui furent plus coûteuses les unes que les autres.

C'est en rangs serrés et baionnettes au canon que l'armée française chargea à répétition l'ennemi d'août à décembre 1914. Résultat: 300,000 morts.

À la fin de 1915, l’armée française avait déjà perdu la moitié de ses officiers réguliers d’avant-guerre et son total de soldats tués égalisait presque ce que l’Angleterre et ses Dominions perdront pendant toute la guerre. La bataille subséquente livrée pendant presque toute l’année 1916 à Verdun apporta encore son lot effarant de pertes. La colère au niveau de l’armée prenait de l’ampleur et cela se reflétait dans les journaux de tranchées qui circulaient parmi les soldats.

Ceux-ci enduraient de terribles conditions de vie, un régime alimentaire peu varié et ils ne jouissaient pas de permissions sur une base régulière. Nombre de leurs meilleurs officiers n’étaient plus et la notion du devoir devenait quelque chose de plus en plus difficile à inculquer dans l’esprit de ces combattants fatigués. Ces derniers pestaient contre ceux qui n’accomplissaient pas ledit devoir, notamment ces embusqués qui profitaient supposément d’un boulot confortable et bénéficiaient de certains privilèges que la troupe estimait ne pas avoir. Ce sentiment d’inégalité entre l’avant et l’arrière pouvait faire en sorte que les soldats français se soient sentis des étrangers dans leur propre pays.

Pour ajouter aux malheurs des soldats, l’offensive majeure lancée par le général Nivelle en avril 1917 sur le Chemin des Dames avait été vendue comme une victoire assurée. Or, elle fut un massacre qui ne fit qu’accroître un mécontentement généralisé qui se transforma en mutineries. La plupart des unités de l’armée ont été affectées à plus ou moins grande échelle. Par contre, et contrairement à ce que certains dirigeants politiques et militaires avaient cru initialement, les mutineries n’étaient pas les résultats d’une agitation révolutionnaire bien orchestrée. Elles constituaient les réponses de ces soldats-citoyens à une situation d’ensemble qui leur était devenue intolérable. Le général Pétain, qui succéda à Nivelle, parvint à redresser le moral en instaurant une combinaison de fermeté et d’attention face à ce qu’il considérait être des demandes justifiées.

Bien que l’Union sacrée, ce contrat à saveur patriotique négocié entre les différentes factions politiques françaises au début de la guerre, avait survécu au moins jusqu’à la fin de 1917, de vives tensions perduraient au sein de la classe politique et entre les politiciens et les soldats. En novembre, Georges Clemenceau devint premier ministre. Sa suspicion presque jacobine de tout ce qui est du domaine militaire rendit ses relations avec l’armée difficiles par moment, mais sa détermination à gagner la guerre donna à Foch, le commandant suprême des Alliés en 1918, le support dont il avait besoin pour les dernières offensives. En novembre de cette année, le Président de la République Poincaré fit son entrée dans Metz, la capitale de la Lorraine, avec Clemenceau et Foch.

En arrière-plan, une première vague d'assaut française s'est élancée sur les positions ennemies. À l'avant-plan, la vague suivante attend à son tour le signal de l'assaut.

D’une guerre à l’autre

Avec ses 1,4 millions de soldats tués, la guerre de 1914-1918 fut de loin la plus coûteuse pour l’armée française. Cette armée était morte, en quelque sorte. L’euphorie de la victoire de 1918 fut de courte durée. Proportionnellement plus élevées que celles de l’armée allemande, les pertes françaises allaient affecter le taux des naissances. Cela eut comme conséquence première un sérieux problème de recrutement pendant la période de l’entre-deux-guerres. Les sacrifices des soldats de la Grande Guerre avaient été « récompensés » par des taux de chômage et d’inflation élevés et bien que la France ait récupéré l’Alsace-Lorraine, la révision des crédits budgétaires accordés à la défense susciterait de vifs débats dans les années à venir.

De plus, l’armée devait faire face à une certaine division idéologique dans son corps d’officiers, certains d’entre eux ayant flirté avec le fascisme par exemple. Aussi, les politiciens de gauche, qui ont largement dirigé la France de l’entre-deux-guerres, s’opposaient fréquemment aux suggestions d’améliorer l’armement, dans un contexte de réforme d’une armée qui se voudrait plus petite, professionnelle et mécanisée. À la tête de l’armée française jusqu’à sa retraite en 1935, le général Maxime Weygand eut de fréquentes prises de bec avec un gouvernement qu’il jugeait être antimilitariste.

En dépit des querelles entre les mondes politique et militaire, la France alla de l’avant dans certains dossiers relatifs à sa défense. La réalisation qui frappa le plus l’imaginaire fut probablement la construction de la Ligne Maginot censée protéger la frontière franco-allemande de la frontière suisse jusque vers le Luxembourg. Contrairement à ce qui est fréquemment véhiculé, la Ligne Maginot n’était pas un projet si fou et elle pouvait avoir son utilité, à condition que des forces mobiles puissent l’appuyer en cas d’invasion. Le problème était davantage au niveau d’une doctrine mal adaptée aux réalités tactiques, dans la mesure où la mentalité de l’époque amenait nombre de Français à croire que la Ligne Maginot aurait un effet dissuasif sur une Allemagne qui aurait à nouveau le dessein d’envahir la France.

La France et son armée divisées

L’armée française qui partit à la guerre en 1939 était le produit de toutes les tares des vingt dernières années. Son équipement était relativement adéquat, mais le problème était au niveau de la doctrine tactique et stratégique. Le moral était moyen et des tensions étaient palpables entre les officiers et les hommes du rang, notamment à cause de divisions d’ordre idéologiques. La défaite de 1940 était conséquente.

Les causes sont à chercher dans la qualité du travail du haut commandement, de la compréhension de la doctrine et par-dessus tout du moral déficient. Certains combattants se sont néanmoins bien battus, surtout dans la seconde phase de la campagne de 1940, alors que les Allemands faisaient mouvement vers le sud de la France. De plus, les soldats français postés dans le sud du pays avaient largement tenu tête aux forces italiennes.

Des soldats français vers 1940.

La défaite de 1940 divisa l’armée. Charles de Gaulle lança un appel patriotique aux Français, si bien que des soldats des Forces Françaises libres poursuivirent la lutte au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en Italie et éventuellement en France à la fin du conflit. Cependant, le maréchal Pétain, âgé de 84 ans en 1940 et à la tête de l’État français de Vichy, représentait pour une partie des Français la continuité et la stabilité. La réflexion s’appliqua aussi dans ce qui restait de l’armée française et certains des soldats qui demeurèrent loyaux à Vichy n’étaient ni des illuminés, ni des criminels.

C’est dans ce contexte qu’il n’est pas étonnant de voir que pendant la Seconde Guerre mondiale, des soldats français se sont affrontés. Lorsque les Alliés débarquèrent en Afrique du Nord en novembre 1942, des forces françaises fidèles à Vichy offrirent quelque résistance. Autre signe des déchirements internes parmi les militaires français, lorsque les Allemands se décidèrent à occuper la zone libre en France à la même époque, au moins un des généraux leur résista en refusant d’obéir aux ordres de Vicky: de Lattre de Tassigny.

De l’Indochine à l’OTAN

L’armée française de l’après-guerre devait panser ses plaies. Les plus graves étant celles des divisions internes de ses soldats qui avaient suivi différents chemins. Les lendemains du conflit seraient aussi peu prometteurs. L’armée connaissait des problèmes d’effectifs, de soldes réduites et elle devait répondre aux besoins du moment dans un empire en pleine décolonisation. À cet égard, le gouvernement français qui amorçait la guerre d’Indochine en 1946 avait pris la décision de ne pas envoyer de soldats conscrits, préférant laisser le fardeau du travail aux forces professionnelles.

Largement impopulaire et éprouvante, la guerre d’Indochine s’acheva en 1954 avec la défaite française à Diên Biên Phu. Le sentiment d’amertume occasionné par ces longues années d’usure pour l’armée française cristallisa le sentiment parmi nombre d’officiers qu’il fallait revoir les doctrines militaires. La guerre pour l’indépendance de l’Algérie qui allait commencer la même année serait peut-être encore plus symbolique pour l’armée française. Celle-ci livrait un combat près du territoire métropolitain, et, historiquement parlant, l’Algérie constituait un théâtre d’opérations familier à cette armée qui avait contribué à forger l’empire colonial français.

Guerre d'Indochine. Des parachutistes françaises sont largués sur le site de Diên Biên Phu (novembre 1953).

Comme mentionné, l’héritage de 1940 était lourd. Certains officiers étaient de plus en plus critiques de leur gouvernement et avaient fini par s’aliéner une société qui semblait ne pas apprécier leurs sacrifices, ni leurs actions. Il y eut à cet effet des tentatives de coups d’État militaires dans le contexte de la guerre d’Algérie, notamment en 1958 et 1961, et la France ne fut pas épargnée l’année suivante par une campagne terroriste sur son propre territoire.

Les tensions inhérentes à la guerre d’Algérie s’inscrivirent également à une époque où la France cherchait à redéfinir sa politique de défense dans les années 1960. L’armée allait être incorporée dans ce qu’on appela une politique Tous Azimuts qui consistait à préparer des scénarios de défense en prévision d’une ou de plusieurs attaques qui pourraient provenir de tous les points cardinaux, et non plus seulement de l’est. Tout cela est également à mettre en contexte avec le retrait de la France de la structure de commandement de l’OTAN en 1966. D’ailleurs, l’acquisition de l’arme nucléaire, qu’on nomma la Force de Frappe, donna un certain prestige à cette nouvelle politique de défense française.

Il empêche que des frictions persistassent. D’une part, il y avait des craintes légitimes au sein de l’armée à l’effet que les conscrits soient « infectés » de l’esprit révolutionnaire de Mai 1968. D’autre part, des craintes circulaient au sein du corps des officiers, notamment lorsqu’un gouvernement socialiste arriva au pouvoir en 1981 avec François Mitterrand. Le gouvernement subissait également des pressions de part et d’autre afin que soit aboli le service militaire obligatoire. D’ailleurs, sur ce point, le gouvernement indiqua clairement son intention de recourir uniquement à des soldats issus de la force régulière lors de ses interventions dans les anciennes colonies africaines ou lors de la Guerre du Golfe en 1991.

Dans les années 1990, la France se rapprocha à nouveau de l’OTAN, notamment parce qu’elle partagea avec celle-ci une expérience commune en ex-Yougoslavie. À la même époque, la décision d’abolir finalement la conscription fut prise en 1996. Le plan de restructuration des effectifs dressé cette année-là prévoyait que l’effectif d’alors de 239,000 soldats devait être ramené à 136,000 d’ici 2015. Pour atteindre cet objectif, il fallait grandement réduire le nombre de soldats professionnels tout en maintenant une petite force réserviste volontaire.

L’armée française de demain

Comme bien des armées de l’OTAN en pleine réorganisation au tournant du millénaire, l’armée française allait devoir respecter certains principes de guerre. Le premier serait celui de la modularité, soit que de troupes de toutes armes peuvent être rapidement assemblées en groupements tactiques pour accomplir des missions spécifiques. Ensuite, l’armée devait se plier au principe de l’économie des forces, surtout dans un contexte de réduction massive de ses effectifs depuis l’abolition du service militaire obligatoire. Enfin, une importante réorganisation allait s’effectuer dans le but d’établir une nette séparation entre la chaîne de commandement opérationnel (les quartiers généraux opérationnels et les unités actives) et la chaîne de commandement organique (les dépôts militaires et services administratifs).

La fin officielle du service militaire en 2001 avait bien été accueillie par les officiers et elle marquait l’entrée de l’armée française dans une nouvelle ère. La France allait désormais confier sa défense entre les mains des professionnels, mettant ainsi fin à une longue tradition d’« appel aux armes » à l’ensemble de ses citoyens. Cependant, le défi demeure le même pour l’armée française: être au service de l’État et de la Nation.