J’ai l’honneur de présenter sur ce blogue un texte de M. André Kirouac, directeur du Musée naval de Québec depuis 1997. Depuis plus de 30 ans, M. Kirouac a œuvré dans des musées, tant au Québec qu’aux États-Unis, qui abordent l’histoire navale ou maritime. Il est également détenteur d’une maîtrise en muséologie de l’Université du Québec à Montréal. Si vous êtes de passage à Québec, je vous recommande la visite du Musée naval, l’une des grandes institutions muséales du Canada. Je vous souhaite une agréable lecture.
http://www.museenavaldequebec.com
Carl Pépin
Le musée militaire: messager de la paix

Le musée militaire est le seul type de musée qui ne peut espérer voir l’expansion future de ses collections car cela équivaudrait à espérer la suite des guerres.
Depuis des millénaires, l’humain conserve les objets issus de ses guerres. Toutefois, rapportés comme prises de guerre, comme souvenirs personnels ou comme objets potentiellement muséologiques, les objets témoins des guerres n’ont eu aucun effet perceptible sur les décisions relatives au déclenchement ou non d’un conflit. Y a-t-il, un jour, un dirigeant qui a choisi de ne pas aller en guerre après avoir vu un objet de musée qui lui a démontré la cruauté de celles-ci et leurs impacts sur l’humanité? Serait-ce utopique de penser que les musées militaires pourraient un jour influencer les dirigeants? Pourrait-on imaginer que tous les musées militaires ne transmettront plus que des messages de paix à leurs visiteurs? Le directeur du Musée naval de Québec, André Kirouac, examine ici le rôle des musées militaires en tant que messagers de la paix.
Le musée militaire
Pour un musée militaire, il est aussi nécessaire que pour tout autre musée de collectionner et d’interpréter les objets afin de présenter le cours de l’histoire et, dans ce cas, les impacts des guerres. Il serait alors logique, bien qu’utopique, de penser que l’exposition d’objets militaires devrait entraîner une conscientisation telle que la population et ses dirigeants choisiraient de faire la paix et non la guerre. C’est ainsi, qu’en référence à la définition du musée établie par l’ICOM (Conseil international des musées), la nouvelle définition de ce qu’est un musée militaire pourrait prendre cette formulation :
Le musée militaire est une institution permanente, sans but lucratif, qui souhaite ultimement n’acquérir que les témoins matériels et immatériels militaires du passé, qui les conserve et les communique à l’humanité pour des fins de recherche et d’éducation et qui sert la société en la conscientisant aux enjeux et aux impacts des guerres ainsi qu’aux valeurs de paix.
Cette définition fait référence à l’idée de n’acquérir ultimement que les témoins du passé. Bien que ce souhait soit l’objectif ultime à atteindre, il sera toujours important de conserver, en mémoire et en action, la prépondérance de présenter les impacts dévastateurs des guerres. Au fil des ans, espérons que cette définition de ce qu’est réellement la mission de tous les musées militaires s’internationalise et que le musée militaire soit l’un des vecteurs principaux des valeurs de paix.

Mission pacifique
Dans le monde muséal, une institution se démarque par sa mission pacifique : le Mémorial de Caen (France); Cité de l’histoire pour la paix. Ce qui est frappant, de prime abord, c’est le fait que la dénomination connue de l’institution soit « Mémorial » et non « Musée ». Malgré cela, toutes les actions du Mémorial sont orientées vers l’objectif souhaité, soit celui de paix et de réconciliation. Ces actions représentent une réelle volonté de souligner les fondements muséologiques du Mémorial et sa mission de conservation des collections historiques.

Selon la mission pacifique du Mémorial, peut-on la généraliser à l’ensemble des musées qui traitent de la question militaire? Les effets, ou impacts, des guerres sont nombreux. L’utopiste dira que l’on apprend de l’histoire. Et pourtant! Doit-on nous aider, nous les réalistes, à apprendre de nos erreurs en utilisant la muséologie militaire comme facilitateur?
Au Canada, le Musée naval de Québec tente aussi de servir la société en la conscientisant aux impacts des guerres et aux valeurs de paix. Au début de l’année 2008, le commandement de la Réserve navale du Canada propriétaire du musée, une entité des Forces canadiennes, a entériné une nouvelle mission qui implique le souhait de voir un jour la disparition des guerres telle que celle qui a été présentée précédemment. Aucun militaire ne peut espérer qu’il y aura toujours des guerres et les responsables militaires du Musée naval de Québec ont osé enchâsser cette notion, par écrit, dans la mission du musée.
Architecture symbolique
En termes de choix pratiques concernant l’architecture même du musée ou de ses composantes techniques, il importe de planifier ces aspects en accord avec l’objectif d’une mission pacifique. De ce fait, de plus en plus de musées militaires construits récemment, le Mémorial de Caen ou le Musée canadien de la Guerre (Ottawa) par exemple, ont choisi de donner à l’architecture de leur édifice un lien étroit avec leur thématique. Une fois de plus, le Mémorial se distingue par son enveloppe extérieure taillée d’un seul bloc fracturé en son centre telle une fissure apparue dans le cours du temps, symbole des guerres qui brisent l’harmonie.

Le Musée canadien de la Guerre, quant à lui, s’est doté d’une architecture toute en angle rappelant la fragilité de la paix. Comme le soulignait le texte de la mention du prix du Gouverneur général, le concept architectural exprime la notion de régénération qui intègre les diverses étapes de la dévastation, de la renaissance et de l’adaptation. La guerre détruit la nature qui se régénère pourtant, car la force de la vie l’emporte : un processus qui ranime la foi et le courage. Nous basant sur cette description, pouvons-nous y voir une volonté de transmettre des valeurs de paix?
Il semble clair que l’architecture même du musée peut faire office de symbole. Mais, au-delà de cette enveloppe, c’est bien plus au niveau de la transmission du message, via les expositions, que nous pouvons savoir si le musée militaire oriente ses actions selon les valeurs de paix.
Mise en exposition transformée
Sur le plan de l’aménagement intérieur, le lien entre la mission du musée et sa compréhension par le visiteur devient primordial. Il faut savoir qu’au Canada et dans plusieurs pays, à quelques exceptions près, la mise en exposition des musées militaires tient souvent du cabinet de curiosités. On retrouve ainsi un étalage d’objets de toutes sortes placés ensemble en fonction de la thématique d’un conflit particulier ou regroupés de manière chronologique et en fonction des guerres pour lesquelles les musées possèdent des objets. Souvent, l’objectif est de montrer l’ensemble de la collection du musée en une seule, unique et très longue exposition permanente.
Libérer la muséologie militaire de cette sclérose ne sera pas facile, car la tâche éducative à entreprendre demandera que les responsables de ces musées, souvent des militaires, acceptent une transformation de leur façon de penser en matière de muséologie.
Le Musée naval de Québec a développé une approche ethnosociale qui lui permet de passer de la théorie à la pratique muséologique en matière de diffusion et d’exposition. Le Musée postule que la majorité de son public entretient certains préjugés face aux musées militaires.

Le Musée naval de Québec a regroupé les impacts des guerres en sept catégories. Sous le vocable de la Théorie des Impacts©, le Musée a défini qu’une guerre génère des impacts socio-culturels, économiques, politiques, scientifiques et technologiques, militaires, environnementaux et psychologiques. Chacun de ces impacts agit directement sur la société et ses composantes. Chacun, avant, pendant et après un conflit, entraîne une modification des comportements et du futur des sociétés.
C’est ainsi que la mise en exposition proposée comporte trois niveaux de lecture. L’ensemble de la démarche, que ce soit du design de l’exposition jusqu’à la rédaction des cartels, repose sur la présentation première d’un objet vedette qui illustre le mieux les impacts d’une guerre. Cet objet est choisi soigneusement selon lien entre l’objet potentiel et une ou des personnes qui y sont associées, par exemple. Le simple contact avec l’objet vedette est ainsi le premier niveau de lecture alors que le récit qui décrit la relation entre le témoin et l’objet constitue le deuxième niveau de lecture. Le visiteur, par cette mise en relation avec l’objet, s’identifie au témoin et se découvre un intérêt pour l’histoire que l’on veut lui raconter. L’intérêt capté, le visiteur est ensuite amené à, dans le troisième niveau de lecture, approfondir la guerre ou le fait militaire en découvrant ses impacts.
Si la transformation est réussie, le visiteur aura une meilleure compréhension, à la fois d’une guerre et de ses différents impacts.

Le visiteur tourné vers la paix
Devant les objets témoins soigneusement sélectionnés, le visiteur est mis en relation, par le biais d’un récit historique, avec les acteurs qui étaient en contact avec l’objet présenté. La conjonction de la relation objet et acteur(s) permet au visiteur de s’identifier aux personnes et de pénétrer dans l’histoire de l’objet, dans celle de l’acteur et, ultimement, au cœur de l’histoire.
Cette plus grande conscience des impacts d’un conflit devrait susciter un désir de paix qui orientera les décisions du visiteur et ses actions vers cet objectif pacifique afin d’éviter le plus possible les guerres puisqu’elles génèrent de conséquences désastreuses pour la société et sa population. Peut-on ensuite espérer que cette compréhension amènera à une conscientisation relative à la pertinence de se battre? Et que la perception du visiteur sera modifiée et qu’il sera enclin à penser et à agir en termes de paix plutôt que de guerre?
Conclusion
En introduction nous nous demandions, s’il était utopique de penser que les musées militaires pourront un jour influencer les dirigeants et si nous pouvions imaginer un musée militaire transmettant un message de paix à ses visiteurs? La réponse est simple, car la simple logique et l’éthique nous obligent de répondre par l’affirmative. Le musée militaire doit être l’un des acteurs principaux de la promotion de la paix auprès des dirigeants et de la population, car c’est lui qui conserve la mémoire tangible des guerres et c’est son devoir de faire témoigner ses objets et de transmettre le message des combattants qui disent tous « plus jamais la guerre ». Ces combattants disparus, que reste-t-il sinon les objets? Et, qui les conserve? Qui les présente? Qui doit faire vivre le message? Réponse : le musée militaire! Le visiteur agira-t-il par la suite en termes de paix? Un dirigeant modifiera-t-il sa décision de partir en guerre? Nul ne peut le savoir, mais il est du devoir du musée militaire d’être messager de paix.
Personne ne peut souhaiter que les guerres perdurent afin de poursuivre l’enrichissement de sa collection. Dans ce cas, il orientera ses actions vers l’éventualité de ne plus avoir à collectionner les objets d’un présent ou d’un futur, faute de guerres! Qui sait si les objets ne pourraient pas aussi conduire les militaires eux-mêmes à une réflexion sur les notions de guerre et de paix comme si les combattants d’autrefois avaient voulu introduire, inconsciemment par leurs objets rapportés, les germes de la paix au sein même des troupes du futur?
Il sera donc toujours primordial de chercher à comprendre, à interpréter et à présenter ce que sont et furent les guerres.
