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Les prisonniers de guerre

Introduction

Les prisonniers de guerre sont des combattants capturés par les forces du camp opposé et qui se trouvent confinés jusqu’à leur libération à la fin des hostilités ou que d’autres dispositions leur soient imposées. Par « autres dispositions », nous entendons le massacre de ces prisonniers, leur échange, la demande de rançons, voire leur recrutement dans les forces armées ennemies ou encore leur abandon pur et simple.

En général, les prisonniers sont capturés en plein cœur de la bataille, bien que certains peuvent être détenus à la suite de circonstances qui n’ont pas eu directement de liens avec l’affrontement. Le traitement que l’on réserva aux prisonniers varia d’un extrême à l’autre, soit de bonnes conditions de détention jusqu’aux traitements les plus sévères et dégradants. Le contexte du moment peut déterminer le traitement réservé aux prisonniers, quoique d’autres facteurs doivent être pris en compte, comme les circonstances de leur capture et les ressources à la disposition de leurs ravisseurs.

Le massacre comme élément de dissuasion

Dans la Rome antique, le sort réservé aux prisonniers de guerre pouvait varier, mais il n'était généralement pas enviable. Cela pouvait aller de l'exécution sommaire jusqu'à l'esclavage en passant par les jeux du cirque comme gladiateurs.

Généralement, au cours de l’Histoire, les prisonniers étaient massacrés pour les mêmes raisons que l’on pillait et brûlait les villes, c’est-à-dire que l’on voulait rapidement soumettre le camp ou la population ennemis. Cette façon de faire fut caractéristique des règles de la guerre pendant plusieurs siècles. En d’autres termes, la soumission pouvait sauver la vie, alors qu’une résistance sans succès entraînait la mort. D’ailleurs, il est important de prendre en considération le fait qu’il était « normal », sinon accepté, que le saccage d’une ville ou d’une place forte à la suite de sa prise d’assaut par l’assiégeant était une règle de guerre convenue par tous. Comme nous l’avons dit, la résistance entraînait la mort, tout comme il était de mise dans les règlements de la guerre, et ce, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale au moins, que la prise d’otages et leur exécution soient perçues comme les formes standards de représailles au cas où des forces irrégulières s’en prendraient aux troupes régulières du vainqueur.

Cela dit, en dehors de la peine capitale réservée aux prisonniers, l’alternative traditionnelle dans leur traitement consistait à faire d’eux des esclaves. Cette pratique fut largement en vogue parmi les Romains de l’Antiquité. Ceux-ci avaient l’habitude de faire défiler leurs prisonniers dans les rues de Rome en compagnie d’autres trophées de guerre, ce qui donnait aux prisonniers une valeur marchande, à l’instar d’autres esclaves ou biens matériels. D’autre part, certaines cultures préfèrent sacrifier des prisonniers à leurs dieux respectifs, mais il semblerait que seuls les Aztèques du Mexique livraient des guerres dans le but spécifique de capturer un large contingent de prisonniers pour des sacrifices. À cet égard, les armes utilisées par les Aztèques étaient conçues non pas pour tuer, mais pour blesser. Pour leur part, les peuples nomades, qui passaient le plus clair de leur temps sur leurs chevaux, ne pouvaient être ralentis par des prisonniers, ni même que plus tard, avec le développement de la cavalerie puis celui de l’arme blindée, il était plus difficile de faire des prisonniers.

La valeur marchande des prisonniers

Dans un autre ordre d’idées, la valeur marchande des prisonniers pouvait aussi être prise en considération. Ce phénomène fut entre autres érigé en système au Moyen Âge. En effet, un chevalier pouvait espérer voir sa capitulation respectée par un adversaire qui était originaire de la même classe sociale que lui, soit un ennemi qui savait qu’il pouvait en tirer une appréciable rançon payée par la famille ou le clan du prisonnier. Cependant, ce système ne fonctionnait pas à tout coup. À titre d’exemple, lorsque le roi écossais David II fut fait prisonnier par les Anglais à la bataille de Neville’s Cross en 1346, cela prit plusieurs années avant que le parlement écossais ne consente enfin à payer une rançon pour sa libération.

David II d'Écosse, un exemple parmi d'autres de monarques de la période médiévale qui fut libéré moyennant une rançon.

De son côté, le simple soldat, qui n’avait pour ainsi dire aucune valeur monétaire, ne pouvait pas s’attendre à bénéficier d’un traitement aussi clément. De plus, certains contextes virent la religion avoir préséance sur la valeur marchande des prisonniers. Le phénomène s’observa entre autres au temps des guerres de religion à l’époque de l’Europe moderne. Les Suisses, lorsqu’ils combattaient pour eux-mêmes et non comme mercenaires, ou encore les hussites (comme soldats de l’Église hussite), étaient des combattants qui n’avaient pas l’habitude de faire des prisonniers et ils tuaient tout chevalier ennemi qu’ils capturaient, et ce, malgré leur valeur monétaire.

En d’autres circonstances, aussi étranges que cela puisse paraître, des prisonniers furent exécutés pour des raisons « tactiques ». Cela fut le cas notamment à la bataille d’Azincourt de 1415, où le roi anglais Henry V, suite à sa victoire face à la fine fleure de la chevalerie française, ordonna l’exécution de plusieurs milliers de prisonniers. La raison fournie était que ces derniers étaient trop nombreux et difficilement contrôlables pour des soldats anglais épuisés et réduits en nombre, car les Français auraient pu s’évader puis reprendre des armes laissées sur le champ de bataille. Ce faisant, et en raison du système de rançon précédemment décrit, Henry V était probablement conscient également que le massacre de prisonniers représentait une grande perte financière pour ses propres soldats, à qui il avait promis de larges compensations en cas de victoire.

Libérés sur parole

La période de la guerre de Trente Ans (1618-1648) en fut une qui vit également de nombreux massacres de prisonniers, si bien qu’on observa par la suite une amélioration relative du traitement de ces derniers à la fin du XVIIe et tout au long du XVIIIe siècle. Par exemple, les officiers faits prisonniers, qui étaient généralement issus de la noblesse, pouvaient être libérés en échange de leur parole d’honneur à l’effet qu’ils ne reprendraient pas les armes. La parole d’un officier semblait avoir plus de valeur que celle d’un homme issu du rang, si bien que l’officier pouvait être échangé contre l’un de ses semblables du camp ennemi.

Cette situation particulière peut avoir engendré le début d’un traitement nouveau, voire une approche plus pragmatique et humaine envers le traitement des prisonniers, car même les soldats du rang pouvaient espérer éviter la peine capitale. Bien entendu, les soldats capturés ne devaient pas s’attendre à avoir d’agréables conditions de détention. La plupart du temps, ils devaient s’attendre à être confinés dans des espaces sales et restreints, mais l’idée même qu’ils pouvaient se rendre commença à faire du sens et elle traversa, non sans soulever d’inquiétudes, les esprits des dirigeants militaires de l’époque. Cette logique nous semble avoir été poussée à l’extrême au cours d’un incident particulier. En effet, lors des guerres napoléoniennes, et en respect de la Convention de Cintra de 1808, les forces françaises vaincues du général Junot, totalisant environ 26,000 soldats, furent autorisées à retourner en France avec leurs équipements complets et à bord d’embarcations britanniques. En échange, les Français s’étaient engagés à ne plus retourner combattre au Portugal.

La ville de Cintra au Portugal où fut signée la convention de 1808 relative à la libération sur parole du corps d'armée français sous les ordres du général Junot.

Le contrôle des prisonniers: l’improvisation systémique

À l’instar de ce qui s’était passé au lendemain d’Azincourt, mais sans le massacre de prisonniers, la situation à Cintra mit en lumière toute la problématique des difficultés à contrôler un large contingent de prisonniers. La raison est toujours la même. En partant du principe selon lequel les prisonniers sont généralement capturés dans le contexte d’une bataille, ces derniers sont épuisés, tout comme le sont les soldats du camp vainqueur qui se retrouvent aussi exténués et en sous-nombre dû aux pertes subies. Ce que les belligérants semblent avoir retenu comme leçon au lendemain de Cintra, c’est que la donne du traitement des prisonniers, surtout dans sa variable logistique, n’était plus un problème à prendre à la légère. En clair, il fallait repenser le système de traitement et de contrôle des prisonniers de guerre.

Photo de Kaare Johannesen montrant le champ de bataille d'Azincourt, l'endroit même où le roi anglais Henry V aurait fait massacrer des milliers de prisonniers de guerre français pour des considérations "tactiques".

Dans les faits, cette question fut la plupart du temps approchée avec la plus grande des improvisations. Une armée qui part en campagne et qui fait des prisonniers va utiliser les moyens du bord afin d’assurer leur détention dans des conditions aléatoires. Dans ce contexte, la dégradation du traitement des prisonniers ne résulta pas nécessairement de la cruauté des ravisseurs, mais souvent de circonstances faisant en sorte qu’il n’était pas (ou plus) possible d’assurer des conditions de détention décentes.

À cet égard, le système d’échange et de traitement des prisonniers lors de la guerre de Sécession aux États-Unis constitue un exemple intéressant. Le seul dirigeant militaire de haut rang qui fut condamné et exécuté pour crimes de guerre fut le Confédéré Henry Wirz. Il était le commandant du camp de prisonniers d’Andersonville (Georgie) et il semble avoir été victime de certaines circonstances en dehors de son contrôle. Par exemple, les palissades délimitant le périmètre du camp étaient censées contenir 10,000 prisonniers, si bien que les premiers prisonniers de l’Union qui y furent accueillis étaient nourris et logés décemment.

Cependant, dans la dernière phase du conflit en août 1864, lorsque le système d’échange de prisonniers tomba en raison du refus des Confédérés de traiter équitablement les prisonniers afro-américains, la population du camp explosa à 32,000. Ce surpeuplement entraîna une dégradation rapide des conditions de détention et l’État confédéré n’était plus en mesure de fournir les rations nécessaires. On estime à près de 13,000 soldats de l’Union le nombre de victimes d’Andersonville, ce camp qui fut en opération pendant une période de quatorze mois.

Le spectacle qui attendit les forces de l’Union qui libérèrent le camp à la fin du conflit en fut naturellement un d’horreur. Malgré tout, et en dépit de leurs moyens, les forces de l’Union eurent également leur « Andersonville du Nord » avec l’existence du camp de prisonniers d’Elmina (New York). Ce camp pouvait théoriquement accueillir 5,000 prisonniers, mais il en contint près du double à un certain moment. On estime à 3,000 le nombre de victimes confédérées qui y périrent.

Un aperçu du camp de prisonniers d'Andersonville (Georgie) en août 1864. On estime à 13,000 le nombre de soldats de l'Union qui y sont décédés sur une période de quatorze mois, essentiellement victimes de malnutrition et de la maladie omniprésente dans ce camp surpeuplé.

Conventions et forces irrégulières

En dehors de l’élément logistique, une autre source de problèmes dans la gestion des prisonniers concernait ceux qui n’appartenaient pas à des forces dites « régulières » ou qui étaient capturés dans le cadre de ce que l’on jugeait être des guerres « irrégulières ». Certains conflits au tournant du XXe siècle sont exemplaires à cet égard. Les Espagnols à Cuba, les Britanniques en Afrique du Sud et les Américains aux Philippines eurent tous recours aux camps de concentration afin de réprimer les insurrections et éliminer toutes traces de résistances.

Comme c’est souvent le cas, ces camps étaient surpeuplés et la maladie engendrait la mort de centaines de milliers de détenus civils et militaires. La situation était particulièrement critique dans les camps de concentration d’Afrique du Sud lors de la guerre des Boers. Ce que l’on observe dans ces circonstances, c’est qu’aucune nation ne semble avoir élaboré une réponse à ce problème à la fois humanitaire et militaire (au sens tactique et stratégique du terme). En ce qui a trait au sort des détenus des camps, qui souvent sont des non-combattants, le blâme peut être porté sur les forces irrégulières, qui souvent se servent des civils comme éléments de diversion, ou encore sur les troupes régulières qui décident d’éliminer des civils par la force afin d’atteindre le cœur de la rébellion. Cela dépend évidemment des points de vue.

La question du traitement approprié des prisonniers de guerre ne fut considérée avec sérieux qu’au moment de certaines conférences internationales successives, comme celles de Genève et de La Haye en 1864, 1899 et 1907. En gros, l’idée principale qui était ressortie de ces conférences était que des soldats qui déposent les armes devaient être traités convenablement. La Première Guerre mondiale peut à cet égard être vue comme le premier conflit dans lequel le traitement des prisonniers de guerre se fit, à tout le moins dans l’esprit, en respect des conventions mentionnées précédemment.

La contribution de la Croix-Rouge contribua grandement à rendre plus « décentes » les conditions de détention lors de ce conflit. Une exception notable fut le traitement des prisonniers britanniques et indiens aux mains des Turcs après le siège de Kut Al-Amara (Irak) en 1916. De nombreux prisonniers sont morts à la suite de longues marches forcées vers des camps inadéquats, mais si dur qu’il fut, leur traitement ne fut probablement pas pire que celui que recevaient à leur tour les prisonniers turcs.

Au centre, le général britannique Charles Townshend avant son départ en captivité. Sa force composée de soldats britanniques et indiens fut encerclée à la fin de 1915 près de Bagdad et contrainte à la capitulation au mois d'avril de l'année suivante.

La nouvelle Convention de Genève de 1929 stipula que les prisonniers de guerre devaient être logés et nourris selon des paramètres qui devaient se rapprocher le plus possible des conditions de vie des forces militaires les ayant capturés. Dans cet ordre d’idées, malgré que cela puisse paraître étonnant à première vue, les prisonniers américains et philippins capturés par les Japonais au lendemain de la bataille de Bataan (1942) furent contraints à de longues marches forcées, mais les captifs étaient nourris avec des rations standards de l’armée japonaise. Malgré tout, cela ne signifie nullement un acquittement du comportement trop souvent bestial des soldats japonais à l’égard de leurs prisonniers.

Le traitement des prisonniers: les variables culturelle et idéologique

Comme nous l’avons mentionné dans un précédent article, les Japonais croyaient que la capitulation était ni plus ni moins qu’un acte de disgrâce. Par conséquent, ils traitèrent leurs ennemis captifs avec le plus grand dédain. Non sans surprise, les soldats alliés qui eurent le malheur d’être faits prisonniers par les Japonais subirent toutes sortes de sévices. Il n’y avait à peu près pas de logements, la nourriture était rare, sans parler des soins médicaux quasi non-existants. Nombreux furent dans ce contexte les morts parmi les prisonniers. On pense entre autres à ceux du camp de Changi près de Singapour, sans compter les prisonniers morts d’épuisement et de mauvais traitements alors qu’ils étaient forcés de travailler à la construction de la ligne de chemin de fer reliant la Thaïlande à la Birmanie. Dans ce dernier cas, notons que l’utilisation de prisonniers de guerre pour du travail manuel n’est pas interdite par la Convention de Genève. Par contre, le fait de les affamer, les battre ou s’en servir à d’autres fins dégradantes, cela relevait de l’interdit.

Des prisonniers de guerre britanniques au lendemain de la libération de leur camp administré par les Japonais.

Toujours lors de la Seconde Guerre mondiale, sur le front de l’Est, les deux camps qui s’affrontèrent traitèrent leurs prisonniers de guerre respectifs avec la pire des abominations. Sur près de 6 millions de soldats de l’Armée Rouge faits prisonniers, plus de 3 millions sont morts de maladies, affamés ou ont subi d’autres mauvais traitements. Pour leur part, les soldats allemands capturés ne pouvaient s’attendre à être mieux traités, car on estime qu’au moins 45% d’entre eux sont morts en captivité. De plus, chaque camp mit ses prisonniers de guerre au travail forcé et la survie dépendait la plupart du temps de la constitution physique des captifs. Par exemple, sur près de 100,000 soldats allemands faits prisonniers au lendemain de la bataille de Stalingrad, à peine 5,000 revinrent en Allemagne.

S’évader

Des prisonniers de guerre allemands capturés sur le front de l'Est en 1944. Pour eux, ce sont les camps de détention de Sibérie qui les attendent, s'ils ne sont pas exécutés sommairement.

D’aucuns seraient tentés de croire que le premier devoir d’un soldat fait prisonnier consiste à s’évader à la première occasion. Bien que cela ne soit pas entièrement faux, nous sommes quand même assez loin de la vérité et surtout à une longue distance de la réalité. L’idée même de s’évader prend la forme diffuse d’un devoir auquel le captif doit (ou devrait) s’acquitter, mais cette problématique doit tenir compte des circonstances de la capture et des conditions de détention subséquentes. De façon plus pratique, la notion d’évasion prend plus de sens si elle est perçue comme un droit, et non pas nécessairement comme un devoir.

En ce qui a trait au droit de s’évader (et le fait de ne pas être puni excessivement si l’on est repris), celui-ci était inscrit dans la Convention de Genève. Disons d’emblée que pour la très vaste majorité des prisonniers de guerre, et contrairement à une certaine croyance populaire, il était à peu près impossible de s’évader d’un camp de prisonniers le moindrement bien gardé. Notons que dans certains cas, comme pour les prisonniers alliés lors de la Seconde Guerre mondiale, le fait de s’évader constituait une sorte de palliatif à la morosité du quotidien.

Une tentative d’évasion demeurée célèbre fut celle d’une équipe multinationale de 600 prisonniers de guerre alliés qui tentèrent de s’esquiver du Stalag Luft 3, un camp situé en Allemagne. Ils sont parvenus à creuser trois longs tunnels en 1943-1944, si bien que le jour de l’évasion, le 24 mars 1944, 76 prisonniers parvinrent effectivement à s’échapper du camp. Cette invasion mit Hitler en colère et celui-ci ordonna à toutes les unités militaires et policières de se mettre en état d’alerte afin de mettre la main au collet des évadés. Cela réussit, dans la mesure où seulement trois évadés parvinrent à rentrer en Angleterre, le reste ayant été repris moins de deux semaines après cette spectaculaire évasion. D’ailleurs, sur ordre direct de Hitler, 50 de ces prisonniers furent exécutés par la Gestapo.

Les prisonniers comme arme politique

Les décennies qui suivirent la Seconde Guerre mondiale montrèrent des expériences de détention toutes relatives en ce qui a trait aux traitements des prisonniers de guerre, selon les endroits et les contextes des conflits, malgré qu’une nouvelle Convention de Genève ait été signée en 1949. Les prisonniers alliés détenus par les Chinois pendant la guerre de Corée furent enfermés dans de très dures conditions et ils furent sujets à un « lavage de cerveau » afin de les convaincre de la justesse de la cause communiste et ainsi en faire des véhicules de propagande au profit de la Chine.

La question du sauvetage et du rapatriement des prisonniers de guerre américains lors de la guerre du Vietnam fit partie des préoccupations de l'opposition grandissante à la présence militaire des États-Unis dans cette région. La question fut également d'actualité lors des négociations de paix de 1972-1973.

Des méthodes similaires furent observées en ce qui concerne le sort des 651 prisonniers de guerre américains capturés par les forces nord-vietnamiennes au cours de la guerre du Vietnam. Les dures conditions endurées par ces prisonniers firent de leurs éventuels retours et sauvetages un enjeu de la politique américaine lors des négociations de paix en 1972-1973. D’ailleurs, cette crainte de voir à nouveau des Américains être faits prisonniers hanta la présidence de Jimmy Carter plus tard, qui devint obsédé par cette problématique au moment où elle se présenta lors de la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran en 1979-1980.

Cette obsession du président l’a probablement affaibli aux yeux des groupes terroristes qui surent habilement exploiter sa faiblesse et faire de cette question un important levier de négociations avec le gouvernement américain. D’ailleurs, lors de cette crise des otages de Téhéran, on remarque que le comportement des terroristes iraniens à l’égard des citoyens soviétiques n’était pas du tout le même, pour la simple raison que Moscou avait une politique assez simple et claire de l’« œil pour œil » advenant que l’on fasse du mal à ses ressortissants.

Pour terminer, notons que nombreux furent également les cas dans l’Histoire où des prisonniers de guerre furent utilisés comme boucliers humains par leurs ravisseurs. Au cours de la guerre du Golfe en 1991, les forces irakiennes se servirent des prisonniers de guerre de la Coalition et aussi d’internés civils ennemis comme boucliers humains afin de protéger des installations stratégiques. Trois ans plus tard, lors de la guerre en ex-Yougoslavie, des Casques bleus faits prisonniers furent à leur tour employés comme boucliers humains par les forces serbes.

Tout comme par le passé, le traitement des prisonniers de guerre demeure dépendant des circonstances, des ressources et de l’humeur des ravisseurs.

Le phénomène de « pertes » en histoire militaire

L’origine des pertes

Des soldats confédérés gisant sur le terrain à la suite de la bataille d'Antietam (1862).

Le monde militaire a un langage qui lui est caractéristique. Selon les époques, les cultures et les subtilités linguistiques, des termes, voire des concepts précis finissent par émerger et s’ancrer dans les littératures propres à cet univers. Par moment, certains de ces concepts et termes, que je préfère nommer simplement « expressions », sont utilisés à toutes les sauces, leur enlevant du coup une certaine portée. L’une de ces expressions qu’emploient les historiens militaires dans le cadre de leur travail est celle de pertes (presque toujours employée en nombre au pluriel). Que signifie-t-elle et quelle est sa portée?

Il est parfois dit que la première victime, c’est-à-dire la première perte à la guerre, est la Vérité. Il appert alors que l’expression pertes traduit largement le langage avec lequel cette Vérité s’exprime. En fait, l’utilisation d’une variété d’euphémismes pour décrire d’horribles réalités des champs de bataille n’est pas réellement quelque chose de nouveau. En français, l’expression pertes trouve sa traduction dans la langue anglaise sous le mot casualties, lui-même dérivant du latin casualitas qui signifie un « accident malheureux ». De ce que l’on sait, l’expression pertes est employée dans la littérature militaire depuis le XVe siècle. Selon les époques, elle signifie différentes approches des combats, sinon différentes réalités.

La description de différentes réalités

La Chanson de Roland fut l'un des plus populaires poèmes du Moyen Âge. Plaçant l'honneur au coeur du récit, elle n'en cache pas moins les horreurs de la bataille de Roncevaux (778).

Les pertes subies par les armées lors d’une bataille au Moyen Âge tendaient à démontrer le spectacle de soldats qui avaient été poignardés, mutilés ou matraqués. Ils étaient morts dans des combats au corps-à-corps et ces affrontements étaient souvent décrits par les commentateurs de l’époque comme des meurtres de masse. Dans une tout autre perspective, on observe au XXIe siècle que l’image projetée du champ de bataille peut être en fait l’objectif d’une caméra d’un appareil qui lance un missile de précision avant qu’il ne frappe la cible. Il n’est pas difficile d’oublier qu’au sol, des êtres humains, civils comme militaires, peuvent se trouver sur le lieu de l’objectif et qu’ils seront bientôt déchiquetés ou brûlés vifs.

L’utilisation de termes tels « frappe chirurgicale » cache le fait que maintenant, comme toujours, le but du combat est et demeure l’anéantissement de la volonté ou de l’habilité de l’ennemi de poursuivre la lutte. L’idée de faire subir des pertes à l’ennemi fait partie de ce processus. Il n’y a donc pas réellement de différences entre un ennemi qui se fait tailler en pièces par la plus récente technologie militaire et celui qui subit le même sort sous la lame d’une épée.

Dans l’univers militaire, l’expression pertes réfère d’abord à toute soustraction non planifiée (en terme de nombre, mais pas sur le principe) d’une partie de l’effectif de la force d’une unité. Les causes qui provoquent des pertes sont diverses. Si l’on se fie à ce qui est rapporté par l’Histoire, on peut situer les causes majeures des pertes selon leur degré de gravité, en rapport à la réalité sur le champ de bataille ou dans la zone des armées.

La maladie

La première cause des pertes est la maladie, suivie de la désertion, des accidents et du combat à proprement parler. Ce dernier élément se subdivise selon les soldats qui sont morts au combat sur le coup, qui ont été blessés et morts de leurs blessures, qui sont faits prisonniers et/ou portés disparus (présumés morts ou faits prisonniers). De toutes ces causes, la maladie fut véritablement la première raison qui entraîna des pertes dans les armées au cours de l’Histoire. Souvent, le sort des batailles pouvait se jouer avant même que le combat ne soit engagé.

Au-delà des combats, la maladie fut un ennemi redoutable des armées de l'époque napoléonienne.

Un exemple classique, mais combien cruel fut lorsque les conquérants européens débarquèrent dans les Amériques. Leurs micro-organismes porteurs d’une variété de maladies et de virus ont parlé bien avant les armes, contribuant au génocide qu’ont subi les populations autochtones. Les exemples des impacts de la maladie sur le champ de bataille sont donc nombreux. Au temps des guerres napoléoniennes, particulièrement lors de l’expédition de Walcheren en 1809, les Britanniques perdirent 23,000 hommes en raison de la maladie contre à peine 200 soldats sous le feu ennemi.

Les pertes subies en raison de la maladie chez les militaires reflètent en partie les conditions générales d’hygiène et les approches face à celle-ci dans la société. Par exemple, les grands campements militaires fixes qui n’étaient pas pourvus d’un minimum d’installations sanitaires constituaient de parfaits endroits pour la culture des épidémies. Le phénomène s’observe à toutes les époques. Pendant la Guerre de Sécession, le taux de pertes mortelles causées par la maladie par rapport à celui des combats s’établit presque à 2 pour 1.

Pour sa part, l’une des meilleures forces combattantes de l’Histoire, l’armée romaine, accordait une grande importance à la question de l’hygiène. Certains commandants qui ne portaient pas une attention suffisante à l’hygiène l’ont chèrement payé. Ces insuffisances pouvaient rendre fatale une simple blessure. Si petite soit-elle, une plaie d’une petite blessure qui s’infecte peut entraîner la mort. La maladie est donc de très loin la première cause des décès à la guerre.

La désertion

De tout temps, des soldats ont déserté. Chacun avait ses raisons.

La seconde cause des pertes est celle de la désertion. En dépit de mesures draconiennes pour prévenir le phénomène, dans un contexte où la guerre est le summum de la misère et de la destruction, seules les armées qui avaient les mesures disciplinaires les plus rudes pouvaient être relativement épargnées par ce qui pouvait être considéré comme un fléau. Une armée qui se trouve en territoire ami ou ennemi ne perçoit pas le phénomène de la désertion sous le même angle. En territoire ennemi, les soldats qui seraient tentés de déserter doivent considérer qu’ils risquent non seulement d’être exécutés s’ils sont retrouvés par leurs camarades, mais ils peuvent subir le même sort s’ils tombent entre les mains d’une population locale hostile. Les déserteurs de l’armée de Napoléon qui combattait en Espagne au début du XIXe siècle l’ont appris à leurs dépens.

Certains analystes considèrent comme « déserteurs » des soldats qui seraient tentés de céder à la panique ou qui attendraient fatalement la fin, comme lors d’un siège où les défenseurs décideraient de ne pas livrer bataille. Souvent, la désertion revêt une forme passive de protestation résultant d’une accumulation de frustrations contre l’état des choses, la manière dont est gérée la société dans son ensemble, le gouvernement ou l’armée. L’accumulation de ces frustrations peut par moment se transformer en une véritable colère collective, où un incident mineur peut déclencher une mutinerie ou une révolution.

Le cas des mutineries survenues en 1917 dans l’armée française est révélateur de ce principe. En tête des récriminations des soldats se trouvait le désir de voir à l’amélioration de la nourriture et d’obtenir des permissions sur une base régulière. Le phénomène de la désertion amena également des soldats à tenter de démontrer avec l’énergie du désespoir que leur geste n’était pas motivé par la peur. Pour ce faire, ils allèrent même jusqu’à combattre dans le camp adverse. Une autre forme de protestation qui peut être associée à la désertion et entraîner des pertes est l’auto-mutilation. Celle-ci peut être une tentative de suicide, mais dans un contexte militaire, elle était plutôt vue comme un signe de peur où le soldat refusant d’aller au combat s’inflige une blessure ou tente de faire croire qu’elle est le résultat d’un geste posé par l’ennemi.

La mort au combat ou de blessures

Dans un autre ordre d’idée, la mort et les blessures subies au combat figurent parmi les facteurs les moins importants des pertes subies par les armées en termes numériques. Par contre, c’est la catégorie parmi les pertes qui attirent le plus l’attention. De nos jours, nous avons tendance à confronter des paradoxes du type: les armes de destruction massive peuvent tuer davantage de personnes que ne l’aurait fait la Peste Noire au Moyen Âge. Cela n’est pas tout à fait vrai, tout comme nous sommes portés à croire qu’un soldat blessé aujourd’hui a plus de chances de survivre que celui d’une autre époque.

Cela amène à dire que les sciences militaires et médicales ont évolué parallèlement. Certains théoriciens militaires ont même poussé le raisonnement en apportant l’exemple de la mine antipersonnelle de type S. Le modèle conçu par les Allemands était censé faire exploser uniquement le pied ou la jambe du soldat qui avait le malheur de marcher dessus. Cet incident enlève non seulement le soldat du champ de bataille, mais les brancardiers qui lui portent secours, le personnel médical qui le traite et son transport consomment davantage de ressources que si le soldat avait été tué et laissé sur le terrain ou enterré sommairement.

Un autre élément qui doit être soulevé en ce qui concerne le phénomène de la mort et des blessures sur le champ de bataille a trait à l’armement. Bien que la variété de blessures et la distance avec laquelle elles peuvent être infligées aient augmenté grandement depuis que la chimie a remplacé la puissance musculaire comme mode de propulsion, il n’y a jamais eu dans toute l’Histoire une seule journée où plus d’hommes sont morts que la journée de la bataille de Cannes en 216 avant notre ère (environ 60,000 hommes). Par ailleurs, ce ne fut pas avant le milieu du XIXe siècle que l’on peut considérer avec certitude que la portée, la cadence de tir et la létalité des armes à feu avaient dépassé les armes blanches.

Le site de la bataille de Cannes où s'affrontèrent les armées romaine et carthagineoise en 216 avant J.-.C.

Les prisonniers et soldats portés disparus

Pour leur part, les prisonniers représentent un autre aspect des pertes subies par les armées. Cela diminue les capacités opérationnelles d’une armée de deux façons. D’abord, les prisonniers, au sens premier du terme, sont capturés et ne participent plus à la guerre. De façon plus significative, le désir de faire des prisonniers et leur accorder un traitement clément peut diminuer la volonté de combattre de l’ennemi. Dans ce contexte purement théorique, faire des prisonniers relèverait plutôt de considérations pragmatiques qu’humanitaires.

Des prisonniers de guerre canadiens marchent sous escorte à la suite du raid raté de Dieppe (19 août 1942). On dit qu'il est du devoir du soldat de s'évader à la première occasion. Dans les faits, la première question que chacun des prisonniers se pose est plutôt: "Que va-t-il arriver maintenant?"

Au niveau du siège d’une place forte, les règles non écrites voulaient que si la garnison assiégée capitule en un espace de temps raisonnable, disons à l’intérieur d’un ultimatum, celle-ci puisse en sortir avec tous les honneurs. Si, d’un autre côté, la résistance offerte par la garnison se prolonge au point où l’assiégeant est forcé de donner l’assaut, alors tout le monde comprenait qu’il n’y aurait pas de quartiers. Par ailleurs, sans trop généraliser, on remarque à certains moments de l’Histoire que des forces irrégulières qui faisaient des prisonniers avaient tendance à pratiquer des exécutions sommaires, notamment parce qu’elles ne disposaient pas des ressources pour héberger une masse de soldats ennemis.

Ce type d’équation, un chef de guérilla comme Fidel Castro l’avait tournée à son avantage. À l’époque de la révolution cubaine à la fin des années 1950, les prisonniers de l’armée de Batista faits par les forces révolutionnaires se voyaient offrir de somptueux repas en présence des troupes les mieux équipées de Castro. Ensuite, Castro faisait relâcher ces prisonniers qui retournaient dans l’armée de conscrits de Batista, espérant ainsi qu’ils racontent leurs conditions de détention et la prétendue puissance de l’ennemi. Connu pour les tortures et les assassinats de prisonniers rebelles, Batista trouva d’autant plus difficile de vendre sa cause alors que le moral des troupes de Castro augmentait.

Les soldats qui sont portés disparus apparaissent aussi dans la catégorie des pertes. La comptabilisation à grande échelle des soldats portés « disparus » débuta pendant la Première Guerre mondiale. Parfois, ceux-ci étaient prisonniers de l’ennemi et la nouvelle de leur absence parvenait à travers le fil de presse. En d’autres circonstances, les soldats portés disparus pouvaient être morts ou déjà enterrés au point d’être méconnaissables. Il ne faut pas se surprendre qu’après la guerre de 1914-1918 d’importants monuments aient été érigés en Europe pour commémorer la mémoire des soldats qui n’ont pas eu de sépultures connues. On pense entre autres au monument de la porte de Menin en Belgique où sont retranscrits les noms de quelque 7,000 soldats canadiens portés disparus pendant cette guerre.

Conclusion

Le calcul des pertes présente un défi de taille pour les historiens militaires. Il y a fréquemment cette tendance chez une armée à sous-estimer ses pertes et, par conséquent, à surestimer celles de l’adversaire. Le calcul est également difficile à établir à des périodes de l’Histoire comme celles de l’Antiquité et du Moyen Âge, où les chercheurs doivent se fier à des données imprécises lorsqu’elles existent. Cependant, même à une époque plus rapprochée de la nôtre, les pertes peuvent être difficiles à calculer. Par exemple, les armées allemande et britannique avaient des façons différentes de recenser leurs soldats blessés.

La seule constance qui existe à une époque où les armées font usage de la technologie dans l’espoir de limiter les pertes est qu’il y aura toujours des soldats malades, déserteurs, tués et faits prisonniers.

Peinture de George Edmund Butler illustrant des soldats néo-zélandais qui évacuent un soldat allemand blessé (novembre 1918).