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La Guerre civile américaine (1861-1865, 1ère partie)

Introduction

La Guerre civile américaine de 1861 à 1865, qui fut de loin le conflit le plus meurtrier de l’histoire des États-Unis, constitua aux plans politique, social et culturel un tournant majeur qui vit une refonte complète des bases sur lesquelles s’était édifiée la nation américaine. La guerre transforma à jamais le pays en renforçant les pouvoirs du gouvernement central au détriment de celui des états, comme elle vit une modification en profondeur du système économique et celui des infrastructures de transport. En dépit des pertes en vies humaines (qui sont estimées à 620,000, soit plus que toutes les autres guerres américaines réunies) et de la destruction massive (surtout dans les états du Sud), la Guerre civile américaine ne mit pas seulement fin à l’esclavage, mais elle finit par mettre en place les conditions qui allaient faire des États-Unis une future puissance mondiale.

La Guerre civile américaine fut aussi le premier conflit de type « moderne » dans lequel la nation expérimenta à grands frais l’émergence d’un large éventail de nouvelles technologies militaires. À notre avis, la plus remarquable (et meurtrière) de ces technologies fut l’introduction à grande échelle du mousquet à canon rayé qui tirait la très dangereuse cartouche Minié, soit le Springfield 1861, ce qui permit aux fantassins d’étendre de 80 à 800 mètres la portée du tir.

Cette technologie rendit les assauts frontaux des plus dangereux et elle contribua en conséquence au taux élevé de pertes enregistrées au cours de ce conflit. De plus, la Guerre civile américaine vit l’emploi massif de nouveaux moyens de communication tels le télégraphe et les chemins de fer, en plus du recours aux premiers navires de guerre cuirassés, des sous-marins et des ballons à air chaud pour l’observation. Notons également que les armées prirent soin à s’enterrer dans des systèmes de tranchées relativement sophistiquées. Cela fut particulièrement le cas au cours de la dernière année de la guerre, ce qui laissa présager la nature des combats du XXe siècle, comme lors de la Première Guerre mondiale.

Carte des États-Unis à l'époque de la Guerre civile. Les états colorés en gris représentent ceux où l'on pratiquait l'esclavage.

La sécession: la joute politique et l’incident de Fort Sumter (1860-1861)

Abraham Lincoln, le Président des États-Unis d'Amérique de 1860 à 1865.

Bien que les différends qui affectaient les relations entre les états du Nord et ceux du Sud des États-Unis avant la guerre furent nombreux, le problème qui en apparence semblait insolvable, et qui symbolisait par-dessus tout la division, était celui de l’esclavage. Plus précisément, il s’agissait de la question de l’expansion de l’esclavage dans les territoires de l’Ouest américain, qui un jour deviendraient à leur tour des états. En 1860, Abraham Lincoln fut élu chef du nouveau Parti Républicain et il devint par conséquent le candidat de cette formation pour les prochaines élections présidentielles à Washington. Lincoln fit campagne en 1860 sur une plate-forme électorale qui reposait sur la promesse qu’il n’allait pas interférer, ni empêcher le développement de l’esclavage dans les états où il existait déjà. Lincoln promit également qu’il ferait tout en son pouvoir afin d’empêcher que l’esclavage ne s’étende vers l’Ouest.

De leur côté, les Sudistes étaient convaincus que sans une expansion, l’esclavage serait appelé à s’éteindre. À la surprise générale, lorsque Lincoln fut élu Président des États-Unis en 1860 (bien qu’étant le moins populaire et le moins connu parmi les quatre candidats qui s’étaient présentés), l’état de la Caroline du Sud réagit durement en faisant sécession du reste de l’Union, le 20 décembre de la même année. Six autres états empruntèrent à leur tour la voie sécessionniste et, lorsque Lincoln prêta serment comme président le 4 mars 1861, ces sept états (Caroline du Sud, Mississippi, Floride, Alabama, Géorgie, Louisiane et Texas) formèrent les États confédérés d’Amérique (Confederate States of America) et ils nommèrent Jefferson Davis au titre de Président.

Jefferson Davis, le Président des États confédérés d'Amérique de 1861 à 1865.

À partir du moment où il s’installa à Washington, le président Lincoln fut confronté à une situation pour le moins inaltérable. Il ne crut pas que la sécession des états confédérés fut légitime d’un point de vue constitutionnel. Son idée était que dans une démocratie, la minorité avait une obligation d’accepter la décision de la majorité, sinon les élections ne signifieraient rien finalement. Par conséquent, Lincoln insista afin que l’Union ne soit pas fragmentée.

Dans le but de concrétiser sa parole en geste, Lincoln dépêcha une expédition militaire à Fort Sumter en Caroline du Sud. L’objectif principal de cette expédition était de prêter assistance au major Robert Anderson qui commandait une petite garnison de troupes fédérales sur cette île. Situé au milieu de l’estuaire portuaire de Charleston, le Fort Sumter fut rapidement encerclé par des forces confédérées, ce qui n’améliora en rien une situation déjà tendue.

Avant que le tout ne dégénère, Lincoln avait clairement averti le gouverneur de la Caroline du Sud Francis Pickens de ses intentions. Pickens relaya alors l’information au Président Davis. Déterminé à ce que le Sud entame son destin politique par un énoncé public fort, Davis ordonna au brigadier-général Pierre Beauregard d’exiger la capitulation du major Anderson dans Fort Sumter. Si ce dernier venait à refuser, Beauregard avait alors carte blanche pour disposer de Fort Sumter par la force si nécessaire. Quelques minutes après la fin de l’ultimatum, l’artillerie confédérée ouvrit le feu sur Fort Sumter, un peu après 4h, le 12 avril 1861.

La Guerre civile américaine avait commencé.

Représentation du pilonnage de Fort Sumter par l'artillerie confédérée en avril 1861.

La donne stratégique initiale

Le jour suivant la capitulation de Fort Sumter, le 14 avril, Lincoln lança un appel public afin de recruter des volontaires qui iraient « supprimer » ce que l’on considérait être une insurrection localisée. Pour sa part, la Confédération interpréta ce mot d’ordre de Lincoln comme une déclaration de guerre, si bien que quatre autres états limitrophes du Nord (Caroline du Nord, Tennessee, Arkansas et Virginie), qui attendaient de voir quelle direction allait prendre la crise, décidèrent finalement de joindre la Confédération. Reconnaissant alors l’importance de la riche Virginie pour son succès futur, le gouvernement confédéré déménagea sa capitale de Montgomery (Alabama) vers Richmond.

Dès le début du conflit, l’attention du public se concentra sur les campagnes militaires qui allaient démarrer dans le nord de la Virginie. Il faut noter que les deux capitales, Richmond et Washington, ne sont séparées que par 160 kilomètres, si bien que plusieurs des grandes batailles de la Guerre civile américaine entre l’Armée de l’Union du Potomac et l’Armée confédérée de Virginie du Nord se sont livrées à l’intérieur de ce corridor. Par contre, il ne faut pas oublier qu’en plus du théâtre virginien des opérations, d’autres campagnes allaient être conduites plus à l’ouest, dans une zone globalement définie entre les montagnes appalachiennes et le fleuve Mississippi. Ces campagnes furent aussi importantes, sinon décisives par moment sur l’issue de la guerre.

Carte illustrant les principales campagnes militaires de la Guerre civile, de 1861 à 1865. (Cliquez pour un agrandissement.)

Dans cet ordre d’idées, Lincoln fut dorénavant un président qui exerça son mandat en temps de guerre, soit un homme d’État qui s’empressa de se tourner vers le général de l’armée qui eut alors le plus d’ancienneté pour y recevoir des conseils. Ce général était Winfield Scott, d’origine virginienne, et qui était en fait un général nommé à ce grade en 1814. Sa loyauté à l’Union ne faisait ainsi aucun doute. Ce que Scott proposa à Lincoln fut un plan de campagne divisé en trois parties, qui fut subséquemment (et péjorativement) nommé le Plan Anaconda en référence à ces variétés de serpents aquatiques.

Ce plan reposait sur une prémisse somme toute assez simple. L’idée fut de faire réaliser au Sud à quel point l’économie de ses états était dépendante de celle du Nord pour leur survie. Pour ce faire, Scott suggéra que le Nord maintienne, dans un premier temps, une imposante armée de terre positionnée dans le corridor Washington-Richmond précédemment évoqué afin de fixer les forces ennemies. Deuxièmement, que l’on procède au blocus naval de la côte et des principaux ports sudistes avec la U.S. Navy et, enfin, envoyer sur une base régulière des expéditions du nord au sud de l’axe fluvial du Mississippi dans le but de couper en deux la Confédération par l’isolement du Texas, de la Louisiane et de l’Arkansas. Bien que les espoirs de Scott d’une guerre courte et peu sanglante n’aient nullement survécu au test de la réalité, son grand plan stratégique servit néanmoins de principale assise à partir de laquelle le Nord conduisit les hostilités.

Carte caricaturale illustrant, non sans ironie, les doutes quant à la validité du Plan Anaconda conçu par le général Winfield Scott en 1861.

La mobilisation et les premiers affrontements

De son côté, l’opinion publique dans le Nord ne voulut pas attendre que le Sud ne réalise son « erreur » d’être entrée en guerre afin de se mobiliser et marcher sur Richmond. Dans ce contexte, l’appel aux volontaires de Lincoln se basait sur la loi de la milice de 1792 (1792 Militia Act) qui autorisait le président à demander aux milices de chaque état de se mobiliser pour une période de 90 jours, mais le problème était que dès le mois de juillet 1861 (la guerre débute en avril), le délai serait expiré. Par conséquent, Lincoln pressa ses commandants militaires, qui s’étaient rassemblés à Washington avec leurs troupes, de lancer une offensive, même si ces soldats étaient inexpérimentés, selon l’avis du général en chef Irvin McDowell, qui avait pris soin d’en informer le président. Lincoln lui rétorqua qu’il était vrai que ces soldats étaient inexpérimentés, mais la situation était similaire dans le camp ennemi. Contraint d’agir, McDowell fit marcher ses hommes vers le sud, dans le but de se positionner à la jonction ferroviaire située à Manassas (Virginie).

Cette première bataille de Bull Run ou de Manassas (les Confédérés nommant généralement leurs engagements selon la localité la plus proche, alors que les partisans de l’Union le font à partir du nom du cours d’eau avoisinant) prit place le 21 juillet 1861. D’emblée, la première conclusion qui vient à l’esprit est à l’effet que la guerre n’allait pas se gagner en un seul engagement. McDowell exécuta une manœuvre dans le but de contourner le flanc des forces confédérées le long du ruisseau Bull Run. Les Sudistes étaient alors commandées par Pierre Beauregard, qui était considéré comme le « héros » de Fort Sumter. Cette attaque de flanc des Nordistes se buta sur la colline Henry House, où le colonel Thomas Jackson tint son front comme un mur, d’où son surnom de Stonewall Jackson qui lui fut accolé par la suite. À la fin de la journée, des renforts confédérés arrivés entre autres par chemins de fer contraignirent les soldats de l’Union à reculer dans une retraite désorganisée qui frôla la déroute. Le Sud put ainsi réclamer ses premiers lauriers.

Peinture du célèbre artiste Mort Kunstler illustrant le colonel Stonewall Jackson à la première bataille de Manassas (21 juillet 1861). À noter que Jackson porte un uniforme bleu, de l'époque où il était officier et professeur à l'Institut militaire de Virginie avant la guerre.

La suite d’Anaconda: guerre navale et économique

Pendant ce temps, considérant que la guerre sera plus longue que prévu suite à la défaite de Bull Run, la marine de l’Union s’affaira à construire ses forces afin de mettre à exécution le plan du blocus naval des états du Sud, conformément à une déclaration publique qu’avait faite Lincoln en ce sens. La marine connut une fulgurante expansion de 90 à 600 navires de guerre et le blocus, qui fut relativement inefficace au départ, se resserra de plus en plus.

Étrangement, environ 75% des embarcations rapides qui tentèrent de percer le blocus y parvinrent, mais la seule présence de cet étau convainquit nombre de marines marchandes du monde à ne plus s’essayer à le traverser. La conséquence fut que la quantité totale des échanges commerciaux sous forme d’importations et d’exportations déclina dangereusement pour n’atteindre que 15% du volume d’avant-guerre dans certains états. Précisons cependant que ce blocus naval n’eut que peu d’impacts sur les batailles terrestres, mais il eut assurément un effet néfaste à long terme sur l’économie de la Confédération, avec comme conséquences visibles des carences en ravitaillement et une inflation incontrôlée.

Pour entretenir ce blocus, la marine du Nord dépendait du charbon et de bases de proximité le long de la côte atlantique sud. C’est en ce sens qu’en novembre 1861, la flotte à vapeur de Samuel F. Du Pont, un officier supérieur de la marine nordiste, parvint à capturer Port Royal (Caroline du Sud), démontrant ainsi à quel point les défenses côtières sudistes étaient faibles. En conséquence, la Confédération prit la décision d’abandonner tout effort sérieux de défense des côtes maritimes, sauf pour une demi-douzaine de ports stratégiques tels Galveston (Texas), la Nouvelle-Orléans, Mobile (Alabama), Savannah (Géorgie), Charleston (Caroline du Sud) et Wilmington (Caroline du Nord).

La marine de l’Union joua aussi un rôle prépondérant dans le théâtre ouest des opérations sur les rivières Tennessee, Cumberland et le fleuve Mississippi. À titre d’exemple, le 6 février 1862, un escadron composé de quatre canonnières cuirassées sous les ordres d’Andrew H. Foote attaqua puis s’empara de Fort Henry sur la rivière Tennessee. Dix jours plus tard, le brigadier-général Ulysses S. Grant prit Fort Donelson sur la rivière Cumberland. Il est à noter que ces engagements à petite échelle eurent malgré tout des impacts stratégiques considérables, en ce sens où ils accordèrent à l’Union le contrôle simultané des rivières Tennessee et Cumberland, en plus de couper les communications ferroviaires confédérées d’est en ouest. Ce faisant, les forces confédérées déployées dans l’état du Tennessee durent se replier plus au sud, dans le nord du Mississippi.

Vue de la rivière Cumberland à partir du Fort Donelson.

C’est alors qu’en avril suivant, une force combinée navale et terrestre de l’Union parvint à sécuriser ce qui était considéré comme le bastion confédéré sur la rivière Mississippi, à savoir l’Île no. 10. Le même mois, le commandant naval nordiste David G. Farragut put avancer sa flotte à travers les forts qui gardèrent la Nouvelle-Orléans et prendre la ville, la plus importante de la Confédération en terme de population.

L’une des raisons qui expliquent pourquoi Farragut rencontra une faible opposition réside dans le fait que la Confédération en était alors à consolider ses forces pour une contre-offensive contre Grant, un peu plus au nord-ouest vers Fort Donelson. En effet, une fois le fort prit, Grant avança au sud sur la rivière Tennessee jusqu’à Pittsburgh Landing, près d’une petite église de campagne nommée Shiloh. Là, le 6 avril 1862, les forces confédérées sous le commandement du général Albert S. Johnston prirent Grant par surprise au cours d’un violent assaut qui força les soldats de l’Union à se replier vers la rivière Tennessee. Par contre, Grant ordonna une contre-attaque pour le lendemain et il parvint à reprendre le terrain perdu la veille.

Plus encore qu’à Manassas l’année précédente, on peut penser que Shiloh fut la première bataille qui démontra hors de tout doute à quel point la Guerre civile américaine serait sanglante. Près de 24,000 hommes furent tués, blessés ou capturés en seulement deux journées d’affrontements, ce qui constitua un taux de pertes sept fois plus élevé qu’à Manassas.

Illustration de la bataille de Shiloh (Tennessee) d'avril 1862.

Une occasion manquée: la Campagne Péninsulaire (printemps 1862)

Au lendemain du choc et du désappointement occasionnés par la défaite à Bull Run, les forces de l’Union entreprirent de se réorganiser. McDowell fut remplacé par un général plus jeune (et apparemment confiant) nommé George B. McClellan. Après avoir passé l’hiver 1861-1862 à entraîner et faire manœuvrer ses troupes, McClellan envisagea la capture de la capitale confédérée Richmond pour le printemps de 1862. Le plan de McClellan consistait en un mouvement amphibie d’envergure contre Fort Monroe, qui se trouvait à la pointe de la péninsule formée par les rivières York et James. C’est pour cette raison que la campagne que McClellan allait entreprendre allait se nommer la Campagne Péninsulaire.

Cependant, il en fallut de peu pour que le plan de McClellan ne vît jamais le jour. En effet, le navire de guerre confédéré CSS Virginia, qui avait été construit à partir de l’épave du navire nordiste USS Merrimack, un bâtiment abandonné par les Nordistes lorsqu’ils évacuèrent précédemment Norfolk, fut le premier et plus célèbre navire de guerre cuirassé propulsé par la vapeur. Le CSS Virginia fit une sortie en mer à la hauteur de Hampton Roads, près du Fort Monroe, le 9 mars 1862. Il parvint à couler deux navires de guerre ennemis, avant d’être lui-même entraîné dans un violent affrontement le jour suivant avec le navire blindé à vapeur USS Monitor. Le résultat de l’engagement se conclut par une partie nulle, mais le CSS Virginia dut se replier et la voie terrestre vers Fort Monroe fut dégagée, ce qui permit le débarquement de l’armée de McClellan.

Le CSS Virginia à l'assaut des navires de guerre (en bois) fédéraux, avant l'arrivée de son rival le USS Monitor, dans la rade de Hampton Roads (mars 1862).

Par contre, McClellan s’avéra être un commandant prudent (peut-être trop selon ses critiques). Il était en effet hésitant à pousser ses forces vers l’avant, et ce, tant et aussi longtemps qu’il considérait que tous les éléments de sa vaste armée n’étaient pas en position. Cela étant, bien que les forces confédérées lui faisant face semblaient faibles selon ce qu’indiquaient les reconnaissances, le délai que s’imposa McClellan donna la chance à l’ennemi d’envoyer des renforts. Donc, vers la fin de mai 1862, l’armée confédérée aux alentours de Richmond, sous le commandement de Joseph E. Johnston, fut presque aussi puissante que celle de McClellan. Johnston attaqua son adversaire à la bataille de Seven Pines le 31 mai.

En dépit du fait que les Confédérés parvinrent à repousser les forces fédérales d’un kilomètre et demi vers la mer, l’assaut ne peut être perçu comme un succès qui aurait permis au Sud de renverser le tempo. Seule « bonne nouvelle » pour le Nord, dans ces circonstances: le très capable général Johnston fut grièvement blessé. Le président Davis nomma alors le général Robert E. Lee à la tête de l’Armée de Virginie.

Le premier geste posé par Lee fut d’en appeler à Stonewall Jackson afin d’obtenir des renforts de la vallée de la Shenandoah, où Jackson donnait du fil à retorde aux forces de l’Union dans se secteur à l’ouest de la Virginie. Ce surcroît de troupes sudistes permit à Lee d’engager une véritable lutte d’usure contre McClellan, dans ce qu’on appela ultérieurement les batailles des Sept Jours (Seven Days’ Battles), du 25 juin au 1er juillet 1862. Aucun des assauts de Lee ne permit un gain quelconque d’ordre stratégique, ni même une percée tactique, mais ces assauts soutenus affectèrent l’état d’esprit et le comportement de McClellan.

Les généraux qui s'affrontèrent à la bataille des Sept Jours (été 1862). À gauche, George McClellan. À droite, Robert Lee.

Prétextant qu’il était largement inférieur en nombre (ce qui était faux), McClellan ordonna le repli de son armée vers les rives de la rivière James afin d’être sous le couvert des canons de la marine près de la côte. Les batailles des Sept Jours furent, elles aussi, coûteuses en vies humaines. L’armée de Lee perdit plus de 20,000 hommes et celle de McClellan environ 15,000. Comme nous l’avons mentionné, ces affrontements avaient affecté l’état d’esprit du commandant nordiste. Cela se vit par les appels nombreux et incessants de McClellan à Lincoln afin que ce dernier lui envoie des renforts, jusqu’au moment où Lincoln se fatigua et ordonna à McClellan et à son armée de rentrer à Washington.

De Bull Run à Fredericksburg (août – décembre 1862)

Pendant ce temps, en plus de son Armée du Potomac, l’Union mobilisait une autre armée, celle de Virginie sous les ordres du major-général John Pope, à qui on avait donné le crédit de la victoire à l’Île no. 10 au moins d’avril précédent. De son côté, lorsqu’il devint évident que les forces de l’Union étaient en train de se retirer de la péninsule, Lee décida de faire mouvement vers le nord pour affronter Pope et sa nouvelle armée.

La bataille eut lieu le 30 août 1862, encore une fois à Bull Run. Cette seconde bataille en ce lieu se solda par une victoire convaincante des Confédérés. Pope en sortit discrédité, car non seulement il fut défait, mais Lee put prendre cette fois l’initiative pour porter le prochain coup à sa guise. Dans le but de maintenir cette cadence opérationnelle, Lee décida de faire traverser le Potomac à son armée et la déployer au Maryland, où il espérait enrôler de nouvelles recrues et porter la guerre en dehors de sa bien-aimée Virginie natale, qui avait largement fait les frais de la guerre jusqu’à présent.

Des Afro-Américains fuient la zone des combats dans le contexte de la seconde bataille de Manassas d'août 1862.

Est-ce que cette manœuvre stratégique de Lee aurait pu réussir? Rien n’est impossible dans ce cas, mais il arrive parfois dans l’Histoire où certains incidents dictent la tournure finale des événements. Ce fut le cas pour Lee, dans la mesure où un soldat de l’Union mit la main sur une copie de ses ordres (qu’on appela l’Ordre no. 191) dans un champ près de Frederick (Maryland). En lisant le document, le général McClellan apprit non seulement où se trouvait son adversaire, mais aussi où il comptait se diriger.

Empreint d’une promptitude qui ne lui semblait plus caractéristique, McClellan partit à la poursuite de Lee, tentant de faire son chemin à travers certains engagements mineurs visant à le retarder, jusqu’à ce qu’il arrive sur les rives du ruisseau Antietam. Cette position surplombait quelque peu l’armée de Lee, qui se trouvait non loin, dans une petite ville nommée Sharpsburg. Évidemment, même s’il aurait préféré se battre ailleurs, le général confédéré savait que son rival s’approchait. Il prit alors la décision de ne pas bouger, préférant ainsi rassembler ses forces dispersées et sécuriser la localité de Harper’s Ferry, où se trouvait un important arsenal fédéral. Lorsqu’on l’informa que cet objectif était sécurisé et que son armée serait bientôt réunifiée, Lee décida de rester dans Sharpsburg, consolider son front, puis attendre l’assaut de McClellan. Ce fut une décision audacieuse, mais risquée, quoique Lee fut confiant en la force combattive de ses soldats.

Le jour de la bataille d’Antietam (Sharpsburg), le 17 septembre 1862, fut le plus meurtrier de la Guerre civile américaine, de même que de toute l’histoire militaire des États-Unis, avec plus de 22,000 hommes qui tombèrent, dont quelque 3,600 tués. Le général McClellan disposait d’une large supériorité numérique, mais il sacrifia cet avantage en envoyant ses divisions d’infanterie à tour de rôle, en formation dite d’« échelon » et, plus tard dans la journée, il retint la division du général Fitzjohn Porter en réserve en cas de désastre.

Comme on peut le penser, si McClellan avait autorisé le déploiement du corps de Porter, le Nord aurait peut-être pu remporter une victoire décisive, un succès qui aurait assurément eu un impact considérable sur l’issu de la guerre. À la place, Lee fut en mesure de tenir le coup jusqu’à la tombée du jour puis, après une journée étrangement calme le lendemain, il s’échappa avec ce qui restait de son armée. Il repassa le Potomac pour revenir en Virginie.

Le champ de bataille d'Antietam vu à partir des positions confédérées. Au moment d'écrire ces lignes, le 17 septembre 1862 demeure la journée la plus meurtrière de l'histoire militaire des États-Unis.

Une conséquence importante de cette bataille sans lendemain fut qu’elle fournit à Lincoln la victoire (relative) qu’il avait besoin afin d’émettre la Proclamation d’émancipation. La qualifiant de « mesure de guerre », Lincoln déclara que dans toutes les zones qui seraient encore sous le contrôle de la rébellion au 1er janvier 1863, le droit de posséder des esclaves serait aboli, ce qui signifie que ceux-ci deviendraient libres. Lincoln se doutait qu’il ne pourrait pas mettre sa déclaration à exécution, tant et aussi longtemps que l’Union n’aurait pas remporté la guerre. Par contre, si la victoire était acquise, il deviendrait à peu près sûr que l’esclavage disparaîtrait.

Entre temps, sur le terrain, le président américain commença à perdre patience face à son général McClellan, que l’on surnommait plus ou moins péjorativement le « Petit Napoléon ». Au lendemain d’Antietam, celui-ci revint à son habitude prudente, préférant se déplacer lentement et appelant sans cesse des renforts. N’ayant pu apporter la victoire, ni répondre aux espoirs du peuple et de la classe politique de l’Union, McClellan fut congédié par Lincoln qui le remplaça par un général que l’on disait être plus agressif: Ambrose Burnside.

Le président Lincoln discutant avec son jeune général McClellan en octobre 1862, dans les semaines qui suivirent la sanglante bataille d'Antietam. N'ayant pu fournir à la classe politique la victoire définitive qu'elle réclamait, les jours de McClellan à la tête de l'Armée du Potomac étaient comptés.

Sachant très bien que sa nomination était attribuable à la piètre reddition de comptes de son prédécesseur, Burnisde porta son armée dans le nord de la Virginie, à la hauteur de la rivière Rappahannock près de Fredericksburg, dans l’espoir de tourner le flanc droit de Lee. Très large, la rivière Rappahannock constituait un obstacle naturel considérable et Burnside s’en rendit rapidement compte. Il avait alors demandé d’urgence à Washington qu’on lui fournisse une aide logistique sous forme de larges pontons.

Le problème fut que ces pontons n’arrivèrent pas à temps, ou du moins pas assez rapidement au goût de Burnside. Non sans surprise, cela fournit à Lee tout le temps nécessaire pour constituer son dispositif défensif, anéantissant du coup tout effet de surprise. La bataille de Fredericksburg qui s’ensuit (13 décembre 1862) fut un massacre pour les forces de l’Union. En plein hiver, Burnside envoya ses vagues d’assaut les unes après les autres, directement contre les hauteurs nommées Maryes’s Heights où s’étaient retranchées les troupes confédérées derrière un solide mur de pierres. À la fin de la journée, quelque 12,000 soldats de l’Union reposaient morts ou blessés sur la pente de la colline, tandis que les pertes confédérées s’élevèrent à 5,000 combattants.

Peinture de Mort Kunstler illustrant l'assaut de Maryes's Heights par le 20e Régiment d'Infanterie du Maine. Comme d'autres unités, ce régiment fut décimé sous le feu d'un ennemi bien entranché sur les hauteurs, derrière un mur de pierres.

Conclusion: la fin de l’année 1862

L’année 1862 se termina sur une note sanglante et particulièrement décourageante pour le Nord, qui n’avait pu conclure la victoire rapide tant espérée. Par contre, les succès de la Confédération demeurèrent relatifs, dans la mesure où quiconque à l’époque observant le potentiel militaro-industriel des deux camps put se rendre compte qu’à terme, le Sud ne disposa pas des ressources suffisantes pour remporter la lutte.

Après l’hécatombe de Fredericksburg sur le front virginien, on examina la situation sur les autres théâtres d’opérations. À l’automne, le général confédéré Braxton Bragg (qui avait succédé à Beauregard) fit usage du système ferroviaire du Sud afin de transférer son armée du Mississippi vers le Tennessee, puis de là, il fit marcher ses hommes encore plus au nord vers le Kentucky. Bragg se fit accrocher puis battre à la bataille de Perryville (8 octobre 1862), ce qui le contraint à se replier à nouveau au Tennessee. Là, il fut à nouveau attaqué par un nouveau commandant nordiste, le général William S. Rosecrans, à la bataille de Stones River (Murfreesboro), le dernier jour de l’année 1862. À sa décharge, Bragg avait anticipé le geste de Rosecrans en tentant de le prendre de court par un bref assaut qui faillit réussir. Par contre, le front nordiste tint le coup et, après une autre tentative ratée le 2 janvier 1863, Bragg se décida enfin à retraiter, abandonnant tout espoir de menacer le front nordiste à la hauteur du Kentucky.

(La suite dans le prochain article…)

La bataille de Bull Run (21 juillet 1861)

Introduction

La bataille de Bull Run est le premier engagement majeur livré sur terre au cours de la Guerre civile américaine (1861-1865). Elle se déroula le 21 juillet 1861, près de la localité de Manassas (Virginie) et de la rivière Bull Run. Elle survint quelques mois après le déclenchement des hostilités. La guerre avait en effet débuté en avril par le bombardement du Fort Sumter (Caroline du Sud) par les forces confédérées sécessionnistes.

L’attaque contre le Fort Sumter avait provoqué une vive réaction dans l’opinion publique du Nord. Le Président Abraham Lincoln subissait de fortes pressions pour faire marcher ses armées au sud, directement contre la capitale confédérée de Richmond en Virginie. L’idée était de porter un coup puissant contre cette ville d’importance située non loin de Washington. Il fallait rapidement mettre un terme à la guerre, ou plutôt à cette « rébellion ».

Répondant donc aux pressions de l’opinion publique, ordre fut donné aux forces inexpérimentées de l’Union du brigadier-général Irwin McDowell de faire marche vers Richmond en traversant la rivière Bull Run (voir la carte). En face, des forces confédérées tout aussi inexpérimentées sous les ordres du brigadier-général Pierre Beauregard marchaient vers le nord à la hauteur de la jonction ferroviaire de Manassas. La situation initiale était ambigüe, notamment parce qu’on demandait aux troupes d’exécuter des manœuvres compliquées que seules des forces régulières pouvaient normalement accomplir.

Le Président des États-Unis Abraham Lincoln (1860-1865).

Le brigadier-général McDowell avait été nommé par Lincoln pour prendre le commandement de l’Armée de Virginie. Dès son arrivée en poste, McDowell, un officier de carrière, subissait les pressions des politiciens et du public de Washington qui souhaitaient voir une victoire rapide et décisive contre ce qu’ils considéraient être une simple rébellion.

Le contexte initial

Avec ses soldats volontaires et inexpérimentés à peine enrôlés, McDowell quitta Washington le 16 juillet 1861. Il commandait alors la plus large force militaire jusqu’ici assemblée sur le continent nord-américain. Il disposait en effet d’un contingent d’environ 35,000 hommes, dont 28,000 combattants.

Le brigadier-général Irwin McDowell, le commandant des forces de l'Union à la Première bataille de Bull Run (21 juillet 1861).

Le plan de McDowell consistait à faire marcher ses hommes à l’ouest de Washington en trois colonnes distinctes dans le but de déborder le flanc gauche de l’armée confédérée. Il voulait créer une diversion contre le front sudiste sur la rivière Bull Run avec deux colonnes, tandis que la troisième tournerait la droite confédérée puis ferait mouvement vers le sud pour couper la ligne de chemin de fer entre l’armée confédérée et Richmond, complétant ainsi l’ambitieuse manœuvre d’encerclement. McDowell partait du principe que les Confédérés allaient paniquer et abandonner la jonction ferroviaire de Manassas, puis se replier sur la rivière Rappahannock. Cette position plus au sud constituerait une ligne naturelle de défense pour ceux-ci, tout en les éloignant de Washington, toujours selon McDowell.

L’armée confédérée aux abords du Potomac disposait d’un effectif d’environ 23,000 hommes sous les ordres du brigadier-général Pierre Beauregard. Ce dernier s’était installé à la jonction ferroviaire de Manassas située à peine à 40 kilomètres au sud-ouest de Washington. Le général McDowell avait prévu attaquer les forces de Beauregard numériquement inférieures. Simultanément, les forces de l’Union à l’ouest sous les ordres du major-général Robert Patterson s’occuperaient d’engager les Confédérés sous les ordres du brigadier-général Joseph Johnston qui arrivait de la vallée de la Shenandoah. Le but pour les forces de l’Union était d’empêcher Johnston de prêter main-forte à Beauregard à l’est.

Donc, les hommes de McDowell quittent Washington le 16 juillet et marchent pendant deux jours sous une température humide et suffocante. Ordre est donné de faire une brève halte à Centerville, histoire de se reposer quelque peu et de laisser à McDowell le temps de réfléchir à ce qu’il allait faire. Craignant pour ses arrières, il détacha une force de 5,000 hommes pour protéger ses communications, ce qui ramena ses effectifs combattants à quelque 23,000 hommes, le même nombre que Beauregard.

Pendant ce temps, McDowell cherchait toujours une manière de contourner la gauche des Confédérés, une manœuvre nettement plus compliquée à réaliser que ce qu’il avait anticipé. Le 18 juillet, McDowell détacha une division sous les ordres du brigadier-général Daniel Tyler dans le but de lui faire traverser la rivière Bull Run sur la droite confédérée à Blackburn’s Ford. Les forces de l’Union furent promptement accueillies par des tirs de l’infanterie confédérée de l’autre côté de la rive et reculèrent en désordre, n’ayant pu avancer plus loin au sud pour l’établissement d’une tête de pont.

Le théâtre des opérations en Virginie au début de la Guerre civile américaine (1861).

Ce repli hâtif et désordonné rendit McDowell nerveux. Il tenta plutôt une manœuvre sur la gauche ennemie. Encore une fois, il utiliserait la division de Tyler en la portant sur la gauche confédérée, à l’autre bout du front sur le pont Stone qui enjambait la rivière Bull Run sur la route Warrenton. Simultanément, toujours dans l’optique de déborder la gauche ennemie, il enverrait les divisions des brigadiers-généraux David Hunter et Samuel Heintzelman au nord-ouest sur Sudley Springs Ford. De là, ces deux divisions pourraient prendre les arrières de l’ennemi.

Toujours effectuée par des forces sans expérience, cette nouvelle manœuvre de débordement serait accompagnée de diversions effectuées sur la droite ennemie à Blackburn’s Ford, puis à l’autre bout dans la vallée de la Shenandoah par les forces de Patterson. Bien que le plan de McDowell apparaisse intéressant, voire crédible à première vue, il soulevait certains questionnements à notre avis.

La situation au matin du 21 juillet 1861. On remarque la délicate position des forces confédérées sur Henry House Hill.

Le plan commandait l’exécution simultanée d’attaques et de manœuvres, des attributs qui, comme nous l’avons mentionné, ne constituaient pas un réflexe naturel pour une armée sans expérience. De plus, le succès de la manœuvre le long de la rivière Bull Run dépendait de l’action du général Patterson dans la vallée de la Shenandoah. Or, il s’avéra que Patterson hésita à engager ses forces contre Johnston.

La conséquence fut terrible pour les forces de l’Union. Devant l’hésitation de Patterson, Johnston fit rapidement monter ses hommes à bord de trains à la station de Piedmont et le convoi fut poussé à pleine cadence vers l’est pour rejoindre Beauregard. Les journées des 19 et 20 juillet 1861 virent débarquer l’armée de Johnston derrière la rivière Bull Run. La plupart des forces de Johnston vinrent renforcer la droite confédérée à la hauteur de Blackburn’s Ford. Ce serait le point de départ de l’assaut que projeta Beauregard au nord sur Centerville. Étonnement, si les belligérants de part et d’autre étaient parvenus à exécuter leurs manœuvres de contournement au même moment, cela aurait provoqué une étrange situation où les fronts auraient été inversés. Les forces du nord se seraient ramassées au sud et celles du sud au nord, dans un immense jeu de chat et de souris.

La bataille

Au matin du 21 juillet 1861, McDowell ordonna aux divisions de Hunter et Heintzelman de déplacer leurs 12,000 hommes de Centerville à 2h30, en pleine nuit. Ils devaient marcher en direction du sud-ouest sur la route de Warrenton puis tourner au nord-ouest vers Sudley Springs Ford. Les 8,000 hommes de Tyler allaient quant à eux marcher directement sur le pont Stone.

Ces unités inexpérimentées connurent immédiatement d’importants problèmes logistiques. La division de Tyler était carrément dans le chemin de Hunter et de Heintzelman qui, rappelons-le, avaient pour mission de faire une grande manœuvre de débordement de la gauche confédérée sur l’autre rive de la rivière Bull Run. Qui plus est, les généraux Hunter et Heintzelman s’aperçurent que les voies routières menant à Sudley Springs Ford n’étaient pas adaptées pour le passage de milliers de soldats. Ces voies étaient en fait de simples sentiers créés par la coupe d’arbres. La traversée de Bull Run s’effectua seulement à partir de 9h30, une heure bien tardive à une époque où il était de mise de livrer un assaut en même temps que la levée du soleil.

Pierre Beauregard, l'un des commandants des forces confédérées à Manassas.

À l’autre bout du front, sur la droite confédérée à la hauteur de Blackburn’s Ford, la canonnade avait commencé dès 5h15. L’artillerie fédérale avait en effet tiré quelques coups sur la droite sudiste, touchant même directement le quartier-général de Beauregard alors qu’il prenait son petit déjeuner. Le général sudiste avait compris que, probablement, l’ennemi en face avait anticipé ses plans. Néanmoins, Beauregard maintint son plan initial de faire porter ses forces sur sa droite au nord vers Centerville, dans le but de harceler l’ennemi. Par contre, les mauvaises communications avaient empêché l’exécution de cette dernière manœuvre.

Cette confusion dans la tentative de transmission effective d’ordres clairs avait créé une autre situation où quelques forces sudistes se trouvaient sur la rive nord de la rivière Bull Run, menaçant indirectement le flanc gauche des troupes fédérales qui avançaient vers l’ouest le long de la route Warrenton. Sur cette route, comme prévu malgré les problèmes logistiques, près de 20,000 soldats de l’Union marchaient plein ouest pour prendre à revers la gauche confédérée. Il n’y avait que 1,000 soldats sudistes sous les ordres du colonel Nathan Evans pour leur barrer le chemin. Evans avait envoyé quelques reconnaissances sur le pont Stone, mais les manœuvres désordonnées des troupes de l’Union l’amenèrent à penser que ce n’était qu’au fond une diversion.

Evans  fut finalement informé par l’état-major de Beauregard que le mouvement des forces fédérales sur le pont Stone n’avait rien d’une diversion et que le gros de la force ennemie avait bel et bien l’intention de s’établir à Sudley Springs Ford, menaçant directement toute la gauche de l’armée sudiste.

De leur position à la droite du front sur Signal Hill, l’état-major de Beauregard avait effectivement remarqué les colonnes fédérales sur la route Warrenton qui marchaient vers l’ouest. Beauregard avait immédiatement dépêché un officier pour avertir le colonel Evans à l’aide de drapeaux signalétiques sémaphoriques. Le colonel Evans prit alors 900 de ses hommes situés tout près du pont Stone et les fit se replier au nord-ouest sur Matthews Hill, toujours dans le chemin des colonnes fédérales qui se dirigeaient sur Sudley Springs Ford. La petite force sudiste était sur une position surélevée qui permettait une meilleure observation.

Le colonel Evans ne fut pas laissé à lui-même. Il reçut des renforts de deux brigades d’infanterie, ce qui porta à 3,000 la force initialement composée de 1,000 hommes sur le flanc gauche. Cela était suffisant pour ralentir la première colonne fédérale qui tenta de traverser Bull Run à la hauteur de Henry House Hill, mais insuffisant pour stopper un autre contingent ennemi débouchant du nord à partir de Sudley Springs Ford et menaçant de prendre Evans à revers.

Les Confédérés tentèrent eux de se regrouper sur Henry House Hill pour livrer bataille. Ils souhaitaient à la fois profiter de cette position un peu plus élevée que Matthews Hill et bénéficier d’un soutien d’artillerie dans ce secteur. Le premier accrochage sérieux se déroula donc sur Henry House Hill et tourna à l’avantage des forces de l’Union.

Le général Joseph Johnston qui fit déplacer ses troupes par trains de la vallée de la Shenandoah, à temps pour le début de la bataille de Manassas.

Coincées entre Matthews et Henry House Hill, les forces confédérées décidèrent de s’accrocher sur cette dernière position, sachant que leur artillerie pourrait temporairement gêner l’avance fédérale de chaque côté. Les généraux Beauregard et Johnston arrivèrent alors sur les lieux pour reprendre le contrôle de la situation. Heureusement pour les Confédérés, le général McDowell se montra hésitant et n’osa pas exploiter son avantage, préférant bombarder la colline et manœuvrer.

Sur l’heure du midi, le 21 juillet 1861, des renforts d’infanterie confédérée dirigés notamment par le colonel Thomas « Stonewall » Jackson arrivèrent dans le secteur de Henry House Hill, renforçant davantage le flanc gauche de l’armée qui montrait d’inquiétants signes de faiblesse. Habile commandant (il était soldat et professeur de stratégie et d’histoire militaire avant la guerre), Jackson positionna ses régiments derrière Henry House Hill en contre-flanc, les protégeant ainsi du bombardement ennemi tout en les dissimulant.

La situation sur Henry House Hill semblait désespérée pour les forces confédérées. Le colonel Stonewall Jackson conseilla aux officiers sur le terrain de faire le maximum pour rallier leurs troupes démoralisées. En clair, ce serait l’heure de la contre-attaque en dépit des mauvais pronostiques. La première attaque des sudistes fut entre autres menée par le 33e Régiment de Virginie, à la plus grande confusion de leurs ennemis, car eux aussi portaient des uniformes bleus, n’ayant pu revêtir l’uniforme gris classique en ce début de conflit. La conséquence première fut que les artilleurs de l’Union n’ouvrirent pas le feu, croyant qu’il s’agissait d’un de leurs régiments.

Voulant tirer profit de ce succès initial, le colonel Jackson ordonna à deux autres régiments de suivre le 33e Virginien, si bien que la position sur Henry House Hill changea plusieurs fois de main au cours de l’après-midi. Les Confédérés étaient finalement parvenus à capturer l’artillerie ennemie à l’ouest de Henry House Hill, ce qui fut un point tournant dans la bataille.

Bien que McDowell ait engagé 15 régiments sur Henry House Hill, deux fois plus que les Confédérés, il ne parvint jamais à les faire combattre simultanément, ayant tout au plus deux ou trois régiments sur la ligne au même moment. Pendant ce temps, Jackson et ses quelques régiments démolis continuaient de pousser vers l’ouest et le nord-ouest. Se promenant à cheval au travers de rangs de chacune de ses unités, le colonel Jackson avait crié aux hommes du 4e Régiment virginien pour leur redonner du courage tout en leur communiquant un enseignement tactique: « Reserve your fire until they come within 50 yards! Then fire and give them the bayonet! And when you charge, yell like furies! »

Les combats sur Henry House Hill cessèrent vers 16h avec les forces confédérées en possession du terrain. C’est à ce moment que McDowell commença à décrocher en un bon ordre relatif vers le nord et le nord-est vers Bull Run. Cependant, l’inexpérience des officiers entraînait une fois de plus de sérieux problèmes au niveau logistique. Un simple incident, la destruction d’un chariot par l’artillerie confédérée, avait créé la panique parmi les forces de McDowell déjà épuisées et démoralisées.

S’ensuit alors une déroute en règle. Les soldats de l’Union prirent leurs jambes à leur coup dans la direction de Centerville, se débarrassant de leurs armes et équipements pour alléger leur course. McDowell ordonna à l’une de ses divisions d’agir comme force d’arrière-garde pour couvrir le repli (ou la déroute) du reste de l’armée, retarder la poursuite ennemie et donner du temps pour rallier les forces en déroute.

Soldat de carrière et professeur à l'Institut militaire de Virginie avant la guerre, la contribution tactique du colonel "Stonewall" Jackson fut décisive à Manassas.

Dans la confusion, des centaines de soldats de l’Union furent capturés. Pour rajouter au côté déjà surréaliste de la scène, des gens de l’élite de Washington (politiciens, gens d’affaires et leurs familles), qui croyaient assurément en une victoire facile des forces gouvernementales contre cette petite rébellion, étaient venus endimanchés pour pique-niquer tout en regardant la bataille. La panique gagna à son tour cette masse de civils qui reflua en même temps que les soldats vers Washington, ajoutant davantage à la confusion et aux problèmes logistiques du moment.

De leur côté, après examen de la situation, les généraux Beauregard et Johnston hésitaient à poursuivre l’ennemi en déroute, et ce, en dépit des pressions exercées par le Président confédéré Jefferson Davis, qui arriva sur le champ de bataille en fin de journée. Les pertes étaient élevées et les troupes épuisées, lui dit-on. Malgré les circonstances désastreuses, quelques unités de l’Union étaient parvenues à effectuer un certain combat d’arrière-garde. Cela sembla suffire à décourager toute tentative de poursuite à mesure que s’achevait la journée.

Les lendemains de Bull Run

La journée du 21 juillet 1861 constituait le premier épisode d’une guerre terrible qui allait diviser les États-Unis pour les quatre prochaines années. Près de 3,000 soldats de l’Union étaient tombés ou portés disparus, alors que les forces sudistes déploraient la perte de près de 2,000 hommes.

Du côté de l’Union, la première question que l’on se posait dans l’immédiat était de savoir si les troupes confédérées allaient avancer vers Washington. La capitale des États-Unis était pour ainsi dire sans défense, une ville ouverte, tant le résultat de cette première défaite avait dépassé toute prévision. Chaque camp finit par réaliser que la guerre serait beaucoup plus longue, brutale et coûteuse que prévu. Le lendemain, 22 juillet, le Président Lincoln avait signé une loi autorisant l’enrôlement pour trois ans de service de 500,000 volontaires.

Reconstitution de la bataille de Bull Run / Manassas. La charge d'un régiment confédéré.

La guerre civile ne faisait que commencer, mais Bull Run était déjà un point tournant. La bataille avait eu l’onde d’un choc dans l’opinion publique du nord, du sud et même à l’étranger. Il fallait vite tirer les leçons de cet engagement. Par ailleurs, le choc de la bataille avait soulevé de nouvelles vagues de patriotisme de part et d’autre de la frontière. À titre d’exemple, les hommes du nord qui s’étaient initialement enrôlés pour une période de 90 jours renouvelèrent leur contrat et des campagnes de recrutement battirent leur plein.

Au sud, la victoire de Manassas était certes une bonne nouvelle, mais on savait que d’autres batailles suivraient, avec encore plus d’hommes qui y trouveraient la mort. De plus, le temps jouait contre les États confédérés, dans la mesure où ceux-ci ne disposaient pas du même potentiel financier et industriel que le Nord pour mener une guerre sur le long terme.

Le général confédéré Pierre Beauregard fut traité comme un véritable héros, malgré que sur un plan purement tactique, le colonel Stonewall Jackson ait fait plus que sa part pour redresser une situation qui semblait désespérée. Au nord, à titre de commandant en chef, McDowell reçut naturellement le premier blâme de la défaite. Il fut remplacé par le major-général George McClellan, qui fut promu commandant en chef de toutes les armées de l’Union. Patterson avait aussi été relevé de son commandement.

Dans la littérature, la bataille porte les appellations de Première bataille de Bull Run ou Première bataille de Manassas. La différence résulte d’une controverse datant de 1861. Les forces de l’Union prirent l’habitude d’identifier les batailles par le nom des cours d’eau et de crêtes qui avaient été des lieux significatifs de leurs engagements. Pour leur part, les Confédérés donnèrent plutôt le nom des localités et des fermes avoisinantes.

Encore de nos jours, les Américains sont libres d’identifier cette bataille comme ils le veulent, signe que l’impact de Bull Run/Manassas dans l’imaginaire collectif de la nation américaine perdure.

Le champ de bataille de Manassas aujourd'hui.