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Les campagnes napoléoniennes (1803-1815)

Les guerres révolutionnaires: la paix hypothétique

Les guerres ou campagnes napoléoniennes furent une série de conflits, impliquant toutes la France, qui dominèrent l’histoire européenne au début du XIXe siècle, et qui perdurèrent longtemps après leur conclusion, au moins jusqu’à la fin de ce même siècle. Leurs origines remontent au moins aux guerres de la Révolution et dans la réorganisation des rapports de force en Europe.

En effet, le Traité de Lunéville (1801) et la Paix d’Amiens (1802) tentèrent de conserver la fragilité de la balance des rapports de force au lendemain des guerres révolutionnaires de la France. Bien que ces traités n’apportèrent pas entièrement satisfaction aux différentes parties, ils pouvaient faire l’affaire dans l’immédiat. Par exemple, l’Angleterre était lasse de la guerre et elle avait envoyé à la France des signes comme quoi elle était ouverte à la négociation. De son côté, l’Autriche était désireuse de retrouver son influence en Italie et en Allemagne, bien que son épuisement la contraignit à la négociation en échange de la paix avec la sécurité. Pour sa part, la Russie, qui jouissait d’une ferme influence à l’est de l’Europe, se portait garante du Traité de Lunéville, ce qui lui assurait une certaine influence à l’ouest. Enfin, la France sortait des guerres révolutionnaires agrandie et plus forte que jamais. Elle avait restauré son prestige international.

Il est plus que possible que les traités mentionnés aient pu forger la base d’une paix durable en Europe, ne serait-ce que si les puissances avaient désiré de les honorer dans la lettre comme dans l’esprit. Cependant, des tensions initiales entre la Russie et l’Angleterre eurent des ramifications inéluctables sur l’ensemble des relations internationales de l’époque. Il n’en fallut pas plus pour que de leur côté, la France et l’Angleterre se trouvent à nouveau confrontées. C’est effectivement ce qui arriva lorsque l’Angleterre déclare à nouveau la guerre à la France en mai 1803.

Les méthodes de Napoléon

Comme Premier Consul de France, Napoléon tenta de profiter au maximum de la très brève Paix d’Amiens conclue avec l’Angleterre afin de refaire des forces à la France. Dans le but de revitaliser son pays et consolider sa propre position, Napoléon entama d’importantes réformes des appareils économiques, administratifs et militaires. En plus d’accroître la robustesse et la prospérité de la France, les réformes devaient permettre à l’État de mobiliser ses ressources avec une efficacité sans précédent. À titre d’exemple, la puissance militaire était largement dépendante du bassin d’hommes et d’argent disponibles. Donc, pour mobiliser de puissantes et nombreuses forces, Napoléon avait besoin de systèmes efficaces de taxation et de conscription. Ces systèmes devaient naturellement être administrés par une bureaucratie compétente.

L’objectif ultime de Napoléon consistait à professionnaliser les appareils bureaucratique et militaire. Par conséquent, Napoléon misait grandement sur une méritocratie qui donnait la chance aux personnes les plus talentueuses et intelligentes d’être admises dans un système éducationnel rodé pour servir le régime. Bien que le favoritisme ne disparut jamais complètement, Napoléon tenta de l’endiguer pour faire des appareils bureaucratique et militaire des institutions beaucoup plus solides que celles de ses homologues (ou adversaires) européens.

En effet, dans nombre d’engagements livrés contre Napoléon, les puissances européennes apprirent à la dure qu’elles allaient devoir à leur tour imiter au moins quelques-unes de ses méthodes, si elles désiraient avoir une chance de remporter la lutte. En d’autres termes, cela suggérait le besoin de réformes qui iraient au-delà de la modification des appareils militaires. Des changements à cet égard signifieraient des transformations profondes dans les sociétés, dont justement les forces armées tentaient de protéger des maléfices de la Révolution. Cela constituait un paradoxe alarmant pour les adversaires de la France. Malgré tout, ils étaient confrontés au dilemme d’adopter certaines méthodes de Napoléon ou périr.

La réorganisation de tout l'appareil militaire français fut un élément central des campagnes napoléoniennes.

Quelques-unes de ces méthodes concernent la taille et l’organisation des armées. Au début des campagnes napoléoniennes, les armées européennes étaient des blocs unitaires assemblées sur une base ad hoc comprenant des bataillons d’infanterie, des canons et des escadrons de cavalerie, le tout sans trop d’agencements organisationnels précis. De son côté, Napoléon avait dès 1800 mis en place une structure organisationnelle permanente pour l’armée française. Cette structure était le « corps d’armée » subdivisé en divisions et brigades.

La division était la plus petite unité qui comprenait toutes les armes, de l’infanterie à la cavalerie en passant par l’artillerie et les services du génie. Cette notion d’une unité de combat semi-autonome interarmes n’était pas inédite en soi. Napoléon tentait plutôt de raffiner les théories des grands penseurs militaires de son époque, tout en les combinant avec son expérience pratique, si bien qu’on lui attribua les premiers usages efficaces de la division. Au niveau tactique, Napoléon avait habilement coordonné le travail des éclaireurs, de l’infanterie lourde, de la cavalerie et de l’artillerie. Ces deux derniers éléments étant employés d’une manière concentrée afin d’obtenir un maximum de puissance de ces armes complémentaires.

L’établissement de la division eut comme conséquence une plus grande flexibilité au plan tactique, ce qui permit aussi d’obtenir des bénéfices au niveau stratégique. Chaque corps formait une petite armée en soi. Habilitées à exécuter des manœuvres tactiques et stratégiques indépendantes selon divers axes, et censées être en mesure de vivre sur le terrain, les forces napoléoniennes bouleversèrent la pratique de la guerre au tournant du XIXe siècle. Bien que nombreuses, ces armées pouvaient néanmoins manœuvrer rapidement sur des superficies restreintes, choisissant le terrain où elles voulaient combattre et forçant ainsi l’ennemi à livrer bataille. En effet, et à l’inverse d’une majorité de commandants militaires du XVIIIe siècle, Napoléon avait un objectif stratégique bien précis, soit celui d’anéantir les moyens militaires de l’ennemi, et non pas uniquement le vaincre par une stratégie d’usure.

Napoléon exploita cette forme primitive de « guerre éclair » aussi loin que ses immenses capacités intellectuelles et les avancées technologiques le lui permirent. Par contre, si l’on considère que la portée maximale des plus gros canons de l’époque était de 1,000 mètres, les armées devaient être en contacts rapprochés si l’on souhaitait voir une bataille s’engager. Cela dit, Napoléon était néanmoins un expert dans la manœuvre et ce type de contraintes n’était pas pour l’effrayer.

L’importance qu’accordait Napoléon à la manœuvre se refléta dans les mouvements qu’effectuèrent ses armées sur les vastes théâtres d’opérations de l’Europe. Régulièrement, sinon constamment, ses armées devaient effectuer de longues marches forcées, le tout ponctué de batailles sporadiques. Les campagnes napoléoniennes exigeaient donc la mobilisation d’armées aux dimensions sans précédent. Cela se refléta entre autres dans les pertes que subissaient ses troupes. Pour chaque soldat tué au combat, plusieurs autres étaient blessés ou rendus invalides par la maladie, la malnutrition ou l’épuisement. De plus, des milliers de chevaux périrent au cours de ces campagnes. C’est dans ce contexte que l’on peut prétendre, non sans trop exagérer, que les adversaires de Napoléon, à l’instar de ce qu’il faisait, mobilisèrent de plus en plus leurs ressources afin de l’affronter sur des bases égales, si bien que la guerre sembla être devenue « totale » par moment.

La situation géostratégique

Pour commencer, la situation géostratégique imposa des limites considérables quant à l’étendue et l’aspect de ces campagnes. Ayant déclaré la guerre à la France, l’Angleterre était à peu près incapable de lui asséner immédiatement un coup fatal. D’un autre côté, de par sa position insulaire, il était à peu près impossible pour la France d’envahir l’Angleterre en retour, ce qui limitait du coup l’influence de Londres sur les affaires continentales.

Carte de l'Europe sous Napoléon en 1810.

Bien que la Royal Navy parvint à enfermer rapidement la marine française dans ses ports et qu’elle harcela son commerce, il y avait une crainte persistante voulant qu’une armada hostile puisse menacer les Îles Britanniques et ses comptoirs commerciaux. La stratégique britannique du blocus naval était certes pertinente, mais elle étira les ressources maritimes à leurs limites.

L’Angleterre était donc l’ennemi numéro un de la France, même si la menace n’apparaissait pas comme immédiate. L’armée britannique fut assignée dans un premier temps à la défense insulaire, celle de ses colonies, de même qu’à la protection des bases stratégiques comme en Méditerranée, ce qui lui laissait peu de soldats pour une éventuelle expédition continentale. Plus encore, dans le but de pouvoir déplacer des forces outre-mer, l’Angleterre avait besoin de navires. Or, la seule défense des eaux territoriales et la protection de la marine marchande, de laquelle dépendaient le commerce et la prospérité britanniques (et sa capacité de payer ses dépenses militaires), imposèrent à la Royal Navy des demandes pour lesquelles il lui était difficile de répondre.

Même le triomphe naval à Trafalgar en 1805 avait soulevé ceci: l’Angleterre disposait de la suprématie navale et cela était une condition pour défaire la France. Par contre, cela n’était pas l’unique condition. En effet, bien que l’Angleterre, qui comptait sur la flexibilité de sa puissance navale, allait commettre une série de raids sur le littoral du continent européen (tout en entretenant une force non négligeable dans la péninsule ibérique après 1807), il était évident qu’elle ne pouvait fournir une puissance militaire terrestre capable de battre la France. Seules les grandes puissances du centre et de l’est de l’Europe pouvaient y parvenir.

Celles-ci, pour leur part, manquaient des ressources nécessaires pour vaincre la France, du moins dans la phase initiale des campagnes. Les puissances continentales du centre et de l’est de l’Europe se querellaient régulièrement, mais elles semblaient désireuses de contenir l’expansionnisme français. Ces puissances ne disposaient pas des fonds nécessaires, ni de la motivation pour se commettre à nouveau. Cependant, à la fin de 1804, la Russie et l’Autriche accumulaient des rancunes face aux actions françaises en Italie et en Allemagne pour ainsi former une coalition avec l’Angleterre. D’ailleurs, l’Angleterre était un pays industrialisé et au titre de puissance la plus prospère, elle était en mesure de fournir à ses alliés des fonds et des équipements militaires nécessaires. C’est ce qu’elle fit de façon généreuse, à défaut de pouvoir fournir suffisamment de troupes.

Des débuts incertains et la marche vers Austerlitz (1804-1805)

Donc, une Troisième Coalition pour faire la guerre à la France était née. Napoléon, qui fut proclamé empereur en décembre 1804, assembla une armée le long de la Manche en préparation à une invasion de l’Angleterre. Pour ce faire, l’empereur espérait gagner une suprématie navale locale, du moins pour la durée de la traversée. Par contre, il apparut clair que la Royal Navy allait entraver la manœuvre amphibie française. Averti du fait que la Russie et l’Autriche se préparaient pour la guerre, Napoléon abandonna l’idée d’invasion de l’Angleterre. L’empereur croyait que si les Britanniques perdaient leurs alliés continentaux, alors cela réduirait grandement la puissance de la « Perfide Albion ».

La bataille d'Austerlitz (2 décembre 1805).

Par conséquent, dans le plus grand secret, Napoléon ordonna à sa Grande Armée de faire mouvement vers le Rhin. Se déplaçant à très grande vitesse, les soldats français étaient présents dans la zone des opérations avant même que leur plus redoutable adversaire terrestre, la Russie, n’en fasse de même. Les Français avaient encerclé une armée autrichienne non méfiante à Ulm, qui dut capituler avant la marche de Napoléon sur Vienne. Les restants de l’armée autrichienne avaient tenté de se regrouper sur Austerlitz à la fin de 1805, sachant que les forces d’avant-garde russes étaient en approche.

C’est donc une armée combinée austro-russe d’un effectif considérable pour l’époque de 90,000 hommes qui fit face à Napoléon. Après huit semaines d’opérations incessantes qui les avaient transportés à 1,000 kilomètres de leur patrie, les forces françaises largement inférieures en nombre, fatiguées et apparemment démoralisées, semblaient être au bout du rouleau. Cependant, lorsque les Alliés tombèrent sur Napoléon le 2 décembre 1805, celui-ci lança une brillante riposte qui força ses adversaires à reculer avec des pertes considérables.

Bien que la victoire de l’amiral Nelson à Trafalgar quelques semaines auparavant avait mis fin à la menace navale française contre l’Angleterre, la victoire de Napoléon à Austerlitz avait anéanti la Troisième Coalition, si bien que les Autrichiens demandèrent la paix. Dès lors, Napoléon entreprit de redessiner la carte de l’Allemagne. L’empereur accorda à divers princes des titres et des terres pour les récompenser de l’avoir appuyé contre l’Autriche. De plus, il abolit le Saint-Empire romain germanique et il le remplaça par une Confédération du Rhin à l’été de 1806. Celle-ci variera de taille au cours des années à venir alors que de nouveaux territoires étaient annexés ou transférés. Cependant, en substituant trente nouveaux états de plus grande traille aux centaines de plus petits états qui avaient autrefois constitué le Saint-Empire, Napoléon transforma la carte géopolitique de la région, établissant ainsi les fondations de l’Allemagne moderne.

Cette situation alarma la Prusse, la rivale traditionnelle de l’Autriche dans la région. Incertaine quant à la façon de réagir face à la présence française, la Prusse opta pour la neutralité lors de la guerre de la Troisième Coalition. La Prusse faillit envoyer à Napoléon un ultimatum lorsque, contre toute attente, ce dernier l’emporta à Austerlitz. Face à cela, l’émissaire prussien tenta de manœuvrer Napoléon, mais celui-ci ne se laissa pas impressionner par les machinations de Berlin. Napoléon exigea de la Prusse qu’elle le joigne dans une alliance dirigée contre l’Angleterre et que Berlin abandonne ses possessions au sud et à l’ouest de l’Allemagne au profit de l’alliée de la France, la Bavière. En retour, la Prusse recevrait le Hanovre.

Aucun répit: Jena-Auerstadt, Eylau et Friedland (1806-1807)

L’Autriche vaincue, les armées russes eurent vite fait de se replier à l’est. Pour sa part, l’Angleterre ne pouvait rien faire et la Prusse se trouvait maintenant isolée et exposée à la puissance de l’Empire français. Après quelques manœuvres diplomatiques visant à gagner du temps pour mobiliser suffisamment de forces face à Napoléon, les Prussiens lui envoyèrent effectivement un ultimatum en octobre 1806. Napoléon avait cru que la guerre contre la Prusse et l’Europe aurait pu être évitée cette fois. D’ailleurs, un émissaire russe avait accepté l’ébauche d’un traité de paix, l’Angleterre semblait plus conciliante et Napoléon doutait que la Prusse soit si téméraire et imprudente pour défier seule la France. Choqué par les demandes prussiennes, Napoléon lâcha sa Grande Armée contre elle.

Napoléon observe la situation lors des batailles "jumelles" de Jena/Auerstadt le 14 octobre 1806.

La campagne militaire qui s’ensuit fut un désastre pour la Prusse. Son armée, réputée pour être l’une des meilleures en Europe, ne s’était pas renouvelée aux niveaux tactique et doctrinal, si bien qu’elle ne fut pas de taille à affronter l’armée française sur le champ de bataille. Le handicap de l’armée prussienne était à mettre dans le contexte des habiletés stratégiques de Napoléon, qui manœuvrait ses forces de manière brusque et imprévisible. L’empereur français imposa son agenda aux Prussiens qui furent contraints de livrer bataille lors de deux affrontements simultanés à Jena et Auerstadt le 14 octobre 1806. Vainqueurs, les forces napoléoniennes entreprirent ce qui allait devenir l’une des poursuites les plus agressives et rapides des annales militaires. Prises de court, les troupes prussiennes vaincues ne purent se replier efficacement, ni se réorganiser, si bien qu’elles furent contraintes à la capitulation alors que Napoléon s’approchait de Berlin.

La démoralisation dans les rangs de l’armée prussienne était si grande, que nombre de places fortes capitulèrent sans offrir de résistance. Alors que, pour sa part, l’empire des Habsbourg était parvenu à survivre malgré des années de guerre et de défaites accumulées face à la France, la Prusse, quant à elle, avait subi un anéantissement militaire et politique, et ce, à peine quatre semaines après le début de la campagne napoléonienne contre elle.

Alors que le roi Frédéric-Guillaume III trouva refuge dans la place forte de Königsberg, les quelques unités survivantes de son armée établirent une liaison avec les Russes en Pologne et tentèrent une contre-offensive. Le 8 février 1807, Napoléon les confronta à Eylau, mais les Français ne purent arracher la victoire, d’autant que la bataille fut livrée dans des conditions climatiques atroces. Se remettant de ses blessures, la Grande Armée parvint néanmoins à enlever Dantzig tout en attendant le prochain mouvement de ses adversaires. En juin de la même année, les Alliés reprirent en effet l’offensive, mais ils furent rapidement défaits par une habile contre-offensive de Napoléon dans ce qu’on appela ultérieurement la bataille de Friedland. Lors de cette seule bataille, la moitié des soldats russes furent tués ou blessés.

La bataille d'Eylau du 8 février 1807. Les difficiles conditions climatiques lors de cet affrontement n'ont en rien enlevé à la brutalité des combats. Au moins 30,000 hommes de part et d'autre tombèrent en cette journée qui s'avéra une partie nulle malgré le repli tactique des forces russes.

Choisir son camp: la guerre économique et la question de la neutralité

Le désastre de Friedland contraignit le tsar Alexandre 1er à faire la paix, sans égard aux conséquences que cela aurait pour son allié prussien. En effet, Frédéric-Guillaume dut se contenter d’observer de loin le démembrement de la Prusse. Les négociations entre Napoléon et Alexandre furent conclues à la signature du Traité de Tilsit qui changea dramatiquement la carte de l’Europe. Occupée et affaiblie par les réparations exigées, la Prusse cessa d’être une grande puissance. Ses provinces polonaises furent reconverties par Napoléon sous le Grand Duché de Varsovie et tous ses territoires à l’ouest de l’Elbe furent transférés pour former le nouveau royaume de Westphalie. La chute de la Quatrième Coalition ne put être plus évidente lorsque la Russie devint l’alliée de la France, se joignant entre autres au Blocus continental de Napoléon visant à empêcher l’Angleterre de commercer avec l’Europe.

La Grande Armée de Napoléon était en effet incapable de faire plier l’Angleterre, si bien que l’empereur dut se résoudre à tenter une strangulation économique de son puissant adversaire par ce blocus maritime continental. À la fin de 1806, Napoléon avait signé le Décret de Berlin qui fermait tous les ports et les côtes européennes sous contrôle français au commerce britannique. D’autres décrets du même genre viendront renforcer son Blocus continental qui sera étendu à d’autres régions à mesure que s’ajouteront de nouveaux territoires conquis.

Cependant, il apparaissait évident que le Blocus continental ne serait pas une réussite tant et aussi longtemps que, d’une part, tout le continent européen n’y serait pas engagé et, d’autre part, la stratégie ne verrait une application à long terme. De leur côté, les Britanniques réagirent avec des ordres en conseil qui allaient régulariser le commerce effectué par les États neutres avec l’Empire français et ses vassaux. Cela plaça, par exemple, les États-Unis et les pays non alignés de l’Europe dans une position inconfortable. Ils étaient contraints de choisir entre devenir des alliés ou des ennemis de la France ou de l’Angleterre. De plus, d’un strict point de vue économique, la neutralité ne leur apporterait rien. C’est dans ce contexte qu’en 1807, l’Angleterre attaqua le Danemark, détruisit sa flotte et bombarda Copenhague. De son côté, Napoléon jeta son dévolu sur le Portugal.

La brutalié de la campagne dans la péninsule ibérique, en particulier lors de l'occupation française en 1808, fut illustrée par cette célèbre toile de Francisco de Goya intitulée "Tres de Mayo" ("Trois Mai"). On y voit l'exécution de combattants espagnols par des soldats français.

Décidé à forcer le Portugal à joindre le Blocus continental, Napoléon conclut le traité secret de Fontainebleau avec l’Espagne. Ce traité envisageait la partition du Portugal. Cependant, Napoléon avait bien mal évalué le sentiment populaire en Espagne. Jouant à la fois de l’intrigue et de la force brute, Napoléon souhaitait expulser les Bourbons du trône et les remplacer par l’un de ses frères. Il n’en fallut pas plus pour qu’une insurrection s’enclenche, dans laquelle les troupes espagnoles, portugaises et britanniques livrèrent une lutte sauvage aux forces françaises jusqu’à l’expulsion de celles-ci de la péninsule ibérique à la fin de 1813.

Cet « ulcère espagnol », comme Napoléon qualifiait sa campagne ibérique, lui coûta cher, non seulement au plan militaire, mais aussi au niveau stratégique. Croyant que l’empereur français était totalement empêtré en Espagne, l’Autriche se joignit à une nouvelle coalition (la 5e) et se lança soudainement à l’offensive dans le sud de l’Allemagne en avril 1809. Ayant appris de ses défaites précédentes et ayant pris le temps de réformer son armée, l’Autriche s’avéra être un adversaire beaucoup plus redoutable que par le passé. Napoléon parvint à sauver la situation à l’aide de son habileté légendaire, mais il encaissa son premier revers sérieux à la bataille d’Aspern-Essling et, bien qu’ayant été vainqueur à Wagram (la plus grande bataille livrée à l’heure de la poudre à canon), il ne put soumettre l’Autriche avant octobre 1809. Dans l’intérim, une tentative ratée de débarquement des forces britanniques à Walcheren (Pays-Bas) mit en lumière la vulnérabilité du littoral sous contrôle français face à un assaut amphibie, de même que les limites logistiques de l’armée britannique. D’ailleurs, en 1812, la volonté de l’Angleterre de contrôler le commerce neutre avec son ennemi français l’emmena dans une guerre de distraction avec les États-Unis dont elle aurait pu se passer.

Vers la fin (1812-1815)

En dépit de la paix de Tilsit, il était dans l’air que la France et la Russie allaient à nouveau en découdre sur les champs de bataille, en particulier au sujet du Blocus continental et d’autres problèmes qui divisaient les deux puissances. Napoléon fit marcher sa Grande Armée en Russie en 1812. Il était à la tête d’une force militaire colossale qui parvint à encercler et annihiler les forces russes en trois semaines. Malgré tout, le succès serait de courte durée. Obligé de s’aventurer encore plus profondément à l’est, sur un territoire littéralement ravagé par les Russes, Napoléon ne put obtenir une victoire décisive, par exemple à Borodino en septembre. Ce dernier affrontement fut une victoire française chèrement payée, mais qui permit à Napoléon de prendre Moscou et de l’occuper brièvement avant d’y mettre le feu.

Le prince Bagration mène l'assaut d'une unité d'infanterie russe à la bataille de Borodino (7 septembre 1812).

La retraite qui s’ensuit fut un cauchemar pour la Grande Armée, si bien que la Prusse et l’Autriche en profitèrent pour reprendre les armes contre la France. Napoléon dut puiser dans les dernières réserves en hommes valides de la France, de même que dans le fond du trésor public, pour tenter de sauver son empire. À cet égard, la campagne livrée en Allemagne en 1813 fut marquée par de grandes victoires sans lendemain pour Napoléon. Sa Grande Armée fut coincée et défaite à Leipzig et ses alliés l’abandonnèrent tour à tour au moment où les forces triomphantes de la Sixième Coalition marchaient vers la France. Malgré tous ses talents, Napoléon ne pourrait contenir des forces ennemies aussi nombreuses pour une longue période. La capitale Paris finit par tomber, ses maréchaux se mutinèrent virtuellement et l’empereur fut contraint d’abdiquer à la faveur de son très jeune fils, le 6 avril 1814. Son fils n’aura aucune chance de régner.

La France avait été en état de guerre de manière presque incessante depuis plus de vingt ans. Elle avait perdu des millions d’hommes et nombre de ses colonies. Son commerce outre-mer était asphyxié et son trésor public faisait banqueroute. Bien qu’elle fut traitée de façon beaucoup plus indulgente par les Alliés qu’elle n’aurait pu s’attendre, les successeurs Bourbons de la France pouvaient à peine résoudre les problèmes dont ils avaient hérité. Le mécontentement populaire se fit bientôt sentir.

C’est alors que Napoléon saisit sa chance au vol, s’échappa de son exil et revint sur le continent afin d’expulser la monarchie dans un premier temps. Son pari téméraire ne dura que pour ce qu’on appela plus tard les Cent-Jours, avec comme point culminant sa défaite à Waterloo et sa seconde abdication. Leur pays défait et occupé, les Français semblaient également avoir perdu tout espoir de réconciliation, ce qui aura des impacts considérables sur les divisions politiques subséquentes au XIXe siècle.

Napoléon tenta un bref retour de "Cent-Jours" sur la scène européenne après son exil à l'île d'Elbe. L'empereur et ses ennemis réglèrent leurs comptes une dernière fois à la bataille de Waterloo le 18 juin 1815.

Conclusion

Les campagnes napoléoniennes s’étaient officiellement achevées le 18 juin 1815 avec la défaite française à Waterloo. En fait, elles avaient été livrées sur la majeure partie du continent européen, fait des millions de victimes, mobilisé la presque totalité des ressources des États impliqués et vu les plus grandes batailles que le monde ait vécues jusqu’au déclenchement de la guerre de 1914-1918.

Un bon nombre de ses conséquences politiques, socioéconomiques et culturelles continuèrent de se faire sentir sur plusieurs décennies, tout comme ces campagnes influencèrent la pensée et la doctrine militaires. Il suffit de penser à la structure organisationnelle pyramidale (corps, divisions, brigades…) en vogue dans les armées d’aujourd’hui pour se rendre compte qu’elle fut adoptée lors de ces campagnes qui s’apparentent à la première guerre « totale » de l’Histoire.

La Guerre américano-mexicaine (1846-1848)

La Destinée manifeste

Représentation de soldats américains lors de la guerre contre le Mexique (vers 1846-1848).

La Guerre américano-mexicaine de 1846 à 1848 peut être considérée comme la première guerre à l’échelle internationale menée par les États-Unis dans le contexte de la Destinée manifeste. Défendue par les démocrates-républicains sous la direction du président James Polk, la Destinée manifeste était une idéologie impérialiste disant que la nation américaine avait une « mission divine », c’est-à-dire étendre à l’Ouest la « civilisation » et la « démocratie ».

À cet égard, le président Polk provoqua délibérément un différend frontalier avec le Mexique, dans le but de s’emparer du territoire du Nouveau-Mexique et de la Californie. De plus, le Mexique n’avait jamais accepté l’indépendance du Texas, ni ses prétentions sur les cours d’eau du Rio Nueces et du Rio Grande. Suivant l’annexion du Texas par les États-Unis au début de 1845, une mission d’« observation » de l’armée américaine sous les ordres du général Zachary Taylor quitta la Louisiane pour se rendre sur le Rio Nueces.

Le premier accrochage avec les forces mexicaines eut lieu en mai de l’année suivante, où 3,700 Mexicains attaquèrent la force de Taylor composée de 2,300 soldats. Les Mexicains furent repoussés à Palo Alto puis défaits à Resaca de la Palma, ce qui les forcèrent à se replier derrière le Rio Grande. Par conséquent, le Congrès des États-Unis déclara officiellement la guerre au Mexique le 13 mai 1846.

Carte des opérations de la Guerre américano-mexicaine. (Cliquez pour un agrandissement.)

Les intrigues politiques: le rôle d’Antonio Lόpez de Santa Anna

Hormis les incidents mentionnés précédemment, la Guerre américano-mexicaine débuta d’une manière encore plus sombre et dissimulée. En effet, les agents du président Polk encouragèrent le retour au Mexique de l’ancien dictateur en exil Antonio Lόpez de Santa Anna en août 1846. Dans le but probable de rétablir sa réputation, ce dernier consentit à un arrangement avec le gouvernement américain. Les principaux termes stipulaient que les forces américaines iraient occuper les points stratégiques de Saltillo, Tampico et Vera Cruz afin de lui assurer une base pour reprendre le pouvoir, puis Santa Anna vendrait aux États-Unis les territoires qu’ils réclamaient pour la somme de 30 M$.

Antonio Lόpez de Santa Anna.

Parallèlement, devant la faiblesse militaire et l’instabilité politique du Mexique, Santa Anna avait offert ses services « militaires » au président en fonction Gómez Farías afin de repousser l’invasion étrangère. Désespéré, le gouvernement mexicain accepta l’offre de Santa Anna qui, rappelons-le, négociait secrètement avec les États-Unis pour la vente des territoires mentionnés. Évidemment, aux yeux de plusieurs, Santa Anna passa pour un traître à sa patrie, mais celui-ci savait que le Mexique n’avait pas les moyens de garder les territoires convoités par les Américains. Or, une fois arrivé au pouvoir, Santa Anna brisa ses deux engagements (son coup d’État contre Gómez Farías et la guerre contre James Polk) et il dirigea ouvertement la lutte contre les États-Unis.

Le long du Rio Grande

Entre temps, sur le terrain, les territoires du Nouveau-Mexique et de la Californie tombèrent rapidement aux mains des forces américaines commandées par le général Stephen Kearny. Sur ses arrières, une révolte des Indiens Pueblo et de Mexicains non soumis fut écrasée par le général Sterling Price en janvier 1847, tandis que le colonel Alexander Doniphan dirigea ses 700 volontaires du Missouri contre les puissants Navajos. Par la suite, Doniphan marcha vers le Mexique sur un terrain difficile où il finit par vaincre un ennemi mexicain plus nombreux et bien abrité dans la ville de Chihuahua.

Sur le front du Rio Grande, le commandant mexicain local ignora les ordres de retraite vers Saltillo émis par Santa Anna et préféra se retrancher dans Monterrey. C’est alors que le général Taylor prit d’assaut cette ville en septembre 1846, mais il autorisa les défenseurs mexicains à battre en retraite à l’intérieur de leur pays. Ce qui amena Taylor à prendre cette décision reposait sur sa conviction qu’une invasion à partir du nord vers Mexico City n’était pas viable et il préféra repousser l’ennemi derrière ses frontières afin, notamment, de gagner du temps pour refaire ses forces. En effet, l’armée de Taylor était minée par les désertions (tout comme l’armée mexicaine), si bien qu’à elle seule, sa force encaissa la plupart des 9,000 désertions que subit l’armée américaine au cours de la guerre. Taylor perdit aussi autant d’hommes qui refusèrent de se réengager ou qui furent expulsés de l’armée en raison de problèmes d’indiscipline que l’armée peinait à gérer.

Probablement mis au fait des problèmes dans l’armée de Taylor, et aussi en raison que celui-ci s’apprêtait à détacher une partie de sa force pour une expédition maritime contre Vera Cruz, Santa Anna décida de lancer un assaut en février 1847 avec ses 15,000 hommes. À Buena Vista, au sud de Saltillo, la force supérieure en nombre de Santa Anna parvint à faire reculer les quelque 5,000 hommes de Taylor. Plutôt que d’entamer la poursuite, Santa Anna préféra à son tour battre en retraite et le théâtre d’opérations allait se transformer de manière à favoriser des actions de guérilla sans lendemain.

Représentation de la bataille de Monterrey (septembre 1846). Les forces américaines font mouvement vers la cité.

Le débarquement à Vera Cruz

Santa Anna craignait à juste titre une invasion ennemie par la mer, ce qui arriva par la capture initiale de Tampico par la marine américaine, puis le débarquement d’une expédition à Vera Cruz par les forces du général Winfield Scott en mars 1847. Ce port tomba après un bombardement de vingt jours. À Cerro Gordo à la mi-avril, une place forte aménagée par Santa Anna visant à maintenir les Américains dans les basses terres fut prise de flanc avec un minimum de pertes dans les rangs de ces derniers.

Le débarquement de troupes américaines à Vera Cruz (mars 1847).

De Vera Cruz, la force expéditionnaire américaine ne rencontra que peu de résistance organisée entre la plage et Mexico City, la capitale. Le 20 août 1847, les forces de Santa Anna furent défaites lors des batailles de Contreras et Churubusco. Ce dernier affrontement vit une résistance quasi fanatique offerte par des déserteurs d’origine irlandaise qui combattit avec Santa Anna dans le régiment San Patricio (Saint-Patrick). Les dernières résistances mexicaines furent éliminées à Molino del Rey le 8 septembre, de même que le fort de Chapultepec tomba cinq jours plus tard.

Au cours de ces dernières batailles autour de Mexico City, les Américains n’ont jamais aligné plus de 11,000 hommes face aux 30,000 défenseurs mexicains (soldats réguliers et partisans). Ces derniers subirent des pertes avoisinant les 7,000 hommes, sans compter les quelque 3,000 Mexicains qui capitulèrent. Pour leur part, les Américains avaient perdu un peu plus de 3,000 soldats tués, blessés et disparus.

Des soldats américains dans Churubusco (1847).

Le bilan

Le Président des États-Unis de l'époque: James Polk.

En tout, les forces américaines perdirent 5,800 hommes sur les champs de bataille, mais environ 11,500 tombèrent en raison de la maladie, ce qui représentait un peu plus de 20% des effectifs engagés. Néanmoins, les États-Unis remportèrent la guerre contre le Mexique et il est probable que la campagne qui se livra à partir de la plage de Vera Cruz fit la différence. D’ailleurs, les qualités militaires du général Winfield Scott furent louangées. Cependant, le président Polk vit la chose différemment et il dénigra les accomplissements de son général. Il y avait assurément une rivalité entre les deux hommes, si bien que Scott reçut l’ordre de rester au Mexique, alors que le général Taylor fut invité à parader devant le président.

La Guerre américano-mexicaine fut conclue par le traité de Guadalupe Hidalgo signé le 2 février 1848. Les États-Unis obtinrent le plein contrôle de l’actuel Texas et la frontière avec le Mexique fut fixée sur le Rio Grande. De plus, le Mexique dut abandonner ses prétentions sur les actuels États américains de la Californie, du Nevada et de l’Utah, de même que sur de larges parties du Colorado, de l’Arizona, du Nouveau-Mexique et du Wyoming. En échange, le Mexique reçut néanmoins une somme avoisinant les 20M$ pour ces territoires, ce qui représentait moins de la moitié du montant initialement offert par les États-Unis avant le début des hostilités.

Daguerréotype montrant des artilleurs américains dans la région de Buena Vista (nord du Mexique) vers 1847. La Guerre américano-mexicaine figure probablement parmi les premiers conflits à avoir été photographié.

L’armée macédonienne

Un outil de conquêtes

Représentation de Philippe II de Macédoine.

Jusqu’à l’accession de Philippe II en 359 avant notre ère, des querelles internes et de puissants voisins avaient empêché la Macédoine d’atteindre son plein potentiel militaire. Pendant les cinq premières années de son règne, Philippe avait mis fin aux disputes internes et il développa le plus puissant outil militaire de la Grèce antique dans le but d’abattre ses ennemis voisins. La force de l’armée macédonienne sous Philippe reposait sur les innovations tactiques, l’entraînement et la qualité du commandement.

La base de l’armée macédonienne sous Philippe était constituée d’une solide infanterie nommée la phalange qui, une fois déployée, pouvait ressembler à une sorte de « hérisson mobile ». La phalange comprenait des hommes équipés d’une armure légère et armés d’une longue pique nommée la sarisse. Les faibles coûts relatifs des équipements signifiaient qu’un effectif important pouvait être levé, probablement sur une base locale, jusqu’à former des brigades sur une base régionale. L’entraînement intensif avait pour but premier d’assurer une mobilité modérée à cette masse d’infanterie.

L’élite de cette armée macédonienne sous Philippe était formée de sa garde personnelle royale que l’on identifiait comme les Hypaspistes. Ceux-ci étaient équipés de boucliers plus lourds et d’une pique plus longue, à l’image des hoplites conventionnels. Sur le champ de bataille, les Hypaspistes pouvaient protéger les flancs des phalanges ou entreprendre des missions particulières à la demande du commandement. Au niveau offensif, la force offensive de l’armée de Philippe reposait sur une cavalerie d’élite dite des « Compagnons ».

Représentation d'un soldat des Hypaspistes.

Les effectifs de l’armée macédonienne sous Philippe furent largement accrus. Les conquêtes territoriales au détriment des cités côtières grecques lui permirent d’attribuer de nouvelles terres à une plus grande quantité de ses soldats, ce qui constituait indirectement une source appréciable de recrutement. Celui-ci se faisait sur une base locale, où les villes fournissaient les contingents. Au plan financier, Philippe pouvait compter sur les revenus fournis entre autres par les mines en Thrace, ce qui lui permettait même d’embaucher des mercenaires et des experts comme des ingénieurs de sièges au besoin.

Ce qui pouvait frapper les observateurs à première vue, c’était la rapidité d’exécution de l’armée macédonienne et sa capacité à demeurer mobilisée à longueur d’année, contrairement à celles des autres cités grecques. Les soldats de Philippe étaient entraînés afin d’être capables d’apporter le gros de leurs équipements, mais sans s’épuiser inutilement. Pour les soutenir, ils avaient une logistique organisée à l’aide d’animaux pour assurer le transport de leurs bagages. La discipline régnait également dans l’armée, en particulier chez les mercenaires qui étaient fermement contrôlés. De plus, le moral semblait élevé, dans la mesure où le roi en personne donnait l’exemple sur le champ de bataille et que la bravoure était récompensée.

Conquêtes et adaptation sous Alexandre

Buste d'Alexandre le Grand.

Au lendemain de la mort de son père Philippe, Alexandre « le Grand » hérita d’une formidable machine de guerre prête à entreprendre une nouvelle conquête: celle de la Perse. La marche à l’est fut pénible et seule la discipline permit à cette armée de s’en sortir. Alexandre conduisit son armée à travers les dangereux passages des Balkans. Ses soldats parvinrent à transporter leurs lourds wagons à travers la Thrace, affronter les chariots scythes à Arbèles (actuel nord de l’Irak) ou les éléphants ennemis sur la rivière de l’Hydaspe (actuel Pakistan). Par ailleurs, la bonne coordination entre les différentes unités de l’armée macédonienne permettait l’exécution de manœuvres difficiles, mais nécessaires selon les circonstances. À titre d’Exemple, lors d’un passage difficile d’une rivière en Illyrie, Alexandre parvint à replier son armée en déployant ses catapultes et ses lance-missiles de sorte à couvrir la retraite de l’infanterie et de la cavalerie.

Cela dit, l’armée macédonienne forma le corps principal de l’expédition qu’entreprit Alexandre en Perse en 334 avant J.-C. Le roi disposait d’une infanterie macédonienne forte de 15,000 hommes et de trois brigades d’Hypaspistes (dont l’une était sa garde personnelle) composée de 1,000 cavaliers chacune. La phalange principale était organisée en six brigades fortes de 1,500 à 2,000 fantassins. Pour sa part, la composante à la base de cette infanterie dans la brigade était le lochos, une unité de seize hommes commandés par un lochagos. De son côté, la cavalerie était organisée en huit escadrons d’environ 225 à 250 hommes appuyés au besoin par une poignée d’escadrons de reconnaissance.

Comme nous l’avons dit, les troupes alliées et les mercenaires pouvaient fournir non seulement des effectifs supplémentaires, mais également des compétences spécialisées. Parmi les unités régulièrement affectées aux missions difficiles, aux côtés des Hypaspistes macédoniens, se trouvaient notamment des archers crétois. Aussi, la cavalerie thessalienne, forte de près de 2,000 hommes en 334, était une unité d’élite appelée à intervenir dans les situations difficiles.

Représentation de la bataille de Gaugamèles en 331 avant J.-C. L'armée macédonienne d'Alexandre (à gauche) face aux Perses commandés par le roi Darius (à droite).

Malgré les distances, Alexandre recevait régulièrement des renforts grâce à la qualité du travail de son général Antipater qui lui en envoyait de la Macédoine. Il n’est par contre pas possible d’établir avec précision le nombre des effectifs de l’armée macédonienne au cours de la campagne perse, à titre d’exemple. Cependant, on pense que l’armée macédonienne atteint son effectif maximum à la bataille d’Arbèles (Gaugamèles) avec l’arrivée à point nommé de recrues qui furent rapidement intégrées aux unités existantes.

Les rivalités politiques ou le début de la fin

Comme toute armée efficiente, celle de Macédoine savait s’adapter aux circonstances, aux pertes subies et même aux aléas de la situation politique. En 331, la cavalerie se réorganisa en étant subdivisée en deux unités (lochos), peut-être en réponse aux effectifs grandissants, mais peut-être aussi en raison des rivalités politiques qui liaient les commandants avec leurs unités recrutées sur une base locale. En 330, d’autres facteurs politiques amenèrent d’autres changements dans la chaîne de commandement de la cavalerie macédonienne. Après l’élimination de Philotas pour complot, le commandant de la cavalerie depuis 334, la direction des forces à cheval fut attribuée à deux hipparques, Héphaestion et Cleithos. Au moment de l’invasion de l’Inde en 326, la direction de la cavalerie était confiée à huit hipparques.

Le développement le plus significatif qui s’est opéré dans l’armée macédonienne sous Alexandre fut probablement l’incorporation progressive de troupes orientales initialement enrégimentées sous leurs bannières nationales. Venues de l’Orient, ces troupes fournissaient principalement de la cavalerie, en particulier des régions de Bactrie et la Sogdiane. Alexandra poussa la logique plus loin en mélangeant ces unités à ses propres soldats de cavalerie, si bien qu’avec le temps, les Orientaux finirent par obtenir le titre convoité de Compagnons. Du côté de l’infanterie, Alexandre paya pour le recrutement et l’entraînement à la manière macédonienne de quelque 30,000 Orientaux qui formèrent des phalanges vers 324. Simultanément, la phalange fut réorganisée de manière à saupoudrer dans ses rangs, au niveau des lochos, des recrues orientales.

Représentation de la célèbre phalange macédonienne.

Après la mort d’Alexandre en 323, ses successeurs connurent des difficultés dans la gestion de l’armée macédonienne qui perdit de sa flexibilité. Le recrutement était problématique et les successeurs des dynasties des Ptoléméens et des Séleucides durent compter sur les habitants locaux pour combler les rangs. Aussi compétentes que ces troupes puissent être, leur arrivée dans l’armée macédonienne avait forcément changé le caractère « élitiste » de cette institution. Cette dernière délaissait tranquillement l’infanterie pour se rabattre sur les éléphants (qu’Alexandre avait contré avec facilité de son vivant). La cavalerie perdit de son efficacité comme force de frappe principale, si bien que la phalange, équipée de sarisses pouvant atteindre 5,5 mètres de long, était devenue l’arme offensive de choix.

Face aux dangereux ennemis qu’étaient les Romains, la phalange offrait toujours un spectacle impressionnant. Cependant, son inflexibilité et ses difficultés à s’adapter aux différents terrains la rendirent vulnérable à terme.

Histoire de l’infanterie

La guerre à pied

À une certaine époque de l'humanité, la pratique de la chasse et celle de la guerre demandait des habiletés similaires.

Dans l’histoire de l’humanité, le soldat à pied est aussi vieux que l’Homme. L’habileté de celui-ci à fabriquer des armes et à s’en servir avait un but initial bien précis. L’Homme cherchait à livrer à l’animal une lutte à armes égales, dans la mesure où il ne possédait pas, tout simplement, des dents et des griffes.

Les armes que l’Homme fabrique se divisent en deux catégories qui s’appliquent toujours et qui définissent le soldat d’infanterie. Il y a d’abord des armes de jet, qui étaient initialement, à titre d’exemple, le bâton, la pierre, la flèche et la lance de jet. Ces armes permettaient au soldat de frapper à distance, alors que d’autres armes lui servaient pour le combat rapproché. Parmi ces dernières, notons la masse, la lance de frappe et l’épée.

Par ailleurs, la fragilité du corps humain, qui est spécialement exposé lors d’un combat rapproché d’infanterie, amena le soldat à se protéger avec des boucliers, des casques et des armures. La relation entre le poids des armes et des équipements et la mobilité générée par la force musculaire fut une préoccupation constante chez le fantassin. De plus, à une époque plus ancienne, la guerre et la chasse pouvaient se confondre, en particulier au plan tactique. En effet, les tactiques de l’Homme à la guerre étaient une extension de ce qu’il pratiquait au quotidien à la chasse.

L’Homme embusquait, il effectuait des raids et il pouvait balayer ses ennemis en comptant sur la coopération de ses semblables et en utilisant son environnement immédiat à des fins tactiques. L’Homme était essentiellement un guerrier dont les habiletés tactiques se constataient au niveau individuel. Il n’était pas un soldat au sens premier du terme, dans la mesure où il lui est demandé d’exécuter ces mêmes habiletés tactiques en collectivité, avec ses semblables.

L’infanterie à l’ère antique

L'organisation de l'infanterie et des moyens de pratiquer la guerre sont aussi anciens que les premières cités-états.

Cette transition consistant à faire la guerre seul vers la pratique de la guerre en collectivité ne se fit pas du jour au lendemain. On peut penser que vers 2,500 avant J.-C., la pratique organisée de la guerre se vit une première fois à travers l’infanterie des cités-états de Mésopotamie. Ces soldats disposaient d’un armement similaire, avec des épées et des boucliers, et ils partaient à la bataille en masse plus ou moins compacte de phalanges qui demandaient un entraînement peu complexe.

Bien que le statut de cette première infanterie ait été éclipsé par celui des chariots et des cavaliers, les soldats à pied jouèrent un rôle primordial dans plusieurs des grandes armées de l’Antiquité. Les cités-états de la Grèce antique mirent sur pied les hoplites, dont l’appellation dérivait de l’hoplon, le bouclier de bronze utilisé par ces soldats. Les armées hoplites livrèrent des batailles dont la durée était généralement limitée en raison des difficultés physiques à transporter les lourds boucliers et les longues lances de l’époque.

Comme infanterie lourde et bien équipée, les hoplites grecs ne craignaient pas une charge directe de la cavalerie ennemie. Par contre, ils étaient vulnérables face à des assauts sur les flancs. Pour leur part, on note que les Spartiates démontraient un impressionnant niveau d’organisation dans leur infanterie. Selon certains chroniqueurs de l’époque, notamment Plutarque, l’infanterie spartiate manœuvrait avec une cohésion qui semblait parfaite, ne laissant aucun vide dans les rangs.

Sous le règne Alexandre le Grand, les fantassins formaient le cœur de son armée. Ils étaient plus légèrement équipés que leurs prédécesseurs, bien qu’ils emportaient la sarisse, une longue lance qui faisait au moins 4,5 mètres. Au niveau tactique, l’unité de base de l’infanterie d’Alexandre était le syntagme, une formation de 256 hommes répartis sur 16 rangs. Le syntagme pouvait être combiné à d’autres unités pour former une phalange spéciale, suffisamment flexible afin de pouvoir ouvrir les rangs à tout moment et ainsi laisser passer les chariots perses ou les éléphants indiens de l’époque.

Une unité de phalange grecque nommée "le syntagme" consistant en une formation de 256 hommes répartis sur 16 rangées.

Plus tard, les légions romaines, qui se sont développées à la suite de deux guerres majeures contre Carthage au IIIe siècle avant notre ère, faisaient preuve d’une flexibilité encore plus grande. L’organisation de l’infanterie romaine reposait sur des sous-groupes précis. La plus petite unité, le contubernium, était composée de 8 soldats, suivie de la centurie de 80 hommes, de la cohorte formée de 6 centuries et, enfin, de la légion comprenant 10 cohortes. Cette organisation connut des variantes sous la République et l’Empire, mais sa survie au cours des siècles reflète au final la force de l’institution militaire romaine.

Le légionnaire romain emportait une lance de jet, le pilum, qu’il utilisait dans le but de désorganiser les rangs ennemis avant qu’il charge, armé de son épée et de son bouclier. De plus, la discipline de fer, l’entraînement très dur et les procédures opérationnelles standardisées ont tous été des facteurs qui, combinés, ont contribué aux succès des légions romaines. Les Romains étaient néanmoins conscients que malgré la qualité de leur infanterie, il fallait qu’elle soit appuyée par des unités auxiliaires. Celles-ci comprenaient de la cavalerie et des troupes plus légères armées de missiles (lances, flèches, pierres…) que fournissaient généralement les alliés de Rome.

Les légions romaines constituèrent probablement les troupes d'infanterie les plus redoutables de leur époque.

Face à l’armée romaine, il y avait toujours de dangereux ennemis. Le fait de les sous-estimer et de livrer bataille sur des terrains difficiles pouvait former une combinaison pouvant s’avérer fatale aux légions romaines. En 53 avant J.-C., les archers montés parthes vainquirent Crassus à Carrhes, de même que des légions romaines furent anéanties en 9 dans la dense forêt de Teutberg.

Le déclin de la base de recrutement des légions romaines (qui étaient de moins en moins « romaines ») et la rigidité de leur doctrine tactique à la fin de l’Empire causèrent l’affaiblissement global de l’infanterie romaine. L’empereur Valens fut défait et tué en 378 à la bataille d’Andrinople par la cavalerie gothique qui se rua sur son infanterie fatiguée et démoralisée. Pour au moins les mille prochaines années, la cavalerie semblait dominer les champs de bataille, du moins en Occident.

La « période noire » médiévale

De l’Est venaient des vagues de cavaliers légers manœuvrant dans les steppes, alors qu’à l’Ouest des chevaliers aux armures lourdes émergeaient comme instrument militaire dominant. Le lien entre le statut social et l’efficacité militaire, qui favorisait le soldat à pied à l’époque des hoplites et des légionnaires, avait évolué au début de la période médiévale. En clair, les fantassins ne jouissaient plus du même prestige que les soldats montés, même qu’un accroissement éventuel de l’efficacité de l’infanterie pouvait poser une menace au statut du chevalier. Les armées du Moyen Âge n’étaient en effet qu’un ensemble restreint de soldats montés issus de la noblesse, avec des soldats à pied qui avaient une faible valeur, et ce, tant au niveau social qu’au plan de l’efficacité militaire.

Un exemple d'une formation de piquiers suisses. Les soldats de la première rangée pointent leur pique de manière à arrêter la vague ennemie. La seconde rangée pointe la pique à la hauteur des épaules de sorte à protéger les soldats de la première rangée.

La menace majeure qui se posait aux chevaliers de l’ère médiévale vint des soldats formés en Suisse. Ces fantassins étaient entraînés rigoureusement de manière à utiliser la pique. Il s’agissait d’une longue lance faisant au moins 5,4 mètres qui était pointée défensivement à la hauteur des épaules, tandis que d’autres soldats postés tout juste devant la pointe des piques pouvaient se ruer sur l’ennemi avec leurs épées ou leurs haches. Dans ce contexte, les Suisses s’organisaient généralement pour livrer bataille sur un sol qui ne permettait pas à la cavalerie ennemie de manœuvrer adéquatement. Ce sont d’ailleurs ces tactiques efficaces qui permirent aux Suisses de remporter d’importantes victoires aux XIV et XVe siècles face à divers envahisseurs. Les formations de piquiers furent éventuellement surpassées à partir du XVIe siècle, notamment par les lansquenets allemands qui combinaient de judicieuses utilisations de piques (hallebardes) et d’arquebuses.

Si la pique était une arme de choc reconnue, la seconde menace qui se présenta aux chevaliers était exactement l’opposé. Dès le XIIIe siècle, l’arc long était devenu l’arme principale de l’infanterie anglaise et galloise. Les archers ont combattu avec des chevaliers et des lanciers en tant que membres d’une sorte de force combinée et leurs effets contre une force de cavalerie en armure lourde ou contre une infanterie ennemie laissée à elle-même pouvaient être dévastateurs. À la bataille de Falkirk en 1298, les archers anglais taillèrent en pièces les lanciers écossais sous un tir répété de flèches. À Crécy, en 1346, ces mêmes archers anglais ont démoli la cavalerie française. Les Français en avaient déduit que leur échec était attribuable à la vulnérabilité de leurs soldats montés face aux flèches. Cependant, la bataille d’Azincourt de 1415 montra la fausseté de cette analyse, puisque l’infanterie française subit le même sort.

Des pressions d’ordre militaires et sociales ont amené le déclin progressif de l’arc long sur le champ de bataille. Ce ne fut pas avant le début du XIXe siècle que les armes à feu pouvaient rivaliser avec les arcs longs, tant au niveau de la distance et de la cadence du tir que de la précision. À cet égard, il faut considérer que les archers étaient les produits de plusieurs siècles d’entraînement, et de transmission de savoirs et d’habiletés qu’il était difficile à reproduire selon les pertes qu’ils subissaient. Par contre, les monarques des XVe et XVIe siècles investissaient de plus en plus dans des armements plus modernes, si bien que les armes à feu étaient sur le point de redéfinir, comme la chevalerie à une autre époque, le nouveau statut social des soldats.

La « renaissance » de l’infanterie (XVIe – XVIIIe siècles)

Les XVIe et XVIIe siècles ont démontré les différentes configurations de l’infanterie, dont les styles et les organisations variaient, que ce soit chez les Anglais ou chez les Suisses. L’infanterie du début de l’Europe moderne combinait le feu de la poudre à canon (d’abord avec l’arquebuse et ensuite le mousquet) avec celui de l’arme blanche pour délivrer le choc. Ce fut l’armée espagnole qui montra en ce sens l’exemple des nouvelles évolutions tactiques avec les tercios (qui signifie dans un contexte militaire le « tiers d’une armée »), l’unité administrative et militaire de l’infanterie espagnole à cette époque. Les tercios s’organisaient normalement en plaçant des piquiers au centre d’un front d’infanterie et des unités armées de mousquets sur les flancs.

Une unité espagnole de "tercio".

D’autres tacticiens tels Maurice de Nassau et Gustave Adolphe améliorèrent l’efficacité de l’infanterie en mettant d’abord au point des unités plus petites et flexibles, tout en augmentant la proportion de mousquetaires par rapport aux piquiers. Cette transformation progressive s’accéléra au cours de la Guerre de Trente Ans et lors des guerres civiles en Angleterre au XVIIe siècle. D’ailleurs, en 1691, lorsque des régiments anglais quittèrent pour aller combattre en Flandre, les piquiers formèrent un peu moins du quart des effectifs.

Vers la fin du XVIIe siècle, le fusil à mèche fut remplacé par le fusil à silex, une arme plus facile d’utilisation, mais qui était plus coûteuse à fabriquer. Aussi, l’invention de la baïonnette à la même époque sonna le glas de la pique, bien que pendant plusieurs décennies subséquentes les officiers et les sergents pouvaient emporter des piques comme symbole d’autorité. Les premières baïonnettes de type « bouchon » étaient insérées dans le canon du mousquet, faisant en sorte qu’évidemment, l’arme ne pouvait pas tirer. Les armées européennes se rendirent rapidement compte des difficultés à combattre avec ce système, puisqu’elles ne pouvaient pas, par exemple, tirer puis charger à la baïonnette. Plus tard, au début du XVIIIe siècle, on inventa une baïonnette à « tenon » qui se fixait autour du canon afin que l’arme puisse tirer.

Une unité d'infanterie prussienne vers le milieu du XVIIIe siècle. On remarque un officier (ou sergent) armé d'une pique. La pique était à la fois une arme et un symbole d'autorité à cette époque. Les soldats sont quant à eux armés d'un fusil à silex et d'une baïonnette à tenon.

À l’âge de l’industrialisation (XIXe siècle)

La généralisation des armes à feu amena le développement d’une infanterie de ligne. Celle-ci formait dorénavant le noyau des armées et elles influençaient la décision sur les champs de bataille par la régularité de son tir et la cohésion dans ses rangs. Cependant, il faut préciser qu’à lui seul, le mousquet était une arme relativement imprécise, même entre les mains d’un bon tireur. Pour donner une idée, un bataillon d’infanterie prussien de la fin du XVIIIe siècle qui tirait sur une cible de deux mètres de hauteur et 30 mètres de largeur, ce bataillon touchait l’objectif 25% du temps à une distance de 200 mètres, 40% à 135 mètres et 60% à 70 mètres.

Sous le stress des conditions d’un champ de bataille, la proportion diminuait dramatiquement. Bon nombre des grands commandants de l’époque, comme Napoléon, Frédéric II de Prusse et le Duc de Wellington, étaient des hommes qui accordèrent un soin particulier à l’entraînement de l’infanterie et ils l’utilisèrent à bon escient. Il y avait également des débats quant à l’efficacité de la formation en colonne ou en ligne pour l’infanterie.

Waterloo, 1815. La vue d'un régiment d'infanterie qui avance baïonnettes aux canons créer un impact psychologique qui peut entraîner la panique et la fuite des soldats ennemis.

La colonne semblait mieux adaptée pour la manœuvre, alors que la ligne était recommandée pour la concentration du tir. Bien qu’il y avait certaines préférences nationales, on note par exemple que les armées françaises sous la Révolution utilisaient souvent la colonne, avec des tirailleurs déployés au-devant pour prendre contact avec l’ennemi, puis des bataillons déployés pour le tir et d’autres, en colonne, prêt à renforcer ces derniers ou à charger à la baïonnette. Cette approche tactique des armées révolutionnaires connut généralement du succès au tournant du XVIIIe siècle.

Contrairement à une certaine croyance populaire, les affrontements à la baïonnette étaient plutôt rares, pour la simple raison que dans une majorité de batailles, l’un des belligérants fuyait avant que ne se produise le choc. La baïonnette avait sans doute un impact d’ordre psychologique, mais la détermination d’une armée à engendrer le choc avec l’ennemi résulte davantage de la discipline, de la ferveur patriotique (le cas échéant) et des habiletés tactiques des soldats.

Toujours à la même époque, une unité d’infanterie qui fait preuve de cohésion sur le champ de bataille pouvait généralement faire obstacle à un assaut de cavalerie en formant le carré. Face à cette situation, le commandant de l’armée ennemie qui se trouve en face pouvait utiliser diverses tactiques pour battre l’infanterie adverse. Il pouvait utiliser son artillerie pour briser ce carré, puis faire donner à nouveau sa cavalerie pour déstabiliser davantage la formation ennemie.

Un exemple classique d'une formation d'infanterie en carré. Le but premier de cette formation est de contrer un assaut de la cavalerie ennemie ou de quelconque force mobile.

Ces tactiques avaient leurs limites. Une infanterie sur la défensive et armée d’un équipement adéquat pouvait causer de lourdes pertes, même si elle faisait face à un adversaire résolu à marcher à travers son feu. À cette infanterie lourde devait s’adjoindre une force à pied plus légère. À la fin du XVIIIe siècle, des compagnies légères étaient fréquemment combinées à des unités de grenadiers dont les soldats emportaient des grenades à main et qui étaient censés constituer les compagnies de flanc d’un bataillon.

Les changements technologiques se sont accélérés au XIXe siècle. Par exemple, le fusil à silex fut progressivement remplacé dans les années 1830 par le fusil à percussion, plus simple d’utilisation. De plus, les fusils commençaient à être manufacturés à grande échelle dans les années 1850. Vingt ans plus tard, lors de la guerre franco-prussienne, on assista au premier conflit d’envergure dans lequel les infanteries de part et d’autre utilisèrent des fusils à armement par la culasse.

Les lourdes pertes enregistrées en 1870-1871 par les infanteries belligérantes ne sont pas tant attribuables au fusil à culasse, mais surtout parce qu’on manœuvrait les forces en masses compactes face à une puissance de feu beaucoup plus forte. Par exemple, à la bataille de Saint-Privat, la Garde prussienne perdit plus de 8,000 fantassins en une journée. Par ailleurs, les premières mitrailleuses d’un modèle primitif firent leur apparition. Autrement dit, plus la technologie s’améliorait et plus les pertes de l’infanterie allaient être lourdes si des améliorations tactiques n’étaient pas apportées.

Il était évident en 1871 que l’infanterie pouvait atteindre de meilleurs résultats par une juste combinaison du feu et de la manœuvre. Cela signifiait, par exemple, qu’une compagnie ouvrait le feu afin de couvrir le mouvement d’une autre compagnie. Aussi, la guerre franco-prussienne avait clairement démontré que, lorsque bien utilisée, l’artillerie pouvait carrément arrêter l’infanterie et briser sa cohésion.

Guerres mondiales et conflits contemporains

Ces leçons avaient été plus ou moins bien assimilées, si l’on se fit aux conflits subséquents. À titre d’exemple, lors de la Seconde Guerre des Boers (1899-1902), l’infanterie britannique subit des pertes considérables en effectuant des assauts frontaux contre des positions bien tenues par des combattants qui utilisaient des armes à poudre sans fumée.

Dans les années précédant la Première Guerre mondiale, il y eut un regain de « popularité » face à une doctrine tactique offensive prônant que l’infanterie avance en rangs serrés vers l’ennemi. L’un des arguments avancés pour justifier la doctrine était que les armées européennes, pour la plupart composées de soldats conscrits, perdraient de leur cohésion et de leur discipline si on leur permettait de s’étirer devant le feu concentré de l’ennemi.

L'infanterie britannique. Guerre de 1914-1918.

La Première Guerre mondiale apporta davantage de souffrances à l’infanterie et elle força une révision en profondeur de ses tactiques. Les fantassins composaient la majorité des combattants de ce conflit. Ils étaient les souffre-douleurs, avançant péniblement dans les tranchées sous le poids de leurs équipements, souffrant des privations de toutes sortes et expérimentant tous les dangers de la guerre des tranchées, dont le feu de l’artillerie ennemie. L’infanterie utilisa une variété d’armements. En plus des fusils, les fantassins avaient des grenades à main, des mortiers, des fusils-mitrailleurs. Oublié depuis le Moyen Âge, le casque fit également sa réapparition.

Bien que le champ de bataille fut dominé par l’artillerie, l’infanterie put trouver sa juste place. Pour l’assaut, il était impératif de disperser les formations et assurer une coordination entre les mouvements de l’infanterie et le feu de l’artillerie et des mortiers qui les appuient. On peut dire que ce furent les unités spéciales d’assaut de l’armée allemande de 1918 qui illustrèrent de la manière la plus éclatante l’importance du feu et du mouvement, et celle de la coordination interarmes.

La guerre de 1914-1918 avait bouleversé les tactiques de l’infanterie et il est à se demander dans quelle mesure les leçons avaient été assimilées. L’infanterie de la Seconde Guerre mondiale avait retenu des tactiques du précédent conflit, tout en tentant de les adapter dans un contexte de mécanisation rapide des forces. La mécanisation avait commencé pendant la période de l’entre-deux-guerres, mais les fantassins mobiles constituaient une minorité. Certains éléments, par exemple les panzergrenadiers et les fusiliers motorisés soviétiques, étaient de véritables unités d’infanterie mobiles.

La prolifération des armes se poursuivit, notamment avec l’entrée en service de canons antichars portatifs comme le Panzerfaust ou le bazooka, de même qu’avec l’augmentation notable des armes automatiques. Cette diversification accrue de l’armement facilita l’innovation tactique, dans la mesure où les rôles de chaque fantassin étaient mieux associés aux types d’armes à leur disposition.

Les unités allemandes de panzergrenadiers alliaient la mobilité et la puissance de feu. Guerre de 1939-1945.

Malgré tout, les fantassins de la guerre de 1939-1945 marchaient sur de longues distances. De plus, la nature du terrain et les conditions climatiques, de la jungle de Birmanie aux montagnes d’Italie en passant par les steppes russes, étaient toujours des donnes invariables. Parfois, la nature du terrain résultait du travail de l’homme, surtout lorsque l’infanterie avait à combattre dans des ruines comme à Stalingrad en 1942-1943. Cela démontrait la valeur de l’infanterie dans un environnement urbain.

De nos jours, l’introduction généralisée de véhicules pour l’infanterie amène la question à savoir si le rôle traditionnel de celle-ci, soit éliminer l’adversaire et occuper le terrain, n’est pas remis en question. Dans les années 1990, à une époque où l’infanterie était censée subir moins de pertes sous ses casques et ses gilets pare-balles, les véhicules s’avérèrent utiles, notamment lors des opérations de maintien de la paix. De plus, une plus grande disponibilité de véhicules permet aux soldats d’y laisser une partie de leurs équipements et d’effectuer des patrouilles à pied en étant moins chargés.

Par le fait même, cette situation amena une demande accrue pour des forces d’infanterie plus légères et faciles à déployer. De plus, selon les difficultés du terrain, l’infanterie conserve son utilité comme principale force de frappe et ses armements plus légers peuvent constituer des outils plus convenables, dans la mesure où l’utilisation d’armes plus lourdes cause des dommages collatéraux qui sont toujours inacceptables, en particulier d’un point de vue politique.

À mesure que les armées des nations occidentales mesurent les risques liés à la pratique d’une guerre asymétrique contre un ennemi qui décide de ne pas offrir des cibles idéales pour les armes technologiques, on peut en conclure que l’infanterie aura toujours sa place sur les champs de bataille. Pour qu’une guerre soit victorieuse, il faudra toujours des soldats sur le terrain qui pensent.

Le cheval: l’oublié des champs de bataille

Apprivoiser l’animal

Le cheval figure parmi les premiers animaux à avoir été domestiqués par les hommes et son utilisation à des fins militaires remonte au moins au XVIIIe siècle avant notre ère. Il est probable que les premiers chevaux utilisés par les hommes étaient différents de ceux d’aujourd’hui. À une autre époque, les chevaux étaient plus légers, ils avaient les pattes plus courtes, un dos plus faible, si bien qu’il s’avérait sans doute difficile de les monter pour la promenade.

À certains moments au second millénaire avant notre ère, des peuples du sud de l’Asie centrale se servirent de chariots tirés par deux chevaux malgré que ceux-ci semblaient toujours de plus petite taille. Vers 900 avant J.-C., des chevaux plus gros étaient élevés et montés. Ils étaient suffisamment solides sur leurs pattes pour supporter le poids d’un homme et ses armes.

Les Assyriens furent parmi les premiers peuples à utiliser massivement le cheval sur les champs de bataille. Ils étaient réputés pour leur efficacité au combat à bord de chariots sur lesquels deux hommes embarquaient. L’un tenait les rênes tandis que l’autre faisait usage de son arc. À l’apogée de leur puissance, les Assyriens employaient également les chevaux pour former des unités de cavalerie. C’est probablement la cavalerie, encore mieux utilisée par les ennemis des Assyriens, qui parvint à anéantir leur empire.

La valeur du cheval

Le cheval fut également l’instrument privilégié dans le déplacement des peuples nomades des steppes d’Asie centrale vers le « monde civilisé » de l’Ouest. Sur deux mille ans, du premier millénaire avant notre ère jusqu’au millénaire suivant, nombreux furent en effet les mouvements migratoires et les invasions où le cheval occupa une place de premier plan. Dans ce contexte, le cheval n’était pas seulement un outil militaire, mais il était aussi au cœur du mode de vie des populations nomades.

L'Akhal-Teke.

Sans trop exagérer, le nomade des steppes passa presque sa vie sur un cheval. Certaines histoires racontent même que certains peuples comme les Huns mangeaient, buvaient, dormaient, faisaient de la politique et déféquaient en restant sur leurs chevaux. Plusieurs de leurs chevaux étaient de petite taille, mais certaines évidences archéologiques tendent à prouver qu’ils avaient à leur disposition des chevaux un peu plus gros, qui seraient peut-être les ancêtres de la race moderne de l’Akhal-Teke.

Le succès des aventures des peuples nomades est en partie dû à l’endurance de leurs chevaux. De plus, le cheval en soi constituait un important trophée de guerre qui s’ajoutait au butin des conquêtes ou des invasions. Autrement dit, le cheval devenait un enjeu stratégique. Il existe des sources attestant à différents moments de l’Histoire d’expéditions ayant été entreprises où le cheval était l’enjeu central justifiant la guerre. À titre d’exemple, les Chinois avaient subi de lourdes pertes lors de l’expédition de Fereghana (sur la route de la soie) vers 109 avant J.-C., dans le but de mettre la main sur une race spéciale de chevaux. Plus tard, en 1215, les Mongols capturèrent Pékin et mirent la main sur le parc de chevaux de la famille impériale. Ce faisant, ils amélioraient leur propre parc et ils privaient du coup les Chinois de cette ressource précieuse au bon fonctionnement de leur économie.

Les cultures de guerre différentes entre les civilisations signifiaient aussi des approches variées quant à l’utilisation du cheval. Les nomades des steppes, par exemple, qui étaient des cavaliers somme toute légers, utilisaient peu l’étrier sur leurs montures, contrairement aux chevaliers occidentaux qui en avaient besoin pour se stabiliser. Pourtant, ces différentes approches signifient que le cheval était tout aussi important pour les sociétés orientales qu’occidentales.

Faire du cheval un soldat

Cependant, monter un cheval à des fins militaires ne va pas de soi. Des tentatives de monter des chevaux de taille imposante pour créer des unités de cavalerie, dans le but d’impressionner et augmenter l’effet du choc, ne furent pas toujours un succès. De lourds cavaliers signifient que le cheval doit fournir un plus grand effort, donc qu’il s’épuise plus vite. De plus, si le terrain est le moindrement inhospitalier, comme sur un sol vaseux, le cheval risque de s’enfoncer. Lors de la Guerre des Boers de 1899-1902, l’armée britannique perdit environ 325,000 chevaux, en partie à cause de l’inhabileté de nombre de cavaliers, mais surtout parce qu’une majorité de chevaux envoyés dans la région n’étaient tout simplement pas acclimatés au rude climat. Vers la fin de ce conflit, les Britanniques eurent recours aux poneys locaux pour le transport des troupes et du matériel.

Un escadron de cavalerie britannique lors de la Guerre des Boers (1899-1902). Les chevaux eurent de grandes difficultés à s'adapter au rude climat sud-africain.

L’appétit vorace des armées pour les chevaux remonte à très loin dans le temps. Par exemple, les armées de l’Europe au début de l’époque moderne en employaient de grandes quantités et les besoins étaient encore plus importants à mesure que les armées nationales augmentaient leurs effectifs aux XVIIIe et XIXe siècles. Par conséquent, les états durent mettre sur pied des écuries entretenues à leurs frais. En France, Colbert en fit construire une en 1665 à Le Pin en Normandie. Cette écurie disposait de magnifiques installations qui créaient les conditions idéales afin d’entraîner les chevaux pour la guerre.

Des chevaux, encore des chevaux

Logiquement, en période de guerres majeures, il arrivait que la demande pour des chevaux surpasse l’offre. Napoléon Bonaparte n’avait pas toujours à sa disposition des quantités suffisantes de chevaux pour équiper ses régiments de cavalerie, qui parfois durent se convertir malgré eux en unités d’infanterie en attendant que leur soit livrée la précieuse ressource.

Ce n’étaient pas tous les chevaux qui pouvaient servir à des fins militaires. Les officiers de cavalerie des armées européennes de la seconde moitié du XIXe siècle avaient l’habitude d’effectuer de longues promenades avec leurs montures dans le but d’évaluer lesquelles feraient les meilleurs chevaux de guerre. De façon plus classique, l’équitation avait également une connexion militaire, ne serait-ce qu’en considérant que certaines techniques de dressage visaient à apprendre aux chevaux à mordre et frapper un adversaire potentiel avec leurs pattes.

Le développement de l’automobile ne signifia pas la disparition immédiate, ni totale du cheval. Lorsque la Grande Guerre éclate en 1914, on observa des variantes dans les préférences des états pour l’acquisition de chevaux. La cavalerie britannique avait des chevaux d’un type « chasseur », alors que les Allemands optèrent pour des races plus solides, lourdes, tels les chevaux hanovriens. De son côté, la cavalerie russe montait des chevaux de race similaire à ceux des Britanniques, quoique les Cosaques en disposaient de plus petites tailles qui se rapprochaient des montures autrefois employées par les nomades des steppes.

Par moment, il était possible de soigner des chevaux blessés, comme en témoigne cette illustration d'un hôpital vétérinaire britannique pendant la guerre de 1914-1918.

Qu’importe leurs races, les chevaux furent rapidement mis au service des armées européennes. Que se soit pour tirer des canons, des caissons, transporter des messages ou charger l’ennemi, les chevaux faisaient la guerre au même titre que les soldats. Une fois de plus, comme à l’époque de Napoléon, la demande excéda de loin l’offre. À elle seule, l’armée britannique employait en 1917 environ un million d’animaux, essentiellement des chevaux et des mules, bien que la qualité des bêtes diminua à mesure qu’avançait la guerre. Les durs hivers sur le front tuaient quantité de chevaux, qui ne disposaient pas toujours d’abris adéquats contre les éléments de la nature. Les pertes parmi les chevaux de l’armée britanniques s’élèvent à 485,000 pendant la guerre, ce qui donne presque un ratio de 1 pour 2, soit un cheval qui tombe pour deux hommes.

La mécanisation grandissante des armées dans la période de l’entre-deux-guerres avait amené une réduction, mais pas une abolition totale du recours au cheval. Les Russes et les Allemands entretinrent des régiments de cavalerie pendant toute la Seconde Guerre mondiale, les chevaux étaient essentiellement utilisés pour le transport. Les divisions allemandes employaient des quantités importantes et cela s’observe sur les nombreuses photos de cadavres de chevaux victimes des attaques aériennes menées par l’aviation anglo-américaine.

L’attachement à la bête

Autant des hommes pouvaient faire preuve de cruauté entre eux, autant il s’avéra par moment difficile de voir des chevaux agoniser et crier jusqu’à ce qu’on les achève. Ceux-ci sont souvent présentés dans la littérature comme d’innocentes victimes de la folie humaine. Bref, le soldat et sa monture entretiennent une relation particulière, presque intime. Napoléon avait son célèbre cheval Marengo, nommé à la suite de sa victoire près de cette localité italienne en 1800. Son grand rival, Wellington, avait lui aussi une monture qui lui tenait à cœur et qui faillit le tuer d’un coup de patte, car elle était très fatiguée après la bataille de Waterloo.

Le cheval partageait donc les mêmes risques que le soldat. Certaines circonstances d’ordre tactiques requièrent qu’on leur fasse toujours appel, sans honneurs, ni monuments.