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Ich hatte einen Kameraden : les cimetières militaires allemands de la Grande Guerre dans le paysage franco-belge

Introduction

Le présent article est un essai où les réflexions abordées sont les fruits d’une expérience personnelle, sans prétention, c’est-à-dire une expérience qui ne reflète que les impressions laissées dans notre mémoire, non pas sur ce que nous avons lu, mais sur ce que nous avons vu et savons de la problématique des cimetières militaires allemands de la Grande Guerre. Nous sommes restés sous la perception qu’à l’exception du célèbre cimetière de Langemarck en Belgique, les gens ne se donnaient guère la peine d’aller voir les autres cimetières allemands de 1914-1918. Toujours est-il que ceux-ci forment un impressionnant complexe que les historiens nomment « lieux de mémoire ». Après tout, n’incarnent-ils pas une étrange mise en scène, dont les objectifs seraient de donner un sens au sacrifice des soldats allemands, ainsi que de contribuer à une œuvre de paix universelle qui passe de nos jours par l’éducation?

Les cimetières militaires n’incarnent-ils pas une étrange mise en scène, dont les objectifs seraient de donner un sens au sacrifice des soldats allemands, ainsi que de contribuer à une œuvre de paix universelle qui passe de nos jours par l’éducation?

Il est vrai que dans bien des cas, c’est le vainqueur qui donne sa version des faits et que le vaincu a une certaine difficulté à se faire voir et entendre. Au fond, qui écrit l’Histoire, sinon le vainqueur? C’est en ce sens que cet article propose une interprétation toute personnelle d’un aspect bien particulier de la perspective du vaincu. À partir de nos diverses excursions sur les champs de bataille d’Europe, nous abordons la problématique des cimetières militaires allemands de la Première Guerre mondiale, tels que nous les avons vus le long de la ligne de front qui traversait alors la Belgique et la France.

C’est au cours des semaines qui suivirent la proclamation de l’armistice de novembre 1918 que l’armée allemande dut abandonner aux Alliés non seulement un imposant matériel, mais également plus de 900,000 sépultures de soldats tués sur le front franco-belge. Beaucoup parmi celles-ci étaient peu ou pas du tout entretenues, et ce, sans compter un nombre incalculable de cadavres enfoui dans les tranchées. En dépit des restrictions imposées par les articles 225 et 226 du Traité de Versailles relativement à l’organisation des sépultures de guerre, les Allemands sont néanmoins parvenus à maintenir des cimetières militaires qu’il est toujours possible de visiter.

Nous proposons donc de faire la lumière sur certains aspects liés à l’organisation, de même qu’à la configuration de ces cimetières. En dehors du cadre officiel de la mémoire nationale, quels sont, entre autres choses, les symboles et les réflexions véhiculés par ces cimetières allemands? Ceux-ci aident-ils le visiteur à mieux comprendre et visualiser ce que fut le drame de la Première Guerre mondiale pour les soldats du Reich? Envahis par des milliers de croix noires fondues aux forêts, ces lieux de mémoire, longtemps ignorés et abhorrés des visiteurs des pays « vainqueurs », offrent-ils un « message pour la paix universelle » si différent de ce que l’humanité est en droit d’entendre?

Toujours est-il que les Allemands d’aujourd’hui ont une perception quelque peu différente de la pratique du devoir de mémoire de ce conflit, perception souvent ancrée dans les restrictions remontant à Versailles. En comparaison à ce qui se passe dans les pays anciennement alliés, le gouvernement allemand subventionne peu les organisations qui se chargent de veiller à l’entretien des cimetières nationaux en terre étrangère. Ce sont des associations semi-privées qui, en plus de solliciter annuellement les fonds nécessaires au maintien des cimetières, veillent quotidiennement à cette lourde tâche au nom du gouvernement allemand. Alors que les sépultures alliées sont entretenues par des architectes, des sculpteurs, des maçons et des peintres professionnels, les tombes allemandes le sont tout autant, mais par des étudiants et des conscrits militaires qui s’exercent, le temps d’un été, à la pratique de ces métiers mentionnés. En somme, la présence des cimetières militaires allemands dans le paysage franco-belge interroge une variété de phénomènes d’ensemble pertinents à l’histoire comparée de la mémoire et à l’histoire militaire (théâtralisation, espaces à la marge de la mémoire, etc.), dont nous tenterons d’élaborer les aspects pertinents.

Les antécédents de 1870-1871

Le plus récent conflit de masse européen dans lequel on avait établi des cimetières militaires, dicté des règles sur l’aménagement desdites sépultures et entretenu un certain devoir de mémoire populaire était la guerre franco-allemande de 1870-1871. L’article 16 du Traité de Francfort (1871) spécifiait que « (…) les gouvernements allemand et français s’engagent à entretenir les tombes des militaires ensevelis sur leurs territoires respectifs ». Par une loi entérinée le 2 février 1872, le gouvernement du nouveau Reich allemand instaurait une réglementation sur l’aménagement des sépultures de ses soldats en Alsace-Lorraine, provinces nouvellement acquises. On avait accordé une permission spéciale afin que les soldats français tués dans la région puissent y être inhumés en toute dignité et sobriété. Toutefois, il était difficile de procéder à l’identification des soldats tués, et ainsi de commémorer une certaine mémoire, puisque l’ensemble des morts ne portait pas de plaque d’identité.

L’année suivante, le 4 avril 1873, les Français votèrent une loi relativement à la conservation des tombes des soldats morts lors de l’Année Terrible. En conséquence, le gouvernement acheta tous les terrains vacants des cimetières communaux civils, de même que les terrains non clos où des soldats étaient déjà inhumés, quitte à exproprier au besoin. Par la suite, on installa dans chacun des cimetières des grilles en fonte d’un modèle préétabli et reconnaissable par une plaque avec la mention Tombes militaires – Loi du 4 avril 1873.

Toutes ces caractéristiques reflétaient en fait une série de réalités inhérentes aux batailles engagées. D’abord, les soldats étaient inhumés dans les cimetières communaux près des lieux des affrontements. Il n’y avait pas d’intention de séparer les sépultures militaires des civiles. L’absence de services administratifs rigoureux, de plaques d’identité individuelle, les pertes élevées des armées, ainsi que le désir naturel de prévenir des épidémies, firent en sorte que bon nombre des victimes militaires de la guerre franco-allemande reposent dans des fosses communes.

1914-1918 : la prise en considération du problème des sépultures allemandes

L’entretien des sépultures des soldats allemands morts à la guerre ne posait pas vraiment de problème, tant et aussi longtemps que duraient les hostilités. À l’instar des autres belligérants, l’état-major allemand s’était doté dès 1914 de son propre bureau chargé de veiller à l’entretien des sépultures des soldats tués ou morts de leurs blessures. Au gré de l’évolution des batailles, les Gräberoffiziere (« officiers des tombes ») suivaient les armées et procédaient, dans la mesure du possible, à l’identification et à l’inhumation des corps des soldats. Ceux-ci étaient regroupés dans des cimetières improvisés répartis non loin derrière les tranchées, tout le long de la ligne de front. Ce n’est qu’en septembre 1915 que le ministère allemand de la Guerre vota une réglementation afin d’assurer un entretien permanent des milliers de sépultures qui s’accumulaient depuis plusieurs mois déjà derrière un front franco-belge devenu somme toute stable.

Autant la période des hostilités facilita pour les Allemands le recueillement et le regroupement des corps, car il y avait justement des autorités pour s’en charger, autant il s’avéra difficile de poursuivre la tâche au moment où les soldats du défunt Reich durent impérativement évacuer le territoire franco-belge. Les autorités représentées par les Gräberoffiziere étant dissoutes, seul subsistait le Central-Nachweise-Amt (« Bureau central des preuves »), affilié au ministère prussien de la Guerre. Il était, pour ainsi dire, le seul organisme qui pouvait encore s’occuper de l’entretien des sépultures militaires allemandes dans les mois qui suivirent l’armistice de novembre 1918. Les conditions imposées par les Alliés à Versailles allèrent modifier la procédure.

Dans nombre de cas, et particulièrement lorsque le corps n'est pas (ou ne peut être) identifié, c'est la fosse commune qui attend le soldat tué.

Le point de vue de Versailles

À l’instar du Traité de Francfort, celui de Versailles de juin 1919 contenait des dispositions relatives à l’entretien des sépultures militaires. Les articles 225 et 226 enlevèrent au Central-Nachweise-Amt les dernières libertés qui lui restaient quant au droit de regard sur l’entretien des sépultures allemandes en terre étrangère. L’article 225 stipulait que « Les Gouvernements alliés et associés et le Gouvernement allemand feront respecter et entretenir les sépultures des soldats et marins inhumés sur leurs territoires respectifs. » Ce même article précisait que tous ces gouvernements « (…) s’engagent à reconnaître toute commission chargée par l’un ou par l’autre des Gouvernements alliés ou associés, d’identifier, enregistrer, entretenir ou élever des monuments convenables sur lesdites sépultures et à faciliter cette Commission l’accomplissement de ses devoirs. » L’article 226 contenait des dispositions similaires, mais elles concernaient le traitement des sépultures des internés civils et des prisonniers de guerre.

En dépit de toute la subtilité du langage diplomatique, ce que ces articles 225 et 226 disaient, en clair, c’est que les Allemands n’ont absolument rien à dire sur cette question. Par surcroît, la disposition relative à la reconnaissance d’une commission, par l’un ou l’autre des gouvernements « alliés ou associés », est en fait une obligation pour le gouvernement allemand d’admettre tout organisme qui sera chargé, par les pays vainqueurs, du mandat de traiter le problème, et ce, aussi bien sur le territoire franco-belge qu’en Allemagne.

Si l’Histoire retient principalement le célèbre article 231 sur la responsabilité allemande du conflit, il n’en demeure pas moins que les clauses 225 et 226 voisines ont sans conteste un impact immédiat pour les familles qui tentent par tous les moyens de localiser, voire de rapatrier le corps d’un proche mort à l’extérieur du pays. Toujours est-il que, dans le contexte des tensions accrues par Versailles, le problème de base pour les Allemands est de faire accepter par les Alliés une commission qui se rendra sur les anciens champs de bataille afin de veiller à l’entretien régulier des sépultures. Nous en sommes aux premières étapes d’impositions de restrictions sévères quant à l’érection et le réaménagement des cimetières militaires allemands. Ces mêmes restrictions affectent initialement le processus d’une mise en scène allemande de la mémoire de guerre vue à travers le cimetière. Le cimetière est un endroit naturel, reconnaissable et idéal pour une famille qui cherche à commémorer quelque chose de tangible. Ses sépultures sont porteuses d’un message sur l’horreur de la guerre, certes, mais aussi d’une mise en scène pour un idéal de gloire nationale.

Une mission à la base d’une mise en scène de la mémoire

Toutes sortes de pressions liées aux restrictions de Versailles, au désir bien naturel d’ériger une digne sépulture, même en terre étrangère, et à l’importance de ramener de l’ordre dans le cafouillis des anciens champs de bataille, ont amené les responsables allemands à se pencher sur les manières de construire les cimetières. L’un des experts sur la question était le Dr. Siegfried Emmo Eulen (1890-1945) qui, pendant les hostilités, agit comme officier responsable des sépultures militaires sur les théâtres d’opérations en Pologne et dans l’ex-Empire ottoman.

Le Dr. Siegfried Emmo Eulen, le fondateur de la VDK.

Le Dr. Eulen fonda le 26 novembre 1919 la Deutsche Kriegsgräberfürsorge (DK), qui peut se traduire par le Soin aux sépultures de guerre allemandes. Le Dr. Eulen désirait que cette nouvelle association ait pour mission unique d’entretenir les cimetières militaires allemands à l’extérieur du pays. La DK se voulait un organisme au financement privé et apolitique, tout en permettant à toute personne intéressée par la question des sépultures de guerre allemandes d’en devenir membre.

Malgré la désorganisation générale dans l’immédiat après-guerre, la réputation du Dr. Eulen eut tôt fait de le suivre. Bon nombre de personnalités influentes des milieux politiques et culturels lui donnèrent leurs appuis. Cependant, le Dr. Eulen souhaitait que toutes les classes de la société allemande puissent souscrire à son œuvre. C’est alors que le mot Volksbund, qui se traduit littéralement par Association du peuple, fut ajouté au nom de l’organisme, le 13 décembre de la même année, pour ainsi former la Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge (VDK) ou Commission allemande des sépultures de guerre.

Les objectifs sur lesquels repose l’essentiel de la mission de la VDK sont extrêmement ambitieux dans une Allemagne en pleine révolution spartakiste et aux prises avec les clauses de Versailles. D’abord, la VDK est cette commission qu’il faut faire reconnaître par les Alliés. Elle doit par la suite construire et maintenir les cimetières allemands en Allemagne et à l’étranger. Parmi d’autres tâches parfois ingrates, la commission devait faire accepter par les Alliés certains principes, comme celui d’avoir le droit de déposer des gerbes au nom des familles des défunts. Pauvres pour la plupart, les familles comptent aussi sur un éventuel support financier de la VDK afin de faire un pèlerinage au lieu de sépulture d’un proche. Ces questions comportent également des aspects logistiques non négligeables et, en ce sens, la VDK devait autant que possible établir des liaisons constructives avec les autorités locales où reposent des soldats allemands. Enfin, s’il lui reste encore de l’énergie (et des sous), la VDK doit contribuer à répandre le message pour une paix universelle. Pour ce faire, elle fonda en 1921 le magazine Stimme und Weg (Voix et Chemin) afin de matérialiser quelque peu ce dernier objectif à saveur pédagogique. C’était également une manière de faire des redditions de comptes régulières.

Un exemplaire de la revue "Stimme & Weg". La contribution des adolescents et des jeunes adultes apparaît comme essentielle à l'"oeuvre de paix universelle" à laquelle aspire la société allemande en regard du passé.

Il en faudra certes de l’énergie et des bonnes volontés, si l’on désire qu’un jour les 1,937,000 soldats allemands reposant dans 28 pays puissent trouver le repos éternel. C’est le constat que fit la VDK, d’après un sondage de 1929 sur l’ampleur du problème. Aux fins de cet article, on calcule qu’environ 57 % de l’ensemble des sépultures de guerre allemandes sont localisées et à remettre en scène dans le paysage franco-belge. Ce qui représente au bas mot 1,064,000 sépultures, soit la tâche à exécuter par Eulen et ses hommes dans la région.

Les occasions pour la VDK de travailler sur les cimetières allemands à l’étranger se font rares dans la première décennie d’après-guerre. La principale difficulté réside dans le fait d’établir des contacts avec des autorités locales parfois récalcitrantes à permettre à la VDK, bref à des Allemands, de revenir sur les anciens champs de bataille. C’est pourquoi il s’avère important que la nouvelle organisation soit patronnée par d’importantes personnalités et que des membres des classes dirigeantes y fassent un certain lobbying. Au fond, que veut la VDK dans les premiers temps? Tout simplement avoir une idée de l’état des cimetières, de voir ce qu’il en reste depuis la fin de la guerre. Comme nous l’avons également mentionné, il faut négocier une série de permissions afin de pouvoir déposer des gerbes dans chacun des cimetières. Pour les premières années d’exercice de la VDK, l’essentiel du travail fut donc d’établir ces contacts avec les autorités locales où sont situés les cimetières. On a pu en ce sens réaménager bon nombre de ces derniers jusqu’en 1933.

La Seconde Guerre mondiale amena une autre série de problèmes pour la VDK. Mise au pas par le Service des sépultures de guerre de la Wehrmacht à l’arrivée d’Hitler au pouvoir, la VDK devait plutôt s’occuper des sépultures des soldats tués au cours de ce conflit. Les contacts péniblement établis avec les autorités étrangères pendant l’entre-deux-guerres furent ainsi anéantis. Il fallut donc recommencer à zéro lorsque la VDK reprit son action humanitaire en 1946, tout en ajoutant aux 2 millions de morts de 1914-1918 les 3,5 millions de tués de 1939-1945.

Nombre de jeunes Allemands occupent leurs étés par un emplois rémunéré dans les cimetières militaires.

Naturellement, les perspectives d’après-guerre furent sombres pour la VDK. Il lui était interdit d’aller travailler en France et de prendre des nouvelles des cimetières qu’elle avait eu à peine le temps d’aménager avant 1939. Cependant, les choses changèrent pour le mieux en 1966 lorsque le président de Gaulle et le chancelier Adenauer, dans le contexte du rapprochement franco-allemand, ont inclus une clause permettant à nouveau à la VDK de revenir travailler sur une centaine de cimetières abandonnés depuis une trentaine d’années. Les travaux pour une complète réorganisation durèrent jusqu’au début des années 1980. Ceux-ci comportaient, entre autres choses, une refonte des tablettes nominatives sur les fosses communes, la construction de divers mémoriaux (monuments, stèles, etc.), le remplacement des anciennes croix de bois par de plus solides en fonte ou en pierre, etc. D’autres travaux nécessaires tels, l’embellissement de la végétation et l’amélioration de la signalisation routière firent également partie de cet immense projet de renaissance des cimetières allemands.

C’est officiellement au nom du gouvernement allemand que travaille la VDK de nos jours. Cependant, elle tire la majeure partie de son financement des dons de ses 1,3 millions de membres et opère avec un budget annuel de 6 millions d’Euros (données valides en 2005). Si l’unique quête publique annuelle n’apporte pas les recettes espérées, le gouvernement rembourse la somme manquante. Il est toujours difficile pour la VDK d’opérer, puisqu’elle n’a pas les ressources humaines et financières de ses équivalents britannique et américain. D’après les statistiques parues sur son site web, la VDK a le mandat de veiller à l’entretien de 836 cimetières de diverses dimensions répartis dans une centaine de pays où reposent des soldats allemands.

D’une époque à l’autre : les principes de mise en scène des cimetières

C’est à l’architecte Robert Tischler de Munich que l’on confia en juin 1926 le mandat de définir les règles qui régiraient le design et la construction des cimetières militaires. Ce qu’établit Tischler comme premier principe architectural, c’était d’éviter de construire des cimetières qui imiteraient (ou à tout le moins s’inspireraient) des principes esthétiques et symboliques de ceux des Alliés. La sobriété dans la conception était prioritaire, de même que cette volonté de fondre le cimetière dans le paysage local. La finalité bien évidente du cimetière était de faire ressortir l’élément « souvenir » dans une mise en scène lugubre qui rappellerait à la fois les aspects humbles et héroïques du sacrifice collectif des Allemands pour leur Patrie. Aux éléments théoriques s’ajoutaient d’embêtantes réalités, comme le fait d’opérer avec des budgets limités, ce qui forçait souvent Tischler à travailler avec de la main-d’œuvre bénévole allemande ou locale.

C’est ce qui fait en sorte que l’architecte de Munich devait faire reposer son œuvre sur des principes, et non obligatoirement sur des règles communes à l’ensemble des cimetières en devenir. Par exemple, les cimetières britanniques comportent tous la Croix du Sacrifice, peu importe leur taille, la localisation, etc. Avec ses budgets ridicules, Tischler put difficilement organiser les cimetières allemands sur un modèle uniforme et aussi strict que celui des Britanniques. Il fallut en conséquence insister sur les principes, quitte à les rehausser au statut de « règlements esthétiques » si l’avenir le permettait.

C’est dans cette optique que Tischler insista particulièrement sur le principe de fraternité dans la vie comme dans la mort. Peu importe que les sépultures soient en fonte ou en pierres, redressées ou couchées, catholiques ou juives, il convenait seulement de les disposer de manière ordonnée pour en faire ressortir l’élément dramatique (et héroïque) d’une armée toujours disposée à engager la bataille. Quant à la Grande Croix noire et les diverses stèles en forme de croix qui ornent bon nombre de ces cimetières, nous soulevons l’hypothèse qu’elles ne sont pas forcément un symbole de chrétienté, mais un point de ralliement, comme lorsque les soldats d’une certaine époque observaient le drapeau afin de connaître les ordres et d’avoir une idée de la direction générale de la bataille. De plus, cette même croix n’est pas impérativement au centre du cimetière, mais à des endroits épars selon les lieux.

D'une époque à l'autre.

On note également d’autres particularités primaires qui retiennent l’attention du visiteur sur ces lieux. L’une d’elles rappelle la rareté des pierres tombales classiques dans ces cimetières. Tischler préféra orner les sépultures individuelles d’une croix en fonte d’aluminium ou d’une plaque de pierre au ras le sol. Il lui était en autre interdit de faire graver sur une croix une inscription individuelle dictée par la famille du défunt. C’est ce qui rend l’atmosphère obligatoirement austère, d’autant plus qu’un autre principe de Tischler était de ne pas décorer les cimetières avec des fleurs. Le but était de ne pas cacher la réalité souvent tragique de la mort des soldats. Moins de décorations pour mieux mettre en scène la tragédie, telle fut la formule privilégiée par Tischler pour la période de l’entre-deux-guerres.

Par ailleurs, tous les problèmes d’ordre logistiques (budgets restreints, manque de main-d’œuvre, etc.) firent que le temps joua souvent contre Tischler dans l’aménagement des cimetières. Ces facteurs furent sans doute déterminants dans le choix fréquent de l’architecte pour l’aménagement de fosses communes, celles-ci étant intégrées à l’ensemble d’un paysage se voulant aussi sobre que possible.

Voilà en somme les quelques principes de base de l’œuvre de Tischler sur lesquels notre attention s’est arrêtée. Il reste finalement à voir la place que chacun occupe dans l’ensemble de la mise en scène de cette mémoire allemande de 1914-1918.

La forêt

Ce qui nous a frappés a priori, en visitant les cimetières allemands, ce ne sont pas les fameuses croix noires, mais de voir à quel point certains des lieux de sépultures se fondaient littéralement dans la forêt. Dans son ouvrage Le paysage et la mémoire, Simon Schama explique les origines du mythe de la forêt dans la construction d’une mythologie et d’une identité allemandes. Selon cet auteur, le premier signe de ce mythe apparaît dans l’œuvre Germania, écrite par Tacite vers 98. Sans entrer dans les détails, Tacite raconte sa version du cauchemar vécu par les légions romaines du général Varus aux prises avec les « hordes barbares » des forêts commandées par Arminius. Selon Schama, cette saga de la forêt décrite par Tacite inspira le professeur et poète patriote Celtis, qui, de son poste à l’Université d’Ingolstadt en 1492, consacra une partie de son œuvre à la réactualisation de ce mythe. Celtis était d’avis que le mythe de la forêt est à la base d’une première affirmation de l’identité germanique. Il voulait par ailleurs distinguer ce qu’il croyait être les vrais Allemands des autres tribus « barbares », tels les Scythes qu’il citait en exemple. En clair, Celtis voulait que les Allemands de son époque se réapproprient l’interprétation de leur propre histoire (et mythes) afin de l’écarter du monopole classique de la lecture latine faite par Tacite.

C’est dans ce contexte que Celtis et ses successeurs vont utiliser la forêt comme pierre angulaire à la construction d’une identité germanique. Malgré une déforestation réelle du territoire depuis l’époque de Tacite, plusieurs auteurs allemands, dont le géographe Johannes Raun, tout en rendant hommage à la grandeur des forêts anciennes, ont tenté de tuer l’autre mythe de la « démonisation » des peuples germaniques tel qu’évoqué par Tacite et d’autres auteurs latins.

Lorsque l’on établit les premières chaires d’études de foresterie en Allemagne dans les années 1870, l’on savait que la forêt n’était plus cet endroit de sauvagerie et de primitivisme. Elle correspondait davantage à une réalité de domestication, de cultures agricoles et d’intégration à l’espace urbain. Le propos de Schama consiste aussi à dire que les poètes allemands des XVIe-XVIIIe siècles se plaisaient à opposer la forêt germanique à la « maçonnerie latine ».

Bref, toute cette explication remet en contexte l’utilisation de l’élément forêt par Tischler et son équipe au lendemain de la guerre. L’interprétation qu’on en fait est secondaire, tant le but est d’intégrer la forêt aux cimetières afin d’en démontrer l’importance toujours actuelle pour les Allemands. Les cimetières d’Aprémont (Ardennes) et de Romagne-sous-Montfaucon (Meuse) sont typiques de cette intégration des sépultures au paysage forestier.

Cimetière d'Aprémont (Ardennes): 1,111 sépultures.
Cimetière de Romagne-sous-Montfaucon (Meuse): 1,412 sépultures.

Les croix de métal, de béton et de pierre

C’est lorsque la VDK put reprendre l’initiative de l’entretien des cimetières allemands en 1966 que l’on vit progressivement apparaître des croix en métal. Celles-ci remplaçaient les anciennes croix de bois pourries et laissées à elles-mêmes depuis la fin de la Grande Guerre. Comme c’est le cas pour le cimetière de Neuville-Saint-Vaast (Pas-de-Calais), qui est aussi le plus grand cimetière allemand de la Première Guerre mondiale en France, quatre soldats reposent en principe sous chacune de ces croix. Leurs noms figurent par groupes de deux, sur chaque côté de la croix. Le bras de celle-ci montre le nom et prénom du soldat, son grade, ainsi que la date de son décès. Bien que l’utilisation du noir illustre pertinemment le caractère lugubre donné à ce cimetière, le métal employé pour les croix explique avant tout un désir chez la VDK d’assurer une certaine durabilité étant donné que les budgets de remplacements des matériaux usés sont limités. Les Alliés avaient entre autres limité l’espace alloué aux cimetières allemands et, vu le nombre effarant de victimes dans ce secteur du front, on pensa que l’apposition de quatre noms par croix serait un moyen convenable de pallier à cette carence. Sans doute que le noir des croix est un contraste qui marque l’esprit du visiteur et, en ce sens, les membres de la VDK ont respecté la ligne de pensée qu’avait jadis tracée Tischler.

À l’instar des croix métalliques, celles en pierre ou en béton remplacèrent les désuètes croix de bois. Toujours par souci de durabilité et d’économie, un bon nombre de cimetières allemands du paysage franco-belge ont leurs sépultures faites de ces matériaux. Par exemple, le cimetière de Roye-Saint-Gille (Somme), où la pierre constitue le matériau principal. Cet exemple révèle une intéressante mise en scène de la mémoire de guerre. La tombe photographiée nous indique que deux corps reposent sous cette croix de pierre. Un officier, le sous-lieutenant Willy Land, et un militaire du rang, le réserviste Franz Kobiela, reposent au même lieu, mais furent tués à deux dates différentes. Cela est un facteur indicatif de la stabilité de cette ligne de front franco-belge où, de novembre 1914 à mars 1918, les positions ne bougèrent presque pas, laissant pour ainsi dire s’accumuler les morts. Un autre principe de Tischler figure sur cette sépulture, à savoir l’égalité des grades dans la mort, puisqu’un officier et un militaire du rang sont enterrés au même endroit.

Le troisième cas de figure relatif aux sépultures que nous présentons est celui des pupitres en pierres naturelles. L’exemple type se trouve au cimetière de Vladslo en Belgique. L’impressionnante concentration des sépultures dans ce cimetière n’est qu’amplifiée par le fait que des plaques (ou pupitres) sont placées à même le sol. Les noms des soldats sont inscrits sur chacune d’elle. Cela constitue bien entendu une solution économique et durable, car une faible quantité de pierre est employée par sépulture. Au plan symbolique, le visiteur est frappé par l’ordre et le caractère macabre déployés. Autant le phénomène de la mort est accentué par ces pierres toutes couchées, autant on est sous l’impression que des hommes encore vivants se jettent au sol afin d’éviter la mitraille.

Cimetière de Neuville-Saint-Vaast (Pas-de-Calais): 44,833 sépultures. On peut y lire l'inscription: Den Menschen, die guten Willens sind (Les personnes de bonne volonté).
Cimetière de Roye-Saint-Gilles (Somme): 6,545 sépultures.
Cimetière de Vladslo (Belgique): 25,644 sépultures.

Les fosses communes

À l’instar des affrontements en 1870-1871, nous pouvons dire que des raisons similaires à ce conflit ont amené les belligérants à construire un grand nombre de fosses communes, souvent intégrées aux cimetières militaires eux-mêmes. Pour les Allemands, cette situation s’observe davantage si l’on considère les accords passés avec la Belgique (1952) et la France (1966). Ces ententes ont imposé, d’une part, une concentration des sépultures allemandes et, d’autre part, un réaménagement des cimetières abandonnés, dont bon nombre furent reconvertis en fosses communes. Plus ou moins désirés par les Allemands, ces concours de circonstances offrent néanmoins un effet des plus suggestifs sur la boucherie de 1914-1918. Une certaine règle prédomine, telle l’apposition d’un écriteau disant simplement que des soldats allemands reposent en ce lieu. Des informations sur le nombre total de corps ensevelis et une mention quant à ceux n’ayant pu être identifiés y figurent également.

La taille des fosses communes varie grandement, toujours selon les circonstances du temps de la guerre, ou encore de celles dans lesquelles travailla la VDK par la suite. À titre d’exemple, on remarque que la fosse de Neufchâteau-Malonne (Belgique) contient 44 corps, alors que celle du cimetière de Pierrepont (Meurthe-et-Moselle) en contient plus de mille. Si dans la première se trouvent 44 corps non identifiés, la seconde nous présente au contraire des plaques sur lesquelles apparaît l’identité des défunts. Par ailleurs, les exemples des cimetières de Pierrepont et de Sapignies (Pas-de-Calais) illustrent adéquatement ce principe d’intégration des fosses communes dans les cimetières. Ils amènent en ce sens le visiteur à s’interroger davantage sur les circonstances qui provoquèrent cet état de fait. Après tout, tous sont des soldats allemands qui pour les uns reposent sous une sépulture standard, alors que d’autres corps identifiés furent jetés dans la fosse commune. C’est encore du côté des circonstances qu’il faut chercher. L’exemple de la fosse commune dans le cimetière de Walscheid (Moselle) nous enseigne que ces soldats furent tués dans les environs pendant les journées du 19 au 22 août 1914 et enfin rassemblés en ce lieu. Si cet indice montre au visiteur que le carnage fut bien réel et que beaucoup d’hommes meurent en peu de temps, il peut être aussi, pour l’historien qui enquête, une mine d’or d’informations qui permettent de mieux reconstituer la bataille.

Plaque à l'entrée du cimetière d'Aubérive (Marne).
Fosse commune de Neufchâteau-Malonne (Belgique): 44 corps non identifiés.
Fosse commune de Pierrepont (Meurthe-et-Moselle): 1,084 corps.
Fosse commune de Sapignies (Pas-de-Calais): 1,550 corps.
Fosse commune de Sarrebourg (Moselle): 83 corps.
Plaque identifiant certains corps dans la fosse commune de Walscheid (Moselle): 256 corps.

Les stèles

Nous avons précédemment fait allusion à divers symboles qui s’ajoutent à la mise en scène des cimetières, telles la Grande Croix noire ainsi que les stèles. Ces dernières furent érigées dans les cimetières d’une certaine envergure. Le choix d’une croix n’est, encore une fois, pas automatiquement associé à la chrétienté, même si l’écrasante majorité des soldats allemands étaient chrétiens. En fait, la stèle est un mémorial qui rend hommage à la camaraderie des hommes au front, en particulier dans la mort. Par exemple, la petite phrase évocatrice Ich hatte einen Kameraden, einen bessern findst du nicht (J’avais un camarade, le meilleur que tu puisses avoir) parle d’elle-même. Certains y voient un important élément de pacifisme, d’autres feront une lecture différente en l’associant à la camaraderie naturelle entre les soldats du front. Dans un cas comme dans l’autre, Tischler a jugé importante l’insertion d’une petite phrase à plusieurs sens comme celle-ci. Notons dans cet ordre d’idées que les cimetières militaires britanniques contiennent chacun une stèle sur laquelle on lit la phrase de Rudyard Kipling : Their Name Liveth For Evermore (Leurs noms vivront à jamais). La stèle rappelle au visiteur, en un point précis, qu’une lecture de cette mémoire est envisageable. Elle lui en fournit simplement la genèse.

Stèle dans le cimetière d'Achiet-le-Petit (Pas-de-Calais): 1,314 sépultures.
Ich hatte einen Kameraden, einen bessern findst du nicht (J’avais un camarade, le meilleur que tu puisses avoir)

Les sépultures juives

Une autre lecture suggestive de la mise en scène des cimetières allemands repose dans la distinction, sur le fond de bases religieuses, entre les modèles de sépultures chrétiennes et juives. D’après l’historien allemand Christian Zentner, environ 100,000 soldats juifs ont servi dans les armées du Kaiser, et parmi eux 12,000 sont morts au champ d’honneur. Chiffre éloquent qui se traduit sur le terrain par un contraste frappant, au plan esthétique, entre le choix d’une dalle de pierre pour la sépulture juive et celui d’une croix pour la sépulture chrétienne. Néanmoins, les rares tombes juives semblent parfaitement intégrées dans l’océan des sépultures chrétiennes. L’exemple du cimetière de Berru (Marne) est intéressant à cet égard puisqu’on n’a pas fait le choix d’isoler les tombes juives. Après tout, cette mise en scène témoigne que les soldats juifs, comme les soldats chrétiens, ont fait leur devoir pour la Patrie. L’idéal de sacrifice pour la collectivité passe, dans ce contexte particulier, devant celui de la religion et de la culture juives, quoique ces derniers ne sont pas totalement exclus. En plus des informations relatives au décès du combattant (nom, grade, etc.), figurent sur les pierres tombales deux phrases en hébreu. La plus courte dit qu’ici un homme repose, et la seconde : Puisse son âme se faire l’écho dans le cercle des vivants.

Les sépultures juives ne constituent donc pas des éléments discordants dans cet ensemble chrétien. Ils ne le sont pas plus qu’un cimetière où, par exemple, s’entrecroisent tombes normales et fosses communes. Pour y voir plus clair, il faut constamment avoir à l’esprit la mise en valeur des principes de base de Tischler tels la sobriété et le respect.

Cimetière de Beaucamps-Ligny (Nord): 2,628 sépultures.
Cimetière de Berru (Marne): 17,559 sépultures.

Les cimetières nationaux mixtes

Les cimetières nationaux mixtes font également partie de la réalité de la mise en scène de la mémoire de 1914-1918 dans le paysage franco-belge. Pourquoi ces cimetières contiennent-ils les sépultures de soldats de diverses nationalités, souvent ennemies? Encore une fois, ce sont les réalités du champ de bataille qui fournissent une première série d’hypothèses, bien avant toute analyse de la dimension symbolique de ces lieux. Comme c’est le cas pour le petit cimetière de Bertrix-Heide (Belgique), les morts français furent pris en charge par les Allemands, qui y inhumèrent aussi leurs soldats tués au cours de cet affrontement local, le 22 août 1914.

Le cimetière Le Sourd (Aisne) offre un autre exemple de lieu de mémoire mixte des plus intéressants. Il rappelle les affrontements dans la région de l’Oise dans les derniers jours d’août 1914. Les Allemands y ont également inhumé les cadavres de leurs adversaires français. Il est étonnant de constater dans ce cimetière que deux types de sobriétés s’affichent. Celle que l’on connaît aux cimetières allemands, et une autre par le drapeau français placé aux côtés de la Grande Croix allemande. C’est ici que les autorités allemandes et françaises travaillent conjointement afin de perpétuer conjointement le souvenir de combattants autrefois ennemis dans la vie, et devenus camarades dans la mort. S’ils étaient davantage connus, ces cimetières mixtes, voire ces mises en scène soudées de la mémoire, constitueraient d’excellents endroits d’éducation pour la jeunesse.

Cimetière mixte de Bertrix-Heide (Belgique): 254 sépultures allemandes et 264 sépultures françaises.
Cimetière mixte de Le Sourd (Aisne): 699 sépultures allemandes et 1,333 sépultures françaises.

Deuil et anonymat

Le deuil et l’anonymat sont des dimensions que nous avons peu explorées jusqu’à présent. Le temps accomplissant son œuvre implacable, de moins en moins de familles se rendent en pèlerinage sur les tombes de 1914-1918. Le caractère anonyme de la mort des soldats occupe alors une plus grande place dans la mise en scène de cette mémoire. L’exemple le plus connu d’une mise en scène du deuil se trouve au cimetière de Langemarck en Belgique. En 1956, le Pr. Emil Krieger aménagea quatre sculptures en une œuvre qu’il a intitulée Trauernde Soldaten (Soldats pleurant). Cet artiste s’était inspiré d’une photo bien connue où des soldats du Rheinische Reserve-Infanterieregiment Nr. 258 se recueillent devant la sépulture d’un frère d’armes récemment tué. Il s’agit du premier recueillement brut, celui de pleurer la mort au front, et ce, bien avant que la famille en soit avertie.

Pour ceux qui restent au pays, seul le calme de l’après-guerre offre la possibilité d’aller se recueillir avec un minimum d’intimité sur la tombe d’un parent proche. L’artiste Käthe Kollwitz a sculpté en 1932 sa propre histoire, mais aussi celle de tant d’autres parents. On la voit en compagnie de son mari, tous deux à genoux devant la tombe de leur fils Peter, tué le 23 octobre 1914 dans la région de Dixmude en Belgique. Situées dans le cimetière de Vladslo, ces sculptures représentent en quelque sorte le paroxysme de la mise en scène d’une mémoire de guerre pour une nation qui découvre l’ampleur du cataclysme qui a fauché deux millions d’hommes. Ces sculptures sont universelles, elles parlent au nom de tous les parents dévastés par la perte d’un enfant.

Cimetière de Langemarck (Belgique): 44,304 sépultures.
Cimetière de Vladslo (Belgique): 25,644 sépultures.

Conclusion

Pour diverses raisons, qui font à elles seules l’objet d’un autre débat, les cimetières militaires allemands de 1914-1918 ne semblent pas jouir du même degré de fréquentation que leurs homologues franco-britanniques. Sont-ils pour autant des espaces à la marge de la mémoire? Nous avons humblement tenté de démontrer par cet essai que la réponse est non. Ces cimetières nous fournissent aussi des réponses à la vague interrogation que les historiens de la mémoire aiment se poser : que nous reste-t-il de la Grande Guerre?

Autrement dit, comment s’est construit le discours mémoriel à la suite de ce conflit, comment a-t-on mis en scène ces fragments de la guerre de 1914-1918? Poser la question c’est en même temps y répondre. Lorsqu’ils nous parlent, les cimetières du paysage franco-belge nous proposent, aussi bien dans un tout (vaste étendue des croix, fosse commune, etc.) que par quelques éléments (tombe individuelle, monument, etc.), une série d’évocations qui nous autorisent à donner un sens à la tuerie, voire à la théâtraliser.

C’est ce qu’avait compris Robert Tischler lorsqu’il fit de la sobriété un élément capital de la remémoration du drame national, et ce, à travers un discours de pierres qu’il était chargé de mettre en scène. De nos jours, ce sont des étudiants et des conscrits de l’armée allemande qui veillent à l’entretien de ces cimetières et qui poursuivent, au fond, l’œuvre de Tischler. En somme, nous avons proposé une lecture des cimetières allemands, après les avoir parcourus et parlé avec ceux qui s’en occupent. Or, pour que ces lieux de mémoire vivent, ils ont besoin d’être visités, commentés et critiqués.

Bibliogrpahie
•CAPDEVILA, Luc et Danièle Voldman, Nos morts : les sociétés occidentales face aux tués de la guerre ((XIXe-XXe siècles), Paris, Payot, 2002. 282 p.
•BIRABEN, Anne. Les cimetières militaires en France. Architecture et paysage, Paris, L’Harmattan, coll. “Histoire et idées des Arts”, 2005. 215 p.
Langemarck (Belgique).