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La pratique de la guerre au Moyen Âge : combats et systèmes militaires

Introduction

Combat d'infanterie au Moyen Âge.

Écrire sur la pratique de la guerre au Moyen Âge constitue un exercice somme toute difficile à accomplir, ne serait-ce parce qu’il faut couvrir environ mille ans d’histoire militaire, le tout condensé en un texte de quelques milliers de mots seulement. En effet, la période médiévale, avec ses organisations et systèmes militaires lui étant propres, représente un ensemble de caractéristiques qui engendrèrent des pratiques de la guerre particulières à la « civilisation européenne », pratiques que nous avons décidé d’aborder, et ce, d’une période vulgairement divisée entre la chute du Bas-Empire romain en 476 jusqu’à la chute de Constantinople près de mille ans plus tard, en 1453.

À cet égard, ces découpes historiographiques de la période demeurent évidemment arbitraires, dans la mesure où il est difficile d’établir des généralisations (chaque société et civilisation étant distinctes par principe, mais interconnectées dans la pratique). Cependant, nous tenterons de relever certains traits de la pratique de la guerre faisant en sorte que la période médiévale, sans nécessairement constituer une transition de facto entre l’âge du fer antique et l’avènement de l’arme à feu à la Renaissance, fut innovatrice à maints égards en ce qui a trait à l’objet de cet article.

De la chute de l’Empire romain

Le premier point que nous pouvons souligner, même s’il s’agit d’une évidence à première vue, est à l’effet que les phases initiales de la pratique de la guerre en Europe de l’Ouest médiévale s’inscrivent dans le contexte de la désintégration progressive de l’autorité romaine dans les siècles qui suivirent la chute officielle du Bas-Empire en 476. Certains seraient tentés de dire qu’il y eut effectivement une nette coupure entre la période marquant la déposition du dernier empereur romain, tandis que d’autres parleront davantage d’une transition sur plus d’un siècle, ce qui signifie que dans l’optique qui nous intéresse, la pratique de la guerre représente des éléments de continuités évidents, mais également des éléments de discontinuités quant aux stratégies, tactiques, armements, organisations des armées et ainsi de suite.

L’administration romaine de la fin du Bas-Empire au Ve siècle tenta tant bien que mal de maintenir une difficile cohésion sociétale, en particulier entre les éléments latin et germain, dont l’intégration de peuples « étrangers » fut par moment aisée, mais dans nombre de cas difficile, sinon hasardeuse. Comme stipulé, Rome parvint à certaines reprises à intégrer des étrangers à l’organisation de ses armées et, par la force des choses, le visage même de l’institution militaire romaine s’en trouva modifié à jamais, de même qu’au niveau de l’organisation politique et économique.

Représentation d'un soldat franc (début Xe siècle).

En comparaison avec ce qui se passa avant et ce qui se passera après, les institutions publiques de l’époque (Ve siècle) étaient simples et petites, reflétant du coup un appauvrissement de l’économie, un déclin visible de la production littéraire et, par-dessus tout, un fractionnement de l’autorité politique. Aux yeux des peuples qui migrèrent vers l’Ouest, peuples qui « barbarisèrent » le monde romain si l’on peut dire, les Goths, les Vandales, les Francs et autres peuples germaniques, et qui finirent par s’imposer sur ce qui restait d’autorité romaine, être un homme libre signifiait avant tout être un guerrier, comme être roi signifiait être chef de guerre. Dans cette optique, nombreux furent les riches propriétaires terriens de descendance romaine qui continuèrent à jouir de certains privilèges d’autorité sous la gouverne des nouveaux conquérants germains, notamment parce que ces mêmes propriétaires surent démontrer de quelconque façon leur soi-disant importance comme chefs militaires pouvant éventuellement aider les nouveaux maîtres à consolider leurs conquêtes. Avec le temps, les anciennes et nouvelles élites finirent par fusionner.

Au cours de cette période, les armées étaient formées de deux composantes principales. Il y avait des groupements de guerriers sous l’autorité du roi et de ses magnats, puis l’on pouvait par moment procéder à la levée de contingents composés d’hommes libres en une sorte de milice. Dans les faits, ce dernier groupe formé essentiellement de fantassins parut dominer la période, du moins en termes de nombres, surtout lorsqu’il fallut mobiliser des troupes à des fins défensives ou pour des actions offensives locales. Pour des campagnes prolongées en territoire ennemi, les forces recrutées et entretenues par le monarque et ses magnats semblent avoir constitué l’essentiel des contingents, bien qu’elles puissent avoir été renforcées de manière impromptue par des troupes conscrites localement. Ce phénomène s’observa entre autre durant la période carolingienne (VIIIe – Xe siècles) du Haut-Moyen Âge, où des groupes d’hommes pauvres furent conscrits non pas nécessairement pour leurs qualités guerrières, mais davantage pour diminuer les coûts monétaires des campagnes militaires. Il était donc ardu de lever de vastes contingents de troupes « professionnelles », riches et bien équipées, d’autant que celles-ci devaient défrayer les coûts de leurs montures, équipements et parfois même leurs ravitaillements. Nous étions loin de cette époque (romaine) où les soldats recevaient une solde et étaient armés selon les ressources disponibles venant d’un trésor public central.

Avec le temps, et pour toutes sortes de raisons, notamment à cause des vastes distances à parcourir lors des campagnes militaires sous les Carolingiens, la qualité déclinante de l’infanterie et celle de la cohésion relative des tribus germaniques finirent par soulever de plus en plus de doutes sur la pertinence d’employer des fantassins sur les champs de bataille, qu’ils soient conscrits ou non. De plus, l’amélioration constante des tactiques et des équipements relatifs au combat à cheval, une variante conséquente de l’introduction de l’étrier et de meilleures procédures d’élevage, n’annonça rien de bon pour l’avenir de l’infanterie, du moins à terme. Par ailleurs, le besoin d’une force mobile et puissante se fit sentir dans le contexte des invasions et des raids menés par les Vikings, les pirates musulmans et les réputés et dangereux cavaliers hongrois.

En clair, la cavalerie lourde finit par devenir l’élément le plus important du champ de bataille. Il est à noter par contre que cette prédominance émergente de la cavalerie lourde dès l’époque carolingienne ne signifia nullement la disparition de l’infanterie. Dans les faits, la balance entre le cheval et le fantassin à pied, en termes d’effectifs employés à cette époque, est toujours sujette à débat. Précisons toutefois qu’au moment où débute le IXe siècle en Europe, la prédominance de la cavalerie semble de plus en plus évidente, prédominance qui durera au moins jusqu’au XIVe siècle.

Refuge politique et refuge militaire : le château

Dans cette Europe de la période médiane médiévale (Xe – XIVe siècles), les miles (chevaliers) devinrent une force absolue sur les champs de bataille, mais leur emploi représenta tout un défi logistique, sans compter les coûts y étant associés. À titre d’exemple, le casque, les boucliers faits de métal, de bois et de cuir, le long haubert (une cotte de mailles couvrant le corps, sauf le visage et les jambes), l’épée et la lance, le cheval et bête de somme, la selle et l’entraînement de la monture représentèrent des dépenses importantes. Au XIIIe siècle, les coûts de tous ces équipements pouvaient facilement représenter les dépenses associées à l’élevage et à l’entretien de tout un troupeau de bêtes de somme. La maintenance d’un seul chevalier doté de tous ces accoutrements (et l’entretien de ses servants) signifia qu’il fallut un support logistique qui put coûter tout aussi cher, ne serait-ce, par exemple, que pour fournir le fourrage nécessaire aux bêtes de somme, la nourriture des servants et ainsi de suite.

Trouver les fonds nécessaires était donc un souci de tous les instants. Souvent, les seigneurs durent investir une partie de leur capital dans l’entretien de tels groupes de chevaliers, ne serait-ce que pour défendre leurs fiefs, desquels ils tirèrent justement des revenus administrés par des formes locales de « gouvernement ». Par extension, les chevaliers pouvaient être simultanément seigneurs, administrateurs et guerriers, les cas échéant.

Vers la fin du XIe siècle, la majorité des fiefs, qu’ils soient défendus par quelques chevaliers ou bien par une force combinée sous les ordres d’un grand baron, disposaient de châteaux comme principal élément défensif. Dans ce contexte, le château se trouva rapidement au cœur du système militaire médiéval, de même qu’au centre de la conduite de la guerre pendant cette période névralgique du Moyen Âge. Essentiellement, le château peut être considéré comme une résidence fortifiée, donc appartenant à des intérêts privés, ce qui fit du paysage militaire médiéval quelque chose de fondamentalement différent de ce qui précéda et suivit la période qui nous intéresse, en ce sens où des murailles constituèrent l’élément défensif protégeant des villes entières. Bien entendu, les anciennes murailles des cités ne disparurent pas totalement (elles demeurèrent même nombreuses), mais petit à petit, le château finit par les remplacer à partir de la période centrale du Moyen Âge et il fut assigné à différentes fonctions ou missions.

Croquis de profil d'une partie d'un château médiéval illustrant la difficulté, mais surtout la complexité logistique de toute opération de siège.

En effet, le seigneur pouvait utiliser le château comme abris d’urgence, que ce soit pour protéger ses sujets d’une attaque externe ou bien pour se protéger lui-même contre une éventuelle rébellion de la part de ceux-ci. De plus, le seigneur utilisait le château comme pièce maîtresse de sa stratégie militaire. Comme mentionné, le château constituait une plate-forme de choix pour diriger le tir contre un ennemi envahissant, surtout contre des tribus nomades qui effectuèrent des raids de manière quasi régulière (ex: les Vikings), ou encore pour lancer des assauts contre ses voisins immédiats, dans une sorte de « guerre privée » pour l’accaparement des richesses et la fixation des frontières. En clair, vue ainsi, la guerre privée à petite échelle était un phénomène endémique au Moyen Âge. Enfin, le château revêtait une fonction symbolique, mais non moins importante au plan politique. Il était objet d’affirmation du statut du lord dans la hiérarchie politico-sociétale de l’époque, en même temps qu’il suscitait la convoitise de voisins agressifs ou de prétendants soucieux de réclamer de supposés dus. Non sans surprise, la période médiévale connut une prolifération du nombre de châteaux et de fortifications de toutes sortes.

L’art de faire la guerre ou l’art de se ravitailler : le paradoxe médiéval

L’omniprésence de châteaux détenus par des intérêts privés rendit la gouvernance de certains territoires difficiles et leur conquête quasiment impossible par moment. Ainsi, on n’est pas surpris d’observer qu’au début de la période médiévale, l’essentiel de la pratique guerrière tourna autour des raids et des sièges. Dans ce cas précis, la troupe envahissante qui effectue un raid eut tendance à contourner tout point de résistance prolongé pour s’en prendre aux villages moins bien défendus, à brûler les récoltes, à s’emparer ou à tuer les bêtes de somme et les paysans rencontrés en chemin, ce qui nuisit assurément à l’effort de guerre d’un ennemi prit sur la défensive. En plus d’enrichir l’envahisseur, ces raids permirent d’empêcher l’accès du défenseur assiégé à ses ressources, le contraignant en principe à se soumettre aux demandes ennemies afin d’arrêter la dévastation sur le territoire.

Cependant, dans les régions disposant de plus importantes fortifications et de capacités accrues de stockages de ressources, les grands raids (appelés chevauchées) devinrent moins efficaces que ce qu’ils n’avaient été auparavant. Si un ennemi assiégé ne pouvait être contraint de capituler en raison de la destruction de ses ressources, la capture méthodique de châteaux ou de grandes places fortifiées pouvait a contrario parvenir à le soumettre. Malgré tout, la réalité fut que dans bien des cas, le défenseur se trouva avantagé, si seulement il utilisait ses ressources de façon optimale et qu’il savait gagner du temps. Par exemple, les efforts déployés par le plus habile et agressif des envahisseurs pouvaient être réduits à néant si la durée du contrat d’engagement de ses troupes arrivait à terme avant que l’objectif ne soit pris, que le trésor soit vide au moment de payer la solde, que la maladie ne fasse ses ravages habituels, que les bêtes ne reçoivent pas le fourrage nécessaire et ainsi de suite. Encore une fois, tous ces pépins peuvent survenir avant même que l’offensive ne soit enclenchée.

Naturellement, tous ces problèmes existaient à une époque antérieure, disons lors de la transition entre les périodes antique et médiévale. Par contre, les effets liés à l’accroissement du nombre de châteaux et de forteresses quelques siècles plus tard ne firent que doubler le niveau de difficulté auquel l’envahisseur dut faire face dans son entreprise de conquêtes. D’autre part, il pouvait aussi être tentant pour un défenseur estimant son armée puissante de faire face immédiatement à la menace afin de profiter des larges espaces en terrain ouvert pour livrer la bataille décisive. Encore là, rien n’était acquis, pour peu que l’attaquant remporte une victoire qui dépossèderait le défenseur d’avantages stratégiques et tactiques, dont les termes liés à la négociation en vue d’une capitulation le priveraient des effectifs nécessaires pour soit occuper les places fortes ou harceler la logistique ennemie. Par conséquent, l’envahisseur cherchera à amener le défenseur en terrain ouvert, tandis que le défenseur préférera s’installer derrière ses murs.

Étant donné qu’il sembla difficile d’orchestrer une bataille en terrain ouvert dans ces conditions, des campagnes militaires sans batailles n’étaient pas rares au Moyen Âge. Sans dire qu’elles constituaient une norme, disons simplement que des invasions teintées d’un succès complet et incontestable ne relevaient pas de cette logique militaire implacable voulant que la finalité de la guerre soit la victoire complète, ou du moins la capitulation de l’ennemi selon les termes du vainqueur. Paradoxalement, lorsque de « grandes conquêtes » médiévales eurent lieu, par exemple lors de l’invasion normande de l’Angleterre en 1066 ou de la Première croisade avec la création du royaume de Jérusalem un peu plus tard, ce fut dans des régions où les châteaux étaient relativement peu présents.

L’environnement stratégie et tactique

Dans un autre ordre d’idée, et bien que le débat sur cette question semble assez vif entre les historiens, la cavalerie lourde fut à notre avis l’arme la plus importante et la plus imposante dans l’environnement stratégique du Moyen Âge. Des hommes en armes bien protégés et montés, qui parfois combattirent à pied lorsque la situation tactique du moment l’exigea, reçurent un entraînement et des équipements conçus théoriquement pour la guerre à cheval, et ce, tant pour la bataille en terrain ouvert que pour entreprendre une campagne de dévastation du territoire ennemi. En partie pour diminuer les coûts, on tenta de constituer des unités d’infanterie à cheval, mais ces dernières s’avérèrent d’une terrible vulnérabilité face au moindre petit groupe de chevaliers bien entraînés et déterminés. Cela ramène à la problématique qu’avaient les monarques de lever de larges armées à des coûts raisonnables, mais la pratique de la guerre de l’époque sous-tendait un autre principe d’importance afin d’assurer cette victoire complète, à savoir la capacité de poursuivre l’ennemi. Peu de batailles au Moyen Âge étaient remportées sans la contribution minimale d’une puissante charge de cavalerie et même lorsqu’ils combattaient démontés, les hommes d’armes devaient avoir les moyens de poursuivre leurs adversaires, sinon ces derniers pouvaient en tout moment se regrouper derrière des fortifications.

Peinture de Graham Turner représentant des chevaliers anglais combattant à pied (XVe siècle).

Quant à la guerre de siège si souvent évoquée, disons que même lorsque l’infanterie sembla jouer un rôle plus déterminant que la chevalerie, l’assiégeant qui pouvait assurer le ravitaillement de sa troupe sur une longue période avait de fortes chances de l’emporter. Concrètement, cette capacité de s’approvisionner signifie qu’il faille néanmoins conserver une importante force composée d’hommes à cheval pour aller chercher le ravitaillement en pays ennemi, que ce soit du simple ravitaillement en eau jusqu’à l’acquisition de ressources spécifiques comme le fourrage des bêtes de somme.

Par ailleurs, notons que lorsqu’ils étaient au combat, les hommes en armes n’étaient pas des combattants agissant de manière individuelle ou indépendante, comme il fut souvent décrit dans la littérature. Au contraire, ils combattirent en petites unités de manière cohésive sous une bannière leur étant propre, ces mêmes bannières étant ensuite regroupées en plusieurs batailles, au nombre de trois à neuf dans une armée. Ces groupes pouvaient effectivement opérer de manière indépendante sur le champ de bataille, mais généralement en exécutant une mission spécifique. Par exemple, une bataille pouvait feindre une retraite ou mener une charge à un moment spécifique, généralement de façon coordonnée avec la bataille voisine.

Un autre élément qui nous apparaît important de clarifier est celui du mythe entourant la supposée « infériorité » de l’infanterie médiévale, que l’on compare trop souvent avec celle de la période antique précédente, où la légion romaine constitua le summum en terme de qualité combattante. Une infanterie de qualité raisonnable exista au Moyen Âge, soit une force composée d’arbalétriers et de lanciers venant particulièrement de communautés urbaines comme des Flandres, de l’Italie ou d’Espagne. Qui plus est, les tactiques de l’époque médiévale mirent l’emphase sur l’importance de présenter des formations ordonnées sur le champ de bataille, tant pour l’infanterie que pour la cavalerie, dont le fait de briser la cohésion (la formation) pouvait être passible de la peine capitale, le cas échéant.

Aussi, les chefs militaires de la période furent loin d’être des idiots, des incompétents ou des gens totalement ignorants de l’art de faire la guerre. Intelligents, souvent expérimentés et instruits, ces commandants étaient parfaitement capables de développer des stratégies et des tactiques adaptées aux situations du moment. La presque totalité était également composée de dirigeants politiques, si bien qu’ils disposèrent d’un avantage certain en comparaison de généraux d’une époque plus contemporaine à la nôtre, en ce sens où ils maîtrisèrent l’art d’utiliser une armée tant à des fins militaires que pour achever des objectifs politiques. N’était-ce pas, après tout, la finalité de la guerre?

La technologie

Au chapitre du progrès technique, la pratique de la guerre à l’époque médiévale amena des innovations intéressantes, même s’il y a un débat aujourd’hui entre les historiens relativement à la valeur à accorder à ce sujet. En fait, il serait probablement plus prudent de placer ces innovations technologiques dans le contexte plus général des progrès réalisés par l’ensemble de la société européenne de l’époque, en particulier dans le domaine agricole, celui de la diversité économique, de la littérature, des réalisations architecturales et même des arts. De plus, l’époque qui nous intéresse vit la population de l’Europe quadrupler entre les années 1000 et 1300, comme le nombre de personnes vivant dans les villes ou bourgades augmenta parallèlement à l’activité économique s’y déroulant. Bref, tous ces éléments eurent inévitablement des impacts sur la pratique de la guerre et les systèmes militaires de l’époque médiévale.

Ajoutons à cela que la monétisation accrue de l’économie facilita la concentration de la richesse entre les mains de ceux se trouvant en haut de l’échelle sociétale, comme les rois et les grands princes. Les monarques purent ainsi embaucher davantage de troupes à pied et montées qui pouvaient être payées, plutôt que de recourir à des contingents « féodaux », des forces conscrites s’acquittant d’obligations liées à leur statut de vassaux. Des troupes professionnelles payées pouvaient également participer à de plus longues campagnes militaires, ce qui diminua un tant soit peu l’avantage « naturel » conféré au défenseur quant à la capacité de l’envahisseur de maintenir en ligne des troupes suffisamment longtemps pour épuiser les défenseurs d’un objectif assiégé. À cet égard, certains monarques du XIIIe siècle, tels Philippe Auguste et Édouard 1er, purent à l’occasion mener à bien des campagnes prolongées soutenues par une meilleure logistique et une amélioration des techniques d’érection de systèmes défensifs.

L’épisode de Courtrai et ses suites

D’un strict point de vue militaire, l’on pourrait dire que la période névralgique (et innovatrice) de l’art de faire la guerre au Moyen Âge a débuté le 11 juillet 1302, lorsqu’une milice urbaine flamande à pied infligea une humiliante défaite à la France lors de la bataille de Courtrai. Là, quelque 1,000 nobles français, des hommes en armes (montés), furent massacrés. Cette bataille provoqua une sorte de réaction en chaîne, car elle fit la démonstration qu’il était possible d’arrêter une puissante charge de cavalerie. Plus encore, l’onde de choc de la défaite en France fit qu’au moins jusqu’au milieu du même siècle, on recourra presque exclusivement à l’infanterie à pied, un peu à l’imitation du modèle anglais. En effet, les Anglais avaient battu les Français à Crécy (1346) en imitant les Écossais qui les avaient battus à Bannockburn en suivant l’exemple flamand.

La victoire des forces flamandes à Courtrai (Belgique) en 1302 souleva des doutes quant à l'efficacité de la cavalerie à percer de front une troupe ennemie à pied, déterminée et bien équipée. Sans totalement remettre en question l'utilité de la cavalerie, Courtrai envoya le signal qu'il fallut repenser son utilisation pour les batailles futures.

Les fantassins médiévaux connurent d’autres succès militaires sur les champs de bataille d’Allemagne, dans la péninsule ibérique, en Suisse et même en territoire byzantin. Même si la cavalerie lourde perdit de son importance dans ce contexte, il était tout de même recommandé aux monarques d’entretenir de telles unités, parce qu’elles excellaient dans le pillage, la destruction et dans toutes autres missions similaires visant à affaiblir la logistique de l’ennemi. Du même souffle, les châteaux continuèrent de jouer un rôle non négligeable, mais il sembla évident que vers le XVe siècle, l’accent des opérations de siège fut davantage dirigé vers les villes fortifiées (un peu comme à l’époque antique), ce qui souleva à nouveau l’importance qu’occupa l’économie.

Parce qu’elles entretinrent des populations dotées d’un armement minimal et de qualité convenable, à défaut d’être bien entraînées, il fut difficile pour des assiégeants de prendre directement d’assaut des villes fortifiées, et ce, même si leurs murs purent être percés par un « dynamitage » souterrain ou plus rarement par d’autres méthodes. En d’autres termes, la famine et la négociation furent toujours plus importantes dans la guerre de siège que les tours mobiles, les trébuchets et autres équipements de siège. De plus, encercler une ville requiert bien plus de soldats que lors du siège d’un simple château. Là encore, pour des raisons logistiques et pécuniaires, l’infanterie à pied prouva son utilité. Les fantassins coûtaient moins cher par tête et n’avaient pas d’animaux à nourrir.

Parmi d’autres conséquences associées à la « révolution » dans le monde de l’infanterie, notons qu’à nouveau, ce fut la défensive qui profita des avantages tactiques, rendant du coup les champs de bataille européens beaucoup plus meurtriers. À l’époque médiévale, les pertes occasionnées lors de campagnes militaires se comptaient essentiellement en nombre de combattants tombés pour cause de maladie. D’ailleurs, un chevalier vaincu, mais vivant avait beaucoup plus de chances d’être libéré moyennant rançon que d’être tué. Cela dit, les formations serrées et les armes favorites des fantassins (arcs, piques, hallebardes…) rendirent physiquement difficile la capture de prisonniers, sans compter qu’au strict plan monétaire, un chevalier (noble) était beaucoup plus payant qu’un troupier issu de la masse. Autrement dit, un fantassin vaincu avait beaucoup plus de chances d’être exécuté sur place. La période qui vit le début de la fin du Moyen Âge (XIVe siècle) vit aussi un arrêt progressif de la levée de troupes en vertu du statut de vassalité. Désormais, la majorité des soldats seraient recrutés par des capitaines selon un contrat volontaire (condotta) signé avec le monarque moyennant une solde régulière.

Conclusion

Le XIVe siècle vit aussi l’apparition de la poudre à canon, mais il fallut du temps pour la maîtriser, puis en faire une arme de guerre redoutable. Cela se produisit lorsque des innovations technologiques permirent de mettre au point des canons capables de détruire des châteaux ou des murailles urbaines, ce qui modifia brutalement le rapport de force entre l’offense et la défense. En réduisant radicalement l’efficacité des tactiques défensives, surtout autour du principe voulant qu’il faille gagner du temps, le canon redonna ses lettres de noblesse au combat en terrain ouvert et facilita la conquête par les États maîtrisant de telles armes. En conséquence, à mesure que s’acheva la période médiévale, et comme il est généralement admis par les historiens, une victoire remportée en terrain ouvert comme à Castillon (1453) montra aux Anglais la porte de sortie de France par une artillerie française en contrôle de ses moyens. La fin de la Guerre de Cent Ans coïncida avec la chute de Constantinople la même année, toujours sous le feu nourri et concentré d’une artillerie qui à son tour allait remettre en question les rôles attribués à l’infanterie et à la cavalerie sur les champs de bataille.

Histoire de l’artillerie: Seconde partie

1914-1918: une guerre d’artillerie

Toutes les avancées technologiques en matière d’artillerie au tournant du XXe siècle seront testées quelques années plus tard lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale. Cette guerre en fut une d’artillerie, même si les armées européennes étaient mal équipées dans ce domaine au début des hostilités. À mesure que la guerre progressa, l’impasse tactique et opérationnelle força les belligérants à s’enterrer dans des tranchées, notamment parce que la technologie de la puissance de feu, tant dans l’infanterie que dans l’artillerie, fut temporairement beaucoup plus développée que les technologies associées à la mobilité et à la manœuvre. Parmi les exemples les plus spectaculaires d’avancées technologies, notons l’immense obusier allemand de 420mm communément appelé la Grosse Bertha, qui démolit sans trop de difficultés les forteresses belges pendant l’invasion de 1914. On peut penser aussi à cet autre immense canon allemand de 210mm, le Canon de Paris, qui pouvait bombarder la capitale française en 1918 d’une distance de 120 kilomètres.

Un obusier allemand de la firme Krupp de calibre 420mm vulgairement nommé la "Grosse Bertha". C'est avec ce type d'artillerie que les Allemands parvinrent à détruire le système de fortifications belges lors de l'invasion de 1914.

En fait, du début de la guerre jusqu’à l’été de 1917 au moins, toutes les armées de l’époque tentèrent d’obtenir la destruction complète de l’ennemi grâce à l’artillerie. Il va sans dire que cela ne fonctionna jamais. À titre d’exemple, on observe qu’en dépit d’une préparation d’artillerie ininterrompue d’une semaine, où un million d’obus furent tirés, l’infanterie britannique sur la Somme encaissa des pertes de 60,000 hommes pour la seule journée du 1er juillet 1916. À cette époque, cependant, les experts artilleurs commencèrent à raisonner autrement, dans la mesure où l’artillerie devrait plutôt être utilisée à des fins de neutralisation, au lieu de destruction de l’ennemi. L’idée était de contraindre l’ennemi à garder la tête baissée suffisamment longtemps afin que l’infanterie amie puisse atteindre son objectif.

Dans les faits, cette approche en apparence « nouvelle » ne l’était pas, puisqu’elle consistait à revenir au vieux principe de coordination du tir et de la manœuvre. Néanmoins, certains officiers se firent les promoteurs de la neutralisation. Parmi eux, le colonel allemand Georg Bruchmüller, dont l’influence se fait encore sentir de nos jours en ce qui concerne les principes de l’appui-feu au niveau tactique. Plutôt que d’effectuer des tirs de préparation qui pouvaient durer des semaines, le colonel Bruchmüller suggéra que l’attention de l’artillerie allemande soit concentrée sur la neutralisation au lieu de la destruction, ce qui permettrait d’atteindre de meilleurs résultats, et ce, en l’espace de quelques heures.

Le colonel Georg Bruchmüller, dont l'influence sur le développement des tactiques d'artillerie se fait encore sentir de nos jours.

Dans ce contexte, on peut affirmer que la Première Guerre mondiale fut une époque de développements technologiques considérables pour l’artillerie, car de nombreuses techniques et tactiques mises au point alors sont toujours utilisées. Par exemple, l’un des officiers sous les ordres de Bruchmüller, le capitaine Erich Pulkowski, développa une méthode mathématique visant à neutraliser l’influence des conditions météorologiques sur le tir. À la fin de la guerre, la complexité de la science entourant les méthodes de tir avait fait en sorte que toutes les armées d’alors comprenaient dans leurs rangs des détachements d’artilleurs entraînés à ajuster le tir selon le son et la lumière de l’obus. Ces techniques existent toujours au XXIe siècle, à la différence qu’elles sont désormais informatisées.

En ce qui a trait aux obus utilisés pendant la guerre de 1914-1918, disons qu’en premier lieu, le shrapnel était la munition de prédilection en 1914. Par contre, quatre ans plus tard, le shrapnel avait à peu de chose près disparu parce que, bien qu’étant efficace contre des troupes en terrain ouvert, il était terriblement mauvais contre des soldats bien enterrés. Ce furent les obus explosifs qui prirent le relais du shrapnel, du moins pour détruire les tranchées et les barbelés, quoique la taille des morceaux fragmentés lors de l’explosion était trop grosse, ce qui le rendit plus ou moins efficace pour éliminer simultanément une certaine quantité de soldats ennemis. Cela étant, la technologie s’améliora à son tour, si bien qu’à la fin des hostilités, les obus étaient plus dangereux que jamais. En effet, la composition chimique de la charge explosive et la composition métallurgique du boîtier avaient été perfectionnées au point que l’effet de fragmentation de l’obus explosif était égal, voire meilleur que le shrapnel. De plus, l’introduction d’amorces mécaniques à cadran permit de mieux calculer le moment de l’explosion en plein vol, surtout pour le shrapnel. Enfin, notons que la guerre de 1914-1918 vit l’utilisation d’autres types d’obus, tel l’obus à gaz, à fumée et à illumination du style flashbang.

La Première Guerre mondiale vit également l’apparition de deux nouvelles formes d’artillerie, celle antiaérienne et celle antichar. L’artillerie antichar fut restreinte en 1914-1918, surtout en comparaison d’autres conflits comme la guerre de Corée, tout comme son emploi releva rapidement de l’infanterie. En effet, l’infanterie fut dotée d’armes sans recul comme le bazooka (ou le Panzerfaust allemand) lors de la Seconde Guerre mondiale. Spécifions aussi qu’au tournant du XXIe siècle, l’hélicoptère reprit à l’infanterie le gros de la tâche d’éliminer les chars ennemis. Quant à l’artillerie antiaérienne, sa fonction était originellement assumée par le personnel de l’artillerie côtière, étant donné leurs compétences pour engager des cibles mouvantes. Il est clair cependant que le développement de l’avion et du missile rendit l’artillerie côtière obsolète vers la fin de la guerre de 1939-1945, si bien que la plupart des unités d’artillerie antiaérienne sont armées elles aussi de missiles, tendant ainsi à délaisser le canon.

En plus d'une production massive de canons et d'une consommation effarante de munitions, la Première Guerre mondiale démontre, comme n'importe quelle autre conflit passé et présent, que l'opération d'une pièce relève d'abord et avant tout d'un travail d'équipe.

Les années qui précédèrent le début de la Première Guerre mondiale virent les armées du monde se départir majoritairement de leurs arsenaux de mortiers. Par contre, l’apparition de complexes systèmes de tranchées marqua en quelque sorte une période de renaissance de cette arme. Vers 1916, on peut dire que toutes les armées disposaient d’unités de mortiers de tranchées spécialisées, des formations équipées de ces armes aux mécanismes plus sophistiqués. Par exemple, les Britanniques introduisirent le mortier Stokes, qui consista simplement en un tube creux alimenté par la bouche avec un percuteur fixé à la base. La simple gravité entraînait l’obus vers le bas, frappait le percuteur, amorçant ainsi la charge qui repartait dans les airs. En fait, tous les mortiers modernes sont des descendants directs du Stokes et sont affectés comme arme d’infanterie depuis la guerre de 1914-1918.

La Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide: les innovations et la contrainte atomique

À quelques exceptions près, la période de l’entre-deux-guerres connut peu de développements majeurs en matière d’artillerie. On peut néanmoins préciser qu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale, les Américains innovèrent au plan tactique en introduisant un « Centre de direction du tir » (CDT). Le CDT rendit la concentration du tir des canons plus commode, car il était possible de faire tirer plusieurs batteries sur un objectif précis, plutôt que d’avoir à déplacer physiquement les pièces pour atteindre le même résultat. En soi, le concept n’était pas nouveau, ni révolutionnaire. Les belligérants de la Première Guerre mondiale cherchaient aussi à concentrer le tir sans avoir à déplacer leurs canons. Pour ce faire, ils envoyèrent dans les airs des observateurs d’artillerie, d’abord installés dans des ballons puis des avions, mais les difficultés de communications avec les batteries au sol limitèrent leur efficacité. Ce fut la radio qui résolut le problème au moment où éclata la guerre mondiale suivante, donnant ainsi à l’avion un rôle de plate-forme d’observation, c’est-à-dire les yeux nécessaires à l’artillerie.

Parmi les premières pièces d'artillerie autotractées figure le Birch Gun de l'armée britannique.

Par ailleurs, la guerre de 1914-1918 sonna le glas des unités d’artillerie à cheval si efficaces au temps de Frédéric de Prusse, même si les nations continuèrent de fabriquer des canons tractés par des chevaux au lendemain des hostilités. Cette guerre vit les belligérants expérimenter des modèles de canons autotractés, qui furent souvent des pièces montées sur des châssis de chars. Sitôt la guerre terminée, les Britanniques mirent en service le Birch Gun, que l’on peut considérer comme la première véritable pièce autotractée. Vers 1945, à peu près toutes les armées du monde disposaient de canons autotractés, ce qui confirmait aussi que la Seconde Guerre mondiale avait été la dernière à voir le recours à l’artillerie de siège et de garnison. Cette dernière avait connu une brève, mais non concluante « heure de gloire » dans les tourelles de la Ligne Maginot en France.

Aussi, le Traité de Versailles qui mit fin à la Première Guerre mondiale posa de sérieuses contraintes à l’armée allemande en matière de dotation d’artillerie. En effet, le document limitait à 240 le nombre de pièces, dont aucune ne pouvait avoir un calibre supérieur à 105mm. Dépourvue d’artillerie lourde, l’armée allemande de l’entre-deux-guerres dut adopter ses tactiques en conséquence, dont l’élément le plus notable fut l’étude consacrée au principe de combinaison offensive du char et de l’avion en piqué. Cette formule s’avéra un succès en Pologne (1939) et en France (1940), mais elle échoua misérablement contre la Russie (1941), lorsque la Luftwaffe ne put concentrer ses ressources sur des objectifs précis et limités, tant l’espace soviétique est immense.

Polyvalent et d'une redoutable puissance de feu, le canon allemand de 88mm figurait parmi les objectifs prioritaires à neutraliser lors de n'importe quelle bataille de la Seconde Guerre mondiale.

Tout au long de la Seconde Guerre mondiale, l’armée allemande souffrit constamment de la faiblesse de son artillerie. On remarque que, plusieurs années après la prise du pouvoir par Hitler, l’artillerie de la Wehrmacht plafonnait à 240 canons (comparativement aux 60,000 pièces soviétiques en 1941), sans oublier que pendant le conflit, la plupart de ceux-ci étaient tirés par des chevaux jusqu’à la fin. Les Allemands mirent en service une variété de canons d’excellentes qualités, en particulier le redoutable 88mm. Originellement conçu comme une arme antiaérienne, sa haute vélocité et l’angle de son canon en firent une pièce antichar efficace, surtout lorsqu’elle était armée d’un projectile approprié. D’ailleurs, il existe un certain débat à savoir qui eut l’idée, dans l’armée allemande, d’utiliser le canon de 88mm comme arme antichar. Au-delà du mythe, notons que dès 1933, la doctrine tactique disait clairement que les canons antiaériens pourraient avoir un rôle antichar au besoin. D’autres canons utilisés pendant la Seconde Guerre mondiale s’avérèrent aussi de véritables chefs-d’œuvre mécaniques. On pense entre autres au canon britannique de 25 livres ou à la pièce américaine de 105mm. Cette dernière figure parmi les modèles les plus reproduits de l’Histoire, et elle vit du service tant en Corée qu’au Vietnam, sans oublier qu’elle fait partie de l’arsenal de nombreuses armées du monde actuellement.

Dans un autre ordre d’idées, mentionnons que les Américains furent les premiers à introduire des obus à têtes nucléaires. À cet égard, ils conçurent un canon de 280mm surnommé Atomic Annie qui tira un premier obus nucléaire lors d’essais au Nevada en 1953. Vers le milieu des années 1960, un canon américain de 155mm parvint à tirer un arsenal qui comprenait à la fois des obus conventionnels et nucléaires, comme les Soviétiques purent à leur tour mettre en service des canons aux propriétés similaires. À la fin de la Guerre froide, le président américain George Bush (père) ordonna le retrait des arsenaux de son pays de tous les obus d’artillerie aux têtes chimiques et nucléaires.

Le canon américain de 280mm surnommé "Atomic Annie", lors d'un exercice de tir avec un obus à tête atomique au Nevada en 1953.

Durant la Guerre du Vietnam, ce fut l’hélicoptère qui révolutionna les tactiques d’artillerie, comme ce fut le cas pour celles de l’infanterie. Avec leurs capacités de vol stationnaire, les hélicoptères constituèrent une plate-forme d’observation idéale, comme ils furent employés afin de transporter des pièces légères comme l’obusier de 105mm et ses munitions dans des endroits difficilement accessibles. Toujours au Vietnam, les hélicoptères donnèrent un nouveau visage à l’artillerie, puisqu’ils disposaient de lances-roquettes et de lances-grenades automatiques qui peuvent entrer dans la catégorie de l’artillerie aérienne.

Parmi les dernières particularités que l’on observe dans cette petite histoire de l’artillerie, on note celle de l’introduction de la donne informatique. Ce fut dans les années 1950 qu’un premier ordinateur parvint à remplacer les calculs exécutés par une demi-douzaine de soldats dans leur centre de tir. Cependant, ces premiers systèmes, comme celui des Américains nommé Field Artillery Digital Automatic Computer (FADAC), étaient lents et encombrants, d’autant qu’ils étaient sujets à des pannes fréquentes. Ces systèmes étaient si peu performants par moment, qu’une équipe d’artilleurs expérimentés utilisant des calculs mathématiques manuels pouvait tirer plus d’obus sur les bonnes cibles et en moins de temps. Évidemment, comme dans toute chose, la technologie s’améliora.

Vers la fin du XXe siècle, les systèmes directionnels informatiques devinrent la norme, rendant de plus en plus rares les artilleurs de la « vieille école » qui furent encore capables de calculer les coordonnées de tir en suivant les méthodes mathématiques traditionnelles. La période qui suivit la Guerre du Vietnam vit également l’introduction de toute une gamme d’obus sophistiqués et conçus pour neutraliser des cibles spécifiques. Dans ce lot figurent des obus guidés au laser ou par la chaleur, des projectiles antichars, de brouillage de radars, de dispersion de mines et ainsi de suite.

Un exemple d'un ordinateur censé remplacer l'Homme dans les calculs des coordonnées du tir d'artillerie, le "Field Artillery Digital Automatic Computer" (FADAC). Loin d'être un succès à ses premiers pas, le FADAC amorçait néanmoins une ère nouvelle, celle de l'informatisation de l'artillerie.

Conclusion: la fin de l’artillerie?

Probablement séduits par cette demi-vérité voulant que l’aviation soit supérieure en tous points à l’artillerie, certains experts militaires à l’aube du XXIe siècle seraient tentés de remettre en question l’utilité et l’efficacité de l’artillerie sur les champs de bataille du futur. Au contraire, bien que l’aviation fasse l’objet d’innovations technologiques constantes, il y a bien des tâches dont elle ne peut s’acquitter. Par exemple, les avions demeurent tributaires des conditions météorologiques, comme ils sont vulnérables face aux batteries antiaériennes, de même qu’aux contre-mesures électroniques. De plus, une fois que l’avion a épuisé ses munitions, ou qu’il doit faire le plein, il doit quitter la zone d’opération.

D’ailleurs, comme nous l’avons nous-mêmes observé en Afghanistan, le maintien d’une couverture aérienne constante demande énormément de ressources et d’autorisations, et ce, même pour certaines puissances militaires comme les États-Unis. De plus, il est beaucoup plus difficile pour un appareil de changer sa munition avant d’engager une cible, d’autant que la quantité de projectiles qu’il peut emporter limite forcément la variété de ceux-ci. Enfin, on remarque qu’en dépit de l’extrême précision de ses bombes téléguidées, un avion coure toujours le risque de lâcher sa cargaison près des troupes amies, comme on l’a vu lorsque quatre soldats canadiens de la force internationale furent tués au début de 2002 sur ce même front afghan.

Dans un contexte où les forces alliées en Afghanistan se trouvent dans des avant-postes isolés soumis aux attaques fréquentes de l'ennemi, la présence de l'artillerie s'avère cruciale. Elle sert notamment à interdire l'approche de l'ennemi dans un certain rayon autour du poste, comme à appuyer des offensives lorsque l'aviation ne peut fournir un appui-feu immédiat. Le recours à l'artillerie n'est nullement une mesure palliative. Au contraire, l'artillerie figure au coeur de l'ordre de bataille du haut commandement de la force internationale.

Plus encore, nous avons noté un autre élément en Afghanistan qui ne nous permet pas de conclure à la mort éventuelle de l’artillerie. En effet, considérant que les meilleurs canons d’aujourd’hui peuvent tirer un projectile entre 30,000 et 35,000 mètres, l’artillerie demeure une arme très précise, flexible et amplement capable d’appuyer l’infanterie amie qui attaque ou qui doit se défendre dans un poste entouré de forces ennemies. En partant du principe que les calculs de tir sont justes, l’artillerie n’est, à peu de chose près, aucunement dépendante de la température. Lorsque l’obus est dans les airs, aucun système de défense antiaérienne ou de contre-mesures électroniques ne peut l’empêcher d’atteindre sa cible. Tant et aussi longtemps qu’elle est bien approvisionnée avec les bons types de munitions, une batterie d’artillerie peut tirer pendant des heures. Cela se vit sur les champs de bataille de la guerre de 1914-1918 comme sur ceux de l’Afghanistan depuis 2001.

En somme, et malgré de nombreuses prédictions hâtives et prématurées qui circulèrent dans les rangs militaires depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’artillerie a sa place sur les champs de bataille. Elle constitue une source primordiale capable de fournir une puissance de feu lorsque le besoin se fait sentir, et c’est ce qui explique pourquoi les gouvernements continueront d’entretenir ce type d’unité pour les années à venir.

Histoire de l’artillerie: Première partie

Introduction

Illustration de Jean Leffel montrant des artilleurs de l'Armée Continentale lors de la Guerre d'indépendance des États-Unis (XVIIIe siècle).

L’artillerie est la branche des forces armées qui regroupe les canons ainsi que le personnel requis pour les manier. Sur les champs de bataille, l’artillerie est ce qu’on appelle dans le jargon militaire une source de « puissance de feu » capable de délivrer un coup décisif et destructeur en un espace et en un temps donnés. Vue sous cet angle, l’artillerie occupa cette fonction du XVIIe au XIXe siècle inclusivement. Par la suite, dans le contexte de la Première Guerre mondiale, les avions et les chars devinrent à leur tour des sources de puissance de feu, bien qu’ils ne remplacèrent pas l’artillerie. En fait, la guerre de 1914-1918 vit la première coopération à grande échelle d’une variété de sources de puissance de feu pouvant s’appuyer mutuellement.

Cela dit, une pièce d’artillerie (un canon) est une arme a priori offensive maniée par un certain nombre de soldats que sont les artilleurs. Généralement, cette arme utilise la pression du gaz créée par la combustion d’une charge propulsive afin d’éjecter le projectile en question. De ce principe, on distingue normalement trois catégories de pièces d’artillerie, des catégories qui sont découpées selon les mécanismes de construction et les performances balistiques. Bien que chaque type de pièces d’artillerie soit généralement appelé canon, il y a quand même une importante distinction technique à établir entre ce qu’est un canon et ce qu’est un obusier. Les canons tirent un projectile à une vélocité relativement élevée et qui suit une trajectoire en ligne droite. Quant aux obusiers, ceux-ci tirent un projectile à une vélocité plus faible et qui suit une trajectoire arquée. Cela explique que, généralement, les canons ont une portée plus élevée que les obusiers, mais ces derniers sont plus versatiles et leurs tirs sont plus précis. Le canon tire généralement d’un angle d’élévation assez bas, avec le tube pointé à moins de 45 degrés de la surface plane du sol. Pour sa part, l’obusier est capable de pointer son tube d’un angle fort ou faible, ce qui en fait une arme idéale pour atteindre une cible située sur un terrain accidenté.

En ce qui a trait aux pièces d’artillerie modernes et contemporaines, celles-ci sont dotées de mécanismes de contrôle du tir qui les rendent capables d’effectuer des tirs directs et indirects. Lors d’un tir direct, l’équipage d’un canon parvient à voir la cible et pointer directement son tube dans sa direction. Pendant un tir indirect, l’équipage du canon, qui ne parvient pas à voir la cible, applique certains calculs d’azimut et d’élévation selon un point de référence préétabli. Cette méthode de tir indirect fut perfectionnée à la fin du XIXe siècle et elle requiert qu’un observateur soit posté plus à l’avant du front, ou que le tir soit dirigé à partir d’un point central de coordination. Bien entendu, le tir direct ne requiert ni l’un, ni l’autre.

De gauche à droite: un canon, un obusier et un mortier. (Armée britannique, guerre de 1914-1918.)

Dans cet ordre d’idées, nous avons mentionné les deux premiers types d’artillerie, mais n’oublions pas le troisième qui est le mortier. Celui-ci tire un projectile relativement petit en comparaison de ceux projetés par les canons et les obusiers. La première particularité du tir du mortier est que le projectile voyage à un angle très élevé (presque 90 degrés à partir du sol) et sur une courte distance (souvent moins de 1,000 mètres). Étant donné que le mortier fait feu à un angle élevé, son tir est indirect par définition et la pièce ne requiert pas de mécanisme sophistiqué pour absorber le recul, puisque toute la force du tir est poussée vers le sol. En conséquence, le mortier est une arme légère, facilement transportable et capable de tirer à partir d’endroits restreints. Cela en fait une arme idéale pour fournir un tir de support immédiat à l’infanterie. Originellement, le mortier était utilisé comme une arme de siège, mais les combats de la guerre de 1914-1918 en ont fait une arme intégrée à l’arsenal de l’infanterie de la plupart des armées. Néanmoins, le mortier demeure une pièce d’artillerie, que ce soit au niveau de son mécanisme, sa balistique et son système de contrôle du tir.

Les premiers pas de l’artillerie (XIIIe – XVIe siècles)

D’une certaine manière, l’artillerie moderne est une descendante directe des engins de guerre utilisés pendant l’Antiquité et le Moyen-Âge. Deux de ces engins de guerre datant de l’époque antique ressemblent étrangement à deux types de pièces d’artillerie moderne. À l’instar du canon, la baliste (qui est une sorte d’arbalète géante) projette son missile suivant une trajectoire en ligne droite. Comme avec l’obusier, la catapulte (et plus tard le trébuchet) lance son missile selon une trajectoire plus lente et arquée. Dans ce contexte, la principale distinction entre les engins de guerre tirant des projectiles et la véritable artillerie, telle qu’on la connait aujourd’hui, réside dans le mode de propulsion, qui est mécanique dans le premier cas et explosif dans le second.

De gauche à droite: une baliste, une catapulte et un trébuchet.

Le canon fut introduit à une époque qui coïncida grossièrement avec l’invention de la poudre, apparemment décrite une première fois en Occident par Roger Bacon en 1242. Quelque temps après, on en vint à l’idée que la puissance explosive de la poudre pourrait servir à lancer un projectile à travers un tube. À cet égard, les spécialistes du sujet connaissent cette fameuse illustration publiée en 1325 dans le document intitulé De Officiis Regnum (Des Devoirs du Roi), où l’on voit clairement un soldat se servant d’un canon primitif.

Représentation de l'utilisation d'un canon primitif au XIVe siècle.

Cela étant, les premiers canons étaient montés sur des plates-formes fixes tirées par des animaux de trait d’un endroit à l’autre. De plus, ces engins primitifs étaient peu malléables et relativement immobiles, ce qui explique en partie pourquoi, au cours des 200 premières années de son utilisation, l’artillerie occupa seulement un rôle périphérique à la guerre. Plus encore, les projectiles des premiers canons n’étaient pas puissants, notamment parce que la poudre n’était pas manufacturée selon des normes et des standards précis. La piètre qualité de la poudre signifia aussi que l’on préféra utiliser de plus petits projectiles en pierres, plutôt que des projectiles plus lourds en fer.

Par ailleurs, les premiers canons furent fondus à partir du bronze ou construits avec des bandes en fer forgé liées entre elles par des cerceaux de fer, un peu à l’image de la fabrication des barils. Au cours des cinq premiers siècles de leur utilisation, les manufacturiers préférèrent largement le bronze ou le laiton pour fabriquer les tubes des canons et non pas le fer, car cette matière était plus difficile à forger et trop sujette à des imperfections, dont celle de se désintégrer lors du tir. Le fer était également plus lourd, ce qui n’aidait en rien au problème de mobilité déjà évoqué. Ce ne fut que dans la seconde moitié du XIXe siècle que les manufacturiers parvinrent à perfectionner les techniques de coulage du fer, quelques années à peine avant que l’acier devienne le matériau privilégié.

Un canon espagnol de type "caterara" datant du XVe siècle.

L’immobilité et la faiblesse relative des premiers modèles de canons signifiaient qu’ils ne posaient pas, du moins à leurs débuts, de menaces sérieuses contre les châteaux et autres types de fortifications. Il fallut donc améliorer ces engins et c’est ce que l’on fit, d’une part, vers la fin du XIVe siècle lorsqu’on ajouta des roues aux canons. D’autre part, le début du XVe siècle vit des améliorations dans la fabrication de la poudre, qui était plus stable au niveau de sa combustion et qui produisait une puissance explosive accrue. En retour, il s’avéra nécessaire de fabriquer des tubes plus résistants et des projectiles plus lourds pour accroître la force de l’impact. Bref, les projectiles de pierres et les tubes fabriqués avec des bandes de fer forgé tombèrent en désuétude, si bien que ces nouvelles innovations amèneraient le glas des châteaux comme systèmes défensifs de pointe.

Toujours au niveau des améliorations technologiques, les canonniers du début du XVIe siècle commencèrent à être équipés de quadrants afin de contrôler le tir. Le quadrant était basé sur le principe que l’angle d’élévation du tube avait un effet direct et constant sur la distance avec laquelle le projectile s’envolait, et ce, tant et aussi longtemps que la quantité de poudre utilisée demeurait la même. Les quadrants employés par les artilleurs modernes sont évidemment beaucoup plus précis que leurs ancêtres, mais le principe de base est demeuré identique. L’autre défi consistait à trouver une méthode d’élever le tube et surtout à le maintenir en place au moment du tir. En 1571, le canonnier anglais John Skinner introduisit une élévatrice à vis fixée sous la culasse du tube afin de mieux contrôler et maintenir l’élévation.

Comme le montre cette illustration allemande du XVIe siècle, les artilleurs calculaient l'élévation de leur canon à l'aide d'un clinomètre et d'un quadrant marqués d'échelles d'ombre.

Au-delà de l’utilisation, la conception tactique

Au début du XVIIe siècle, Gustave Adolphe de Suède fit connaître une innovation tactique majeure lorsqu’il organisa son artillerie en deux branches (celle de campagne et celle de siège), tout en introduisant le premier canon léger de campagne posé sur un affût très mobile, qui faisait en sorte que la pièce pouvait désormais suivre les déplacements de l’infanterie sur le champ de bataille. Ainsi, pour la première fois, il devint possible de synchroniser le feu avec la manœuvre. En plus, les canons suédois étaient fondus en cuivre renforcé par des lanières de cuir et de la corde. En d’autres termes, ce que ces canons manquaient en puissance de feu, ils le rattrapaient au niveau de leur mobilité.

En 1759, Frédéric de Prusse fut derrière le projet de mise sur pied d’une brigade d’artillerie à cheval conçue spécialement pour appuyer la cavalerie. Armés de canons légers de 6 livres, tous les canonniers devaient pouvoir se déplacer sur leurs montures. L’idée fut louable, mais le premier problème d’ordre tactique qui survint fut de voir comment il serait possible de déplacer les canons, les canonniers et les munitions afin qu’ils soient concentrés simultanément en un point précis du champ de bataille pour fournir l’appui-feu demandé. Ce besoin entraîna la mise au point du caisson, qui était un petit wagon pouvant apporter tout le matériel nécessaire (incluant les munitions) et qui était attaché au canon. Pour être encore plus efficace, une seconde équipe était affectée au canon, et elle transportait un second caisson. Ainsi, cette artillerie mise sur pied sous Frédéric de Prusse donna à sa cavalerie une puissance de feu et de choc sans précédent, si bien que la plupart des armées européennes copièrent le même modèle organisationnel.

Représentation informatisée d'une batterie prussienne d'artillerie à cheval à l'époque du roi Frédéric (milieu XVIIIe siècle). La légèreté des calibres répondait au besoin de se déplacer rapidement d'un point à l'autre du champ de bataille.

En France, Napoléon Bonaparte, qui avait commencé sa carrière militaire comme officier canonnier, amena l’artillerie à un nouveau stade d’importance sur le champ de bataille en concentrant ses canons, plutôt que de les éparpiller à travers différentes formations, comme ce fut la pratique alors. La clé de son concept de Grande Batterie fut de s’assurer que l’artillerie soit déployée dans le secteur jugé décisif du champ de bataille, un élément que Napoléon maîtrisait instinctivement.

Le XIXe siècle: une époque de spécialisation de l’artillerie

Quelques décennies plus tard, au milieu du XIXe siècle, et sans doute en suivant les leçons apprises lors des guerres napoléoniennes, l’artillerie avait fini par se diviser en six catégories générales, dont quelques-unes pouvaient se chevaucher. L’artillerie de garnison et de siège disposait normalement des canons les plus lourds. La mission de l’artillerie de siège était d’abattre des fortifications fixes, alors que l’artillerie de garnison devait précisément les défendre. On note aussi le développement d’une artillerie côtière, qui ressemble à celle de garnison, mais dont la mission consiste à défendre des côtes stratégiques contre des navires ennemis. En quatrième lieu, l’artillerie de campagne et sa variante spécialisée à cheval discutée précédemment. Enfin, l’artillerie de montagne devint à son tour une branche spécialisée. Ces unités étaient d’ordinaire équipées d’obusiers légers qui pouvaient être démontés et transportés en sections par des bêtes de somme.

La technologie de base de l’artillerie varia peu, du moins jusqu’à la fin de la Guerre civile américaine. En fait, les canons en service jusqu’au milieu du XIXe siècle se ressemblaient en ce qui avait trait à leur chargement par la bouche, leurs tubes lisses (et non rayés) et leur utilisation de la poudre noire pour la mise à feu. Après chaque coup tiré, l’équipage devait replacer le canon en position parce que celui-ci avait été propulsé vers l’arrière par la force du recul du tir. Ensuite, les canonniers devaient éponger l’intérieur du tube pour y enlever tous détritus laissés par le tir précédent. L’équipage chargeait alors le tube avec de la poudre à l’aide d’une poche au bout d’une longue perche, puis on insérait le projectile en le poussant bien au fond. L’étape suivante consistait à placer une mèche dans l’évent de la culasse à la base du tube puis à l’allumer pour la mise à feu.

Reconstitution du maniement d'un canon de l'époque de la Guerre civile américaine (1861-1865).

À partir du milieu du XIXe siècle, des charges de poudre préparées à l’avance en paquets finirent par remplacer le chargement à dosage manuel, ce qui rendit la manipulation de la poudre plus sécuritaire et facile à charger, sans compter que cela assurait un dosage constant de poudre coup après coup. De plus, la mèche insérée dans la culasse du canon a cédé la place à l’amorce de friction, essentiellement un tube creux rempli de poudre avec une allumette de friction au sommet. Lorsque cette allumette était enlevée rapidement du tube, cela provoquait une étincelle qui amorçait la charge du petit tube creux, qui engendrait une flamme descendante dans le canon en allumant la charge principale. Notons que cette amorce de friction était plus rapide et efficace d’utilisation que la mèche. Elle éliminait aussi une partie du danger relié à la présence de sources inflammables autour du canon.

Dans un autre ordre d’idées, nous avons jusqu’à présent mis l’emphase sur le canon, mais il ne faut pas oublier l’importance qu’occupe également son projectile. Au début du XIXe siècle, les canons étaient en mesure de tirer des projectiles solides de toutes sortes. Le plus commun d’entre eux était le boulet, qui était ni plus ni moins qu’une boule de fer. Les artilleurs avaient aussi recours à l’obus à mitraille, qui consistait en une grappe de petites billes enroulées autour d’un axe central en bois, qui s’éparpillaient dans tous les sens au moment de l’explosion. Les grappes de mitraille étaient particulièrement efficaces lorsqu’elles étaient employées contre la cavalerie ennemie sur une courte distance. Un autre type d’obus à mitraille, composé cette fois de balles de mousquet, s’avérait une arme des plus dangereuses contre des masses d’infanteries sur une courte portée. En ce qui a trait aux mortiers, ceux-ci tiraient un projectile explosif consistant souvent en une sphère creuse remplie de poudre et détonné à l’aide d’une amorce à l’intérieur dudit projectile. Quant aux obusiers, ils pouvaient tirer les deux types de projectiles, solides et explosifs.

Toujours au début du XIXe siècle, le lieutenant Henry Shrapnel de l’Artillerie Royale britannique inventa un obus semblable à la mitraille qui finira par porter son nom. Son obus sphérique à mitraille était creux et rempli avec une charge explosive et des balles de mousquet. L’obus était conçu de sorte à exploser en plein vol au-dessus des troupes ennemies, causant ainsi une pluie de balles sur celles-ci. Les premiers essais de l’obus de type shrapnel semblaient prometteurs, mais l’amorce d’un modèle primitif produisit des résultats variables d’un coup à l’autre. Avec l’introduction d’une amorce mécanique à cadran à la fin du XIXe siècle, permettant de faire exploser l’obus à un moment beaucoup plus précis, l’obus de type shrapnel devint dévastateur contre des troupes exposées.

Henry Shrapnel et le boulet qui porta son nom.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les développements de l’artillerie bénéficièrent des avancées technologiques exponentielles de la Révolution industrielle. Au cours des années 1860, le général Thomas J. Rodman perfectionna une technique de moulage qui produisit des tubes en fer d’une efficacité exceptionnelle. Bien que les canons en fer inventés par Rodman furent peu de temps après remplacés par ceux en acier, son autre contribution majeure à la science de l’artillerie réside dans la mise au point d’une variété de granules qui brûlaient par étape, à mesure que le projectile voyageait dans le tube avant d’être expulsé. Cela maintenait une pression constante derrière le projectile lorsqu’il circulait dans le tube. De plus, mentionnons que même si la poudre fut remplacée par des propulseurs plus sécuritaires, fiables et puissants, comme la cordite, les principes de géométrie propulsive du général Rodman demeurent d’actualité.

Par ailleurs, le perfectionnement des techniques de coulage de l’acier rendit possible le chargement d’un tube rayé par la culasse et non par la bouche. C’est ainsi que deux systèmes à culasse émergèrent à la fin du XIXe siècle, des systèmes qui sont toujours en utilisation. À titre d’exemple, la firme allemande Krupp introduisit un bloc de culasse coulissant. Ce système nécessitait l’utilisation d’un obus à boîtier en laiton qui lui donnait l’apparence d’une immense balle de carabine moderne. Au moment de la mise à feu, le gaz en expansion dégagé poussait le boîtier (la douille) contre les côtés de la chambre du canon pour son expulsion. Les canons se trouvant à l’intérieur des chars d’assaut moderne et la plupart des canons de campagne actuels utilisent ce système du bloc de culasse coulissant. À peu près à la même époque en France, le colonel Charles de Bange développa un système de bloc de culasse à vis qui pouvait lui aussi sceller le gaz pour faciliter l’expulsion de la charge et de son boîtier. La majorité des canons de calibres moyen et lourd, incluant ceux de la marine, utilisent ce système.

Un canon allemand Krupp de 60mm modèle 1870 à chargement par la culasse. Cette pièce d'un plus petit calibre semblait idéale pour les combats en montagnes, à titre d'exemple, mais son mécanisme ne prévoyait pas le contrôle du recul sans faire déplacer l'affût.

La question du contrôle du recul demeura problématique jusqu’au moment du développement de mécanismes de recul hydropneumatiques. Ce système permettait au tube de reculer après le tir, tout en laissant l’affût en place au sol, puis de retourner le tube à sa position initiale. Le canon français de 75mm modèle 1897 fut le premier du genre produit à grande échelle qui recourait à ce système, ce qui amena les historiens à le considérer comme la première pièce d’artillerie moderne. Malgré les efforts de la France pour préserver le secret de cette arme jugée révolutionnaire, les armées des autres puissances parvinrent à copier le modèle. Dans le jargon de l’époque, ce type de canon à tir rapide était rechargé par la culasse et pouvait atteindre une cadence de tir allant jusqu’à vingt coups à la minute.

Si l’artillerie connut d’importants développements technologiques dans le contexte de la Révolution industrielle, il faut préciser que l’infanterie en profita également, ce qui signifie que les artilleurs devenaient de plus en plus vulnérables au feu ennemi. Cela força l’artillerie à se positionner plus en retrait du front. Considérant la portée accrue des pièces modernes, cela ne posait en principe aucun problème, mais cela voulait aussi dire que les artilleurs ne voyaient plus leurs cibles. Le perfectionnement des techniques de tir indirect était tributaire de la qualité des outils de réglages en existence, comme le quadrant, de même que sur le développement de nouveaux instruments comme le télescope panoramique ou autres appareils de mesure s’apparentant à ceux d’un arpenteur.

(La suite dans la seconde partie.)

Le canon français de 75mm modèle 1897, la première pièce d'artillerie à être dotée d'un système hydropneumatique de contrôle du recul. Ce système permettait au tube de reculer après le tir, tout en laissant l'affût en place au sol, puis de retourner le tube à sa position initiale. Entre les mains d'une équipe d'artilleurs expérimentés, le "75" pouvait tirer jusqu'à 20 coups à la minute. Il fut largement utilisé par la France et d'autres nations alliées lors de la Première Guerre mondiale.

De l’importance des arsenaux militaires

L’importance stratégique des arsenaux

Les arsenaux sont des endroits où des armes et des munitions sont manufacturées et entreposées. Le mot « arsenal » dérive probablement de l’arabe qui signifie « atelier », et qui fut ensuite adopté dans certaines langues comme l’anglais et le français. Si on remonte à une période plus ancienne, disons depuis l’Antiquité, le besoin de centraliser le contrôle des armes amena l’établissement des premiers arsenaux non loin des palais royaux ou autres points jugés stratégiques par les autorités en place.

Certaines découvertes archéologiques ont en effet révélé l’existence de ce que l’on peut considérer comme étant des arsenaux. Par exemple, sur le site d’Héraklion en Crête, on a retrouvé quelques pièces qui renferment de grandes quantités de pointes de flèches et d’épées dans de larges jarres. La localisation d’une quantité non négligeable d’armes et de munitions sur ce site, sous ce qui apparaissait être un édifice « public », était en quelque sorte un indicateur primaire de l’importance accordée aux questions de production et de contrôle de l’armement.

De tout temps, des arsenaux se trouvaient dans les places fortes.

Les arsenaux avaient été originellement conçus dans le but d’entreposer une quantité d’armes et de munitions suffisante pour équiper de petites armées. Par conséquent, on pouvait retrouver de petits arsenaux éparpillés sur le territoire d’un royaume, d’un empire ou d’un pays. Les fonctions attribuées aux arsenaux ont continué d’évoluer afin d’y inclure des rôles de fabrication tout en conservant leur fonction traditionnelle d’entreposage.

Le cas vénitien et la transformation à l’époque moderne

Il est probable que l’un des arsenaux les plus connus de l’Histoire fut celui de Venise, qui en soi avait ses particularités. L’arsenal de Venise apparaissait à première vue comme un immense chantier naval qui avait été aménagé à partir de 1104. L’arsenal hébergeait la puissante flotte de guerre vénitienne. Certains éléments architecturaux de l’arsenal de Venise, dont la forme circulaire de l’enceinte, tendent à démontrer que son aménagement s’inspira d’un port de mer qu’avaient aménagé les Phéniciens à Carthage.

L'entrée de l'arsenal naval de Venise.

L’arsenal de Venise était donc un vaste chantier naval en transformation permanente. Il a probablement atteint sa taille maximale au XVIIe siècle. Avec ses 4,000 ouvriers, l’arsenal de Venise constituait vraisemblablement l’un des plus grands chantiers de toute l’Europe médiévale. Signe de la puissance de l’État vénitien, il n’était pas rare que des dignitaires étrangers soient amenés sur le chantier pour contempler le spectacle de la puissance vénitienne. Le fait que l’on était capable, par exemple, d’équiper une galère avec tous ses armements en moins de vingt minutes témoigne à sa façon de l’efficacité et de la puissance associées à cet arsenal.

À partir de l’époque moderne en Europe, vers le XVIe siècle, les arsenaux servirent progressivement à entreposer l’artillerie et du matériel d’ingénierie militaire. Au milieu de ce siècle, on remarque que les arsenaux de France et d’Angleterre étaient responsables de la fourniture aux armées de canons et d’équipements divers. L’Ordnance Office en Angleterre finit par obtenir le mandat de former des artilleurs professionnels et de fournir les canons qui devaient être installés dans le réseau de fortifications et de garnisons de l’armée. Avec le développement des armes à feu, notamment les arquebuses et mousquets, les arsenaux reçurent aussi la responsabilité de fournir à l’infanterie les équipements nécessaires.

Le contrôle de l’État et la question de la standardisation

Cependant, la plus grande disponibilité d’armes à feu et de canons, le tout combiné avec une variété de calibres pour les projectiles, occasionna de sérieux problèmes logistiques pour les arsenaux. Mise au fait de la problématique, l’Ordnance Office d’Angleterre tenta une démarche de standardisation des équipements en 1631. Cette prise en charge par l’État du contrôle de la production puis de l’entreposage des armements, dans un contexte de développement constant des produits reliés à la poudre à canon, accrut une fois de plus l’importance de l’arsenal.

Cette question est à mettre en lien avec le fait qu’aux XVIe, XVII et XVIIIe siècles, la plupart des armes étaient fabriquées dans des ateliers privés. C’est en quelque sorte l’accumulation de toutes sortes d’armes et la problématique de la compatibilité des calibres qui accordèrent une autre importance aux arsenaux responsables de voir au contrôle de la qualité.

Comme nous l’avons mentionné, il devenait impératif pour l’État de mettre en place une standardisation des équipements. À cet égard, on dénote des premières tentatives plus ou moins sérieuses de standardisation des calibres dans l’artillerie sous Henri VIII en Angleterre, Henri II en France et Maximilien 1er en Allemagne. Par exemple, des inspecteurs vérifiaient la qualité des métaux utilisés dans la fabrication des canons, comme ils se penchaient sur la question de la compatibilité des calibres, allant même, les cas échéants, à se voir accorder le droit d’infliger des pénalités (amendes, non-renouvellement de contrats…) aux fabricants dont les produits ne correspondaient par aux critères de l’État.

Localiser les arsenaux

Bref, les arsenaux avaient leur importance, tout comme la question de leur emplacement géographique. En Europe continentale, une majorité d’arsenaux étaient localisés non loin des forteresses frontalières. À titre d’exemple, les forteresses et arsenaux de Strasbourg et Metz en France avaient le mandat de défendre la frontière est du pays, alors que les installations de Douai et La Fère devaient voir à la défense de la frontière nord, tout comme Grenoble constituait le pivot de la défense face à la Savoie.

Pour sa part, la donne stratégique de la Prusse au XVIIIe siècle indiquait la nécessité pour l’État d’installer des arsenaux pour répondre à des menaces venant de l’est, de l’ouest puis au sud. Ces arsenaux frontaliers constituaient des extensions régionales d’un arsenal central situé à Berlin. De son côté, l’État anglais avait localisé ses arsenaux en des endroits d’où l’armée partant en expédition outre-mer pouvait y avoir accès. Les cités portuaires de Portsmouth, Plymouth et Hull hébergeaient des arsenaux, tout comme celui de Woolwich sur la Tamise. Dans le contexte de la montée en puissance de l’Empire britannique, des arsenaux ont été établis dans les colonies, notamment pour fournir en équipements les milices locales.

L'arsenal de Harper's Ferry en Virginie (États-Unis).

En parlant des colonies, les États-Unis nouvellement indépendants avaient autorisé la construction en 1794 d’un premier arsenal national à Harper’s Ferry en Virginie. Cet arsenal entra en fonction cinq années plus tard. Il était localisé au confluent des rivières du Potomac et de la Shenandoah, un endroit jugé stratégique par le gouvernement, mais qui n’était pas à l’abri de menaces. Par exemple, l’abolitionniste John Brown et ses hommes avaient pris d’assaut l’arsenal de Harper’s Ferry en 1859. Leur objectif était de mettre la main sur les 100,000 fusils qui y étaient entreposés. Quelques années plus tard, pendant la Guerre civile, l’arsenal était carrément sur la ligne de front, changeant à huit reprises de mains. L’arsenal était pour ainsi dire détruit au sortir de la guerre.

La réponse aux besoins grandissants

Les effets de l’industrialisation au XIXe siècle virent s’accroître les fonctions manufacturières et les capacités d’entreposage des arsenaux en Occident. De plus, la centralisation de fait par l’État des activités militaires (i.e. la prise de contrôle gouvernemental des forces armées) au cours de ce siècle correspond à une réduction des contrats de productions d’armes attribués aux firmes privées. Les arsenaux se rapprochaient également des centres urbains afin de profiter d’une plus grande main-d’œuvre disponible. Sur ce point, l’idée était aussi de profiter de meilleures lignes de communication, de même que d’éloigner les arsenaux de leurs emplacements traditionnels non loin des forteresses, histoire d’éviter qu’ils ne soient soumis directement au feu ennemi.

L’un des plus importants arsenaux établis selon ces quelques règles était celui de Woolwich au sud de Londres, qui était probablement l’une des plus imposantes structures recouvertes d’un toit à l’époque de la révolution industrielle. L’arsenal de Woolwich était équipé de quatre immenses fours à métaux. Le plus imposant de ces fours pouvait fondre un bloc métallique pouvant peser jusqu’à 16 tonnes et produire des canons de la plus haute qualité. Le site même de Woolwich hébergea une variété d’arsenaux remontant jusqu’à l’époque des Tudor, connu alors sous le nom de Royal Laboratory Carriage Department, puis il fut rebaptisé Royal Arsenal sous le règne de George III en 1805.

L'arsenal de Woolwich à Londres vers 1875.

À mesure que les arsenaux se concentraient sur la fabrication d’armes et de munitions, on remarque, comme mentionné précédemment, un transfert en région d’installations afin de répondre aux besoins des armées de conscrits dont les effectifs demandaient des accès facilités aux armes et équipements. Par conséquent, on vit apparaître un plus grand nombre de dépôts militaires, qui sont en fait des arsenaux aux fonctions d’entreposage et conçues pour répondre aux besoins de plus petites unités comme des bataillons et des régiments.

Le système public vs. le système privé

Cependant, à mesure que la demande d’armes et de munitions alla en augmentant, l’ancien système d’arsenaux, qui voyait l’État prendre un plus grand contrôle, en vint à revenir au système privé pour combler ses besoins. En effet, la grande demande pour des armes et munitions que l’on remarque dans la seconde moitié du XIXe siècle en Europe, et particulièrement le raffinement des pièces nécessaires à l’assemblage de celles-ci, fit en sorte que les gouvernements demandèrent l’appui du secteur privé. Par exemple, les usines métallurgiques relevant du secteur privé pouvaient transformer leur production commerciale à des fins militaires. Non seulement pouvaient-elles le faire, mais elles pouvaient concurrencer les arsenaux publics sur le matériel en « gros » (ex: canons, carabines…) comme celui au « détail » (ex: cartouchières, baïonnettes…). Dans le cas de l’Angleterre, la Guerre des Boers avait démontré de sérieuses lacunes dans la production de munitions par les entreprises de l’État et le problème n’alla qu’en s’amplifiant jusqu’à la Première Guerre mondiale, au moins jusqu’en 1916.

La consommation effarante d'obus d'artillerie lors de la guerre de 1914-1918 soulève les problématiques constantes liées à la quantité et à la qualité du matériel produits dans les arsenaux.

Le cas de la guerre de 1914-1918 est intéressant et révélateur de la prolifération des arsenaux. Il a aussi soulevé nombre de débats quant à savoir lequel du secteur public ou privé pouvait le mieux répondre aux énormes besoins avec du matériel de qualité. Dans les deux cas, secteurs public et privé, aucun ne fut épargné par les sérieux problèmes relatifs au contrôle de la qualité. Cependant, et cela peut s’avérer paradoxal, les arsenaux étatiques n’ont jamais réellement retrouvé leur dominance passée par rapport au secteur privé. La guerre de 1914-1918 avait clairement démontré que nombre d’arsenaux privés n’avaient aucune expérience dans la production et l’entreposage d’armements.

Concrètement, cela signifia pour une nation en guerre comme la France la perte nette, pour la seule année de 1915, de quelque 600 canons qui explosèrent prématurément, tuant nombre d’artilleurs par le fait même. Sur le champ de bataille de la Somme en 1916, environ 30% des obus manufacturés en Angleterre n’explosèrent pas.

L’une des solutions trouvées afin de régler ces problèmes fut la constitution dans les pays belligérants de ministères ou d’agences coordonnatrices qui avaient juridiction sur la production et l’entreposage d’armements, plutôt que de laisser le monopole aux seuls arsenaux privés et étatiques. Ce désir de mieux coordonner la production aux fins officielles de quantité et de qualité soulève toute la question des tiraillements entre les secteurs public et privé, du moins dans les États démocratiques.

En conséquence, le rôle des arsenaux dans l’Histoire militaire se marie aux enjeux stratégiques propres à chaque époque, à chaque conflit, dans la victoire comme dans la défaite.