Voici ma publication pour le bénéfice du « Collectif de recherche international et de débat sur la guerre de 1914-1918 » au sujet de la participation du Canada à la Première Guerre mondiale. Je tiens à remercier le personnel du CRID pour leur collaboration dans ce dossier.
Vous pouvez lire l’article en cliquant sur le lien ci-dessous.
Les guerres révolutionnaires: la paix hypothétique
Les guerres ou campagnes napoléoniennes furent une série de conflits, impliquant toutes la France, qui dominèrent l’histoire européenne au début du XIXe siècle, et qui perdurèrent longtemps après leur conclusion, au moins jusqu’à la fin de ce même siècle. Leurs origines remontent au moins aux guerres de la Révolution et dans la réorganisation des rapports de force en Europe.
En effet, le Traité de Lunéville (1801) et la Paix d’Amiens (1802) tentèrent de conserver la fragilité de la balance des rapports de force au lendemain des guerres révolutionnaires de la France. Bien que ces traités n’apportèrent pas entièrement satisfaction aux différentes parties, ils pouvaient faire l’affaire dans l’immédiat. Par exemple, l’Angleterre était lasse de la guerre et elle avait envoyé à la France des signes comme quoi elle était ouverte à la négociation. De son côté, l’Autriche était désireuse de retrouver son influence en Italie et en Allemagne, bien que son épuisement la contraignit à la négociation en échange de la paix avec la sécurité. Pour sa part, la Russie, qui jouissait d’une ferme influence à l’est de l’Europe, se portait garante du Traité de Lunéville, ce qui lui assurait une certaine influence à l’ouest. Enfin, la France sortait des guerres révolutionnaires agrandie et plus forte que jamais. Elle avait restauré son prestige international.
Il est plus que possible que les traités mentionnés aient pu forger la base d’une paix durable en Europe, ne serait-ce que si les puissances avaient désiré de les honorer dans la lettre comme dans l’esprit. Cependant, des tensions initiales entre la Russie et l’Angleterre eurent des ramifications inéluctables sur l’ensemble des relations internationales de l’époque. Il n’en fallut pas plus pour que de leur côté, la France et l’Angleterre se trouvent à nouveau confrontées. C’est effectivement ce qui arriva lorsque l’Angleterre déclare à nouveau la guerre à la France en mai 1803.
Les méthodes de Napoléon
Comme Premier Consul de France, Napoléon tenta de profiter au maximum de la très brève Paix d’Amiens conclue avec l’Angleterre afin de refaire des forces à la France. Dans le but de revitaliser son pays et consolider sa propre position, Napoléon entama d’importantes réformes des appareils économiques, administratifs et militaires. En plus d’accroître la robustesse et la prospérité de la France, les réformes devaient permettre à l’État de mobiliser ses ressources avec une efficacité sans précédent. À titre d’exemple, la puissance militaire était largement dépendante du bassin d’hommes et d’argent disponibles. Donc, pour mobiliser de puissantes et nombreuses forces, Napoléon avait besoin de systèmes efficaces de taxation et de conscription. Ces systèmes devaient naturellement être administrés par une bureaucratie compétente.
L’objectif ultime de Napoléon consistait à professionnaliser les appareils bureaucratique et militaire. Par conséquent, Napoléon misait grandement sur une méritocratie qui donnait la chance aux personnes les plus talentueuses et intelligentes d’être admises dans un système éducationnel rodé pour servir le régime. Bien que le favoritisme ne disparut jamais complètement, Napoléon tenta de l’endiguer pour faire des appareils bureaucratique et militaire des institutions beaucoup plus solides que celles de ses homologues (ou adversaires) européens.
En effet, dans nombre d’engagements livrés contre Napoléon, les puissances européennes apprirent à la dure qu’elles allaient devoir à leur tour imiter au moins quelques-unes de ses méthodes, si elles désiraient avoir une chance de remporter la lutte. En d’autres termes, cela suggérait le besoin de réformes qui iraient au-delà de la modification des appareils militaires. Des changements à cet égard signifieraient des transformations profondes dans les sociétés, dont justement les forces armées tentaient de protéger des maléfices de la Révolution. Cela constituait un paradoxe alarmant pour les adversaires de la France. Malgré tout, ils étaient confrontés au dilemme d’adopter certaines méthodes de Napoléon ou périr.
La réorganisation de tout l'appareil militaire français fut un élément central des campagnes napoléoniennes.
Quelques-unes de ces méthodes concernent la taille et l’organisation des armées. Au début des campagnes napoléoniennes, les armées européennes étaient des blocs unitaires assemblées sur une base ad hoc comprenant des bataillons d’infanterie, des canons et des escadrons de cavalerie, le tout sans trop d’agencements organisationnels précis. De son côté, Napoléon avait dès 1800 mis en place une structure organisationnelle permanente pour l’armée française. Cette structure était le « corps d’armée » subdivisé en divisions et brigades.
La division était la plus petite unité qui comprenait toutes les armes, de l’infanterie à la cavalerie en passant par l’artillerie et les services du génie. Cette notion d’une unité de combat semi-autonome interarmes n’était pas inédite en soi. Napoléon tentait plutôt de raffiner les théories des grands penseurs militaires de son époque, tout en les combinant avec son expérience pratique, si bien qu’on lui attribua les premiers usages efficaces de la division. Au niveau tactique, Napoléon avait habilement coordonné le travail des éclaireurs, de l’infanterie lourde, de la cavalerie et de l’artillerie. Ces deux derniers éléments étant employés d’une manière concentrée afin d’obtenir un maximum de puissance de ces armes complémentaires.
L’établissement de la division eut comme conséquence une plus grande flexibilité au plan tactique, ce qui permit aussi d’obtenir des bénéfices au niveau stratégique. Chaque corps formait une petite armée en soi. Habilitées à exécuter des manœuvres tactiques et stratégiques indépendantes selon divers axes, et censées être en mesure de vivre sur le terrain, les forces napoléoniennes bouleversèrent la pratique de la guerre au tournant du XIXe siècle. Bien que nombreuses, ces armées pouvaient néanmoins manœuvrer rapidement sur des superficies restreintes, choisissant le terrain où elles voulaient combattre et forçant ainsi l’ennemi à livrer bataille. En effet, et à l’inverse d’une majorité de commandants militaires du XVIIIe siècle, Napoléon avait un objectif stratégique bien précis, soit celui d’anéantir les moyens militaires de l’ennemi, et non pas uniquement le vaincre par une stratégie d’usure.
Napoléon exploita cette forme primitive de « guerre éclair » aussi loin que ses immenses capacités intellectuelles et les avancées technologiques le lui permirent. Par contre, si l’on considère que la portée maximale des plus gros canons de l’époque était de 1,000 mètres, les armées devaient être en contacts rapprochés si l’on souhaitait voir une bataille s’engager. Cela dit, Napoléon était néanmoins un expert dans la manœuvre et ce type de contraintes n’était pas pour l’effrayer.
L’importance qu’accordait Napoléon à la manœuvre se refléta dans les mouvements qu’effectuèrent ses armées sur les vastes théâtres d’opérations de l’Europe. Régulièrement, sinon constamment, ses armées devaient effectuer de longues marches forcées, le tout ponctué de batailles sporadiques. Les campagnes napoléoniennes exigeaient donc la mobilisation d’armées aux dimensions sans précédent. Cela se refléta entre autres dans les pertes que subissaient ses troupes. Pour chaque soldat tué au combat, plusieurs autres étaient blessés ou rendus invalides par la maladie, la malnutrition ou l’épuisement. De plus, des milliers de chevaux périrent au cours de ces campagnes. C’est dans ce contexte que l’on peut prétendre, non sans trop exagérer, que les adversaires de Napoléon, à l’instar de ce qu’il faisait, mobilisèrent de plus en plus leurs ressources afin de l’affronter sur des bases égales, si bien que la guerre sembla être devenue « totale » par moment.
La situation géostratégique
Pour commencer, la situation géostratégique imposa des limites considérables quant à l’étendue et l’aspect de ces campagnes. Ayant déclaré la guerre à la France, l’Angleterre était à peu près incapable de lui asséner immédiatement un coup fatal. D’un autre côté, de par sa position insulaire, il était à peu près impossible pour la France d’envahir l’Angleterre en retour, ce qui limitait du coup l’influence de Londres sur les affaires continentales.
Carte de l'Europe sous Napoléon en 1810.
Bien que la Royal Navy parvint à enfermer rapidement la marine française dans ses ports et qu’elle harcela son commerce, il y avait une crainte persistante voulant qu’une armada hostile puisse menacer les Îles Britanniques et ses comptoirs commerciaux. La stratégique britannique du blocus naval était certes pertinente, mais elle étira les ressources maritimes à leurs limites.
L’Angleterre était donc l’ennemi numéro un de la France, même si la menace n’apparaissait pas comme immédiate. L’armée britannique fut assignée dans un premier temps à la défense insulaire, celle de ses colonies, de même qu’à la protection des bases stratégiques comme en Méditerranée, ce qui lui laissait peu de soldats pour une éventuelle expédition continentale. Plus encore, dans le but de pouvoir déplacer des forces outre-mer, l’Angleterre avait besoin de navires. Or, la seule défense des eaux territoriales et la protection de la marine marchande, de laquelle dépendaient le commerce et la prospérité britanniques (et sa capacité de payer ses dépenses militaires), imposèrent à la Royal Navy des demandes pour lesquelles il lui était difficile de répondre.
Même le triomphe naval à Trafalgar en 1805 avait soulevé ceci: l’Angleterre disposait de la suprématie navale et cela était une condition pour défaire la France. Par contre, cela n’était pas l’unique condition. En effet, bien que l’Angleterre, qui comptait sur la flexibilité de sa puissance navale, allait commettre une série de raids sur le littoral du continent européen (tout en entretenant une force non négligeable dans la péninsule ibérique après 1807), il était évident qu’elle ne pouvait fournir une puissance militaire terrestre capable de battre la France. Seules les grandes puissances du centre et de l’est de l’Europe pouvaient y parvenir.
Celles-ci, pour leur part, manquaient des ressources nécessaires pour vaincre la France, du moins dans la phase initiale des campagnes. Les puissances continentales du centre et de l’est de l’Europe se querellaient régulièrement, mais elles semblaient désireuses de contenir l’expansionnisme français. Ces puissances ne disposaient pas des fonds nécessaires, ni de la motivation pour se commettre à nouveau. Cependant, à la fin de 1804, la Russie et l’Autriche accumulaient des rancunes face aux actions françaises en Italie et en Allemagne pour ainsi former une coalition avec l’Angleterre. D’ailleurs, l’Angleterre était un pays industrialisé et au titre de puissance la plus prospère, elle était en mesure de fournir à ses alliés des fonds et des équipements militaires nécessaires. C’est ce qu’elle fit de façon généreuse, à défaut de pouvoir fournir suffisamment de troupes.
Des débuts incertains et la marche vers Austerlitz (1804-1805)
Donc, une Troisième Coalition pour faire la guerre à la France était née. Napoléon, qui fut proclamé empereur en décembre 1804, assembla une armée le long de la Manche en préparation à une invasion de l’Angleterre. Pour ce faire, l’empereur espérait gagner une suprématie navale locale, du moins pour la durée de la traversée. Par contre, il apparut clair que la Royal Navy allait entraver la manœuvre amphibie française. Averti du fait que la Russie et l’Autriche se préparaient pour la guerre, Napoléon abandonna l’idée d’invasion de l’Angleterre. L’empereur croyait que si les Britanniques perdaient leurs alliés continentaux, alors cela réduirait grandement la puissance de la « Perfide Albion ».
La bataille d'Austerlitz (2 décembre 1805).
Par conséquent, dans le plus grand secret, Napoléon ordonna à sa Grande Armée de faire mouvement vers le Rhin. Se déplaçant à très grande vitesse, les soldats français étaient présents dans la zone des opérations avant même que leur plus redoutable adversaire terrestre, la Russie, n’en fasse de même. Les Français avaient encerclé une armée autrichienne non méfiante à Ulm, qui dut capituler avant la marche de Napoléon sur Vienne. Les restants de l’armée autrichienne avaient tenté de se regrouper sur Austerlitz à la fin de 1805, sachant que les forces d’avant-garde russes étaient en approche.
C’est donc une armée combinée austro-russe d’un effectif considérable pour l’époque de 90,000 hommes qui fit face à Napoléon. Après huit semaines d’opérations incessantes qui les avaient transportés à 1,000 kilomètres de leur patrie, les forces françaises largement inférieures en nombre, fatiguées et apparemment démoralisées, semblaient être au bout du rouleau. Cependant, lorsque les Alliés tombèrent sur Napoléon le 2 décembre 1805, celui-ci lança une brillante riposte qui força ses adversaires à reculer avec des pertes considérables.
Bien que la victoire de l’amiral Nelson à Trafalgar quelques semaines auparavant avait mis fin à la menace navale française contre l’Angleterre, la victoire de Napoléon à Austerlitz avait anéanti la Troisième Coalition, si bien que les Autrichiens demandèrent la paix. Dès lors, Napoléon entreprit de redessiner la carte de l’Allemagne. L’empereur accorda à divers princes des titres et des terres pour les récompenser de l’avoir appuyé contre l’Autriche. De plus, il abolit le Saint-Empire romain germanique et il le remplaça par une Confédération du Rhin à l’été de 1806. Celle-ci variera de taille au cours des années à venir alors que de nouveaux territoires étaient annexés ou transférés. Cependant, en substituant trente nouveaux états de plus grande traille aux centaines de plus petits états qui avaient autrefois constitué le Saint-Empire, Napoléon transforma la carte géopolitique de la région, établissant ainsi les fondations de l’Allemagne moderne.
Cette situation alarma la Prusse, la rivale traditionnelle de l’Autriche dans la région. Incertaine quant à la façon de réagir face à la présence française, la Prusse opta pour la neutralité lors de la guerre de la Troisième Coalition. La Prusse faillit envoyer à Napoléon un ultimatum lorsque, contre toute attente, ce dernier l’emporta à Austerlitz. Face à cela, l’émissaire prussien tenta de manœuvrer Napoléon, mais celui-ci ne se laissa pas impressionner par les machinations de Berlin. Napoléon exigea de la Prusse qu’elle le joigne dans une alliance dirigée contre l’Angleterre et que Berlin abandonne ses possessions au sud et à l’ouest de l’Allemagne au profit de l’alliée de la France, la Bavière. En retour, la Prusse recevrait le Hanovre.
Aucun répit: Jena-Auerstadt, Eylau et Friedland (1806-1807)
L’Autriche vaincue, les armées russes eurent vite fait de se replier à l’est. Pour sa part, l’Angleterre ne pouvait rien faire et la Prusse se trouvait maintenant isolée et exposée à la puissance de l’Empire français. Après quelques manœuvres diplomatiques visant à gagner du temps pour mobiliser suffisamment de forces face à Napoléon, les Prussiens lui envoyèrent effectivement un ultimatum en octobre 1806. Napoléon avait cru que la guerre contre la Prusse et l’Europe aurait pu être évitée cette fois. D’ailleurs, un émissaire russe avait accepté l’ébauche d’un traité de paix, l’Angleterre semblait plus conciliante et Napoléon doutait que la Prusse soit si téméraire et imprudente pour défier seule la France. Choqué par les demandes prussiennes, Napoléon lâcha sa Grande Armée contre elle.
Napoléon observe la situation lors des batailles "jumelles" de Jena/Auerstadt le 14 octobre 1806.
La campagne militaire qui s’ensuit fut un désastre pour la Prusse. Son armée, réputée pour être l’une des meilleures en Europe, ne s’était pas renouvelée aux niveaux tactique et doctrinal, si bien qu’elle ne fut pas de taille à affronter l’armée française sur le champ de bataille. Le handicap de l’armée prussienne était à mettre dans le contexte des habiletés stratégiques de Napoléon, qui manœuvrait ses forces de manière brusque et imprévisible. L’empereur français imposa son agenda aux Prussiens qui furent contraints de livrer bataille lors de deux affrontements simultanés à Jena et Auerstadt le 14 octobre 1806. Vainqueurs, les forces napoléoniennes entreprirent ce qui allait devenir l’une des poursuites les plus agressives et rapides des annales militaires. Prises de court, les troupes prussiennes vaincues ne purent se replier efficacement, ni se réorganiser, si bien qu’elles furent contraintes à la capitulation alors que Napoléon s’approchait de Berlin.
La démoralisation dans les rangs de l’armée prussienne était si grande, que nombre de places fortes capitulèrent sans offrir de résistance. Alors que, pour sa part, l’empire des Habsbourg était parvenu à survivre malgré des années de guerre et de défaites accumulées face à la France, la Prusse, quant à elle, avait subi un anéantissement militaire et politique, et ce, à peine quatre semaines après le début de la campagne napoléonienne contre elle.
Alors que le roi Frédéric-Guillaume III trouva refuge dans la place forte de Königsberg, les quelques unités survivantes de son armée établirent une liaison avec les Russes en Pologne et tentèrent une contre-offensive. Le 8 février 1807, Napoléon les confronta à Eylau, mais les Français ne purent arracher la victoire, d’autant que la bataille fut livrée dans des conditions climatiques atroces. Se remettant de ses blessures, la Grande Armée parvint néanmoins à enlever Dantzig tout en attendant le prochain mouvement de ses adversaires. En juin de la même année, les Alliés reprirent en effet l’offensive, mais ils furent rapidement défaits par une habile contre-offensive de Napoléon dans ce qu’on appela ultérieurement la bataille de Friedland. Lors de cette seule bataille, la moitié des soldats russes furent tués ou blessés.
La bataille d'Eylau du 8 février 1807. Les difficiles conditions climatiques lors de cet affrontement n'ont en rien enlevé à la brutalité des combats. Au moins 30,000 hommes de part et d'autre tombèrent en cette journée qui s'avéra une partie nulle malgré le repli tactique des forces russes.
Choisir son camp: la guerre économique et la question de la neutralité
Le désastre de Friedland contraignit le tsar Alexandre 1er à faire la paix, sans égard aux conséquences que cela aurait pour son allié prussien. En effet, Frédéric-Guillaume dut se contenter d’observer de loin le démembrement de la Prusse. Les négociations entre Napoléon et Alexandre furent conclues à la signature du Traité de Tilsit qui changea dramatiquement la carte de l’Europe. Occupée et affaiblie par les réparations exigées, la Prusse cessa d’être une grande puissance. Ses provinces polonaises furent reconverties par Napoléon sous le Grand Duché de Varsovie et tous ses territoires à l’ouest de l’Elbe furent transférés pour former le nouveau royaume de Westphalie. La chute de la Quatrième Coalition ne put être plus évidente lorsque la Russie devint l’alliée de la France, se joignant entre autres au Blocus continental de Napoléon visant à empêcher l’Angleterre de commercer avec l’Europe.
La Grande Armée de Napoléon était en effet incapable de faire plier l’Angleterre, si bien que l’empereur dut se résoudre à tenter une strangulation économique de son puissant adversaire par ce blocus maritime continental. À la fin de 1806, Napoléon avait signé le Décret de Berlin qui fermait tous les ports et les côtes européennes sous contrôle français au commerce britannique. D’autres décrets du même genre viendront renforcer son Blocus continental qui sera étendu à d’autres régions à mesure que s’ajouteront de nouveaux territoires conquis.
Cependant, il apparaissait évident que le Blocus continental ne serait pas une réussite tant et aussi longtemps que, d’une part, tout le continent européen n’y serait pas engagé et, d’autre part, la stratégie ne verrait une application à long terme. De leur côté, les Britanniques réagirent avec des ordres en conseil qui allaient régulariser le commerce effectué par les États neutres avec l’Empire français et ses vassaux. Cela plaça, par exemple, les États-Unis et les pays non alignés de l’Europe dans une position inconfortable. Ils étaient contraints de choisir entre devenir des alliés ou des ennemis de la France ou de l’Angleterre. De plus, d’un strict point de vue économique, la neutralité ne leur apporterait rien. C’est dans ce contexte qu’en 1807, l’Angleterre attaqua le Danemark, détruisit sa flotte et bombarda Copenhague. De son côté, Napoléon jeta son dévolu sur le Portugal.
La brutalié de la campagne dans la péninsule ibérique, en particulier lors de l'occupation française en 1808, fut illustrée par cette célèbre toile de Francisco de Goya intitulée "Tres de Mayo" ("Trois Mai"). On y voit l'exécution de combattants espagnols par des soldats français.
Décidé à forcer le Portugal à joindre le Blocus continental, Napoléon conclut le traité secret de Fontainebleau avec l’Espagne. Ce traité envisageait la partition du Portugal. Cependant, Napoléon avait bien mal évalué le sentiment populaire en Espagne. Jouant à la fois de l’intrigue et de la force brute, Napoléon souhaitait expulser les Bourbons du trône et les remplacer par l’un de ses frères. Il n’en fallut pas plus pour qu’une insurrection s’enclenche, dans laquelle les troupes espagnoles, portugaises et britanniques livrèrent une lutte sauvage aux forces françaises jusqu’à l’expulsion de celles-ci de la péninsule ibérique à la fin de 1813.
Cet « ulcère espagnol », comme Napoléon qualifiait sa campagne ibérique, lui coûta cher, non seulement au plan militaire, mais aussi au niveau stratégique. Croyant que l’empereur français était totalement empêtré en Espagne, l’Autriche se joignit à une nouvelle coalition (la 5e) et se lança soudainement à l’offensive dans le sud de l’Allemagne en avril 1809. Ayant appris de ses défaites précédentes et ayant pris le temps de réformer son armée, l’Autriche s’avéra être un adversaire beaucoup plus redoutable que par le passé. Napoléon parvint à sauver la situation à l’aide de son habileté légendaire, mais il encaissa son premier revers sérieux à la bataille d’Aspern-Essling et, bien qu’ayant été vainqueur à Wagram (la plus grande bataille livrée à l’heure de la poudre à canon), il ne put soumettre l’Autriche avant octobre 1809. Dans l’intérim, une tentative ratée de débarquement des forces britanniques à Walcheren (Pays-Bas) mit en lumière la vulnérabilité du littoral sous contrôle français face à un assaut amphibie, de même que les limites logistiques de l’armée britannique. D’ailleurs, en 1812, la volonté de l’Angleterre de contrôler le commerce neutre avec son ennemi français l’emmena dans une guerre de distraction avec les États-Unis dont elle aurait pu se passer.
Vers la fin (1812-1815)
En dépit de la paix de Tilsit, il était dans l’air que la France et la Russie allaient à nouveau en découdre sur les champs de bataille, en particulier au sujet du Blocus continental et d’autres problèmes qui divisaient les deux puissances. Napoléon fit marcher sa Grande Armée en Russie en 1812. Il était à la tête d’une force militaire colossale qui parvint à encercler et annihiler les forces russes en trois semaines. Malgré tout, le succès serait de courte durée. Obligé de s’aventurer encore plus profondément à l’est, sur un territoire littéralement ravagé par les Russes, Napoléon ne put obtenir une victoire décisive, par exemple à Borodino en septembre. Ce dernier affrontement fut une victoire française chèrement payée, mais qui permit à Napoléon de prendre Moscou et de l’occuper brièvement avant d’y mettre le feu.
Le prince Bagration mène l'assaut d'une unité d'infanterie russe à la bataille de Borodino (7 septembre 1812).
La retraite qui s’ensuit fut un cauchemar pour la Grande Armée, si bien que la Prusse et l’Autriche en profitèrent pour reprendre les armes contre la France. Napoléon dut puiser dans les dernières réserves en hommes valides de la France, de même que dans le fond du trésor public, pour tenter de sauver son empire. À cet égard, la campagne livrée en Allemagne en 1813 fut marquée par de grandes victoires sans lendemain pour Napoléon. Sa Grande Armée fut coincée et défaite à Leipzig et ses alliés l’abandonnèrent tour à tour au moment où les forces triomphantes de la Sixième Coalition marchaient vers la France. Malgré tous ses talents, Napoléon ne pourrait contenir des forces ennemies aussi nombreuses pour une longue période. La capitale Paris finit par tomber, ses maréchaux se mutinèrent virtuellement et l’empereur fut contraint d’abdiquer à la faveur de son très jeune fils, le 6 avril 1814. Son fils n’aura aucune chance de régner.
La France avait été en état de guerre de manière presque incessante depuis plus de vingt ans. Elle avait perdu des millions d’hommes et nombre de ses colonies. Son commerce outre-mer était asphyxié et son trésor public faisait banqueroute. Bien qu’elle fut traitée de façon beaucoup plus indulgente par les Alliés qu’elle n’aurait pu s’attendre, les successeurs Bourbons de la France pouvaient à peine résoudre les problèmes dont ils avaient hérité. Le mécontentement populaire se fit bientôt sentir.
C’est alors que Napoléon saisit sa chance au vol, s’échappa de son exil et revint sur le continent afin d’expulser la monarchie dans un premier temps. Son pari téméraire ne dura que pour ce qu’on appela plus tard les Cent-Jours, avec comme point culminant sa défaite à Waterloo et sa seconde abdication. Leur pays défait et occupé, les Français semblaient également avoir perdu tout espoir de réconciliation, ce qui aura des impacts considérables sur les divisions politiques subséquentes au XIXe siècle.
Napoléon tenta un bref retour de "Cent-Jours" sur la scène européenne après son exil à l'île d'Elbe. L'empereur et ses ennemis réglèrent leurs comptes une dernière fois à la bataille de Waterloo le 18 juin 1815.
Conclusion
Les campagnes napoléoniennes s’étaient officiellement achevées le 18 juin 1815 avec la défaite française à Waterloo. En fait, elles avaient été livrées sur la majeure partie du continent européen, fait des millions de victimes, mobilisé la presque totalité des ressources des États impliqués et vu les plus grandes batailles que le monde ait vécues jusqu’au déclenchement de la guerre de 1914-1918.
Un bon nombre de ses conséquences politiques, socioéconomiques et culturelles continuèrent de se faire sentir sur plusieurs décennies, tout comme ces campagnes influencèrent la pensée et la doctrine militaires. Il suffit de penser à la structure organisationnelle pyramidale (corps, divisions, brigades…) en vogue dans les armées d’aujourd’hui pour se rendre compte qu’elle fut adoptée lors de ces campagnes qui s’apparentent à la première guerre « totale » de l’Histoire.
La châtiment ultime pour un acte collectif de désobéissance dans l'armée: le peloton d'exécution. (Scène tirée du film "Les Sentiers de la Gloire" de Stanley Kubrick, 1957.)
Le mécontentement
Les mutineries au sein des armées se produisent lorsque des soldats mécontents se mettent à défier collectivement l’institution disciplinaire en place. Ils le font particulièrement lorsqu’ils sont conscients, ou qu’ils ont l’impression, que cette institution est fragilisée, selon les circonstances du moment. Le simple fait de comprendre pourquoi et comment les mutineries arrivent fut un sujet à changements au fil du temps.
Ce qui est central, sinon au cœur de toute mutinerie, réside dans la nature des rapports entre les gestes collectifs de désobéissance et les structures des autorités politico-militaires en place. Les réclamations des mutins furent souvent spécifiques et elles ressortaient de l’ordre du pratique, bien plus que du niveau idéologique. Par exemple, les mutins peuvent se plaindre de la nourriture, de la solde, des permissions, de leurs officiers ou de toute autre situation qui semble injuste à leurs yeux. Cependant, toute mutinerie implique par définition un défi qui est directement lancé contre l’institution la plus fondamentale de l’État: l’armée.
Cela dit, aucune mutinerie n’est totalement apolitique, surtout si l’on considère le fait que l’armée est tout simplement un instrument du pouvoir politique. Les mutineries pourraient nuire (ou elles nuisent effectivement) au bon fonctionnement de l’État, surtout parmi ceux qui possèdent de petites armées composées essentiellement de mercenaires. Dans ce cas, les mutineries peuvent être plus apolitiques. Par contre, l’introduction de la conscription à grande échelle sur les soldats-citoyens finit par créer une armée qui remplaça les forces mercenaires. Cette levée en masse de citoyens peut entraîner des mutineries à coloration politique.
À l’époque de l’Ancien Régime, il était de notoriété publique que les soldats engagés par les monarchies n’étaient pas fiables et qu’ils pouvaient se mutiner pour un rien. Par définition, les mercenaires servent donc ceux qui les paient. Leurs officiers peuvent tenter d’arrêter les élans des mutins, ou bien ils peuvent tous aussi prendre la direction du mouvement, selon ce que dictent leurs intérêts personnels. De plus, la pratique de la guerre à cette époque, où les armées en campagne vivaient carrément sur le terrain, aux frais de l’habitant, ne favorisait en rien le maintien d’une discipline adéquate. Logiquement, il fallait que l’application de cette même discipline soit rigoureuse, voire brutale. Par la force des choses, cela engendra des armées fort instables qui affectèrent l’efficacité des actions de l’État.
Des mercenaires allemands vers 1540.
Des problèmes administratifs à la base des mutineries
À titre d’exemple, des mutineries parmi les forces espagnoles lors de révoltes aux Pays-Bas entre 1573 et 1576 exposèrent de manière flagrante les faiblesses de l’État espagnol et celles de tout l’édifice impérial espagnol en tant que tel. Les mercenaires engagés par l’Espagne avaient essentiellement une seule demande d’ordre pratique et leurs mutineries peuvent être perçues comme une forme violente de grèves, étant donné que les unités espagnoles recevaient régulièrement leurs soldes avec deux ou trois années de retard. Il est même rapporté, dans ce même contexte, que des unités de cavalerie avaient reçu leurs soldes avec six années de retard.
Ajoutons à cela les coûts très élevés que dut payer la couronne espagnole au cours de cette campagne hollandaise. Les coûts pour le seul maintien des forces espagnoles sur ce théâtre d’opérations étaient estimés à 1,2 million de florins par mois, mais le trésor militaire sur le terrain ne percevait de l’Espagne que le quart de la somme nécessaire. Cela affecta par conséquent le paiement des soldes. L’État espagnol était d’avis que ce déficit soit couvert par des levées de taxes sur les populations locales, par des emprunts (volontaires ou forcés) ou par le pillage.
Au-dessus de tout cela, l’incohérence administrative et la corruption endémique firent qu’il était impossible de déterminer précisément ce qui était dépensé et à quel endroit les sommes avaient été versées. À la même époque, en 1574, une autre mutinerie des forces espagnoles à Anvers fut réglée selon des principes que les spécialistes en négociations pourraient reconnaître de nos jours, à savoir que l’on pourrait régler un problème en exploitant les divisions internes d’une des parties concernées. En clair, la couronne espagnole consentit à payer pour la moitié des demandes des mutins, en échange d’une admission de la part des soldats à l’effet que ceux-ci s’étaient déjà « autopayés » en exploitant les richesses du pays, notamment par le pillage. Cette solution à la crise fut désastreuse pour l’Espagne. Elle vida le trésor, créa de la rancune parmi des troupes déjà indisciplinées, puis l’État espagnol se mit évidemment à dos toute la population des Pays-Bas.
Le danger omniprésent d’une mutinerie dans les armées mercenaires amena les puissances européennes à développer des armées professionnelles dont les rangs seraient garnis de volontaires qui acceptent de servir à long terme. Bien que cela pouvait atténuer les dangers de mutineries, ou du moins de les rendre beaucoup plus gérables, il y avait des craintes voulant que cela amène l’avènement d’une société militaire détachée du corps de la société civile. C’est du moins l’observation qu’en fit Carl von Clausewitz dans le contexte des guerres révolutionnaires en France à la fin du XVIIIe siècle.
On remarque une situation analogue au moment de la révolte des Cipayes en Inde en 1857-1858. Servant comme soldats dans la Compagnie anglaise des Indes orientales (East India Company), une entreprise commerciale empreinte d’une forte sous-culture militaire, les Cipayes étaient en rébellion ouverte contre l’autorité britannique. Les rebelles cipayes défièrent directement la domination impériale britannique. Leurs actions consistaient à transcender les rivalités locales (qu’exploitaient les Britanniques) afin de développer ce qu’on aura pu appeler plus tard une première émergence d’un nationalisme indien. C’est à la suite de l’écrasement par Londres de cette mutinerie-rébellion que l’on finit par créer une véritable Armée indienne administrativement centralisée, au lieu de maintenir une organisation décentralisée en petites compagnies comme ce fut le cas auparavant.
Une scène d'exécution de mutins peinte par le controversé artiste Vassili Verestchagin lors de la révolte de Cipayes en Inde en 1857-1858. Chaque mutin est attaché sur l'embouchure d'un canon qui ouvrira le feu. Mythe ou réalité? Il y a assurément une marge à considérer, d'autant qu'ici, les soldats britanniques portent des uniformes datant des années 1880.
La guerre de 1914-1918: l’ambigüité idéologie et l’impasse militaire
La dimension politique à la base de nombre de mutineries s’observe particulièrement au XXe siècle, surtout pendant la Première Guerre mondiale. Entre 1914 et 1918, la logique implacable de la discipline militaire frappa de plein fouet une autre logique, tout aussi implacable, celle de la guerre des tranchées. Par conséquent, devant l’horreur des combats et les pertes effarantes, tous les belligérants majeurs du continent européen souffrirent de crises militaires attribuables en partie à la chute partielle ou complète du moral dans les armées.
La chute du moral dans les armées consiste en une forme beaucoup plus dissimulée de mutinerie. Cela se produisit dans l’armée italienne après le désastre militaire de Caporetto en novembre 1917, dans l’armée britannique en mars 1918, de même que dans les armées allemande et austro-hongroise à la fin des hostilités. Des mutineries beaucoup plus ouvertes survinrent dans l’armée impériale du tsar de Russie en février 1917, tout comme dans l’armée française en juin de la même année, puis dans la marine allemande à l’automne de 1918. En d’autres termes, les mutineries survenues dans les différentes armées influencèrent directement le cours des événements de la guerre de 1914-1918.
L'armée italienne bat en retraite après le désastre de la bataille de Caporetto (actuelle Slovénie) d'octobre-novembre 1917. Au cours de l'engagement, les forces italiennes perdirent plus de 260,000 soldats faits prisonniers.
Par exemple, en mai et juin 1917, dans le contexte de l’offensive ratée du général Robert Nivelle au Chemin des Dames, des unités éparses réparties dans la moitié des divisions de l’armée française refusèrent à un moment ou un autre, en un lieu donné ou un autre, de monter occuper leurs places dans les tranchées. Cela dit, l’étude de l’historien français Guy Pedroncini fournit l’explication « militaire » classique de ces mutineries en plaçant au cœur de sa thèse le rôle apparemment primordial qu’aurait joué le général Philippe Pétain, le nouveau chef d’état-major des armées françaises.
Toujours selon Pedroncini, Pétain tenta de colmater les brèches d’indiscipline qui affectaient la moitié des unités françaises par une série de mesure tirées du sens commun. Pétain apporta certes d’importantes réformes dans le régime alimentaire, de même que dans le régime des permissions. À cela, Pétain avait promis aux troupes que celles-ci ne seraient pas engagées dans de coûteuses offensives, tant et aussi longtemps qu’un nombre suffisant de chars d’assaut pour les protéger seraient disponibles et que des renforts américains arrivent pour relever ces soldats éprouvés.
Pedroncini précise que les soldats français n’en demandaient pas plus. Cela amena certains historiens par la suite à déduire que les mutineries dans l’armée française relevaient davantage d’une forme de grève, comme si, à l’instar d’ouvriers, les soldats avaient temporairement cessé leurs activités en attendant une amélioration de leurs conditions de « travail ». Selon ce point de vue, les soldats français auraient importé dans l’armée des pratiques courantes de protestations du monde du travail de la société civile. D’autres historiens contestent cette thèse, sur le principe que les soldats ne sont pas (ou ne sont plus) des travailleurs attablés à la production, mais davantage à la destruction.
La plupart des grèves ont déjà leurs scénarios bien rédigés et tout le monde sait qu’éventuellement, les ouvriers retourneront au travail. Cette présomption avait notamment traversé les esprits des dirigeants espagnols lors de la mutinerie d’Anvers de 1574 que nous avons évoquée. Les soldats pouvaient contester leurs faibles soldes, mais de toute façon, ils ne seront pas plus payés maintenant, peut-être seulement dans deux ou trois ans. Alors, mieux vaut retourner au travail.
Célèbre cliché montrant le général Henri-Philippe Pétain discutant avec des soldats à l'époque des mutineries de l'été 1917.
Cependant, cette présomption peut être aisément critiquée lorsque l’on aborde le cas de soldats-citoyens, dont l’engagement moral personnel et la conviction de chacun à la cause constituent des éléments essentiels pour mener à terme une guerre moderne et totale. Qui plus est, lorsque la contestation, dans ce contexte précis, vient de soldats-citoyens qui s’en prennent directement à l’autorité étatique, cela rend d’autant plus caduque la présomption voulant que l’État feigne d’ignorer leurs revendications. La situation dans la France de 1917 était en tous points différente de celle des Pays-Bas de 1574.
Pour poursuivre avec le cas français, une explication alternative pourrait se concentrer sur la dynamique particulière des mutineries, à mettre en lien avec l’identité politique des soldats français qui sont nés et qui ont grandi sous la Troisième République. Le général Pétain et son état-major semblent surtout avoir répondu à une situation politique d’importance dont les racines étaient logiquement ancrées en bas, dans cette population en uniforme. C’est en partie dans ce contexte que les soldats français mutins cherchèrent des forums dont les meneurs pouvaient étaler leurs idées.
Par exemple, les gares de train ou autres lieux de dépôts et d’embarquements servaient de points de ralliement. Par conséquent, des groupes de soldats refusèrent d’obéir à des ordres de dernière minute les enjoignant à remonter en ligne et certains préférèrent manifester bruyamment leur opposition à la guerre. Devant ces faits, Pétain et le haut commandement français choisirent de ne pas affronter directement les mutins. Ce choix sembla judicieux, dans la mesure où le commandement français n’avait tout simplement pas assez de troupes fiables pour réprimer les manifestations par la force, même s’il avait décidé d’aller de l’avant avec cette option. En l’absence de mesures coercitives externes, seules des mesures internes basées non pas sur la négociation, mais sur l’imposition d’expédients censés améliorer immédiatement la situation des soldats feraient l’affaire.
Des mutineries dans un contexte démocratique
Selon ce point de vue, les mutineries dans l’armée française se comprennent mieux dans un contexte où étaient mis face à deux composantes paradoxales de leur identité citoyenne, soit la démocratie directe et celle par voie de représentation. Pour sa part, la démocratie directe autorise une résistance traduite dans une plus large expression politique, comme ce fut le cas lors de la Révolution française de 1789. Un peu comme les mutins de 1917, ceux de 1789 demandaient des améliorations pragmatiques qui tournaient autour de la qualité du régime alimentaire et des permissions. Ce qui est étonnant dans le contexte de la Révolution, et qui était à la fois contradictoire parmi les demandes des soldats, c’est que l’imposition éventuelle d’une paix immédiate aurait rendu caduque leur demande d’une amélioration du régime des permissions.
Malgré tout, on retient que les demandes des soldats illustrèrent l’importance qu’ils accordaient à la forme représentative de gouvernement. Les soldats demandaient à leurs officiers qu’ils disent à leurs représentants à la Chambre des Députés qu’ils en avaient assez de cette situation. L’importance pour les soldats de faire valoir leur identité citoyenne n’est nullement exagérée dans ce cas-ci. Ce faisant, ils confirmaient la légitimité des institutions républicaines, de même que celle des députés qui les représentaient. Comme démocratie représentative, la Troisième République existait en chacun d’eux et elle traduisait dans leur esprit la manière dont fonctionnait le jeu politique. La République avait fixé les frontières de l’imaginaire politique des mutins. En d’autres termes, l’identité républicaine portait en son sein les moyens de sa propre coercition interne. Elle permettait l’obéissance comme la mutinerie.
La situation dans la Russie impériale
Avec le recul, le contraste des mutineries dans l’armée française de 1917 ne pouvait être plus prononcé que celles observées dans l’armée impériale russe à la même époque. Les soldats du tsar qui partirent à la guerre en août 1914 avaient dans leurs bagages deux anciennes (et conflictuelles) images de l’autorité.
Les soldats russes venaient pour la plupart de la campagne, où ils grandirent dans la relation contraignante entre le paysan et le seigneur (ou le patron propriétaire terrien). En clair, une fois incorporé dans l’armée, l’obéissance à l’officier avait remplacé celle au seigneur. L’autorité de l’officier était incontestable et souvent capricieuse. Le soldat n’avait qu’à s’y soumettre, dans l’espoir que la vie lui serait plus favorable dans un autre monde.
Face à cette image d’autorité se trouvait celle du tsar, cette figure quelque peu mythique, ce « père des peuples de Russie » dont la bonté imaginée était constamment trahie par l’autorité béate de ses officiers subordonnés. La situation du soldat russe en 1914 était la conséquence d’un immobilisme existant depuis plusieurs décennies. Peu de changements étaient survenus à travers les réformes du XIXe siècle, notamment celles visant à donner au soldat un nouveau statut plus « moderne » face à la société civile. En clair, le soldat n’était rien comme individu, ou très peu.
Des soldats russes lors de la Première Guerre mondiale.
D’ailleurs, la situation conflictuelle des deux autorités (celle de l’officier et celle du tsar) s’était observée lors de la révolution de 1905-1906. Les soldats s’étaient mutinés une journée, puis ils avaient ouvert le feu sur la foule le lendemain, selon sur quelle ancienne figure d’autorité ils croyaient la plus puissante. Plus tard, en 1914, les soldats de l’armée impériale entrèrent dans la guerre sans nécessairement être incorporés dans un modèle national de société à la française (du moins dans la compréhension occidentale que nous en faisons). Cela aura de graves conséquences.
À cet égard, la conception impériale de l’identité politique russe s’avéra inadaptée dans un contexte de guerre totale entre États-nations modernes. De plus, le tsar Nicholas II empira les choses lorsqu’il décida de prendre personnellement le commandement de son armée en 1915. Ce faisant, il fixa la bannière de son autocratie sur le mât plus que chancelant des piètres performances de l’armée sur le terrain. Tous virent que le tsar était une personne faillible, car en prenant les rênes de l’armée, le tsar avait en quelque sorte enlevé la barrière qui créait la démarcation mythique si importante à sa légitimité. La conséquence fut une mutinerie qui entraîna la chute du régime impérial. La coercition externe cessa d’exister lorsque le pouvoir s’effondra.
En dépit de la dégradation de la situation militaire, et contrairement à ce qui se passa dans l’armée française, les mutineries dans l’armée russe n’ont rien à voir avec une ou des défaites particulières qu’elle aurait subies. En fait, le premier facteur qui entraîna des mutineries ne concerne pas directement le champ de bataille, mais plutôt le front intérieur, dans la mesure où il y eut une crise majeure du ravitaillement des villes. Dans ces circonstances, Nicholas accéléra la désintégration de son autorité à la fin de février 1917 lorsqu’il ordonna aux garnisons d’ouvrir le feu sur les civils pour mettre un terme aux émeutes.
Nicholas avait probablement pris la pire des décisions en ces circonstances et, par surcroît, il utilisa le pire instrument pour ce faire, à savoir son armée. Les garnisons militaires des villes comprenaient deux types de soldats, qui n’étaient peut-être pas les « meilleurs » pour s’atteler à cette tâche sinistre. D’abord, les garnisons étaient composées de vétérans blessés revenus du front, puis de recrues sans trop d’expérience, ni d’entraînement. Ces deux catégories de soldats étaient plus enclines à sympathiser avec la foule qu’avec les officiers qui leur ordonnaient de tirer. Par conséquent, dans l’ensemble, les garnisons refusèrent d’ouvrir le feu sur la foule, ce qui provoqua une crise qui entraîna quelques jours plus tard la chute du régime tsariste.
La Révolution russe
Avec la fin du pouvoir impérial, et la question systémique de l’autorité dans l’armée post-tsariste, les soldats n’avaient plus réellement de notions sur à qui ou à quoi ils devaient être loyaux. En d’autres termes, quiconque parviendrait à remobiliser les identités civiles et militaires pourrait en quelque sorte prétendre au pouvoir en Russie. On crut, pendant un certain temps, que le nouveau chef du gouvernement provisoire Alexandre Kerensky aurait pu garder la Russie dans la guerre européenne.
Vu ainsi, Kerensky avait à l’esprit le souvenir des armées françaises de l’An II de la Révolution. En effet, en 1793-1794, la Révolution était parvenue à lever et entretenir l’une des plus puissantes machines militaires que le monde ait connues. D’une certaine manière, Kerensky voulut que l’Histoire se répète en transformant le soldat tsariste en un soldat-citoyen, et ce, en l’espace d’à peine quelques mois dans une république russe émergente, mais en pleine débâcle.
Les tentatives de Kerensky échouèrent en partie à cause d’une source alternative d’autorité qui naquit à l’intérieur même de l’armée au moment où s’implantait le gouvernement provisoire. Il s’agissait des conseils de soldats, communément appelés soviets. Ces conseils devaient gérer des dossiers aussi divers que nombreux allant de la distribution de la nourriture à la justice militaire, dans l’optique de poursuivre la guerre contre les Allemands. En ce sens, les soviets constituèrent une mutinerie institutionnalisée.
Dans une tentative maladroite d’affermir son pouvoir, notamment face aux soviets, Kerensky ordonna une nouvelle offensive sur le front en juin 1917, à la même époque où Pétain ramenait l’ordre dans l’armée française. Face à ses nouveaux soldats-citoyens, Kerensky avait de bien plus grandes attentes que ce que pouvait avoir le gouvernement français sur ses propres troupes. Dans le cas russe, la légitimité n’était pas au rendez-vous. À l’automne, le gouvernement provisoire « républicain » était déjà chose du passé.
Seuls les bolcheviques dirigés par Vladimir Lénine, un autre Russe qui avait été éduqué à l’européenne, comprirent toute l’ambivalence des rapports entre l’autorité de basse échelle représentée par les officiers, puis celle de niveau supérieur constituée par l’État. Néanmoins, le défi de ramener l’ordre dans l’armée demeurait constant et problématique. Pour une majorité de soldats russes à l’été et à l’automne de 1917, la loyauté signifiait d’abord la loyauté envers son village ou sa région natale. La possession d’une terre accompagnée de la paix représentait davantage que le fait de savoir si la Russie allait perdre ou non la guerre.
Déjà pourris, les rapports entre les officiers et les soldats russes se dégraderont davantage pendant la Révolution, si bien que les soviets finiront par prendre le contrôle de ce qui restait de l'armée en 1917. Les Soviétiques voudront remodeler cette armée pour la conformer à leurs idéologies.
Il était techniquement impossible de ramener l’ordre et la discipline dans l’armée russe en 1917. En effet, comment faire cesser les mutineries dans un pays qui lui-même est dans le chaos? La Russie tsariste était morte et aucune nouvelle Russie ne parvenait à s’établir et répondre aux doléances des soldats. C’est d’ailleurs ce qu’avaient compris les bolcheviques qui s’empressèrent par tous les moyens de fournir aux citoyens des terres et, par-dessus tout, la paix.
C’était leur façon de consolider leur mainmise du pouvoir et de compter sur l’appui des soldats dans la lutte contre les ennemis de la Révolution en ce début de guerre civile. Une fois la paix revenue au début des années 1920, les bolcheviques purent procéder au modelage d’un nouveau citoyen et d’un nouveau citoyen-soldat selon leur modèle idéologique. Alors que l’Union soviétique prenait forme, les soldats comme les ouvriers devinrent les piliers de la dictature prolétarienne.
Au lendemain de la Grande Guerre
Des mutineries à grande échelle telles qu’on en connut pendant la Première Guerre mondiale appartiennent à cette époque. La guerre de 1939-1945 n’engendra jamais cette combinaison résultant d’une ambigüité idéologique et d’une impasse militaire qui s’avéra si volatile pendant le précédent conflit.
Il y eut par exemple un début de mutinerie qui affecta environ 1,000 soldats britanniques dans le contexte des opérations de l’invasion de l’Italie en 1943. Le litige concernait des soldats blessés en convalescence à qui on avait promis qu’ils retourneraient dans leurs unités d’origine, mais ceux-ci furent transférés dans un tout autre corps. D’ailleurs, sur un plan purement hypothétique, on aurait pu extrapoler à plus grande échelle une situation où, par exemple, des armées alliées d’Europe auraient appris en 1945 qu’elles iraient combattre au Japon ou en Chine. Il est probable qu’une majorité de soldats aurait résisté à l’autorité militaire, dans ce cas sur la base d’un argumentaire essentiellement politique.
Cependant, des exemples plus récents (et réels) de mutineries ont existé. On pense entre autres aux officiers de l’armée française en Algérie qui complotèrent contre les autorités civiles en 1958 et en 1961. Ceux-ci provoquèrent en effet une importance transformation politique qui vit le renversement de la IVe République et la naissance de la Ve. Quelques années plus tard, au Vietnam, la forme la plus violente de protestation de la part des soldats américains vint contre ces officiers ou sous-officiers un peu trop zélés, qui furent victimes d’« accidents » dans l’exercice de leur autorité.
En général, la guerre au XXe siècle, et particulièrement au lendemain de la Guerre froide, devint plus intensive en terme de capital monétaire et moins en terme d’investissement personnel (au sens moral du terme). La haute technologie signifiait une amélioration corollaire du professionnalisme, si bien qu’on aspire à forger un soldat idéal qui ne serait plus soumis aux vices de la mutinerie. Dans ses formes historiques reconnaissables, que ce soit sous les habits de la grève ou comme prélude à la révolution, la mutinerie semble avoir décliné, mais elle constitue un phénomène qui n’est jamais appelé à disparaître.
Représentation de soldats américains lors de la guerre contre le Mexique (vers 1846-1848).
La Guerre américano-mexicaine de 1846 à 1848 peut être considérée comme la première guerre à l’échelle internationale menée par les États-Unis dans le contexte de la Destinée manifeste. Défendue par les démocrates-républicains sous la direction du président James Polk, la Destinée manifeste était une idéologie impérialiste disant que la nation américaine avait une « mission divine », c’est-à-dire étendre à l’Ouest la « civilisation » et la « démocratie ».
À cet égard, le président Polk provoqua délibérément un différend frontalier avec le Mexique, dans le but de s’emparer du territoire du Nouveau-Mexique et de la Californie. De plus, le Mexique n’avait jamais accepté l’indépendance du Texas, ni ses prétentions sur les cours d’eau du Rio Nueces et du Rio Grande. Suivant l’annexion du Texas par les États-Unis au début de 1845, une mission d’« observation » de l’armée américaine sous les ordres du général Zachary Taylor quitta la Louisiane pour se rendre sur le Rio Nueces.
Le premier accrochage avec les forces mexicaines eut lieu en mai de l’année suivante, où 3,700 Mexicains attaquèrent la force de Taylor composée de 2,300 soldats. Les Mexicains furent repoussés à Palo Alto puis défaits à Resaca de la Palma, ce qui les forcèrent à se replier derrière le Rio Grande. Par conséquent, le Congrès des États-Unis déclara officiellement la guerre au Mexique le 13 mai 1846.
Carte des opérations de la Guerre américano-mexicaine. (Cliquez pour un agrandissement.)
Les intrigues politiques: le rôle d’Antonio Lόpez de Santa Anna
Hormis les incidents mentionnés précédemment, la Guerre américano-mexicaine débuta d’une manière encore plus sombre et dissimulée. En effet, les agents du président Polk encouragèrent le retour au Mexique de l’ancien dictateur en exil Antonio Lόpez de Santa Anna en août 1846. Dans le but probable de rétablir sa réputation, ce dernier consentit à un arrangement avec le gouvernement américain. Les principaux termes stipulaient que les forces américaines iraient occuper les points stratégiques de Saltillo, Tampico et Vera Cruz afin de lui assurer une base pour reprendre le pouvoir, puis Santa Anna vendrait aux États-Unis les territoires qu’ils réclamaient pour la somme de 30 M$.
Antonio Lόpez de Santa Anna.
Parallèlement, devant la faiblesse militaire et l’instabilité politique du Mexique, Santa Anna avait offert ses services « militaires » au président en fonction Gómez Farías afin de repousser l’invasion étrangère. Désespéré, le gouvernement mexicain accepta l’offre de Santa Anna qui, rappelons-le, négociait secrètement avec les États-Unis pour la vente des territoires mentionnés. Évidemment, aux yeux de plusieurs, Santa Anna passa pour un traître à sa patrie, mais celui-ci savait que le Mexique n’avait pas les moyens de garder les territoires convoités par les Américains. Or, une fois arrivé au pouvoir, Santa Anna brisa ses deux engagements (son coup d’État contre Gómez Farías et la guerre contre James Polk) et il dirigea ouvertement la lutte contre les États-Unis.
Le long du Rio Grande
Entre temps, sur le terrain, les territoires du Nouveau-Mexique et de la Californie tombèrent rapidement aux mains des forces américaines commandées par le général Stephen Kearny. Sur ses arrières, une révolte des Indiens Pueblo et de Mexicains non soumis fut écrasée par le général Sterling Price en janvier 1847, tandis que le colonel Alexander Doniphan dirigea ses 700 volontaires du Missouri contre les puissants Navajos. Par la suite, Doniphan marcha vers le Mexique sur un terrain difficile où il finit par vaincre un ennemi mexicain plus nombreux et bien abrité dans la ville de Chihuahua.
Sur le front du Rio Grande, le commandant mexicain local ignora les ordres de retraite vers Saltillo émis par Santa Anna et préféra se retrancher dans Monterrey. C’est alors que le général Taylor prit d’assaut cette ville en septembre 1846, mais il autorisa les défenseurs mexicains à battre en retraite à l’intérieur de leur pays. Ce qui amena Taylor à prendre cette décision reposait sur sa conviction qu’une invasion à partir du nord vers Mexico City n’était pas viable et il préféra repousser l’ennemi derrière ses frontières afin, notamment, de gagner du temps pour refaire ses forces. En effet, l’armée de Taylor était minée par les désertions (tout comme l’armée mexicaine), si bien qu’à elle seule, sa force encaissa la plupart des 9,000 désertions que subit l’armée américaine au cours de la guerre. Taylor perdit aussi autant d’hommes qui refusèrent de se réengager ou qui furent expulsés de l’armée en raison de problèmes d’indiscipline que l’armée peinait à gérer.
Probablement mis au fait des problèmes dans l’armée de Taylor, et aussi en raison que celui-ci s’apprêtait à détacher une partie de sa force pour une expédition maritime contre Vera Cruz, Santa Anna décida de lancer un assaut en février 1847 avec ses 15,000 hommes. À Buena Vista, au sud de Saltillo, la force supérieure en nombre de Santa Anna parvint à faire reculer les quelque 5,000 hommes de Taylor. Plutôt que d’entamer la poursuite, Santa Anna préféra à son tour battre en retraite et le théâtre d’opérations allait se transformer de manière à favoriser des actions de guérilla sans lendemain.
Représentation de la bataille de Monterrey (septembre 1846). Les forces américaines font mouvement vers la cité.
Le débarquement à Vera Cruz
Santa Anna craignait à juste titre une invasion ennemie par la mer, ce qui arriva par la capture initiale de Tampico par la marine américaine, puis le débarquement d’une expédition à Vera Cruz par les forces du général Winfield Scott en mars 1847. Ce port tomba après un bombardement de vingt jours. À Cerro Gordo à la mi-avril, une place forte aménagée par Santa Anna visant à maintenir les Américains dans les basses terres fut prise de flanc avec un minimum de pertes dans les rangs de ces derniers.
Le débarquement de troupes américaines à Vera Cruz (mars 1847).
De Vera Cruz, la force expéditionnaire américaine ne rencontra que peu de résistance organisée entre la plage et Mexico City, la capitale. Le 20 août 1847, les forces de Santa Anna furent défaites lors des batailles de Contreras et Churubusco. Ce dernier affrontement vit une résistance quasi fanatique offerte par des déserteurs d’origine irlandaise qui combattit avec Santa Anna dans le régiment San Patricio (Saint-Patrick). Les dernières résistances mexicaines furent éliminées à Molino del Rey le 8 septembre, de même que le fort de Chapultepec tomba cinq jours plus tard.
Au cours de ces dernières batailles autour de Mexico City, les Américains n’ont jamais aligné plus de 11,000 hommes face aux 30,000 défenseurs mexicains (soldats réguliers et partisans). Ces derniers subirent des pertes avoisinant les 7,000 hommes, sans compter les quelque 3,000 Mexicains qui capitulèrent. Pour leur part, les Américains avaient perdu un peu plus de 3,000 soldats tués, blessés et disparus.
Des soldats américains dans Churubusco (1847).
Le bilan
Le Président des États-Unis de l'époque: James Polk.
En tout, les forces américaines perdirent 5,800 hommes sur les champs de bataille, mais environ 11,500 tombèrent en raison de la maladie, ce qui représentait un peu plus de 20% des effectifs engagés. Néanmoins, les États-Unis remportèrent la guerre contre le Mexique et il est probable que la campagne qui se livra à partir de la plage de Vera Cruz fit la différence. D’ailleurs, les qualités militaires du général Winfield Scott furent louangées. Cependant, le président Polk vit la chose différemment et il dénigra les accomplissements de son général. Il y avait assurément une rivalité entre les deux hommes, si bien que Scott reçut l’ordre de rester au Mexique, alors que le général Taylor fut invité à parader devant le président.
La Guerre américano-mexicaine fut conclue par le traité de Guadalupe Hidalgo signé le 2 février 1848. Les États-Unis obtinrent le plein contrôle de l’actuel Texas et la frontière avec le Mexique fut fixée sur le Rio Grande. De plus, le Mexique dut abandonner ses prétentions sur les actuels États américains de la Californie, du Nevada et de l’Utah, de même que sur de larges parties du Colorado, de l’Arizona, du Nouveau-Mexique et du Wyoming. En échange, le Mexique reçut néanmoins une somme avoisinant les 20M$ pour ces territoires, ce qui représentait moins de la moitié du montant initialement offert par les États-Unis avant le début des hostilités.
Daguerréotype montrant des artilleurs américains dans la région de Buena Vista (nord du Mexique) vers 1847. La Guerre américano-mexicaine figure probablement parmi les premiers conflits à avoir été photographié.
Le concept d’une arme à feu capable de tirer rapidement de multiples coups sans avoir à la recharger remonte à aussi loin que le début de l’apparition de ces armes sur les champs de bataille. On peut même dire que cette idée de tirer plusieurs coups à cadence rapide constituait le postulat à la base de l’invention des armes à feu.
Des armes pouvant tirer en volées, avec de multiples petits canons disposés en parallèle en forme d’éventail, ou regroupés en une sorte de grappe, étaient le mieux que pouvaient fabriquer les ingénieurs à l’époque des fusils à silex et à rechargement par le canon. Par conséquent, il apparaissait évident que la meilleure arme à tir rapide et multiple que l’on pourrait fabriquer devrait être rechargée autrement que par le canon. À l’instar de l’invention d’armes à rechargement par la culasse, le développement de cartouches uniformes (qui contenaient l’étui, la poudre et l’ogive) s’avéra un élément déterminant dans la mise au point des mitrailleuses depuis. Les premiers fusils à percussion étaient sans doute meilleurs que ceux à silex, mais ce fut véritablement l’apparition du concept de rechargement via la culasse (et non par le canon) qui fit tomber les dernières barrières à la mise au point du tir multiple à cadence rapide.
Croquis de la mitrailleuse inventée par Wilson Agar vers 1860.
Le problème à la base de l’invention de la mitrailleuse reposait donc sur l’invention d’une cartouche qui contiendrait à la fois l’amorce et le corps de la balle. Cette combinaison fut testée sur une variété de mitrailleuses américaines opérées par manivelle dans les années 1850 et 1860. La plus efficace de ces premières mitrailleuses fut probablement celle de Wilson Agar, une arme qui ressemblait étrangement à un moulin à café. Une cinquantaine de ces mitrailleuses avaient été achetées par les forces de l’Union au début de la Guerre civile américaine pour la défense de Washington. Le surnom de « moulin à café » dérive de la trémie, ce réservoir en forme pyramidale installée sur le dessus de l’arme opérée par l’action d’une manivelle. Ce réservoir alimentait un canon en acier et il était préalablement rempli de cartouches chargées de poudre et d’ogives, le tout actionné à l’aide d’amorces.
L’époque de la manivelle
La mitrailleuse d’Agar fut dépassée par une autre, beaucoup plus efficace, inventée par Richard Gatling en 1861. Cette arme fut utilisée en quantités limitées et dans un but défensif pendant la Guerre civile. Comme la mitrailleuse d’Agar, et à l’image de la plupart des mitrailleuses qui seront mises au point au cours des trente prochaines années, la Gatling était opérée par l’action d’une manivelle. Contrairement à l’unique canon de la mitrailleuse Agar, la Gatling en avait six disposés autour d’un pivot central. Sous l’action de la manivelle, ces canons tournaient autour du pivot. Les cartouches s’inséraient dans la chambre, étaient tirées et les douilles éjectées de chaque canon.
La mitrailleuse à canons rotatifs inventée par Richard Gatling en 1861.
Avant l’apparition de la mitrailleuse automatique par Hiram Maxim dans les années 1880, la plupart des inventeurs firent des expériences sur des engins à canons multiples qui étaient actionnés par manivelle. Mis à part la célèbre Gatling, d’autres mitrailleuses à manivelle furent mises au point. On pense à celle de William Gardner, de même que la mitrailleuse Lowell (de son inventeur De Witt Farington of Lowell) et la Nordenfelt, une arme inventée par l’ingénieur suédois Heldge Palmcranz, mais financée par le banquier Thorsten Nordenfelt.
La mitrailleuse Gardner était équipée de deux canons côte à côte insérés dans un grand tube et ceux-ci étaient alimentés en cartouches par un grand chargeur fixé à la verticale sur la chambre de l’arme, à l’instar de la Gatling. Comme celle-ci, les cartouches « tombaient » dans la chambre, étaient tirées puis les douilles étaient éjectées, toujours par l’actionnement d’une manivelle. Cette mitrailleuse avait d’ailleurs été adoptée avec un succès relatif par la Royal Navy dans les années 1880.
La mitrailleuse à deux canons de William Gardner (1879).
Pour sa part, la mitrailleuse Lowell disposait de quatre canons avec une alimentation en cartouches similaire à la Gardner mais, en dépit de quelques ventes à la Russie et à la marine américaine, l’arme ne fut jamais une réussite. Quant à la Nordenfelt, celle-ci était généralement constituée de dix canons alignés parallèlement, mais leur nombre pouvait varier. Certains modèles de mitrailleuses Nordenfelt alignaient deux canons, d’autres pouvaient en utiliser douze. L’alimentation en cartouches s’opérait par la gravité, avec une trémie installée au-dessus de l’arme, le tout actionné par l’habituelle manivelle.
Une version à cinq canons de la mitrailleuse Nordenfelt.
La Nordenfelt pouvait tirer jusqu’à 100 cartouches par minute par canon, ce qui signifiait un potentiel de 1,000 cartouches tirées à la minute dans la version à dix canons. Cette mitrailleuse fut manufacturée selon différents calibres et elle fut adoptée par la Royal Navy en deux versions: un modèle à cinq canons de calibre de .45 pouce pour un usage antipersonnel, puis un modèle à quatre canons de calibre d’un pouce pour la défense contre de petites embarcations maritimes ennemies. La marine royale britannique utilisa donc trois types de mitrailleuses à actionnement par manivelle au cours de la période de 1870 à 1890: la Gatling, la Gardner et la Nordenfelt. Leurs usages pouvaient être à la fois offensifs et défensifs.
Exposition au début du XXe siècle en Angleterre des mitrailleuses Gardner, Maxim et Nordenfelt.
L’expérience européenne
De l’autre côté de la Manche, les inventeurs s’afférèrent à développer des mitrailleuses qui pourraient rivaliser celles produites en Amérique. Nous avons parlé de la Nordenfelt suédoise, mais d’autres modèles furent conçus en France et en Belgique, toujours sur le principe des canons multiples. À titre d’exemple, le Belge Joseph Montigny mit au point un engin qu’il vendit au gouvernement français. Il s’agissait d’une mitrailleuse à 37 canons (plus tard ramenée à 25 canons) capables de tirer tous les tubes à la fois ou procéder par sélection. En fait, cela dépendait de la vitesse avec laquelle la manivelle était opérée.
Croquis de la mitrailleuse ou du "canon à balles" mis au point par Joseph Montigny en 1863.
La mitrailleuse Montigny fut utilisée par l’artillerie française lors de la guerre franco-prussienne. L’idée de départ était bonne, à savoir l’utilisation de la mitrailleuse avec les canons en position défensive. Cependant, on se rendit vite compte que plusieurs d’entre elles furent détruites par le tir de contre-batterie de l’artillerie ennemie. Malgré tout, lorsqu’une mitrailleuse Montigny fut utilisée en appui de l’infanterie, comme ce fut le cas à la bataille de Rezonville/Gravelotte de 1870, celle-ci causa plus de 2,600 pertes chez les Prussiens, soit plus de 50% des forces faisant face à l’armée française. Il va sans dire que les Prussiens apprirent rapidement la leçon de cette douloureuse expérience.
La France adopta également la première mitrailleuse mise au point par la firme Hotchkiss dans les années 1880. Il s’agissait d’un canon rotatif de 37mm. Ce canon relativement efficace fut aussi acheté par diverses forces navales, comme celles de l’Allemagne, de la Russie, des Pays-Bas, de la Grèce et du Danemark. La mitrailleuse Hotchkiss s’opérait d’une manière similaire à celle de la Gatling, si bien qu’elle contribua à sa façon au développement accéléré dans le contexte de la course aux armements en cette fin de XIXe siècle.
Le "canon-revolver" Hotchkiss de 37mm mis au point en 1879. Le fonctionnement de l'arme est inspiré du mécanisme de la mitrailleuse Gatling.
L’ère Maxim ou le principe d’une arme automatique
Hiram Maxim posant avec sa mitrailleuse dans les années 1880. Il est considéré comme l'inventeur de la première mitrailleuse automatique telle qu'on la connaît de nos jours.
La décennie des années 1880 en fut une de transformations pour la mitrailleuse et, à l’instar de la Gatling, ce fut un Américain qui apporta une contribution décisive (même si ce furent les Européens qui en firent une réussite sur les champs de bataille). Le véritable inventeur de la mitrailleuse automatique, telle qu’on la connaît de nos jours, fut Hiram Maxim. Né dans le Maine de descendance huguenot, Maxim était un inventeur versatile qui avait connu du succès aux États-Unis avant d’émigrer en Angleterre au début des années 1880.
La mitrailleuse qui finit par porter son nom fut développée par lui entre 1883 et 1885. Maxim avait testé son arme devant un groupe d’officiers britanniques. Pour ce faire, il utilisa une cartouche de calibre .45 similaire à celle utilisée dans le fusil Martini-Henry, l’arme d’ordonnance de l’infanterie britannique de l’époque. Sa mitrailleuse était entièrement automatique, car elle alimentait son tir non pas par l’actionnement d’une manivelle, mais simplement par un mécanisme ingénieux qui n’était pas tombé dans l’œil des concepteurs d’autrefois. Maxim avait compris que la mitrailleuse devait s’alimenter en nouvelles cartouches à l’aide de l’énergie du recul séquentielle au tir pour éjecter l’étui et chambrer une nouvelle cartouche.
Une fois initialement armée et tirée, la mitrailleuse pouvait théoriquement fonctionner indéfiniment. L’énergie du recul faisait en sorte d’alimenter à lui seul la chambre avec de nouvelles cartouches, sauf si son utilisateur relâche la détente ou que l’arme s’enraye pour quelconques raisons. Capable de tirer jusqu’à 600 coups à la minute, la mitrailleuse Maxim disposait d’un seul canon qui était attaché à un réservoir d’huile pour permettre son refroidissement. De plus, la cadence du tir était conséquente au débit d’huile, de sorte que le canon ne surchauffe pas, car il risque de se déformer.
La version allemande de la mitrailleuse Maxim. La MaschineGewehr 1908, ou MG 08. Elle fut l'une des principales mitrailleuses utilisées par les Allemands pendant la Première Guerre mondiale.
Les Britanniques modifièrent la mitrailleuse Maxim afin d’adapter le canon pour accueillir la cartouche de calibre .303. Autrement dit, l’armée britannique allait acheter des mitrailleuses Maxim et en faire une arme d’ordonnance en 1889 et doter les premiers bataillons deux années plus tard. Pour leur part, les Allemands allaient également faire l’achat de la Maxim en 1899, de même que la Russie. Ces deux nations avaient acheté la licence afin de manufacturer cette mitrailleuse et la Russie fut la première à l’utiliser lors de la guerre contre le Japon en 1904-1905, avec des effets dévastateurs chez l’ennemi.
Les Britanniques avaient également eu des occasions de tester leur nouvelle acquisition lors de diverses guerres coloniales entre 1889 et 1895, face à des adversaires moins bien équipés. Lors de la Guerre des Boers de 1899 à 1902, un conflit remporté avec beaucoup plus de difficultés, les vainqueurs britanniques de même que leurs ennemis utilisèrent des mitrailleuses Maxim.
Le perfectionnement du principe
Il n’en fallut pas long afin de voir apparaître les premiers compétiteurs de la mitrailleuse Maxim. D’autres systèmes de tir automatique virent le jour à peu près à la même époque, soit au tournant du XXe siècle. Par exemple, l’Américain John Browning inventa une mitrailleuse à rechargement par emprunt de gaz, contrairement à l’énergie du recul chez Maxim. Dans le système de Browning, une partie du gaz sous pression généré par le tir de la cartouche sert à éjecter la douille et insérer une nouvelle cartouche dans la chambre. Ce système avait d’ailleurs été perfectionné par la compagnie Colt en 1895.
John Browning faisant la démonstration de sa mitrailleuse modèle 1917.
La même année, le manufacturier français Hotchkiss développa à son tour une mitrailleuse à emprunt de gaz, dont le même concept avait été inventé simultanément par l’Autrichien Adolph von Odkolek. Ce système fut adopté par l’armée française en 1897. En Autriche, la firme Skoda développa en 1888 une mitrailleuse dont le rechargement automatique était basé prioritairement sur un système dit « à court recul du canon ». Le principe étant que la culasse et le canon reculent ensemble lors du tir avant d’être séparés, puis la culasse continue seule son recul. Par conséquent, à la fin du XIXe siècle, les trois principaux systèmes de tir automatique des mitrailleuses avaient été mis au point: le recul, l’emprunt de gaz et le système à court recul du canon. Les nations continueront de les perfectionner lorsqu’éclatera la Première Guerre mondiale en 1914.
En haut, la mitrailleuse Skoda modèle 1909 avec un "cache-flamme" sur le canon.
La mitrailleuse: une arme parfaite?
Poser la question revient à y répondre, mais par la négative. En effet, la mitrailleuse était loin d’avoir un fonctionnement parfait. Les principaux problèmes étaient centrés sur le poids de l’arme, sa manœuvrabilité, sa versatilité, et par-dessus tout l’incertitude face à son emploi tactique sur les champs de bataille.
Le fusil-mitrailleur Lewis qui équippa les forces britanniques pendant la Première Guerre mondiale. Cette arme comprenait un chargeur de 47 cartouches et le canon était refroidi par un tube à condensation d'air. La version aérienne de la mitrailleuse Lewis ne disposait pas du tube et comprenait un chargeur à 97 cartouches.
En 1914, l’Allemagne et l’Angleterre partirent à la guerre avec des versions différentes, mais inspirées de la mitrailleuse Maxim. L’armée britannique était équipée de la mitrailleuse Vickers Mk. I et l’armée allemande de la mitrailleuse MaschineGewehr (MG) Modell 1908. La Vickers pesait 34 livres et la MG 08 44 livres. Ces poids n’incluaient pas ceux du trépied et d’autres équipements d’appoint, notamment les boîtes d’huile et celles des munitions. Il n’empêche, ces mitrailleuses provoquèrent des effets destructeurs sur les champs de bataille. D’ailleurs, pour ne prendre qu’un exemple, les Britanniques apprirent de dures leçons quant aux rôles de la mitrailleuse dans la guerre statique des tranchées. Autant les soldats devaient affronter cette arme avec respect, autant il était difficile de l’opérer au plan tactique, sans compter qu’une utilisation optimale de l’engin nécessitait un bon travail en équipe.
Le maniement d'une mitrailleuse lourde nécessiste un travail d'équipe. C'était particulièrement le cas lors de la guerre de 1914-1918. Une équipe de trois hommes était l'idéal: le tireur, le chargeur et l'observateur.
La guerre de 1914-1918 vit également l’apparition de modèles de mitrailleuses plus légères. Les Britanniques avaient adopté le fusil-mitrailleur Lewis et les Allemands avaient modifié la MG 08 et lui ajoutant une crosse d’épaule et un bipied. Ce nouvel engin fut rebaptisé la MG 08/15. Cependant, bien qu’étant plus légères, la Lewis et la MG 08/15 demeuraient lourdes et pour être utilisées de manière optimale, il fallait que le tireur soit assisté d’un autre soldat pour le fournir en munitions.
Une version plus légère de la MG 08 avec une crosse d'épaule, la MG 08/15.
De son côté, l’armée française suivit une voie similaire en adoptant pendant la guerre le fusil-mitrailleur Chauchat et la mitrailleuse Hotchkiss. Les deux modèles, mais surtout le premier, équipèrent notamment les forces américaines débarquées en France à partir de 1917. Aux États-Unis, la compagnie Browning poursuivit le développement de nouvelles mitrailleuses. La compagnie mit au point en 1917 une mitrailleuse lourde à refroidissement à l’eau qui vit du service en France l’année suivante. Cette mitrailleuse était dérivée du système d’emprunt à gaz et elle équipa entre autres les escadrons de l’aviation. Les avions de la Première Guerre mondiale étaient généralement équipés des mêmes mitrailleuses que l’infanterie, mais les modèles étaient allégés et conçus pour être refroidis par l’air. Les mitrailleuses montées sur les avions devaient être modifiées afin d’ajuster la cadence de leur tir aux cycles des hélices pour tirer au travers.
La mitrailleuse française Hotchkiss modèle 1914 alimentée par des cartouches fixées sur des plaques.
L’emploi tactique: un débat récurrent
Les leçons durement apprises par l’armée prussienne en 1870-1871 sous-tendaient le débat qui préoccupa les militaires européens de la période de 1880 à 1918 quant à l’emploi tactique de la mitrailleuse. Il était évident que la mitrailleuse s’avérait inefficace lorsqu’elle était utilisée comme une arme d’artillerie. Au niveau défensif, seule l’armée allemande semble avoir compris à partir de 1914 l’impact considérable de cette arme au niveau défensif.
Il suffisait alors de croiser le feu de plusieurs mitrailleuses afin de créer une véritable zone de mort infranchissable pour des troupes d’assaut. Ayant établi sa suprématie comme arme défensive lors de la guerre de 1914-1918, la mitrailleuse est largement responsable de l’impasse constatée sur les divers fronts de la guerre de tranchées, du moins jusqu’au moment de l’apparition du char d’assaut qui lui fit échec.
Les développements ultérieurs de la mitrailleuse après 1918 se sont principalement concentrés sur les questions du poids et de la puissance de feu. Ces deux facteurs devinrent révélateurs à mesure que les guerres de mouvement rapide impliquant une coopération serrée entre les forces terrestres et aériennes remplacèrent la brève expérience de la guerre statique vécue de 1914 à 1918.
La mitrailleuse américaine Browning de calibre .50.
Des mitrailleuses de haute puissance furent mises au point, en particulier pour répondre aux besoins des forces aériennes. Parmi ces armes, notons la mitrailleuse américaine Browning de calibre .50 qui fut employée dans les escadrons de chasse, dans les tourelles et fuselages des bombardiers, et même sur les chars d’assaut. Sur ce point, des munitions antichars furent introduites et leur usage fut étendu pendant la Seconde Guerre mondiale.
Après 1918: l’utilisation offensive de la mitrailleuse
La guerre de 1914-1918 avait vu une utilisation généralement défensive de la mitrailleuse. Ce fut surtout à partir de 1918 et dans la période de l’après-guerre que les militaires étudièrent le potentiel de la mitrailleuse à des fins offensives. En ce sens, l’Allemagne prit la direction avec le développement de mitrailleuses plus légères et de pistolets-mitrailleurs. À titre d’exemple, l’Allemagne adopta la MaschineGewehr 1934 (MG 34) l’année suivant l’accession de Hitler au pouvoir.
La MaschineGewehr 34.
La course renouvelée aux armements à la fin des années 1930 amena la mise au point de diverses mitrailleuses aux accents de légèreté. Les Britanniques adoptèrent la Bren, une mitrailleuse légère développée d’après des plans tchèques, avec une chambre pouvant accueillir la munition de calibre .303 des carabines et qui pesait seulement 22 livres. Pour sa part, la mitrailleuse allemande MG 34 avait été remplacée après 1942 par la MG 42, une arme opérée par emprunt de gaz à piston. Cette mitrailleuse d’une cadence de tir effarante de 1,200 coups à la minute avait de quoi tenir en respect ceux qui lui faisaient face.
Légère, la MG 42 ne coûtait pas cher à manufacturer et elle pouvait s’adapter à n’importe quelle condition sur le terrain. Une version spéciale de la MG 42 avait été dessinée spécialement pour les forces parachutistes sous le nom de FallschirmGewehr (FG 42). La MG 42 « survécut » à la Seconde Guerre mondiale, dans la mesure où nombre de mitrailleuses actuellement en service dans plusieurs armées du monde sont inspirées, sinon carrément copiées sur le modèle allemand.
La terrible MaschineGewehr 42 capable de tirer un maximum de 1,200 coups à la minute. Nombre de mitrailleuses actuellement utilisées dans les armées du monde sont inspirées de ce modèle de la Seconde Guerre mondiale.
La plupart des armées d’aujourd’hui possèdent des mitrailleuses relativement légères inspirées des modèles des années 1940. Par contre, des armes plus lourdes comme la mitrailleuse de calibre .50 et ses dérivés conservent toujours leurs rôles sur les champs de bataille. De plus, des mitrailleuses à « utilisations générales » d’un poids mitoyen furent également mises en service et celles-ci s’inspirent notamment de la célèbre MG 34 allemande. Le but étant de trouver une alternative aux mitrailleuses légères utilisées à l’offensive et celles pour lourdes à des fins défensives. Cependant, les tendances actuelles démontrent que la mitrailleuse légère semble avoir la préférence des armées, dans la mesure où elle constitue un efficace fusil d’assaut monté sur bipied afin de fournir un appui-feu immédiat au sein d’une petite section d’infanterie, à titre d’exemple.
Mitrailleuse ou canon? Le "Chain Gun" capable de tirer 4,000 coups à la minute.
Mis à part l’utilisation qu’en fait l’infanterie, la mitrailleuse est largement utilisée par d’autres branches des forces armées depuis au moins les quarante dernières années, comme au sein des forces blindées et des escadrons aériens (chasseurs et hélicoptères). Par exemple, le concept dérivé de l’ancienne mitrailleuse Gatling des années 1860 fut copié pour la mise au point d’une autre Gatling plus moderne que les Américains surnomment le « Chain Gun ». Cette arme dévastatrice équipe aujourd’hui les chars, les chasseurs et les hélicoptères, utilisant cette fois l’électricité comme force motrice avec comme résultat une terrible cadence de tir de 4,000 coups à la minute.
Tirer à la mitrailleuse demande un effort physique exigeant. En plus du bruit assourdissant, le tireur doit apprivoiser le recul de l'arme, gérer le stress du combat, réparer rapidement son arme en cas d'enrayement et respirer à travers les émanations de gaz provenant des cartouches éjectées et de la chambre.