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La pratique de la guerre au Moyen Âge : combats et systèmes militaires

Introduction

Combat d'infanterie au Moyen Âge.

Écrire sur la pratique de la guerre au Moyen Âge constitue un exercice somme toute difficile à accomplir, ne serait-ce parce qu’il faut couvrir environ mille ans d’histoire militaire, le tout condensé en un texte de quelques milliers de mots seulement. En effet, la période médiévale, avec ses organisations et systèmes militaires lui étant propres, représente un ensemble de caractéristiques qui engendrèrent des pratiques de la guerre particulières à la « civilisation européenne », pratiques que nous avons décidé d’aborder, et ce, d’une période vulgairement divisée entre la chute du Bas-Empire romain en 476 jusqu’à la chute de Constantinople près de mille ans plus tard, en 1453.

À cet égard, ces découpes historiographiques de la période demeurent évidemment arbitraires, dans la mesure où il est difficile d’établir des généralisations (chaque société et civilisation étant distinctes par principe, mais interconnectées dans la pratique). Cependant, nous tenterons de relever certains traits de la pratique de la guerre faisant en sorte que la période médiévale, sans nécessairement constituer une transition de facto entre l’âge du fer antique et l’avènement de l’arme à feu à la Renaissance, fut innovatrice à maints égards en ce qui a trait à l’objet de cet article.

De la chute de l’Empire romain

Le premier point que nous pouvons souligner, même s’il s’agit d’une évidence à première vue, est à l’effet que les phases initiales de la pratique de la guerre en Europe de l’Ouest médiévale s’inscrivent dans le contexte de la désintégration progressive de l’autorité romaine dans les siècles qui suivirent la chute officielle du Bas-Empire en 476. Certains seraient tentés de dire qu’il y eut effectivement une nette coupure entre la période marquant la déposition du dernier empereur romain, tandis que d’autres parleront davantage d’une transition sur plus d’un siècle, ce qui signifie que dans l’optique qui nous intéresse, la pratique de la guerre représente des éléments de continuités évidents, mais également des éléments de discontinuités quant aux stratégies, tactiques, armements, organisations des armées et ainsi de suite.

L’administration romaine de la fin du Bas-Empire au Ve siècle tenta tant bien que mal de maintenir une difficile cohésion sociétale, en particulier entre les éléments latin et germain, dont l’intégration de peuples « étrangers » fut par moment aisée, mais dans nombre de cas difficile, sinon hasardeuse. Comme stipulé, Rome parvint à certaines reprises à intégrer des étrangers à l’organisation de ses armées et, par la force des choses, le visage même de l’institution militaire romaine s’en trouva modifié à jamais, de même qu’au niveau de l’organisation politique et économique.

Représentation d'un soldat franc (début Xe siècle).

En comparaison avec ce qui se passa avant et ce qui se passera après, les institutions publiques de l’époque (Ve siècle) étaient simples et petites, reflétant du coup un appauvrissement de l’économie, un déclin visible de la production littéraire et, par-dessus tout, un fractionnement de l’autorité politique. Aux yeux des peuples qui migrèrent vers l’Ouest, peuples qui « barbarisèrent » le monde romain si l’on peut dire, les Goths, les Vandales, les Francs et autres peuples germaniques, et qui finirent par s’imposer sur ce qui restait d’autorité romaine, être un homme libre signifiait avant tout être un guerrier, comme être roi signifiait être chef de guerre. Dans cette optique, nombreux furent les riches propriétaires terriens de descendance romaine qui continuèrent à jouir de certains privilèges d’autorité sous la gouverne des nouveaux conquérants germains, notamment parce que ces mêmes propriétaires surent démontrer de quelconque façon leur soi-disant importance comme chefs militaires pouvant éventuellement aider les nouveaux maîtres à consolider leurs conquêtes. Avec le temps, les anciennes et nouvelles élites finirent par fusionner.

Au cours de cette période, les armées étaient formées de deux composantes principales. Il y avait des groupements de guerriers sous l’autorité du roi et de ses magnats, puis l’on pouvait par moment procéder à la levée de contingents composés d’hommes libres en une sorte de milice. Dans les faits, ce dernier groupe formé essentiellement de fantassins parut dominer la période, du moins en termes de nombres, surtout lorsqu’il fallut mobiliser des troupes à des fins défensives ou pour des actions offensives locales. Pour des campagnes prolongées en territoire ennemi, les forces recrutées et entretenues par le monarque et ses magnats semblent avoir constitué l’essentiel des contingents, bien qu’elles puissent avoir été renforcées de manière impromptue par des troupes conscrites localement. Ce phénomène s’observa entre autre durant la période carolingienne (VIIIe – Xe siècles) du Haut-Moyen Âge, où des groupes d’hommes pauvres furent conscrits non pas nécessairement pour leurs qualités guerrières, mais davantage pour diminuer les coûts monétaires des campagnes militaires. Il était donc ardu de lever de vastes contingents de troupes « professionnelles », riches et bien équipées, d’autant que celles-ci devaient défrayer les coûts de leurs montures, équipements et parfois même leurs ravitaillements. Nous étions loin de cette époque (romaine) où les soldats recevaient une solde et étaient armés selon les ressources disponibles venant d’un trésor public central.

Avec le temps, et pour toutes sortes de raisons, notamment à cause des vastes distances à parcourir lors des campagnes militaires sous les Carolingiens, la qualité déclinante de l’infanterie et celle de la cohésion relative des tribus germaniques finirent par soulever de plus en plus de doutes sur la pertinence d’employer des fantassins sur les champs de bataille, qu’ils soient conscrits ou non. De plus, l’amélioration constante des tactiques et des équipements relatifs au combat à cheval, une variante conséquente de l’introduction de l’étrier et de meilleures procédures d’élevage, n’annonça rien de bon pour l’avenir de l’infanterie, du moins à terme. Par ailleurs, le besoin d’une force mobile et puissante se fit sentir dans le contexte des invasions et des raids menés par les Vikings, les pirates musulmans et les réputés et dangereux cavaliers hongrois.

En clair, la cavalerie lourde finit par devenir l’élément le plus important du champ de bataille. Il est à noter par contre que cette prédominance émergente de la cavalerie lourde dès l’époque carolingienne ne signifia nullement la disparition de l’infanterie. Dans les faits, la balance entre le cheval et le fantassin à pied, en termes d’effectifs employés à cette époque, est toujours sujette à débat. Précisons toutefois qu’au moment où débute le IXe siècle en Europe, la prédominance de la cavalerie semble de plus en plus évidente, prédominance qui durera au moins jusqu’au XIVe siècle.

Refuge politique et refuge militaire : le château

Dans cette Europe de la période médiane médiévale (Xe – XIVe siècles), les miles (chevaliers) devinrent une force absolue sur les champs de bataille, mais leur emploi représenta tout un défi logistique, sans compter les coûts y étant associés. À titre d’exemple, le casque, les boucliers faits de métal, de bois et de cuir, le long haubert (une cotte de mailles couvrant le corps, sauf le visage et les jambes), l’épée et la lance, le cheval et bête de somme, la selle et l’entraînement de la monture représentèrent des dépenses importantes. Au XIIIe siècle, les coûts de tous ces équipements pouvaient facilement représenter les dépenses associées à l’élevage et à l’entretien de tout un troupeau de bêtes de somme. La maintenance d’un seul chevalier doté de tous ces accoutrements (et l’entretien de ses servants) signifia qu’il fallut un support logistique qui put coûter tout aussi cher, ne serait-ce, par exemple, que pour fournir le fourrage nécessaire aux bêtes de somme, la nourriture des servants et ainsi de suite.

Trouver les fonds nécessaires était donc un souci de tous les instants. Souvent, les seigneurs durent investir une partie de leur capital dans l’entretien de tels groupes de chevaliers, ne serait-ce que pour défendre leurs fiefs, desquels ils tirèrent justement des revenus administrés par des formes locales de « gouvernement ». Par extension, les chevaliers pouvaient être simultanément seigneurs, administrateurs et guerriers, les cas échéant.

Vers la fin du XIe siècle, la majorité des fiefs, qu’ils soient défendus par quelques chevaliers ou bien par une force combinée sous les ordres d’un grand baron, disposaient de châteaux comme principal élément défensif. Dans ce contexte, le château se trouva rapidement au cœur du système militaire médiéval, de même qu’au centre de la conduite de la guerre pendant cette période névralgique du Moyen Âge. Essentiellement, le château peut être considéré comme une résidence fortifiée, donc appartenant à des intérêts privés, ce qui fit du paysage militaire médiéval quelque chose de fondamentalement différent de ce qui précéda et suivit la période qui nous intéresse, en ce sens où des murailles constituèrent l’élément défensif protégeant des villes entières. Bien entendu, les anciennes murailles des cités ne disparurent pas totalement (elles demeurèrent même nombreuses), mais petit à petit, le château finit par les remplacer à partir de la période centrale du Moyen Âge et il fut assigné à différentes fonctions ou missions.

Croquis de profil d'une partie d'un château médiéval illustrant la difficulté, mais surtout la complexité logistique de toute opération de siège.

En effet, le seigneur pouvait utiliser le château comme abris d’urgence, que ce soit pour protéger ses sujets d’une attaque externe ou bien pour se protéger lui-même contre une éventuelle rébellion de la part de ceux-ci. De plus, le seigneur utilisait le château comme pièce maîtresse de sa stratégie militaire. Comme mentionné, le château constituait une plate-forme de choix pour diriger le tir contre un ennemi envahissant, surtout contre des tribus nomades qui effectuèrent des raids de manière quasi régulière (ex: les Vikings), ou encore pour lancer des assauts contre ses voisins immédiats, dans une sorte de « guerre privée » pour l’accaparement des richesses et la fixation des frontières. En clair, vue ainsi, la guerre privée à petite échelle était un phénomène endémique au Moyen Âge. Enfin, le château revêtait une fonction symbolique, mais non moins importante au plan politique. Il était objet d’affirmation du statut du lord dans la hiérarchie politico-sociétale de l’époque, en même temps qu’il suscitait la convoitise de voisins agressifs ou de prétendants soucieux de réclamer de supposés dus. Non sans surprise, la période médiévale connut une prolifération du nombre de châteaux et de fortifications de toutes sortes.

L’art de faire la guerre ou l’art de se ravitailler : le paradoxe médiéval

L’omniprésence de châteaux détenus par des intérêts privés rendit la gouvernance de certains territoires difficiles et leur conquête quasiment impossible par moment. Ainsi, on n’est pas surpris d’observer qu’au début de la période médiévale, l’essentiel de la pratique guerrière tourna autour des raids et des sièges. Dans ce cas précis, la troupe envahissante qui effectue un raid eut tendance à contourner tout point de résistance prolongé pour s’en prendre aux villages moins bien défendus, à brûler les récoltes, à s’emparer ou à tuer les bêtes de somme et les paysans rencontrés en chemin, ce qui nuisit assurément à l’effort de guerre d’un ennemi prit sur la défensive. En plus d’enrichir l’envahisseur, ces raids permirent d’empêcher l’accès du défenseur assiégé à ses ressources, le contraignant en principe à se soumettre aux demandes ennemies afin d’arrêter la dévastation sur le territoire.

Cependant, dans les régions disposant de plus importantes fortifications et de capacités accrues de stockages de ressources, les grands raids (appelés chevauchées) devinrent moins efficaces que ce qu’ils n’avaient été auparavant. Si un ennemi assiégé ne pouvait être contraint de capituler en raison de la destruction de ses ressources, la capture méthodique de châteaux ou de grandes places fortifiées pouvait a contrario parvenir à le soumettre. Malgré tout, la réalité fut que dans bien des cas, le défenseur se trouva avantagé, si seulement il utilisait ses ressources de façon optimale et qu’il savait gagner du temps. Par exemple, les efforts déployés par le plus habile et agressif des envahisseurs pouvaient être réduits à néant si la durée du contrat d’engagement de ses troupes arrivait à terme avant que l’objectif ne soit pris, que le trésor soit vide au moment de payer la solde, que la maladie ne fasse ses ravages habituels, que les bêtes ne reçoivent pas le fourrage nécessaire et ainsi de suite. Encore une fois, tous ces pépins peuvent survenir avant même que l’offensive ne soit enclenchée.

Naturellement, tous ces problèmes existaient à une époque antérieure, disons lors de la transition entre les périodes antique et médiévale. Par contre, les effets liés à l’accroissement du nombre de châteaux et de forteresses quelques siècles plus tard ne firent que doubler le niveau de difficulté auquel l’envahisseur dut faire face dans son entreprise de conquêtes. D’autre part, il pouvait aussi être tentant pour un défenseur estimant son armée puissante de faire face immédiatement à la menace afin de profiter des larges espaces en terrain ouvert pour livrer la bataille décisive. Encore là, rien n’était acquis, pour peu que l’attaquant remporte une victoire qui dépossèderait le défenseur d’avantages stratégiques et tactiques, dont les termes liés à la négociation en vue d’une capitulation le priveraient des effectifs nécessaires pour soit occuper les places fortes ou harceler la logistique ennemie. Par conséquent, l’envahisseur cherchera à amener le défenseur en terrain ouvert, tandis que le défenseur préférera s’installer derrière ses murs.

Étant donné qu’il sembla difficile d’orchestrer une bataille en terrain ouvert dans ces conditions, des campagnes militaires sans batailles n’étaient pas rares au Moyen Âge. Sans dire qu’elles constituaient une norme, disons simplement que des invasions teintées d’un succès complet et incontestable ne relevaient pas de cette logique militaire implacable voulant que la finalité de la guerre soit la victoire complète, ou du moins la capitulation de l’ennemi selon les termes du vainqueur. Paradoxalement, lorsque de « grandes conquêtes » médiévales eurent lieu, par exemple lors de l’invasion normande de l’Angleterre en 1066 ou de la Première croisade avec la création du royaume de Jérusalem un peu plus tard, ce fut dans des régions où les châteaux étaient relativement peu présents.

L’environnement stratégie et tactique

Dans un autre ordre d’idée, et bien que le débat sur cette question semble assez vif entre les historiens, la cavalerie lourde fut à notre avis l’arme la plus importante et la plus imposante dans l’environnement stratégique du Moyen Âge. Des hommes en armes bien protégés et montés, qui parfois combattirent à pied lorsque la situation tactique du moment l’exigea, reçurent un entraînement et des équipements conçus théoriquement pour la guerre à cheval, et ce, tant pour la bataille en terrain ouvert que pour entreprendre une campagne de dévastation du territoire ennemi. En partie pour diminuer les coûts, on tenta de constituer des unités d’infanterie à cheval, mais ces dernières s’avérèrent d’une terrible vulnérabilité face au moindre petit groupe de chevaliers bien entraînés et déterminés. Cela ramène à la problématique qu’avaient les monarques de lever de larges armées à des coûts raisonnables, mais la pratique de la guerre de l’époque sous-tendait un autre principe d’importance afin d’assurer cette victoire complète, à savoir la capacité de poursuivre l’ennemi. Peu de batailles au Moyen Âge étaient remportées sans la contribution minimale d’une puissante charge de cavalerie et même lorsqu’ils combattaient démontés, les hommes d’armes devaient avoir les moyens de poursuivre leurs adversaires, sinon ces derniers pouvaient en tout moment se regrouper derrière des fortifications.

Peinture de Graham Turner représentant des chevaliers anglais combattant à pied (XVe siècle).

Quant à la guerre de siège si souvent évoquée, disons que même lorsque l’infanterie sembla jouer un rôle plus déterminant que la chevalerie, l’assiégeant qui pouvait assurer le ravitaillement de sa troupe sur une longue période avait de fortes chances de l’emporter. Concrètement, cette capacité de s’approvisionner signifie qu’il faille néanmoins conserver une importante force composée d’hommes à cheval pour aller chercher le ravitaillement en pays ennemi, que ce soit du simple ravitaillement en eau jusqu’à l’acquisition de ressources spécifiques comme le fourrage des bêtes de somme.

Par ailleurs, notons que lorsqu’ils étaient au combat, les hommes en armes n’étaient pas des combattants agissant de manière individuelle ou indépendante, comme il fut souvent décrit dans la littérature. Au contraire, ils combattirent en petites unités de manière cohésive sous une bannière leur étant propre, ces mêmes bannières étant ensuite regroupées en plusieurs batailles, au nombre de trois à neuf dans une armée. Ces groupes pouvaient effectivement opérer de manière indépendante sur le champ de bataille, mais généralement en exécutant une mission spécifique. Par exemple, une bataille pouvait feindre une retraite ou mener une charge à un moment spécifique, généralement de façon coordonnée avec la bataille voisine.

Un autre élément qui nous apparaît important de clarifier est celui du mythe entourant la supposée « infériorité » de l’infanterie médiévale, que l’on compare trop souvent avec celle de la période antique précédente, où la légion romaine constitua le summum en terme de qualité combattante. Une infanterie de qualité raisonnable exista au Moyen Âge, soit une force composée d’arbalétriers et de lanciers venant particulièrement de communautés urbaines comme des Flandres, de l’Italie ou d’Espagne. Qui plus est, les tactiques de l’époque médiévale mirent l’emphase sur l’importance de présenter des formations ordonnées sur le champ de bataille, tant pour l’infanterie que pour la cavalerie, dont le fait de briser la cohésion (la formation) pouvait être passible de la peine capitale, le cas échéant.

Aussi, les chefs militaires de la période furent loin d’être des idiots, des incompétents ou des gens totalement ignorants de l’art de faire la guerre. Intelligents, souvent expérimentés et instruits, ces commandants étaient parfaitement capables de développer des stratégies et des tactiques adaptées aux situations du moment. La presque totalité était également composée de dirigeants politiques, si bien qu’ils disposèrent d’un avantage certain en comparaison de généraux d’une époque plus contemporaine à la nôtre, en ce sens où ils maîtrisèrent l’art d’utiliser une armée tant à des fins militaires que pour achever des objectifs politiques. N’était-ce pas, après tout, la finalité de la guerre?

La technologie

Au chapitre du progrès technique, la pratique de la guerre à l’époque médiévale amena des innovations intéressantes, même s’il y a un débat aujourd’hui entre les historiens relativement à la valeur à accorder à ce sujet. En fait, il serait probablement plus prudent de placer ces innovations technologiques dans le contexte plus général des progrès réalisés par l’ensemble de la société européenne de l’époque, en particulier dans le domaine agricole, celui de la diversité économique, de la littérature, des réalisations architecturales et même des arts. De plus, l’époque qui nous intéresse vit la population de l’Europe quadrupler entre les années 1000 et 1300, comme le nombre de personnes vivant dans les villes ou bourgades augmenta parallèlement à l’activité économique s’y déroulant. Bref, tous ces éléments eurent inévitablement des impacts sur la pratique de la guerre et les systèmes militaires de l’époque médiévale.

Ajoutons à cela que la monétisation accrue de l’économie facilita la concentration de la richesse entre les mains de ceux se trouvant en haut de l’échelle sociétale, comme les rois et les grands princes. Les monarques purent ainsi embaucher davantage de troupes à pied et montées qui pouvaient être payées, plutôt que de recourir à des contingents « féodaux », des forces conscrites s’acquittant d’obligations liées à leur statut de vassaux. Des troupes professionnelles payées pouvaient également participer à de plus longues campagnes militaires, ce qui diminua un tant soit peu l’avantage « naturel » conféré au défenseur quant à la capacité de l’envahisseur de maintenir en ligne des troupes suffisamment longtemps pour épuiser les défenseurs d’un objectif assiégé. À cet égard, certains monarques du XIIIe siècle, tels Philippe Auguste et Édouard 1er, purent à l’occasion mener à bien des campagnes prolongées soutenues par une meilleure logistique et une amélioration des techniques d’érection de systèmes défensifs.

L’épisode de Courtrai et ses suites

D’un strict point de vue militaire, l’on pourrait dire que la période névralgique (et innovatrice) de l’art de faire la guerre au Moyen Âge a débuté le 11 juillet 1302, lorsqu’une milice urbaine flamande à pied infligea une humiliante défaite à la France lors de la bataille de Courtrai. Là, quelque 1,000 nobles français, des hommes en armes (montés), furent massacrés. Cette bataille provoqua une sorte de réaction en chaîne, car elle fit la démonstration qu’il était possible d’arrêter une puissante charge de cavalerie. Plus encore, l’onde de choc de la défaite en France fit qu’au moins jusqu’au milieu du même siècle, on recourra presque exclusivement à l’infanterie à pied, un peu à l’imitation du modèle anglais. En effet, les Anglais avaient battu les Français à Crécy (1346) en imitant les Écossais qui les avaient battus à Bannockburn en suivant l’exemple flamand.

La victoire des forces flamandes à Courtrai (Belgique) en 1302 souleva des doutes quant à l'efficacité de la cavalerie à percer de front une troupe ennemie à pied, déterminée et bien équipée. Sans totalement remettre en question l'utilité de la cavalerie, Courtrai envoya le signal qu'il fallut repenser son utilisation pour les batailles futures.

Les fantassins médiévaux connurent d’autres succès militaires sur les champs de bataille d’Allemagne, dans la péninsule ibérique, en Suisse et même en territoire byzantin. Même si la cavalerie lourde perdit de son importance dans ce contexte, il était tout de même recommandé aux monarques d’entretenir de telles unités, parce qu’elles excellaient dans le pillage, la destruction et dans toutes autres missions similaires visant à affaiblir la logistique de l’ennemi. Du même souffle, les châteaux continuèrent de jouer un rôle non négligeable, mais il sembla évident que vers le XVe siècle, l’accent des opérations de siège fut davantage dirigé vers les villes fortifiées (un peu comme à l’époque antique), ce qui souleva à nouveau l’importance qu’occupa l’économie.

Parce qu’elles entretinrent des populations dotées d’un armement minimal et de qualité convenable, à défaut d’être bien entraînées, il fut difficile pour des assiégeants de prendre directement d’assaut des villes fortifiées, et ce, même si leurs murs purent être percés par un « dynamitage » souterrain ou plus rarement par d’autres méthodes. En d’autres termes, la famine et la négociation furent toujours plus importantes dans la guerre de siège que les tours mobiles, les trébuchets et autres équipements de siège. De plus, encercler une ville requiert bien plus de soldats que lors du siège d’un simple château. Là encore, pour des raisons logistiques et pécuniaires, l’infanterie à pied prouva son utilité. Les fantassins coûtaient moins cher par tête et n’avaient pas d’animaux à nourrir.

Parmi d’autres conséquences associées à la « révolution » dans le monde de l’infanterie, notons qu’à nouveau, ce fut la défensive qui profita des avantages tactiques, rendant du coup les champs de bataille européens beaucoup plus meurtriers. À l’époque médiévale, les pertes occasionnées lors de campagnes militaires se comptaient essentiellement en nombre de combattants tombés pour cause de maladie. D’ailleurs, un chevalier vaincu, mais vivant avait beaucoup plus de chances d’être libéré moyennant rançon que d’être tué. Cela dit, les formations serrées et les armes favorites des fantassins (arcs, piques, hallebardes…) rendirent physiquement difficile la capture de prisonniers, sans compter qu’au strict plan monétaire, un chevalier (noble) était beaucoup plus payant qu’un troupier issu de la masse. Autrement dit, un fantassin vaincu avait beaucoup plus de chances d’être exécuté sur place. La période qui vit le début de la fin du Moyen Âge (XIVe siècle) vit aussi un arrêt progressif de la levée de troupes en vertu du statut de vassalité. Désormais, la majorité des soldats seraient recrutés par des capitaines selon un contrat volontaire (condotta) signé avec le monarque moyennant une solde régulière.

Conclusion

Le XIVe siècle vit aussi l’apparition de la poudre à canon, mais il fallut du temps pour la maîtriser, puis en faire une arme de guerre redoutable. Cela se produisit lorsque des innovations technologiques permirent de mettre au point des canons capables de détruire des châteaux ou des murailles urbaines, ce qui modifia brutalement le rapport de force entre l’offense et la défense. En réduisant radicalement l’efficacité des tactiques défensives, surtout autour du principe voulant qu’il faille gagner du temps, le canon redonna ses lettres de noblesse au combat en terrain ouvert et facilita la conquête par les États maîtrisant de telles armes. En conséquence, à mesure que s’acheva la période médiévale, et comme il est généralement admis par les historiens, une victoire remportée en terrain ouvert comme à Castillon (1453) montra aux Anglais la porte de sortie de France par une artillerie française en contrôle de ses moyens. La fin de la Guerre de Cent Ans coïncida avec la chute de Constantinople la même année, toujours sous le feu nourri et concentré d’une artillerie qui à son tour allait remettre en question les rôles attribués à l’infanterie et à la cavalerie sur les champs de bataille.

La Guerre de Cent Ans (1337-1453)

Le roi anglais Henry V priant avant la bataille d'Azincourt (1415).

L’appellation Guerre de Cent Ans est apparue en France dans les années 1860 afin de décrire les guerres entre l’Angleterre et la France de 1337 à 1453. Dans les faits, il n’y avait pas un état de guerre constant entre les deux royaumes. Le conflit fut ponctué de plusieurs trêves et il y eut une période de paix stable entre 1360 et 1369. Cela dit, les périodes de paix relatives pouvaient, en exagérant un peu, être comparées au type de tension latente de la période de la Guerre froide au XXe siècle, mais cette fois entre la France et l’Angleterre. Même en temps de paix, leurs hostilités se sont à certaines reprises étendues ailleurs, comme en Espagne lors de la guerre civile pendant la paix officielle de 1360-1369.

Un conflit de longue date

L’Angleterre et la France ont été en conflit à plusieurs reprises avant 1337, plus récemment de 1294 à 1297, puis de 1324 à 1327. L’objet des litiges concernait l’étendue et les conditions d’occupations de parcelles du territoire de France que possédaient ou réclamaient les rois d’Angleterre. Au début du XIIIe siècle, les régions du Poitou, d’Anjou, du Maine et de la Normandie avaient été perdues par l’Angleterre et seul le duché d’Aquitaine demeurait en sa possession. La partie la plus importante de l’Aquitaine, en particulier en raison du commerce du vin, était la Gascogne, dont la capitale était Bordeaux. Au Traité de Paris de 1259, Henri III accepta de conserver l’Aquitaine comme fief de la couronne française. Cela fournit au roi français l’occasion d’intervenir dans les possessions anglaises de Gascogne, et même le droit de confisquer le duché. Cela amena la France et l’Angleterre en conflit en 1294 et en 1324.

Les relations entre les royaumes étaient donc orageuses lorsqu’un nouveau roi anglais, Édouard III, accède au trône en 1327. L’année suivante, le roi de France Charles IV meurt sans laisser d’héritier mâle de directe lignée. La couronne française passa aux mains de Philippe VI de Valois, qui se trouvait être l’héritier mâle le plus proche de la lignée directe. Cependant, Édouard prétendait aussi à la couronne sur la base qu’il était l’héritier le plus proche de Charles, mais à travers la lignée féminine. Il était le fils de la sœur de Charles, Isabelle.

Les menaces de confiscation du duché d’Aquitaine combinées avec sa position de faiblesse en Angleterre ont forcé Édouard à payer un hommage à Philippe en 1329. Ce faisant, Édouard reconnaissait Philippe comme roi de France. Malgré tout, le problème inhérent à la possession d’une partie du sol de France par le roi anglais persistait, jusqu’au moment où Philippe confisqua le duché en 1337. Ce geste consistait ni plus ni moins en une déclaration de guerre.

La première phase du conflit (1340-1369)

Après quelques hésitations, Édouard se déclara finalement roi de France en janvier 1340, et bien qu’il abandonna ce titre lors de la paix de 1360 à 1369, comme le fit aussi Henri V entre 1420 et 1422, les rois anglais ont continué de s’appeler « rois de France » jusqu’en 1801-1802. Entre 1337 et 1453, il y eut donc des périodes d’affrontements intensifs au sujet de la possession de la couronne de France, de même que sur des litiges territoriaux, dont celui de l’Aquitaine.

Carte montrant l'évolution des opérations entre 1337 et 1453.

Les premières phases de la Guerre de Cent Ans ont vu l’Angleterre et la France se battre l’une contre l’autre par le biais de leurs alliances respectives avec d’autres puissances, des alliances qu’elles avaient eu le temps de construire dans les années 1330, alors que l’on savait la guerre inévitable. D’ailleurs, la première campagne amorcée par Édouard III en est un bon exemple. En 1338, Édouard établit une base à Anvers, la capitale de son allié, le duc du Brabant. Par le fait même, Édouard négocia une alliance avec le dirigeant du Saint-Empire romain germanique, l’empereur Louis de Bavière qui fit de lui le vicaire général impérial en France et sur les territoires allemands.

Le premier assaut fut lancé en septembre 1339 dans le Cambrésis, cette partie de la France qui se trouvait à l’époque à la frontière avec le Saint-Empire. À Gand, en janvier 1340, Édouard se déclara roi de France afin de compter sur l’appui militaire de la population qui était en rébellion ouverte contre le comte qui dirigeait la cité, un pro-Valois. La seconde campagne d’Édouard de juillet à septembre 1340 fut contre Tournai, une ville du nord de la France que réclamaient les Flamands.

De leur côté, les Français réagirent en conduisant une série de raids sur la côte sud de l’Angleterre en 1338-1339, mais la menace sur l’Angleterre et la Manche avait été réduite par la victoire navale anglaise à L’Écluse (Pays-Bas), le 24 juin 1340. Toujours au plan stratégique, il faut aussi préciser que l’Écosse faisait partie des préoccupations. L’intervention anglaise dans la région dans les années 1290 avait amené les Écossais à s’allier aux Français. Au début des années 1330, Édouard III tenta de restaurer l’autorité anglaise en Écosse en y plaçant un de ses hommes. Par conséquent, David II d’Écosse dut s’exiler en France en 1334, mais il parvint à y retourner en 1341 afin de poursuivre la lutte.

Édouard III, roi d'Angleterre de 1327 à 1377.

La situation à l’automne de 1340 consiste en une impasse et une trêve est conclue. Édouard avait peu de ressources et ses alliés étaient de plus en plus réfractaires à lui fournir une assistance. C’est alors qu’une nouvelle opportunité se présenta à Édouard en 1341 au sujet d’une dispute quant à la succession au trône de Bretagne. Édouard offrit un appui militaire au prétendant de la famille Montfort. Il envoya ainsi ses troupes dans la région et il y fit campagne en personne en 1342. L’effort de guerre anglais devint plus aventureux dans les années 1340. En 1345, le duc de Lancaster étendit ses possessions en Aquitaine. L’année suivante, Édouard envahit la Normandie, saccageant la ville de Caen et poursuivant sa marche dans les terres pour s’arrêter non loin de Paris.

Alors qu’il faisait mouvement vers le nord-est, il fut intercepté par une armée française à Crécy, une localité située non loin de Ponthieu qui appartenait aux Anglais. La victoire d’Édouard à Crécy le 26 août 1346 asséna un coup terrible au moral des Français, tout comme le fit la victoire anglaise sur les Écossais à Neville’s Cross (17 octobre 1346) et la capitulation de Calais l’année suivante. Cette dernière ville fut par la suite convertie en une importance base commerciale et militaire anglaise et ne fut pas reprise par les Français avant 1558.

La fin des années 1340 connut une pause dans les affrontements en raison des ravages causés par la Peste Noire. Philippe VI en mourut en 1350 et son héritier, Jean II, effrayé par une alliance anglo-navarraise et d’autres succès militaires anglais, semblait plus disposé que son père à trouver une solution négociée. La papauté prit en main les négociations à Guînes en 1354, mais celles-ci échouèrent et la guerre reprit l’année suivante. Édouard Plantagenêt, le Prince de Galles (surnommé le « Prince Noir »), mena un raid à travers le sud de la France à partir de Bordeaux vers la côte méditerranéenne. En 1356, le duc de Lancaster poursuivait toujours sa campagne en Normandie et le Prince Noir faisait mouvement vers le nord. Celui-ci fut forcé de livrer bataille à Poitiers où il remporta une victoire catégorique, faisant du coup prisonnier Jean II.

Édouard lança par la suite sa dernière offensive d’envergure en 1359, dans l’espoir probable de reprendre Reims et ainsi être couronné roi de France. Par contre, son plan échoua et il consentit plutôt à un règlement négocié par le Traité de Brétigny signé le 8 mai 1360. Jean II fut libéré en échange d’une rançon de 3 millions d’écus et Édouard accepta d’abandonner ses prétentions à la couronne française, en retour d’un élargissement de ses possessions d’Aquitaine, du Poitou, de Ponthieu et de Calais. Tous ces territoires devraient être pleinement souverains, c’est-à-dire qu’Édouard n’aurait pas à payer un hommage ou à subir la tutelle française. Bien que ce règlement fut officialisé à Calais le 24 octobre 1360 entre Édouard et Jean, les clauses renonciatrices (à savoir qu’Édouard abandonne son titre français et que les Français laissaient tomber leur souveraineté sur ses dernières acquisitions) furent retirées du traité principal et elles ne furent jamais effectives. Ce faisant, il est probable qu’Édouard voulait garder ses options ouvertes.

Miniature de Jean Froissart représentant la bataille de Poitiers de 1356. Cet affrontement tourna au désastre pour l'armée française, pourtant trois fois plus nombreuse que l'armée anglaise.

La seconde phase (1389-1429)

Ce qui apparaît comme un flou juridique dans le Traité de Brétigny fut exploité par Charles V en 1369, lui permettant de confisquer à nouveau l’Aquitaine et d’envoyer des troupes dans les possessions d’Édouard. En revanche, Édouard décida de reprendre le titre de roi de France. Dans une autre phase du conflit (1369-1389), les Anglais connurent une série d’insuccès et ils perdirent la presque totalité de leurs gains des vingt dernières années. Les Français avaient bénéficié de leur alliance avec le royaume de Castille qui leur donna la suprématie en mer, leur permettant de harceler sporadiquement les côtes anglaises.

Les Anglais tentèrent diverses formes d’assaut, par exemple des raids dans le nord du territoire français, des tentatives d’établir des têtes de pont sur les côtes, des alliances avec les Flamands et le duc de Bretagne, mais le tout sans succès notable. Le schisme papal de 1378 à 1418 compliquant davantage les choses, car les Anglais et les Français donnèrent leurs appuis à chacun des papes qui s’opposaient et chaque royaume avait des rois qui n’étaient pas majeurs (Richard II en Angleterre et Charles VI en France).

Toutes ces problématiques ne semblaient pas trouver de solutions. Tout ce que l’on put convenir fut la conclusion d’une autre trêve en 1396, une trêve qui dura néanmoins trente ans, facilitée par le mariage de Richard II avec Isabelle, la fille de Charles VI. Cependant, les problèmes mentaux de Charles VI plongèrent la France dans une situation désespérée qui dégénéra en une guerre civile entre les Bourguignons et les Armagnacs (et d’autres factions orléanistes). La situation n’était guère mieux dans le camp anglais, où Richard II avait déposé son cousin Henry Bolingbroke (Henry IV). Bien que la longue trêve continuait de s’appliquer en théorie, les Français avaient envoyé de l’aide aux rebelles gallois qui combattaient Henry. Ils tentèrent également de reprendre Calais, la Gascogne et nuire au trafic anglais dans la Manche.

En 1410, la guerre civile en France avait atteint un tel sommet que chaque camp français alla demander une assistance aux Anglais. Cela finit par convaincre les Anglais qu’il était temps d’effectuer une autre tentative en France. Par conséquent, Henry V lança en 1415 sa première invasion qui mena à la capture de Harfleur et à la victoire d’Azincourt. Malgré qu’ils étaient largement dépassés en nombres et qu’ils étaient affaiblis par la longue marche, les Anglais battirent les Français dans ce qui s’avéra être un véritable massacre. Les Anglais capturèrent le neveu de Charles VI, Philippe duc d’Orléans, et plusieurs autres personnalités.

Miniature du XVe siècle représentant la bataille d'Azincourt (1415). Une autre victoire stratégique de l'armée anglaise.

Le vent était du côté des Anglais et les succès militaires des années suivantes étaient attribuables non seulement au génie militaire de Henry V et de ses commandants, mais également aux divisions qui minaient la France. La seconde campagne de Henry débuta le 1er août 1417 et elle consista en une conquête méthodique de la Normandie au moyen de sièges, ce qui était d’ailleurs la première fois que les Anglais tentèrent ce type de stratégie sur une grande échelle. La chute de Rouen en janvier 1419 (après un siège de huit mois) marqua la conquête complète du duché de Normandie et Henry commença à faire mouvement vers Paris.

Conscients des divisions qui les rongeaient, les Français devaient négocier entre eux. Or, ces négociations prirent fin de façon abrupte lorsque Jean, le duc de Bourgogne, fut assassiné par les hommes du dauphin (qui dirigeaient maintenant le clan des Armagnacs). Cela força les Bourguignons, qui étaient parvenus à contrôler le dangereux Charles VI, à faire une alliance avec Henry, qui était en position de dicter ses conditions. Par le Traité de Troyes du 21 mai 1420, Henry devint l’héritier de Charles VI (le dauphin, qui devint plus tard Charles VII, se trouvait donc déshérité) et régent de France.

Henry V, roi d'Angleterre de 1413 à 1422.

Bien entendu, ce traité ne fut pas reconnu dans les territoires hors des possessions anglaises et bourguignonnes. La conséquence fut que le roi Henry V vieillissant et les hommes qui agirent au nom de son fils Henry VI (qui était encore un bébé) reçurent la difficile mission d’étendre leurs possessions. Les victoires anglaises lors des batailles de Cravant (31 juillet 1423) et de Verneuil (16 août 1424) avaient permis aux Anglais et à leurs alliés bourguignons d’étendre le territoire jusqu’à la Loire vers 1428. Cependant, les forces du dauphin étaient parvenues à faire lever le siège sur Orléans, en partie grâce à la contribution morale de Jeanne d’Arc. L’armée de Charles VII finit par vaincre les Anglais à Patay le 18 juin 1429 et elle reprit la plupart des territoires à l’est de Paris, permettant ainsi au dauphin d’être couronné roi de France à Reims le mois suivant.

La reprise en main de la situation par la France (1429-1453)

À partir de cet instant, les Anglais durent adopter une posture défensive, malgré que Henry VI se soit fait couronner roi de France à Paris le 16 décembre 1431. Ce faisant, Henry devenait de fait le premier roi anglais à réaliser concrètement ce que son ancêtre réclamait presque un siècle auparavant. Les alliés bourguignons des Anglais se retirèrent de l’alliance en 1435 et Charles VII fit son entrée dans Paris l’année suivante. Il restait aux Anglais la Gascogne, Calais, la Normandie, bien que le contrôle de la Haute-Normandie fut contesté par une révolte 1435-1436 dans laquelle Harfleur fut perdue. Cette cité fut reprise en 1440, mais les Anglais perdaient du même coup Dieppe, ce qui rendait une fois de plus les côtes anglaises et la Manche vulnérables aux attaques.

Charles VII, roi de France de 1422 à 1461.

Les Anglais restèrent à nouveau sur la défensive dans les années 1440, car les coûts de la guerre devenaient de plus difficiles à supporter. Après la conclusion d’une trêve en 1444 et le mariage de Henry VI avec Marguerite d’Anjou, les défenses anglaises en Normandie furent grandement affaiblies, laissant le loisir à Charles VII de les prendre, ce qu’il fit lorsqu’il envahit le duché avec l’assistance du duc de Bretagne en 1449. Ce qui restait de la Normandie tomba en l’espace d’une année et la Gascogne tomba à son tour en 1451. Une rébellion contre l’autorité française à Bordeaux en 1453 encouragea les Anglais à y envoyer une armée sous le commandement de Lord John Talbot, mais lui et l’effort de guerre anglais furent anéantis à la bataille de Castillon du 17 juillet.

Les batailles de la Guerre de Cent Ans

Sur une période de plus de cent ans, il est certain que les buts de guerre des belligérants ne furent pas les mêmes. Par exemple, la prétention anglaise au trône de France fut moins significative après 1360 jusqu’au moment où elle revint à l’ordre du jour au lendemain du Traité de Troyes.

Les stratégies ont également varié. Pour ainsi dire, le XIVe siècle vit la domination de la chevauchée. Il s’agissait de la conduite d’un raid à grande échelle sur le territoire français dans le but d’affaiblir le moral, de créer des distorsions économiques et collecter autant de prisonniers que de butins possible. Ce genre de manœuvres militaires était populaire parmi les troupes anglaises qui y voyaient des opportunités de s’enrichir. Cela avait aussi un impact politique considérable, dans la mesure où les raids anglais remettaient en question la capacité du régime des Valois à défendre adéquatement la France et ses habitants.

Aussi attirante fût-elle, la stratégie des raids avait ses limites. Seule la conquête systématique de la France permettrait aux Anglais de traduire leurs prétentions sur le territoire, la souveraineté et la couronne en réalité. Sous Henry V et Henry VI, donc, la stratégie privilégiée fut le siège. Déjà à cette époque, l’artillerie était utilisée, et ce, autant à des fins offensives que défensives lors de sièges. Le XIVe siècle vit donc la conduite de sièges, le plus évident fut probablement celui de Calais, et il y eut également des actions de chevauchée au XVe siècle, dont celle exécutée par les Anglais en Bretagne en 1443.

Les XIV et XVe siècle virent aussi des actions à plus petites échelles, comme des raids et des patrouilles, de même que la fortification et l’envoie de garnisons dans des places fortifiées avaient leur importance. À cet égard, les Français eurent des difficultés à pénétrer en Gascogne anglaise, car la frontière était bien protégée par des structures défensives. De plus, étant donné que les Anglais menaient une guerre outre-mer, l’activité navale s’avéra importante pendant cette période, notamment pour le transport des troupes, pour la patrouille dans la Manche et pour la protection de la route commerciale entre l’Angleterre et la Gascogne.

Les archers: l'ennemi no. 1 de la chevalerie.

Autant sur terre que sur mer, les batailles à grande échelle furent peu nombreuses, mais on se souviendra toujours dans cette guerre de certains épisodes particuliers, comme les trois victoires anglaises à Crécy, Poitiers et Azincourt. Toutes ces batailles furent livrées de façon similaire, avec les soldats anglais démontés et qui comptaient sur l’efficacité du tir de leurs archers pour arrêter la charge de la chevalerie française. Dans toutes ces occasions, le commandant anglais déploya ses troupes sur un front relativement mince. Cela créa un effet d’entonnoir qui limita du coup la liberté d’action des Français (qui était importante pour eux étant donné qu’ils étaient largement supérieurs en nombre), tout en accroissant l’effet du tir des flèches sur les soldats ennemis trop serrés.

Étant donné que les Anglais devaient envoyer leurs armées outre-mer, il n’est pas étonnant qu’elles fussent moins nombreuses que celles de leurs adversaires. Par exemple, une armée anglaise envoyée en France au XVe siècle dépassait rarement 2,500 hommes (bien que des troupes aient été régulièrement envoyées en renforts entre 1415 et 1450) et les chevauchées dirigées par le Prince Noir en 1355 et 1356 le furent avec le même contingent, qui fut appuyé par des Gascons.

Dans un autre contexte, à Crécy, il est probable qu’Édouard III n’ait pas eu plus de 7,000 hommes et au maximum 10,000 lors de sa campagne de 1359. De son côté, Henry V avait quitté l’Angleterre avec 12,000 soldats, mais la maladie et le besoin de défendre Harfleur l’avaient dépossédé de la moitié de ses effectifs lorsque débuta la bataille d’Azincourt en 1415. Selon les sources, on pense qu’Édouard III aurait pu avoir une armée allant jusqu’à 32,000 hommes au siège de Calais, mais il n’y eut assurément aucune armée anglaise qui dépassa ce nombre au cours du long conflit.

Un exemple de canon tel qu'il put en exister dans la seconde moitié du XIVe siècle. Le canon s'avéra particulièrement utile lors du siège d'une place forte.

D’autre part, la Guerre de Cent Ans avait démontré l’importance des alliances. Celle entre les Français et les Écossais fut efficace et causa des ennuis aux Anglais. Une autre, celle entre la Castille et la France, fournit à celle-ci une précieuse assistance navale. De leur côté, mis à part les quatre premières années de la guerre, les Anglais ont essentiellement compté sur leurs troupes nationales et non sur des forces étrangères.

Lorsque la guerre reprit après 1369, les troupes anglaises étaient recrutées d’après un système contractuel où des capitaines devaient fournir un certain quota d’hommes qui percevaient une solde royale pour la durée du service. Plusieurs servaient pour une courte période, qui souvent ne dépassait pas six mois, bien que le besoin d’avoir des troupes de garnisons (surtout au XVe siècle en Normandie) finit par créer une sorte d’armée permanente avec des hommes qui contractaient une plus longue période de service.

On remarque également qu’au XIVe siècle, les soldats d’infanterie étaient en nombre à peu près égal à celui des archers. Sous Richard IV d’Angleterre, lors des guerres galliques, il n’était pas rare de voir un ratio de 1 pour 3, c’est-à-dire un fantassin pour trois archers. Ceux-ci avaient une valeur tactique reconnue, ils étaient disponibles en grand nombre et ils ne coûtaient pas chers à équiper. Les armées françaises comptaient aussi sur le rôle de la noblesse dans le recrutement et la direction des troupes. Par contre, ces forces étaient souvent recrutées à la suite d’obligations féodales (de vassalité) et elles provenaient en grande partie de milices urbaines. Les Français pouvaient mobiliser de grandes armées, mais celles-ci manquaient du niveau de cohésion et de professionnalisme que l’on retrouvait chez les Anglais.

Représentation de la bataille de Castillon (1453). Cette victoire française marqua le dernier affrontement de la Guerre de Cent Ans.

L’utilisation croissante de l’arc long dans les armées anglaises, de l’arbalète chez les Français, le perfectionnement des épées et le retour en force de l’infanterie, tout cela fit en sorte que le soldat de la Guerre de Cent Ans dut investir davantage sur son armure. Pour sa part, l’artillerie commençait à faire sa marque, et ce, dès la seconde moitié du XIVe siècle. À la fin du conflit, des armes à feu d’infanterie et des canons de plus fort calibre virent leur apparition dans les deux camps. En effet, la victoire ultime de la France est largement attribuable non seulement à l’usure chez l’adversaire, mais aussi grâce à l’utilisation accrue de l’artillerie et à la nécessaire réorganisation et à la professionnalisation de son armée. Ce fut une entreprise que le roi Charles VII avait jugé essentielle dans les années 1440.