La génération de nos parents a vécu l’époque de la guerre du Viêt-Nam, où les grandes puissances de l’époque s’étaient déployées dans la région au nom de la liberté et de l’endiguement du communisme. Trente années plus tard, il demeure tentant, bien que risqué, d’établir des parallèles entre ce conflit et ce qui se passe actuellement en Afghanistan. On se demande si la victoire sera possible, dans cette soi-disant lutte pour la protection de la liberté et de l’endiguement du terrorisme international.
Rappelons que la présence du Canada en Afghanistan avait été décidée en octobre 2001, peu de temps après les attentats de New-York le mois précédent. On voulait mener une campagne contre le terrorisme, avec un mandat de la communauté internationale. Le 20 août 2009 sera jour d’élections en Afghanistan et on peut se demander si après toutes ces années, les efforts du Canada et de la communauté internationale auront servi à quelque chose.
L’Afghanistan d’avant et d’après le régime des Talibans est certes un pays différent. Il y a officiellement un gouvernement « démocratique », quoiqu’extrêmement corrompu et fortement influencé par les seigneurs de guerre et les rivalités des quelque 80 clans et tribus qui composent ce pays. Il y a également des ministères, une armée, une force de police et un parlement. Dans ce contexte, les soldats canadiens accomplissent trois tâches, soit : 1) de la défense (missions de combat et de sécurité) ; 2) du développement (collaboration avec des organisations gouvernementales et non gouvernementales à des projets de construction) ; 3) de la diplomatie (une aide à la reconstruction des infrastructures politiques afghanes). C’est ce qu’on appelle communément l’approche « 3D ».
Cette approche 3D a pris selon nous une grande importance, surtout à partir de 2006, à une époque où les forces canadiennes se sont déplacées de la capitale Kaboul pour poursuivre leurs tâches dans la province de Kandahar, bastion symbolique des Talibans et par conséquent, une région beaucoup plus dangereuse. L’année 2006 est donc une année charnière et également symbolique de la présence canadienne en Afghanistan.
Mais une question demeure : avons-nous réussi et qu’entendons-nous par « réussite » ? Les Afghans se sentent-ils plus en sécurité ? Les forces insurrectionnelles peuvent-elles être neutralisées, ou du moins endiguées sur les moyen et long termes ? Peut-on attendre d’un peuple qu’il se prenne en main, quand il y a des dizaines de clans et de tribus qui espèrent notre départ pour se faire la guerre entre eux ou contre les Talibans ? La triste réalité est que pour bon nombre d’Afghans, les Talibans sont perçus comme des libérateurs, un peu comme à l’époque de la lutte contre l’envahisseur soviétique dans les années 1980.
Qui plus est, les forces occidentales déployées en Afghanistan peinent à s’adapter à la guerre du type de la guérilla que pratique l’ennemi. Nos patrouilles démontées dans les champs nous font quitter les routes minées et facilitent la prise de contact avec les forces ennemies, mais nos machines sont bien faibles face au fanatisme de ceux qui dirigent les forces d’insurrection.
Bref, depuis près de trois ans, le gouvernement canadien cherche par tous les moyens de sortir nos troupes de ce pays sans perdre la face. Et il va probablement y arriver, car la décision de se retirer des missions de combat à l’été 2011 pour se concentrer sur la formation du personnel militaire et policier afghans nous ramènera à nos tâches « traditionnelles » de maintien de la paix, tâches héritées de l’époque des Casques bleus de ce grand Canadien qu’était Lester B. Pearson. En ce sens, nous ne pouvons qu’applaudir cette décision, puisque dans l’immédiat, et bien que nous ayons accompli de nobles tâches en Afghanistan, ce pays ne sera pas prêt en 2011 pour se prendre en main.
C’est donc toute cette transparence de notre gouvernement qui peut étonner ces jours-ci. Quand le Premier ministre, le chef d’état-major de l’armée et le commandant des forces canadiennes sur le terrain affirment à tour de rôle que la « victoire » est impossible, ils ne font que confirmer ce que les spécialistes prédisaient depuis trois ou quatre ans déjà.
Par ailleurs, les renforts américains promis par le Président Obama commencent à arriver, notamment dans la région de Kandahar. Encore là, c’est bon, mais c’est trop tard, surtout pour l’obtention d’un effet à court terme face à un ennemi déterminé et fanatique. À cet échec d’ensemble, nous pouvons ajouter que nos gouvernements et l’opinion publique fonctionnent tous les deux sur le court terme. Autrement dit, nous voulons des résultats immédiats et probants. La réalité est tout autre et les élections afghanes du 20 août ne font que confirmer ce fait.
Ce sera un gouvernement officiellement démocratique, mais qui ne sera pas en mesure de s’administrer complètement et de convaincre la communauté internationale de rester plus longtemps en Afghanistan. En clair, cela nous ramène au problème de base de la prise en main par les Afghans de leur avenir.
Quand les forces canadiennes quitteront ce pays, il y aura deux scénarios. Le premier, nous abandonnerons l’Afghanistan en catastrophe, comme l’avaient fait les Américains au Viêt-Nam en 1975. Le second, nous quitterons la tête haute et dans l’honneur, satisfaits du devoir accompli.
Au moment d’écrire ces lignes, au milieu de nos vacances estivales, les Afghans risquent leurs vies pour aller voter. Dans Kandahar, les soldats québécois risquent aussi leurs vies, pour leur permettre d’aller voter.